UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui posent aux Justes

    Samivel4.JPG

    Celui qui pense penser juste et le fait savoir sur les réseaux sociaux afin qu'ils le sachent et pensent comme lui / Celle qui affirme qu'elle ne restera pas à cette table où se trouve un créationniste / Ceux qui ont fait la preuve scientifique que créer le monde en sept jours n'était pas envisageable même dans les régions du Bible Belt / Celui qui est une guerre de religion à lui seul / Celle qui dit comme ça que l'ange a fait l'amour à Marie par l'oreille pendant que Joseph lui tenait la main / Ceux qui se lancent des génocides à la gueule pendant le cocktail et même après / Celui qui rappelle au goûter des Belles Âmes que le prélude à l'histoire de la Suisse pacifique représente sept siècles de guerres religieuses / Celle qui prend acte de certains méfaits de l'Eglise catholique (elle vient de voir Philomenade Stephen Frears) en se rappelant certains bienfaits de la même entité prétendue sainte / Ceux qui vous bombardent de bons sentiments / Celui qui te traite d'antisémite au motif que tu parles du massacre de Jénine au lieu d'évoquer une bataille comme une autre / Celui qui ressuscite tous les matins et trouverait inconvenant de demander une rallonge / Celle qui s'efforce de bien faire  sans la moindre idée de rétribution / Ceux qui à l'aveugle Vérité préfèrent des mensonges transparents à travers lesquels qui vivra verra / Celui qui fleure la moraline comme les mains moites de certains fonctionnaires de Dieu / Celle qui invoque l'éthique dès qu'elle ne se sent plus écoutée / Ceux qui s'indignent de façon sélective et par ouï-dire avant de souffrir par procuration, etc.  

     

    Aquarelle: Samivel 

     

     

  • Lamalattie se porte bien

    Lamalattie12.jpg

    En 2013, le sieur JLK écrivait ceci: Attention: découverte ! Après 121 curriculum vitae pour un tombeau, le peintre-écrivain remet ça avec Précipitation en milieu acide. Tonique!

    Et en ces jours d'été 2018, c'est Pierre Lamalattie qui nous envoie à Ornans découvrir le grand art  d'un réaliste oublié et retrouvé au Musée Courbet: Léon Frédéric.

    Mordant et original: ainsi m'est apparu, l'an dernier à la même heure, le premier roman de Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitae pour un tombeau, s'inscrivant de toute évidence dans la mouvance Houellebecq.En plus tendre et en moins ample aussi dans le registre de l'observation. Quoique... Ce qui sautait aux yeux en tout cas était que, dès les premières pages de ce roman de plus de 400 pages, le choc de la découverte rappelait celui d'Extension du domaine de la lutte. La différence était que Pierre Mamalattie, ingénieur agronome "à la base" comme son pair, s'était mis à écrire la cinquantaine passée, avec ce que cela implique d'expérience humaine et de malice détachée. Or voici ce que j'en écrivais alors dans le quotidien 24 Heures:

    "Comme dans le dernier Houlellebecq, Pierre Lamalattie intègre son propre personnage au roman. Il en est même le narrateur, 54 balais dans son placard, qui dit avoir "moins connu de femmes qu'un animateur du Club Med" et n'avoir vécu "aucune aventure de l'extrême". S'avouant "une sorte de raté irrémissible" sans s'en plaindre au demeurant, puisqu'il s'en moque complètement en effet, Lamalattie se sent un peu raplapla au début de son récit, avant d'être rassuré par un spécialiste sur sa capacité érectile. Sa mère l'inquiète également, qui n'en a plus que pour six mois à vivre et rêve de finir ses jours en Corrèze. Et puis il y a sa passion, la peinture, qui va de pair avec son intérêt soutenu pour les humains qui le lance dans un nouveau projet: peindre 121 portraits qui lui seront dictés par la vie: "Quelque chose comme un reportage sur la vie des hommes".

    Lamalattie16.jpgSon observation carabinée porte sur la société contemporaine à tous les étages, de l'Administration nationale aux fonds régionaux d'art contemporain où s'exposent des serpillères et des tas de sable, avec leur commune langue de bois technocratique ou conceptuelle.

    Cadre formateur à temps partiel au Ministère de l'agriculture, Lamalattie est aux premières loges d'un ballet social dont il détaille les particularités avec autant de douce rosserie qu'il met de pertinence dans ses propos sur la musique, la peinture ou la vie.

    Lamalattie01.jpgLe dernier voyage en Grand Espace Renault, passé à écouter avec sa mère les concertos de piano leur rappelant maints souvenirs partagés, est un premier régal mélancolique: cultivée mais tendrement revêche, sa mère lui reproche de ne point peindre de "paysages qui se vendent". En outre, les retrouvailles avec une amoureuse jamais oubliée, Claire de son prénom, marquent une autre ligne mélodique du roman.  

    Les 121 portraits, constituant une bonne part de la substance descriptive du roman, existent par ailleurs à l'état pictural, qu'on peut retrouver dans un livre illustré paru chez le même éditeur, ou sur le site Internet de l'auteur."

    Quant aux nouveau roman de Pierre Lamalattie, guère moins feuillu que le premier, il brasse une matière sociale et psychologique analogue avec, toutefois, un changement de point de vue puisque son narrateur, Pierre-Jean-Marcel, travaille sous le régime d'un plus ou moins fragile  CDD chez Right-in-The-Middle-Consulting,la boîte connue de chacune et chacun où tous positivent un max. Pierre (qu'aucun de ses amis n'aurait l'idée de surnommer Pierrot) est marié depuis douze ans avec Béné, qui le stresse un peu en passant de projet en projet et en exigeant qu'il la baise au moins trois fois par semaine selon les codes décrits dans les magazine, au dam de son idée un peu romantique de l'amour. Auvrai,c'est une sorte d'humaniste contemplatif que Pierre-Jean-Marcel,dont la sympathie s'étend "à tous les humains". Et de préciser: "Il y a quelque chose de plaisant à les voir apparaître et s'effacer. C'est cela, au fond, qu'il y a de bien dans l'espace-temps, le fait qu'il y ait des émergences et des disparitions. Parfois ,j'essaie d'imaginer la vie des autres. Ca me fait réfléchir,mais c'est difficile. Il faut se concentrer. Comme on dit en relativité restreinte, je ne suis pas sur le même référentiel inertiel qu'eux. Je me translate différemment".

    Lamalattie99.jpgEt c'est parti pour un bout de film avec ce clown triste, dont les premières séquences "font fort" dans le genre bobos Deschiens. Bref, je reviendrai sur la médecine revigorante de l'excellent Docteur Lamalattie, homéopathe dont les doses d'arsenic font illico le plus doux effet. J'y reviendrai naturellement après consommation du plein tube...   

     

    Pierre Lamalattie. 121 curriculum vitae pour un tombeau. L'Editeur, 2012, 446p.

    Pierre Lamalattie, Les Portraits. L'Editeur, 2012.

    Pierre Lamalattie. Précipitation en milieu acide. L'Editeur, 2013,395p.  

  • Ceux qui vont en forêt

    011.jpg

     

    Celui qui se trouve bien à descendre tôt l'aube la 5e Avenue / Celle qui sait en elle la clairière / Ceux qui ont connu l'époque de la caisse à bois / Celui qui  qui arpente sa forêt-mémoire / Celle qui n'a jamais confondu le style et les manières / Ceux qui se reconnaissent à la Qualité qui passe classes et races / Celui qui divague entre uccellini et uccellaci / Celle qui s'intéresse autant à l'Arbre qui cache la forêt qu'aux essences de celle-ci ou aux jeunes pousses à l'acide prometteur /Ceux qui ont l'art de se perdre en soi sans s'oublier / Celui qui sait le charme des charmilles / Celle qui a peur de l'arbre par méconnaissance de la forêt / Ceux qui comme Alain Badiou voient en la poésie une valeur ajoutée de type arborescent / Celui qui saute de pensée en pensée en visant surtout les hautes branches /Celle qui se soulage dans les feuillées / Ceux qui sont devenus maîtres de soi avant que d'être affranchis / Celui qui esquive le regard ré-primant pour mieux résister au regard dé-primant / Celle qui se sent regardée par les arbres et constate que l'on peut s'y faire comme aux costumes de plage le forestier en canadienne de passage à Balbec / Ceux qui boivent les paroles de l'Alcoolique Anonyme / Celui qui se sent écouté des grands bois / Celle qui prend le Thoreau par les cordes / Ceux qui ont relu Walden sur les parapets de Brooklyn Heights / Celui qui s'endort au milieu d'une forêt de questions / Celle qui hante les lisières / Ceux qui se risquent dans les taillis sans cesser de penser sens et valeur ce qui ne va pas de soi ni toujours de pair / Celui qui s'engage dans le territoire avec la carte en mémoire / Celle qui préfère les allées des très grands appartements genre avenue Foch / Ceux qui échappent aux illusions binaires des forêts d'industrie par des raccourcis d'eux seuls connus / Celui qui sait que toute valeur a deux tranchants / Celle qui s'arrache aux envoûtements de la suavité moralisante / Ceux qui hument l'odeur écoeurante de la moraline / Celui qui estime que tout clairon mérite clairière / Celle qui a renoncé à conceptualiser la tête du chat mort / Ceux qui savent que de la signification au sens vont des chemins aléatoires / Celui qui a rencontré Descartes en forêt et en rêve qui plus est  / Celle qui plutôt inconsciemment a choisi la "voie royale" du rêve / Ceux qui n'ébruitent point trop leur qualification de travailleurs du rêve, etc.        

     

  • Max Lobe à l'honneur

    Maxou15.jpg

     

    À l'instant vient d'être décerné, à l'Université de Neuchâtel,  le Prix du roman des Romands, qu'on pourrait dire le Goncourt des lycéens de Suisse francophone. Trois auteurs de chez Zoé restaient en lice: Anne Brécart, Dominique de Rivaz et Max Lobe. C'est finalement celui-ci qui remporte ce prix extrêmement bienvenu par son type de fonctionnement, impliquant la lecture et l'appréciaition de centaines de gymnasiens. Pour notre ami le Bantou, c'est  une formidable reconnaissance, autant que pour les dames de Zoé qui l'ont accueilli et magnifiquement coaché. Aux dernières nouvelles, Zoé publiera cette année le prochain roman de Max, que j'ai lu sur tapuscrit et beaucoup aimé. Sans gesticuler, avec humanité et talent, humour et gravité, Max Lobe va s'imposer comme un écrivain de premier ordre. Après une bourse de la Fondation Leenards, le prix du roman des Romands confirme largement l'accueil qu'il mérite !

     

     

    Zap001.pngFlash-back sur 39 Rue de Berne:

     

    Son premier roman, d'une irrésistible vitalité, excelle dans le pleurer-rire. 39, rue de Berne marque la naissance d'un véritable écrivain.

     

    Les commères de Douala en restent baba ! Les plus fameux caquets du Cameroun viennent en effet d'apprendre, par Facebook, qu'il y aurait en Suisse un jeune homme à la langue mieux pendue qu'elles toutes réunies: une espèce de griot-écrivain dont le verbe aurait la saveur d'une griotte veloutée et piquante. Le conditionnel tombe d'ailleurs puisque la nouvelle est de source "sûre-sûre", émanant de la très fiable AFP, en clair: l'Association des Filles des Pâquis, dont les bureaux se trouvent au 39, rue de Berne, en pleine Afrique genevoise. Or cette adresse est aussi le titre d'un livre écrit par ce prodige de la parlote, du nom de Max Lobe, aussi doué à l'écrit que pour la zumba ! Quel rapport y a-t-il entre un Camerounais de 26 ans bien éduqué, cinquième de sept enfants, débarqué à Lugano son bac en poche et diplômé en communication et management, actuellement en stage à la Commune de Renens, et le jeune Dipita, fils de prostituée aux Pâquis et condamné à cinq ans de prison pour le meurtre passionnel de son jeune ami William ? Le rapport s'intitule 39, rue de Berne, un vrai roman qui saisit immédiatement par sa densité humaine, la présence vibrante de ses personnages et l'aperçu de ce qui se passe en Afrique ou à côté de chez nous. De sa cellule de Champ-Dollon, Dipita raconte sa vie de garçon pas comme les autres, marqué en son enfance par les discours de son oncle Démoney. Rebelle très monté contre "papa Biya", le Président qu'il appelle "la Barbie de l'Elysée", l'oncle vitupère les magouilles du régime et le délabrement de la société, tout en recommandant à son neveu de ne pas se comporter à l'instar des hommes blancs qui pleurent comme des femmes et font de "mauvaises choses" entre eux. Or le même oncle, qui est à la fois le frère et le "papa" de Mbila, la mère de Dipita, n'a pas hésité à vendre celle-ci à des "Philanthropes-Bienfaiteurs" affiliés à un réseau international de prostitution, jusqu'à Genève où la jeune fille de 16 ans, abusivement vieillie sur son (faux) passeport, doit racheter sa liberté en payant de son corps. Dans la foulée, elle se fait engrosser par le chanteur-maquereau d'un groupe fameux, qui la pousse ensuite à conclure un mariage blanc avec un Monsieur Rappard spécialisé dans ce trafic lucratif. Pour faire bon poids, Mbila fourguera aussi de la cocaïne avec la complicité (de mauvaise grâce) du jeune Dipita. Enfin, cerise sur le gâteau, celui-ci, bravant les mises en gardes de son tonton, tombera raide amoureux d'un beau blond qui n'est autre que le fils du (faux) mari de sa mère. Glauque et compliqué tout ça ? Nullement: car Mbila, malgré ses humiliations atroces et sa colère contre son frère-papa, est aussi gaie que son fils est gay. Celui-ci garde par ailleurs respect et tendresse pour son oncle et sa tante Bilolo (la famille africaine, bien compliquée à nos yeux, reste sacrée), même si c'est chez les Filles des Pâquis, héritières d'une certaine Grisélidis, qu'il trouve refuge affectif et formation continue en toutes matières, y compris sexuelle.

    Une langue-geste 

    Notre grand Ramuz a fondé une langue-geste, qui travaille au corps toutes les formes de langage. Loin d'aligner les expressions locales, le romancier a forgé un style qui suggère les pensées et les émotions autant par les gestes de ses personnages que par leurs paroles. C'est exactement la démarche qu'on retrouve chez Max Lobe, qui ne sait rien de Ramuz mais a lu Ahmadou Kourouma et Henri Lopes et réussit à capter, dans son récit de conteur, des expressions souvent drôles mais plus encore significatives du doux mélange des cultures. Dans la bouche de l'oncle Démoney, le "cumul des mandats" devient "cumul des mangeoires". Dans celle de Dipita, le derrière rebondi de Mbila devient "cube magie". Et les mots de bassa ou de lingala y ajoutent leur son-couleur: le ndolo pour l'amour, le mbongo pour l'argent, notamment. Max Lobe a écrit 39,rue de Berne avec son sang et ses larmes, et sa joie de vivre, sa générosité, son élégance intérieure, sa tristesse ravalée, son incroyable sens du comique fusionnent dans un livre plein d'amour pour les gens et la vie. Le portrait (en creux) de Dipita est des plus attachants, et celui de Mbila bouleversant. La présidente de l'AFP, une digne dame Madeleine, a décerné au livre un prix spécial en matière d'observation. Et les commères de Douala se feront un plaisir de dérider les vertueuses Dames de Morges si celles-ci froncent le sourcil. Chiche que Calvin se mette à la zumba!

     

    Max Lobe. 39, rue de Berne. Zoé, 180p.

    Cet article a paru dans le quotidien 24 Heures du 23 janvier 2013.