Nel Pendolino, venerdì 14 novembre.- Mi son svegliato pochino angosciato, stamattina alle quattro e mezzo, ma nulla morbidezza non mi stava piu in mente all’alba azzura ; sur quoi ma gaieté naturelle a repris le dessus, et c’est donc tout serein que j’ai quitté ma bonne amie avant de retrouver la plaine du Rhône aux pentes moirées d’or et de pourpre sous les crêtes enneigées. En passant à Sierre, le bleu très tendre du ciel m’a rappelé la couleur de la tapisserie de soie couvrant les lambris de bois gris perle du salon de la vieille demeure patricienne de dame Jeanne de Sépibus, amie de Rilke qui lui avait dédié ses Sonnets valaisans et que, jeune critique littéraire de vingt-deux ans, j’étais venu interviewer en tremblotant un peu de timidité - ce que je note avec une pointe de nostalgie à l’instant où, à la station de Brigue, surgit le classique groupe de jeunes Japonais joliment policés ralliant Venise après avoir « fait » Lucerne et la Jungfrau ; et me voici, dans le tunnel qui serait à présent une passerelle temporelle,à me figurer Rilke sous les cerisiers en fleurs du Takanawa Prince Hôtel, dont les chambres – da war ich und auch Martha Argerich war da - sont ornées de vues de la Sérénissime…
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Philippe Sollers affirme que Venise a l’étrange pouvoir de centupler le cafard de ceux qui ne s’y trouvent pas à l’aise, comme le pauvre Régis Debray qui n’a fait qu’y faire la gueule, et de porter au contraire au surcomble de la joie ceux qui s’y sentent bien ; lui-même étant évidemment de ce clan. Pour ma part, franchement je ne sais pas. Les trois fois que j’y suis allé - les deux premières fois en compagnie amoureuse un peu compliquée, la troisième juste en passant sur la route de la Yougolsavie en guerre -, je me suis émerveillé pour ainsi dire sur commande, comme la plupart des visiteurs. Or je sens qu’aimer vraiment Venise, comme l’entend Sollers, ou la détester comme Sartre ou Régis Debray, suppose plus de disponibilité de corps et d’esprit, de temps et de réelle, personnelle attention : donc à vérifier ces jours ; et plus tard, si je l’aime vraiment, j’y reviendrai avec Lady L. en sachant exactement où crécher ou non, à quelle table revenir et quoi partager si ça se trouve, au-delà des pâmoisons convenues devant La Tempête de Giorgione ou les coupoles de Saint-Marc, le café de Florian ou les déhanchements des gondoliers et le blond vénitien des Vénitiennes blondes…
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Eccovi, dunque, stasera nella luce dolce dell’ultimo pomeriggio d’autunno senza foglie neanche fiori, ma sottili riflessi tra l’acqua doppia del canal e del ciel- et c’est sur un sonnant Gloria de Vivaldi, après une bonne dose de Pergolèse au casque, que je m’y pointe…
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Quant à la Calcina où je me trouve enfin ce soir dans une chambre minuscule donnant sur un canal, c'est le bijou de vieille pension à l'anglaise, pleine de souvenirs picturaux et littéraires, où Ruskin et Proust André Suarès et Jorge Luis Borges ont passé, entre tant d'autres. Mais rien de snob pour autant et j'y suis déjà comme a casa mia...