Sous la plume de Christian Bobin, l'un des plus fins prosateurs français du moment, le Poverello d'Assise revivait en 1992 dans une belle célébration de la vie et de l'amour, sous la lumière du Très-Bas...
Il y a un drôle de petit livre charmant, dans la Bible,connu sous le titre de Livre de Tobie et dans lequel on lit cette phrase énigmatique: «L'enfant partit avec l'ange et le chien suivit derrière.»
Vous nelisez pas la Bible? Cela fait trop vieux jeu, pensez-vous? Et vous n'avez «rien à cirer» de saint François d'Assise non plus? Mais quel bougre de sac à préjugés vous faites mon pauvre vous! Ne savez- vous donc pas que la Bible est «un livre insensé, égaré dans son sens, aussi perdu dans ses pages que le vent sur les parkings des supermarchés, dans les cheveux des femmes, dans les yeux des enfants»?
Du moins est-ce ce qu'affirme Christian Bobin.
Quant à ce pouilleux, ce galeux de François d'Assise, dont vous croyez qu'il ne concerne que les enfants de chœur et les vieilles dames, le même Bobin voit en lui l'incarnation de «l'aujourd'hui amoureux de l'amour», aussi sûr qu'il l'identifie dans la figure du chien suivant l'enfant et l'ange de Tobie, et qu'il appelle conséquemment Chien François d'Assise...
Vous croyez qu'il se moque? Nullement. Et lorsque vous lirez les pages que Christian Bobin consacre aux mères («les mères tiennent l'Eternel qui tient le monde et les hommes»), aux enfants et aux petits ânes, aux oiseaux et aux lépreux, à l'amour et aux pauvres, vous constaterez que rarement on a parlé si bien dans l'esprit franciscain, le pied léger et l'âme à la fontaine.
L'évocation de la vie de saint François d'Assise, dont on sait d'ailleurs fort peu de chose, se déploie en scènes épurées, rehaussées de belles enluminures, avec juste ce qu'il faut de notations pour arrimer le récit à sa base médiévale. La mère provençale, le père négociant, la douce Claire qui l'accompagnera sont les seules figures qui entourent le Poverello, lui-même réduit à une sorte de pure présence célébrante.
C'est que Le Très-Bas constitue, d'abord et avant tout, une grande invocation de joie. «Nous croyons au sexe, à l'économie, à la culture et à la mort», dit l'homme de raison de notre siècle qui est «un homme accumulé, entassé, construit.»
Tandis que le poète cherche, à la lumière du Poverello, cet «homme d'enfance» qui est «un homme enlevé de soi, renaissant dans toute renaissance de tout...»
Christian Bobin: Le Très-Bas, Gallimard, coll. L'un et l'autre, 132 pages. Réédité en poche Folio.