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  • Ceux qui ont mauvais genre

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    Celui qui se réclame de la théorie du gendre /Celle qui postule que la ministre siège sur une fauteuille / Ceux qui ne sont pas du genre à distinguer leur sexe vu qu'ils se cherchent encore à l'état de particules élémentaires lisant Houellebecq en cachette / Celui qui est franchement bicurieux en matière contextuelle / Celle qui prône le sexe à option selon l'orientation du pupitre du (ou de la) prof par rapport à La Mecque / Ceux qui reprochent à leur cousine Fernand-Auguste de n'avoir pas fait son coming out en famille avant son passage chez Ruquier / Celui qui se sent très Jules et Jim avec les deux Dominique / Celle qui pratique l'inquisition transgenre /Ceux qui ont pris le Transsibérien sans changer de train / Celui qui assume sa ressemblance avec tout un chacun et plus si affinités / Celle qui souffre terriblement de son coupable penchant pour sa tortue Anatolia d'orientation sexuelle différente à ce que dit le pasteur protestant favorable à l'accueil baptismal des hamsters et autres soeurs en Christ / Ceux qui détendent l'atmosphère en changeant de genre comme de chemise /Celui qui a toujours assumé sa différence sauf au trampoline où sa jambe de bois le gênait ça faut reconnaître / Celle qui confesses ses rêves strictement hétéros à ses camarades du groupe de conscience des Lesbiennes Libérées de Limoges (LLL) qui vont travailler le sujet / Ceux qui affirment pièces en mains que la théorie du genre véhicule la légitimation de la manuélisation sexuelle collective sur les toits des établissements scolaires au déni de toute scientificité / Celui qui se donne un genre sans qu'on remarque lequel / Celle qui est plus cool en drag queen qu'en marcel / Ceux qui sont ouverts à tout après la fermeture des guichets / Celui qui est à la fois croyant et pratiquant homo qui s'assume à tous les niveaux en tant que socialiste hollandais tendance open minded / Celle que toutes les théories ont toujours amusée y compris cele d'un Dieu tirant un mec de la pomme d'Eve d'une meuf / Ceux qui politisent les débats pseudo-scientifiques en sorte d'élever le débat / Celui qui estime que la liberté inclut la reconnaissance du macho timide et de la brodeuse typiquement féminine mais qui n'ose pas le dire / Celle qui a fait sa troisième cure transgénique tout en restant fidèle à l'Opel Kadett / Ceux qui renvoient dos à dos les hystériques du débat-qui-nous-concerne, etc.   

  • La Suisse russe

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    Largement reconnu en Russie, le romancier Mikhaïl Chichkine, établi à Zurich, a suivi les traces de ses compatriotes dans notre pays. Une vraie saga !  

     

    Dans le grand roman  qu'on pourrait intituler  "Le voyage en Suisse", les Russes alignent la distribution de personnages la plus fantastique. Les uns s'exaltent devant ce "pays de nature pittoresque, terre de liberté et de prospérité", tel Nikolaï Karamzine qui lança le mouvement vers 1790 en disciple de Rousseau. D'autres seront plus critiques, voire féroces. Tolstoï s'exclame ainsi que "les Suisses ne sont pas un peuple poétique". Et l'anarchiste poseur de bombes Netchaïev: "On s'ennuie mortellement ici"...

    Dosto.jpgDe Dostoïevski claquant au jeu les roubles de son ménage, à Lénine rêvant de révolution entre Genève et Zurich, en passant par  Nabokov (ennemi juré du Bolchevik) qui chasse le papillon dans les Préalpes, toutes les Russies se mélangent en Suisse sans frayer beaucoup, il faut le souligner, avec l'habitant. Ainsi peut-on bien parler d'une Suisse russe, comme l'a illustré le romancier moscovite Mikhaïl Chichkine dans une fresque passionnante aux mille anecdotes. Le tableau fait peu de place aux échanges idéologiques ou politiques qui se firent parfois entre Suisses et Russes, privilégiant les figures révolutionnaires  à la Lénine, Bakounine ou Kropotkine, sans les idéaliser.

    Or quoi de commun entre la Russie et la Suisse ? "D'un côté, un sixième des terres du globe et de l'autre, une tête d'épingle sous les cieux, tous deux unis par un invisible nerf tendu", écrit Mikhaïl Chichkine. Pourtant, "dans ce "pays-station-balnéaire"  se produisent des événements qui auront des conséquences fatidiques sur le destin du "pays-empire". Ici, des cerveaux donnent naissance à des idées qui, à des centaines et des milliers de verstes de Bâle et de Lugano, se transforment en livres, en tableaux, en exécutions d'otages. Dans le silence des bibliothèques de Zurich et de Genève sont concoctées des recettes d'après lesquelles sera préparée une bouillie sanglante pour des générations affamées"...

    La Suisse russe, c'est ainsi le paradoxe d'une intelligentsia qui n'apprendra rien de la démocratie helvétique.  Dostoïesvki, passant à Genève, détestera les "petits malins" de l'émigration révolutionnaire, sans rien comprendre pour autant à notre pays.

    Chichkine2.jpgLa Suisse russe passe donc par Zurich, où se réfugiera (notamment) Chagall, dont les vitraux légendaires ornent la Fraumünster; et c'est là que Soljenitsyne vivra son premier exil. Là aussi que Mikhaïl Chikchine lui-même s'est établi en 1995, partageant la vie de la traductrice   Franziska Stöcklin et lui-même employé comme interprète à l'accueil des requérants d'asile. Or cette fonction a fourni, au puissant romancier qu'il est assurément,  l'inappréciable matériau humain qu'il a filtré dans le plus beau de ses livres, Le Cheveu de Vénus, écrit à Zurich en russe et traduit en plusieurs langues.

    Né en 1961 à Moscou en pleine guerre froide, l'écrivain, fils de prof de lettres divorcée et membre du Parti, a été marqué dès son adolescence par la lecture (clandestine) de Pasternak et Soljenitsyne. Sa première passion littéraire européenne fut Max Frisch, qui nous fait alors retrouver "sa" Suisse évoquée, une première fois, dans un autre livre remarquable intitulé Dans les pas de Tolstoï et Byron.    

    Tsvetaeva.jpgLa Suisse russe de Mikhaïl Chichkine passe également par Berne et les Grisons, le Tessin (bonjour Kandinsky !) et les Ormonts, le château de Chillon où Gogol grava son nom avant de situer un épisode des Âmes mortes à Vevey, et enfin Lausanne où l'on retrouve tout un monde insoupçonné de princes déchus et d'étudiants hâves, le philosophe Vladimir Soloviev (de passage) ou la géniale Marina Tsvetaeva.

    La boucle se refermant en nos murs, l'on rappellera enfin que c'est à Lausanne, à l'enseigne des  éditions L'Age d'Homme, que le meilleur de la littérature russe a été traduit, de Pouchkine à Vassili Grossman, ou du prodigieuxPetersbourg d'Andréi  Biély (qui fut aussi notre hôte) à L'Avenir radieux d'Alexandre Zinoviev dont le souvenir de la présence hante de mythiques soirées...

     

    Mikhaïl Chichkine. La Suisse russe. Traduit par Marilyne Fellous. Fayard, 516p.

     

     

    Mikhaïl Chichkine en dates

    1961 - Naissance à Moscou. Parents divorcés. Premier roman à 9 ans sur le thème de la séparation (une page !)

    1995 - S'établit à Zurich avec Franziska Stöcklin. Un enfant.

    2000 - Prix du canton de Zurich pour la version originale de  La Suisse russe. Prix Booker russe pour La prise d'Izmaïl, traduit chez Fayard.

    2005 - Dans les pas de Byron et Tolstoï: du lac Léman à l'Oberland bernois. Noir sur blanc. Prix du meilleur livre étranger (essai).

    2007 - Le Cheveu de Vénus et La Suisse russe, traduits chez Fayard.

    2012 - Deux heures moins dix, roman, chez Fayard.

     

    Ce papier a paru dans le quotidien 24Heures ce samedi 1er février 2014.

     

  • Mémoire des eaux

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    Avec Gens du lac, Janine Massard rend hommage à deux "justes" vaudois qui prêtèrent la main à la Résistance, à l'insu de tous...

     

    Massard03.jpgC'est un livre humainement très attachant que Gens du lac de Janine Massard, qui nous vaut également une chronique d'un grand intérêt historique et une oeuvre littéraire originale par sa façon de transcrire le langage et la mentalité des riverains romands du Léman.  

    Ce grand lac, que se partagent Romands et Français, est ici bien plus qu'un décor débonnaire de carte postale: le lieu de furtifs trafics nocturnes qui s'y poursuivirent quelques années durant pendant la Deuxième guerre mondiale, et par conséquent le  miroir d'une époque. En juillet 1941, par exemple, un certain Pierre Mendès-France le traversa nuitamment pour se réfugier sur la côte vaudoise. Puis, dès 1942-43, les passages clandestins s'y multiplièrent au bénéfice de civils, souvent juifs, à l'insu des douaniers et de la garde territoriale suisse, et dans une atmosphère de secret liée au risque latent de délation. De fait, même si les partisans déclarés du nazisme restaient minoritaires en Suisse,  les faits de résistance étaient souvent mal vus du commun, encouragé à la méfiance par les autorités.

    Sur cette période délicate que nos écrivains ont peu traitée, mais qu'une importante série de films (21 documentaires par 13 cinéastes sur les témoins de ces temps de guerre) a déjà éclairée, le livre de Janine Massard apporte un témoignage intéressant en cela qu'il ne révèle pas tant les actes méconnus de deux "héros", mais le courage discret de deux pêcheurs vaudois prêtant fraternellement la main à leurs collègues savoyards.  Tels furent le père et le fils Gay, tous deux prénommés Ami, le plus jeune gratifié du surnom de Paulus en mémoire d'un fameux chansonnier parisien, dont les services d'"agents secrets" furent cités à l'honneur en 1947 par le préfet de l'Isère, chef départemental FFI.  À préciser cependant que ces faits de résistance ne sont qu'un fil de la trame narrative de Gens du lac, qui vaut surtout par l'évocation de toute une époque et notamment du côté des femmes.

    Une belle évocation nocturne marque l'ouverture de Gens du lac, où l'on voit Ami père, le "patron" pêcheur, emmener son Paulus sur le lac dont la présence imposante, voire dangereuse pour qui lui manquerait de respect, dicte ses règles dans un climat souvent mystérieux. Janine Massard rend bien cette magie et, d'emblée aussi, le compagnonnage un peu fantomatique des pêcheurs des deux rives se saluant amicalemnt ou s'emmêlant les filets quand "ça tourne par dessous"...

    Avant de revenir aux années de guerre, Janine Massard brosse les portraits de Paulus,  le fils unique beau comme un acteur américain mais que sa mère traitera à la dure, et de son père qui, en sa propre jeunesse a fait "le tour des pénuries", notamment domestique en France dans la famille Colgate où il rencontre sa future épouse Berthe, bonne de son état mais d'une redoutable ambition. Au fil des chapitres, on verra d'ailleurs s'accuser les traits d'un véritable personnage balzacien de despote familial.

    Né en 1909, Ami fils, dit Paulus, sera marqué, dès sa jeunesse, par la figure de Jean Jaurès, et comptera parmi les premiers socialistes engagés de sa bourgade. Dans la foulée, Janine Massard se plait à railler l'effarouchement des bourgeois du cru devant ces avancées des "rouges". Quant à Ami père, pragmatique, taiseux et plus ou moins soumis à son dragon conjugal, il se tiendra à l'écart de la politique active.

    La période centrale de Gens du lac reste la guerre aux années plombées par les restrictions et l'absence des hommes mobilisés, qui permet en l'occurrence à dame Berthe de tyranniser sa belle-fille Florence, jeune femme de Paulus, de manière harcelante et des plus mesquines, dans le genre "femme du peuple" se la jouant marquise...

    Aux deux tiers du récit, la chronique historico-familiale se fait plus personnelle, Janine Massard "sortant du bois" pour endosser le récit des tribulations de Florence, sa tante dans la vie réelle,  et plaidant la cause des femmes réduites au silence. Le livre ne devient pas pamphlet pour autant, mais la soif de justice, et combien d'indignations légitimes, entre autres douleurs et deuils, auront marqué tous ses ouvrages, dès l'autobiographiquePetite monnaie des jours, remontant à 1985.

     

    Comme une Alice Rivaz (ou l'autre grande Alice, Munro, dont elle est fervente lectrice), Janine Massard parvient à intégrer des thèmes historiques ou sociaux sans donner dans le prêche ni la démonstration, tant ses personnages sont incarnés et vibrants de sensibilité. Or il en va aussi de son subtil usage de la langue populaire, ressaisie dans ses intonations sans faire de la couleur locale, et qui excelle particulièrement en trois pages de délectable anthologie où surgit le personnage de Salade, vagabond philosophe rappelant le poète passant de Ramuz.

    Ainsi de la dernière apparition de cet "homme étrange" évoquant quelque clochard céleste: "D'habitude on se disait salut, bonne route, à la prochaine, mais cette fois Salade avait eu un geste évasif en direction des nuages plutôt bas, puis avait dit: "On verra... la mort s'amuse jamais là où on l'attend"...

     

     

    Massard06.jpgJanine Massard. Gens du lac. Editions Campiche, 191p.



  • Ceux qui prônent les Vraies Valeurs

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    Celui qui croit aussi volontiers à la théorie dite des cordes qu'à la fable d'un fils de dieu marchant sur les eaux par temps calme / Celle qui a toujours détendu l'atmosphère en offrant les mêmes sablés à ses hôtes furieusement croyants qu'aux sympathisants du Collège de 'Pataphysique / Ceux qui ont renoncé à  remettre la mosquée au milieu du village / Celui qui du travail des enfants disait en sortant de la messe que c'était "souvent un acte de générosité" / Celle qui pratique la cécité volontaire sans s'en rendre compte / Ceux qui font l'impasse sur les deux cents millions d'enfants-esclaves comptés ce matin dans le monde (nous sommes pile le 27 janvier 2014) au motif que le devoir de mémoire a ses priorités / Celui qui confond valeur vénale et valeur ajoutée / Celle qui assouvit sa soif de non-savoir en rappelant qu'il suffit qu'elle sache ce qu'elle sait / Ceux qui enseignent les Vraies Valeurs en se fondant sur le sang versé pour elles par d'autres / Celui qui rappelle tranquillement à ses amis catholiques de gauche et protestants de droite  que l'idéologie est un ensemble de fausses évidences jamais remises en question / Celle qui a constaté que le Marché ne recyclait que les Vraies Valeurs vendables / Ceux qui appliquent la psychologie de la persuasion clandestine dans la vente des illusions rentables / Celui qui refuse d'admettre que les idéologies sont mortes alors qu'elles prolifèrent plus que jamais sous les multiples formes du simulacre religieux ou politique à multiples incidences économiques ou pseudo-artistiques / Celle qui estime qu'il y a aujourd'hui une véritable "maladie de la valeur" et que ça aussi se soigne / Ceux qui parlent pouvoir sans savoir de quoi il retourne / Celui qui se méfie de la qualification de charisme prêtée à n'importe quel démagogue / Celle qui croit que le seul pouvoir bien exercé l'est par ceux qui n'en veulent pas mais ça aussi se discute / Ceux que le pouvoir n'a jamais fascinés mais qui s'y intéressent comme à toute illusion durable / Celui qui pense que les vraies valeurs n'ont pas de majuscules ni ne sont jamais transmises par les ligues de vertu et autres instances instituée du prétendu Bien / Celle qui sait que ce télévangéliste est un Vrai Voleur  / Ceux qui ont appris à se défier des grands mots sans hésiter à les retourner ou à en faire l'usage qui leur chante, etc.