À propos de La Minute mongole de Nétonon Noël Ndjékéry
On s’en voudrait de ne parler que de la face sombre de l’Afrique contemporaine, et pourtant les livres se suivent, dont les auteurs assument une fonction critique qu’on ne saurait dire complaisante dans la noirceur, ressortissant plutôt à l’honnêteté et, plus largement, à l’espoir d’un monde meilleur.
C’est ainsi qu’après l’éclatante charge tragi-comique de Congo Inc. d’In Koli Jean Bofane, le Tchadien établi en Suisse) Nétonon Noël Ndjékéry propose, après plusieurs romans remarquables, un recueil de cinq nouvelles marqué au sceau de la lucidité et, dans ses pages les plus émouvantes, de la compassion face à une réalité sociale et politique plombée par la misère physique ou morale, le poids de certaines traditions (notamment dans les relations entre hommes et femmes), l’injustice ou la corruption.
La plus tragique de ces nouvelles, à la limite de l’insoutenable, est la dernière du recueil, intitulée Maman, les cocos ? et décrivant, au pic d’une sécheresse, l’agonie solitaire d’une femme et de son enfant en bas âge, en proie à la faim et cernés par des chiens furieux dans l’indifférence splendide d’une nuit « belle à pleurer ».
Or, comme souvent dans les livres de l’auteur, au tragique « objectif » d’une situation donnée s’ajoute un élément aggravant découlant de tel ou tel travers humain. Plus précisément, en l’occurrence, il s’agit du comportement paranoïaque d’un mari envers sa femme après la vaine attente d’une naissance, évidemment imputable à celle-là, jusqu’au moment où naît le fameux « enfant du miracle » après intervention d’un herboriste magicien sur les bords – mais cet heureux événement aura les pires conséquences sous l’effet du soupçon et de la jalousie.
Dans La trouvaille de Bemba, premier récit du recueil, c’est un autre avatar de la domination masculine qui se trouve pointé dans l’histoire d’un notable imbécile impatient d’en mettre plein la vue à la jeune beauté qu’il convoite, par le truchement d’une pêche qu’il espère miraculeuse et se révèle des plus meurtrières…
Plus cruelle, et même atroce par son dénouement, La descente aux enfers retrace les tribulations du pauvre Absakine, dont la boutique est anéantie par un obus avant que la guerre civile ne le chasse de chez lui avec sa femme Mariam, qui l’abandonnera plus tard à un sort des plus terribles.
Comme dans ses Chroniques tchadiennes ou dans Mosso, ses romans précédents, l’écrivain tchadien s’en prend à un pouvoir à la fois violent et corrompu dont les turpitudes s’étalent dans les deux nouvelles centrales du recueil.
La Carte du parti raconte, ainsi, la dérive finale d’un brave agronome enfermé treize ans durant dans la sinistre prison du Satanistan, au seul motif qu’il faisait de l’ombre à un arriviste haut placé et qu’un ministre en pinçait pour sa femme.
Quant à La Minute mongole, dont le titre fait allusion à une plaisante entourloupe temporelle, elle concentre, dans une forme qui sent un peu trop l’artifice, la dénonciation d’un régime pourri par l’un de ses zélateurs en veine de confession tardive.
Ainsi que l’écrit Sylvie Darreau dans sa postface à La Minute mongole, il y a chez Nétonon Noël Ndjékéry, humaniste attaché aux Lumières et conteur resté ancré dans la réalité tchadienne, un « bâtisseur de mots contre les maux du monde ».
Vigueur narrative et clarté de l’expression, solidité de la construction et saveur du récit aux images évocatrices, empathie humaine et colère se fondent au creuset de son univers.
NétononNoël Ndjékéry. La Minute mongole. La Cheminante, 2014. 179p.