Celui qui a cueilli les plus beaux galets de sa vie le long des berges de la Drina ensuite souillées par la guerre / Celle qui sait quel rapport lie deux tessons ramassés sur les plages d’Ostie et de Utah Beach / Ceux qui ont laissé les mers et les océans faire la vaisselle du monde / Celui qui déchiffre la calligraphie des débris de tempêtes / Celle qui constate que ce tesson de céramique précolombienne trouvé à Puntanares provient de la même pièce que celle qu’elle a trouvée une autre année non loin de là / Ceux qui se demandent si le terme de tesson convient aux cailloux de mémoire du Grand Poucet/ Celui qui fait le ménage genre océan qui déménage / Celle qui fait collection des grands pierres roses ou bleues des bords du Rhin vers Bad Ragaz mais on garde le secret et n’en ramasse que la nuit c’est promis / Ceux qui disent « trop beau » avant de relancer à l’eau ces débris de trop de beauté/ Celui qui te dit j’vois pas ce que tu trouves à ce bout de porcelaine de pot de chambre dont l’entier vaudrait même rien sur le marché / Celle qui n’a pas sa langue dans sa poche mais un ravissant bijou de pierre lunaire sculpté par la mer des Caraïbes artiste à ses heures / Ceux qui se taisent devant le bleu de fleur bleue d’un fragment de probable théière genre Meissen de la bonne époque / Celui qui demande à Sylvain quel tesson il ramène des rives de la Volga / Celle qui te dit en joual que t’es son chum / Ceux qui font valoir leur droit de bris, etc.
(Cette liste résulte de la lecture roborative des Tessons de Jean Prod’hom, ouvrage hautement appréciable tant pour l'oeil du corps que pour le bonheur d'esprit, achevé d’imprimer au Locle le 10 octobre 2014 par l’imprimeur Gasser, au bénéfice certain des éditions d’autre part)