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Mémoire vive (50)

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Lambert Schlechter dans Le Murmure du monde : «…que vous branchiez ou ne branchiez pas, qu’importe, cela nous fera autant de câblages et de connexions, et quand ça court-circuite, paradoxalement, cela donne des étincelles comme quoi il faut sans cesse risquer des branchements, ce seront autant d’éclaircissements clarifications, des contaminations et contagions aussi…» 

 

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À La Désirade, ce mercredi 1er octobre 2014. -  Me réveille dans la nuit noire sous l’effet d’un cauchemar du genre rêve d’époque, bon pour le Panopticon, roman hard à venir.

J’y ai retrouvé Flynn le pirate devant l’installation de cymbales des Ateliers M. M’a raconté que, la nuit précédente, sa conjointe rockeuse et lui avaient donné un concert où, casqué, il était martelé par les baguettes de la batteuse. Nous avons parlé ensuite du prochain roman de Pynchon, après que je l’eus complimenté pour la phosphorescence en 3 D de ses collages. La séquence précédente du même rêve, dont je me suis sorti je ne sais comment, se situait sur la rampe de terre de la gare de Moknine où des noctambules, que j’avais pris pour des compères, fomentaient le vol de notre Facel-Vega après liquidation des témoins.  Flynn m’a fait remarquer que la Pontiac aussi pouvait faire office de Ready Made, sur quoi Jamaïque, l’assistant du jeune boss des Ateliers M., nous a servi de la vodka au miel Krupnilk, ma préférée, avec glaçons d’origine.

De tels rêves, me dis-je à l’instant de prendre, sur Skype,  congé de mes beautés, en partance pour Angkor et environs, sont à considérer au titre d’Aide à la Création.

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Content d’être arrivé au terme de la transcription émincée de mes cinq volumes de carnets publiés, soit à peu près le dixième de l’ensemble,  sous le titre de Mémoire vive. Or je vais y travailler désormais en temps réel, avec les précautions nouvelles que requiert l’exercice consistant à distinguer ce qui est publiable sur la Toile et ce qui ne l’est pas; et déjà ma décision est prise de ne pas y divulguer une ligne de La Vie des gens, si bien parti que soit ce nouveau roman.

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C’est dans la perspective de la rupture des conformités, des conforts et des formats de la nouvelle bourgeoisie bohème que j’entends développer mon roman La vie des gens. Fils d’un écrivain fameux étincelant dans le simulacre de rébellion, Jonas refuse d’entrer dans le jeu de son père jouant les maudits alors que tout lui réussit, jouant les purs alors qu’il est de toutes les compromissions, jouant l’humilité alors qu’il suinte de vanité. Pour autant, je me garderai bien de soumettre les comportements de l’écrivain en vue à une morale à la petite semaine, le roman découvrant peu à peu l’humanité de ce monstre présumé au regard des multiples personnages, notamment féminins.

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Ce n’est pas poser au plus pur que de ne pas jouer avec les tricheurs. On peut très bien mener une carrière littéraire sans donner dans la flatterie ou l’indignité servile, et je me le dis aussi à moi-même car il y a un caniche avide de biscuit chez tout écrivain et tout artiste.

Comme me le disait un soir Marian Pankowski qui s’y connaissait en la matière : et que croyez-vous donc que nous soyons, nous autres écrivains ? À vrai dire, mon cher, nous sommes tous des caniches bondissant dès qu’ils sentent le biscuit !

Et le cher homme, grand seigneur aux cheveux argentés prenant soudain la posture du caniche, de lancer comme ça : « Le biscuit ! Le biscuit ! Le biscuit ! »

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Je lis, dans les aphorismes de Kafka, qu’il y aurait un but mais pas de chemin.  Foutaise. Juste en revanche ce qu’il dit de l’impatience, qui me fait penser à celle de pas mal de jeunes gens. Le tout, tout de suite de toute une génération marquée par l’esprit Star Ac et le quart d’heure de célébrité à la Warhol.

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Retour au Journal de Jules Renard. Pépites et trouvailles, parfois trop cherchées ou recherchées à mon goût. Mais quel inépuisable fonds d’observations.

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Dans son entretien avec Louis Pauwels, Céline dit ne pas croire en Dieu tout en se reconnaissant mystique. À peu près ma position, sauf que je crois que Dieu croit en moi. Croire en Dieu ou ne pas croire n’est pas la question. Ce qui importe est de se croire aimé par « Dieu » et d’aimer l’amour de cet être dont on ne sait  sait pas qui « Il » est...

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Ce mercredi 8 octobre.- Commencé de visionner la série de 37 films consacrés par la BBC aux pièces de Shakespeareavec Titus Andronicus, terrible mélo pour ainsi dire gore, que T.S. Eliot trouvait d’une complète stupidité pour sa violence insensée, et qui a cependant des traits shakespeariens étonnants, notamment avec les personnages de Tamora la reine des Goths, Lady Macbeth avant l’heure,et de son amant le Maure Aaron, dont les menées diaboliques s’enveloppent de lyrisme incandescent.  On pourrait voir aussi, dans les souffrances du vieux Titus, une préfiguration du roi Lear.

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Dans le premier chapitre, intitulé Ouvertures, de son Protée et autres essais, Simon Leys parle des débuts et des fins de romans en faisant finement la part du bonheur naturel et du bluff, de la recherche de l’effet et de la trouvaille. Le grand roman de Snoopy commence invariablement par le même incipit, « C’était durant une nuit sombre et tempétueuse », repris des Derniers jours de Pompéi de PaulClifford, mais un Marcel Aymé n’a rien à lui envier avec l’entrée en matière de sa nouvelle intitulée Le nain :« Dans sa trente-cinquième année, le nain du cirque Barnaboum se mit àgrandir». Ou, dans le même registre pince-sans-rire, de George Orwell dont l’auteur parle mieux que personne dans notre langue, ce début deComing up for Air : « Cette idée me vint en fait le jour où je reçus mes nouvelles fausses dents ».

S’il ne se laisse pas abuser par les effets « coups de trompette », Simon Leys rappelle que « tout ce qui est bien écrit a une chance de durer », et c’est fort de cette base littéraire qu’il promet, non sans malice de la part de ce contempteur des idéologies mortifères, un bel avenir au Manifeste de Karl Marx dont la première phrase, « Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme », vaut celle du Contrat social de Rousseau : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers »…

Je me rappelle la formidable déculottée administrée par Simon Leys à Bernard-Henry Lévy, après la parution de ses calamiteuses Impressions d’Asie, en lisant ces jours cette suite d’essais pénétrants sur la littérature pourrie par l’obsession publicitaire (une page d’anthologie signée Koestler), Don Quichotte et Victor Hugo, ou encore le Protée insaisissable du titre désignant André Gide, au talent et au courage duquel il rend justice en soulignant son manque total de consistance morale ou de cohérence en matière politique, sa grandeur d’homme de lettres et son égocentrisme vertigineux, notamment à l’égard de la pauvre Madeleine et de sa fille-fantôme.

Autant que dans L’Ange et le cachalot ou dans Le studio de l’inutile, Simon Leys se révèle une fois de plus, à côté de ses travaux de sinologue, l’un des meilleurs essayistes de langue française, jamais à la remorque des modes, d’un bon sens et d’une indépendance d’esprit proportionnés à son immense savoir et à la sûreté tranquille de son goût.

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Ce jeudi 9 octobre. –  Prix Nobel de littérature à Patrick Modiano. Incroyable. Très bel écrivain sans doute, que j’ai toujours défendu pour ma part,  mais pas du tout le « format Nobel » de Philip Roth ou Milan Kundera. Je sais bien qu’on a vu pire avec un Dario Fo ou une Henriette Jelinek, entre beaucoup d’autres oubliés depuis longtemps, mais Modiano fait tout de même bien « petit maître » dans le sillage de Simenon ou de Nabokov, de Borges ou de Thomas Bernhard - tous relégués de leur vivant -, ou encore des Nobel d’envergure à la Garcia Marquez, Naipaul ou Doris Lessing…

 

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Comme me le disait Pierre Gripari : le scout est bon, mais n’est pas poire. Or je suis trop souvent trop bon avec trop de gens qui me prennent pour une poire. Donc attention le scout…

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Ce mardi 21 octobre. – Tendre message, ce matin, de ma bonne amie revenue à Bangkok du Cambodge. La séparation a cela de bon, parfois, qu’elle nous fait mieux apprécier notre chance de ne pas être seul. Pour elle le voyage se passe au mieux, avec ses deux anges gardiens aux petits soins, mais je crois que j’ai bien fait de m’abstenir, même si le Cambodge et ses habitants l’ont enchantée.

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Jules Renard : « Je déteste l’émotion : c’est trop long, beaucoup plus long que la joie et le rire ».

Ce qui n’empêche qu’il lui arrive, à ce drôle, d’être bien émouvant.

Ainsi des derniers mots de son Journal, le 6 avril 1910, quarante jours avant sa mort à 46 ans : « Je veux me lever, cette nuit. Lourdeur. Une jambe pend dehors. Puis un filet coule le long de ma jambe. Il faut qu’il arrive au talon pour que je me décide. Ca séchera dans les draps, comme quand j’étais Poil de Carotte »…

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À JMO qui me raconte la dernière intervention de notre ami Claude Frochaux, dans une librairie genevoise, concluant une fois de plus qu’il n’y a plus rien, plus de culture vivante, plus de littérature qui compte, plus aucun écrivain de moins de 50 ans qui ait le moindre intérêt,je réponds que ces litanies de vieilles peaux (les mêmes que celles de Jean-Luc Godard et d’Alain Tanner, de Freddy Buache et de Régis Debray) se répètent depuis au moins le Xe siècle avant notre ère. C’est vrai qu’on pourrait penser, depuis que l’homme se mêle de penser, que tout est foutu. Des pères l’ont pensé déjà à l’époque de Confucius (ou entre deux époques), qui était celle aussi de Platon à peu de chose près, et des fils se sont sentis de la génération perdue après la destruction du Temple de Jérusalem ou après l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie, et ne parlons pas du sentiment d’Imre Kertesz rentrant de Buchenwald à Budapest pour y subir la peste rouge, mais nous continuons d’écrire, le fils du Nobel de littérature japonais Kenzaburo Oé dont la vie a été plombée par la bombe atomique est devenu compositeur et pas des moindres, Lady L. médite ces jours devant les temples balnéaires thaïlandais reconstruits sur les ruines du tsunami, et tout est bien puisque nous sommes vivants et plus que jamais décidés à dire que rien ne va pour que tout aille mieux, etc.

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Ce samedi 25 octobre. – Le hasard a voulu que, ce soir, alors que Lady L. et notre benjamine se trouvaient dans le vol de retour Bangkok-Vienne, j’entame la lecture de Constellation d’Adrien Bosc, évoquant les tenants et les retombées de l’accident d’avion qui, en octobre 1949, a coûté la vie  au boxeur Marcel Cerdan, attendu à New York par Edith Piaf, et à une trentaine d’autres personnes dont l’auteur évoque les destinées  diversement captivantes, au fil d’un récit à la fois bien documenté et convenu à mon goût, jusqu’à l’apparition de Cendrars et de ses fils. Cela étant, mon imagination a recommencé de trotter dans la partie dramatique du récit comme, l’autre nuit, elle m’a réveillé en sueur d’angoisse. Mais bon : ce livre, en piste pour le Goncourt et qualifié de roman on ne sait trop pourquoi, ne m’a pas retenu jusqu’au bout faute de décoller  jamais réellement;  et pour le vol de nuit de mes beautés je lui souhaite une meilleure fin…

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En lisant Rien que la vie de ma chère Alice Munro, je retrouve à tout coup ce regard latéral qui porte sur les gens que, d’habitude, on ne remarque pas, comme ici le narrateur de Fierté dont on comprend qu’il est affligé d’un bec-de-lièvre et que ça l’a toujours tenu à l’écart de la société ordinaire, mais qui est trop fier pour accepter d’envisager une opération de chirurgie esthétique. Or cela m’a rappelé, naturellement, notre chère tante E. dont toute la vie a été gâchée par le même défaut au visage, à la fois anodin et fatal – à ses propres yeux tout au moins.

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Peter Sloterdijk : « Depuis toujours, l’idée de vouloir susciter l’intérêt pour mon travail m’a été assez étrangère, je viens d’une époque à laquelle les auteurs pensaient bêtement que c’était aux lecteurs de parcourir le chemin vers les livres, et pas aux auteurs de parcourir le chemin vers les lecteurs ».

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D.H.Lawrence : Ne faites aucune confiance à l’artiste. Faites confiance à son œuvre. La vraie fonction d’un critique est de sauver l’œuvre des mains de son créateur ».

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