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  • Ceux qui prennent le large

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    Celui qui se retrouve au café Greco de Rome où l'absence de sa femme suicidée à Majorque lui pèse un peu / Celle qui a trouvé les couleurs des Baléares par trop excessives voire offensantes /Ceux qui se tirent dessus faute de pouvoir s'expliquer autrement / Celui qui remarque que l'irascible  chasseur de l'hôtel  n'a point de fusil mais un tisonnier à la main /Celle qui se rappelle les odeurs pourries de sa Malaisie natale en s'attardant le long des canaux de Venise / Ceux qui se trouvent toujours de nouvelles femmes en dépit de leur peu de charme / Celui que la tragédie égyptienne ramène à la lecture de L'Immeuble Yacoubian / Celle qui garde un souvenir mitigé de sa première rencontre avec Ramadan le beau parleur affilié aux Frères musulmans /  Ceux qui ont décidé à Munich d'ouvrir une galerie des pires peintres du moment susceptibles de les faire connaître à Berlin / Celui qui a pris son premier vaporetto sous la neige en compagnie de son ami nietzschéen de l'époque / Celle qui préfère Venise en février au motif que les Allemands sont alors en Thaïlande / Ceux qui ne sont pas assezs snobs pour dire qu'à l'Accademia ils préfèrent Les Courtisanes de Carpaccio à La Tempête de Giorgione / Celui qui marche autour de sa valise en gare de Varsovie genre l'espion qui venait du froid / Celle qui aime le rouge de loge de théâtre des sièges du café Florianska de Cracovie où Slawek lui a fait la première des trois déclarations transposées en plans-séquences dans son film culte / Ceux qui ont toujours trouvé la Suisse trop étroite pour y dormir / Celui qui se rappelle les deux femmes sculptées porteuses de lanternes dont la lumière éclairait les parois de l'hôtel Gritti où il était trop fauché pour loger durant  la semaine de la sortie de La mort à Venise mais le gondolier borgne avait passé par là après lui avoir indiqué la plaque de céramique bleue rappelant le séjour de Ruskin en ces mêmes lieux  / Celle qui parlait à voix basse avec Patricia Highsmith au café Florian si sublimement évoqué par Thierry Vernet sur la grande toile en possession de la veuve de Nicolas Bouvier qui ne la cédera que sous la menace et encore / Ceux dont les Clark's rendent le silence de la place Saint-Marc plus moelleux, etc.

     

    (Cette liste a été notée dans les marges du roman éponyme que Patricia Highsmith me dit un jour son préféré) 

     

  • Locarno popu pointu

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    La 66e édition, pilotée par Carlo Chatrian, s'est inscrite dans la lignée de Maire et Père. Le glamour était au rendez-vous, et le public en croissante affluence.

    "Le Festival de Locarno vit actuellement en état de grâce", déclarait Marco Solari en 2011, et le glamoureux président à  sourire hollywoodien pourrait remettre ça cette année. Dix jours durant en effet, après un bref début sous les trombes, le rendez-vous helvétique le plus populaire des amateurs de cinéma a drainé plus de 162.000 spectateurs et perpétué son image de forum de culture à la fois populaire et pointu.

    Locarno04.jpgLe nouveau directeur artistique  Carlo Chatrian, déjà connu des festivaliers pour ses mémorables rétrospectives, a comblé les cinéphiles en leur proposant cette année l'intégrale des films de George Cukor et en gratifiant un autre grand créateur, Werner Herzog, d'un Léopard d'honneur. Alors que dix de ses films (dont plusieurs docus saisissants) étaient présentés, le cinéaste-aventurier allemand a marqué la Piazza de sa forte présence, autant que le mythique Christopher Lee cassé sur sa canne, la toujours sublime Faye Dunaway ou la non moins craquante Jacqueline Bisset, sans oublier Anna Karina et Victoria Abril...

           

    Locarno37.jpgLa Suisse très présente

    Déjouant les craintes des réalisateurs suisses francophones de se voir "oubliés" par un Italien succédant au Français Père et au Suisse Maire, Carlo Chatrian a réservé une place de choix au cinéma romand en invitant Lionel Baier et Jean-Stéphane Bron sur la Piazza Grande. Le premier a fait rire celle-ci, tandis que L'Expérience Blocher y prolongeait la paranoïa sécuritaire du milliardaire nationaliste confit d'autosatisfaction dans sa berline-bunker.Locarno55.jpg Autre choix généreux de Chatrian:  celui d'intégrer le film très attendu (et très apprécié par le  public)  du Vaudois Yves Yersin, Tableau noir, dans le concours international où l'on a découvert aussi le shakespearien Mary Queen of Scots du Lucernois Thomas Imbach, tourné au château de Chillon. Pour compléter cet aperçu du nouveau cinéma suisse, la très active agence Swiss Films  présentait en outre une douzaine de réalisations récentes, tel Sâdhu, belle approche d'un sage indien, le magnifique Karma Shadub de Ramon Giger, évoquant ses relations délicates avec son célèbre paternel dans une optique proche d'Argerich, non moins attachant portrait de l'illustre pianiste par sa fille Stephanie.     

     

    Locarno69.jpgPalmarès controversé

    Après un Frédéric Maire et un Olivier Père partageant le goût du cinéma de genre, notamment américain, Carlo Chatrian a rappelé qu'il existe encore un peu (!) de  cinéma au pays du Cavaliere, en programmant notamment le superbe dernier film de Bruno Oliviero, La variabile umana,  sur la Piazza où l'acteur et réalisateur Sergio Castellito a reçu son Léopard à la carrière. Sans que le directeur artistique y fût évidemment pour rien, le palmarès du festival a été marqué, enfin, par une forte présence latine. Contre tous pronostics public ou journalistiques, le léopard d'or a récompensé un film déjanté du Catalan Albert Serra, l'enfant terrible (et terriblement prétentieux) du nouveau cinéma espagnol: Historia de la meva mort, évoquant les derniers jours de Casanova le libertin des Lumières confronté aux miasmes romantiques de Dracula.    

    D'une tout autre teneur émotionnelle, le récit autobiographique du Portugais Joaquim Pinto, témoignant de ses tribulations de sidéen survivant dans E agora ? Lembra-me, a vu le bon accueil du public confirmé par le prix spécial du jury. Même remarque pour le prix d'interprétation féminine à Brie Larson, et les mentions spéciales à Short Term 12 de Destin Cretton, dont l'aperçu des désarrois d'une jeunesse mal dans sa vie a beaucoup ému.

    Locarno13.jpgQuant au Tableau noir du Vaudois Yves Yersin, il a eu droit aussi à quatre mentions et autres prix, après un accueil extrêmement chaleureux des non spécialistes en salle. Le prix du public à Gabrielle, de la Québecoise Louis Archambault, autre émouvante plongée dans le monde des handicapés, rappelle enfin que le goût des gens, à Locarno, a droit de cité autant que celui des spécialistes...  

     

     

  • En mémoire de Mrozek

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    L’écrivain et dessinateur polonais Slawomir Mrozek s’est éteint le 15 août à Nice, à l’âge de 83 ans. Se sachant gravement malade, il avait choisi la Riviera française, il y a plus de dix ans de ça, pour y vivre ses dernières années, après un long exil en Europe occidentale puis au Mexique. De Laurent Terzieff, à Antoine Bourseiller ou Roger Blin, en France, et au Théâtre Kléber-Méleau de Lausanne, grâce à la fidèle passion de Philippe Mentha, son oeuvre de dramaturge-satiriste avait été bien défendue dans l'aire francophone. Ses Oeuvres complètes en français ont paru aux éditions Noir sur Blanc, à Lausanne et Paris. 

     

    Mrozek03.jpgNé le 29 juin 1930 à Borzecin, près de Cracovie, Slawomir Mrozek avait commencé par donner des dessins satiriques dans quelques journaux d’opposition dès l’âge de vingt ans. Il avait entrepris une série d’études, entre Beaux-Arts et Littératures ou Langues orientales, qu’il n’avait jamais menées à bien. Non qu'il fût un dilettante frivole. Mais à cette époque, dans ce pays, c’est le seul moyen d‘échapper à l’armée et à l’idéologie soviétique. Entrée en littérature avec de brèves nouvelles, le jeune Mrozek se fit connaître en Pologne par ses fables absurdes et caustiques,bien dans la tradition du cabaret polonais d'opposition - notamment à Cracovie. Il fut un temps, en Pologne où l’on disait : « C’est du Mrozek », comme nous disons : « C’est du Kafka ». Par la suite, il comprit ce que le théâtre lui offrait un  espace de résistance dans toute l’Europe de l’Est. Son oeuvre dramatique a été jouée dans le monde entier. 

     

     

    Une rencontre avec Slawomir Mrozek, en avril 2003.

    Slawomir Mrozek n'a rien à dire. Ce n'est pas moi qui ai la muflerie de le constater: c'est lui qui l'affirme avec un demi-sourire qui indique une éventuelle nuance. Trois quarts d'heure après un entretien qui eût fort bien pu se passer dans un agréable silence ponctué de chants d'oiseaux et de vrombissements d'avions...

    Le maître polonais du «théâtre de l'absurde et de l'humour sur fond de désespoir», comme l'étiquettent volontiers les dictionnaires, ne joue pas de coquetterie en s'excusant de ne pas se prêter plus complaisamment au jeu standardisé de l'interview: il demeure fidèle à une ligne constante de son cheminement humain et de son oeuvre, qui l'a fait refuser (puis subvertir, au théâtre et dans ses nouvelles) la fausse parole de l'idéologie ou des conventions vides de sens, entre autres jeux de marionnettes. De cet exilé au long cours revenu à Cracovie où il vit désormais, il me semblait intéressant de recueillir, en premier lieu, l'impression que lui fait actuellement son pays.

    Or sa première «esquive» dit à la fois son scrupule de ne pas donner dans les généralités et son souci de préciser sa position personnelle, liée à une expérience effectivement différente de celle de ses pairs restés au pays ou de ses concitoyens.«De l'état actuel de la Pologne, explique Slawomir Mrozek, je ne suis pas habilité à parler. J'ai vécu trente-trois ans en Italie, en France et au Mexique, et je suis rentré à demi-étranger. Pas plus que je ne suis tenté de revenir sur un passé qui m'a écoeuré et poussé à partir, je ne puis parler du présent ou des dernières décennies décisives pour la Pologne, de la fin des années 1970 à nos jours. En ce qui concerne ma situation personnelle, disons que je suis rentré chez moi à l'âge où il est bon d'y rester. J'ai eu la chance d'être très bien accueilli par mes compatriotes.»

    Cet accueil, il faut le préciser, n'est que la conséquence d'une relation forte nouée dès la première pièce de Mrozek, La police (1954), avec le public polonais. Faisant partie de ces auteurs qui ont résolu de s'exprimer parce qu'ils estiment leur patrie en danger, Slawomir Mrozek a lutté contre la dictature communiste en humoriste venu au théâtre par la satire (textes courts et dessins), avant de brasser plus large et plus profond, comme en témoignent au moins deux chefs-d'oeuvre du théâtre contemporain, Tango et Les émigrés. Complètement interdite entre 1968 et 1972, et souvent en butte à des tracasseries proportionnées à sa popularité (on autorisait par exemple ses pièces, tout en annonçant au public une carence de billets), l'oeuvre de Mrozek ne saurait être limitée à sa dimension politique.«Il n'y a que durant ce que les Occidentaux ont appelé l'«état de guerre» que j'ai publié, dans la revue Kultura (éditée à Paris mais constituant un phare de l'intelligentsia polonaise), des textes explicitement politiques. Même si je me sentais le devoir d'intervenir, cette forme de réaction ne me plaisait pas. Réagir contre la violence par des cris d'indignation ne m'a jamais paru suffisant ni intéressant.»De fait, tant les nouvelles que le théâtre de Slawomir Mrozek «travaillent» la substance du langage et des situations humaines avec une puissance révélatrice qui va bien au-delà du discours politicien ou journalistique.

    Son humour est celui d'un formidable médium de la comédie humaine, qui ne lutte pas pour un «isme» contre un autre. Issu de la génération Staline, dont il a magnifiquement incarné les affres dans Le portrait (notamment avec le personnage du stalinien délateur torturé par le remords), Slawomir Mrozek considère, aujourd'hui, que l'acte décisif de sa vie d'homme et d'écrivain a été celui de quitter son pays. «Cela m'a sauvé. Je suis sûr que si je n'avais pas émigré et que j'avais vécu ces trente-trois années sous la dictature, j'en serais sorti déformé...»

    Les OEuvres complètes de Slawomir Mrozek sont publiées aux Editions Noir sur Blanc. Certains recueils de nouvelles importants, comme L'Eléphant, Les Porte-plume ou La Vie est difficile, ont paru chez Albin Michel.

     

     

  • Basil Da Cunha le voyou poète

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    Encensé à Cannes ce printemps, le Lausannois d'origine portugaise Basil Da Cunha revient à Locarno avec Après la nuit, tout en siégeant dans le jury des léopards de demain. L'étoffe d'un "grand"...

    Basil Da Cunha est un drôle de Suisse: pas de quoi rassurer Christoph Blocher dans sa berline-bunker. Avec sa dégaine de colosse punky, le lascar de 27 ans, fils d'artiste lausannoise et de prof d'université portugais, n'est d'ailleurs pas plus rassurant selon les bons vieux codes du cinéma helvétique. L'ancien videur de boîtes lausannoises a certes passé par la Haute école de cinéma de Genève, dont certains "intervenants" l'ont marqué et remarqué, à commencer par Pedro Costa, grand monsieur du cinéma portugais indépendant. Mais sa façon de travailler, avec très peu d'argent et des "comédiens" issus d'un bidonville, bouscule toutes les conventions. Or le produit fini qu'il propose, malgré une grande part d'improvisation, saisit par sa force expressive et sa cohérence artistique.    

    Dès ses premiers courts métrages, la patte  de Basil Da Cuha tranchait d'ailleurs sur les films d'école souvent si cérébraux.  Dans À côté, datant de 2009, son portrait d'un ouvrier bossant sur un chantier de nuit à Genève, troublé par la pulpeuse présence d'une belle voisine, crevait aussitôt l'écran par sa pleine pâte humaine et la poésie des images. Même constat pour Nuvem, le poisson-lune (2011) filmé dans le bidonville de Riboleira, près de Lisbonne, retrouvé en 2012 dans Les vivants pleurent aussi et, aujourd'hui, dans son premier long métrage tourné en trois mois sur un canevas dicté par la vie de ses "potes" Cap-verdiens.

    En trois ans, le jeune cinéaste s'est en effet acquis la confiance de cette communauté où il dit se sentir plus en sécurité que dans certaines rues de Lausanne, malgré les braqueurs et autres tueurs qu'il y  côtoie. Ses tournages ont ainsi été marqués par diverses descentes de police visant ses "acteurs", entre autres embrouilles personnelles. Son engagement physique est donc total, mais non moins remarquable son oeil de cinéaste, non moins vives sa  sensibilité et sa sensualité, qui  pallient la fragilité de ses films en matière de scénario.   

     

    Sous les dehors d'un film noir parlé en créole Après la nuit raconte l'histoire du Rasta Sombra qui, à sa sortie de prison, est immédiatement confronté à un chef de bande dressant les autres contre lui. Aussi "différente que l'était Nuvem, qu'on retrouve ici en complice lunaire, Sombra cherche à échapper à l'engrenage de la violence lié à ses dettes de dealer. Malgré la complicité d'un enfant, la présence de son iguane et les conseils d'un sage exorciste, Sombra sera massacré en bord de mer par celui-là même qu'il a refusé d'exécuter.

    Déjouant les poncifs du genre, Basil Da Cunha construit un fascinant labyrinthe nocturne dont le lyrisme des couleurs rappelle Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa. Ses personnages ont en outre gagné en densité, mais nous perdons pas mal de la substance du dialogue par un sous-titrage très imparfait. N'empêche: il y a là, en puissance, l'univers visuel et le souffle d'un grand cinéaste à venir.       

    Locarno59.jpgComme on s'en doute, le cinéma selon Basil de Cunha reste, sinon marginal, en tout cas hors norme et lié à une expérience-limite.

    Mais son approche du monde tel qu'il est peut être un bel exemple pour les réalisateurs de la nouvelle génération. Comme c'est au titre de juré des Léopards de demain, la section des courts métrages suisses et internationaux, que le réalisateur se trouvait aussi à Locarno, j'ai profité de lui demander des nouvelles, précisément, de cette édition suisse 2013, après la volée assez désastreuse de l'an dernier. 

    Sans entrer dans le détail pour l'ensemble de la sélection, Basil Da Cunha relève du moins les qualités d'A iucata, du Tessinois Michele Pennetta, évoquant le monde des courses de chevaux clandestines en Sicile. Pour le reste, refusant l'optimisme  "jeuniste" de commande, il déplore que les gens de son âge aient si peu de choses à dire...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Les passions de Mary

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    Thomas Imbach revisite l'Histoire. Avec Mary Queen of Scots, le réalisateur lucernois propose un film historique aigu d'esprit et de forme flamboyante.

    Une belle équipe, emmenée par le fringant quinqua Thomas Imbach, présentait jeudi le deuxième long métrage de ce réalisateur considéré, par Carlo Chatrian, comme l'un des plus intéressants de la nouvelle génération. Egalement présentes sur scène: Camille Rutherford, qui incarne la reine d'Ecosse avec beaucoup de finesse et de fougue mêlées, et la réalisatrice Andrea Staka (Léopard d'or en 2006 avec Das Fraulein ) et productrice du film à l'enseigne d'Okofilm qu'elle co-dirige avec Imbach. Autre trait d'originalité: que cette coproduction franco-suisse soit parlée alternativement en anglais et en français, sur fond de décors en partie lémaniques, des intérieurs du château de  Chillon aux roides pentes de l'ubac savoyard...

    La saga shakespearienne de Marie Stuart, reine d'Ecosse mais héritière légitime des deux couronnes, qui a vécu une partie de sa vie en France avant de rallier l'Ecosse où ses amours l'ont déchirée entre catholicisme et protestantisme, relève de l'imbroglio. Pour simplifier celui-ci, Thomas Imbach s'est inspiré d'un roman de Stefan Zweig et, avec beaucoup d'astuce, a imaginé un conteur-marionnettiste (Mehdi Dehbi) qui "mime" les péripéties du drame en faisant parler les deux figures de Mary et d'Elizabeth, reine d'Angleterre de fait quoique moins légitime que sa "cousine". D'un bout à l'autre du film, la correspondance des deux femmes module un récit plus intimiste. Et pour le reste: flamboyant cinéma "historique" aux scènes stylisée (la production n'est pas richissime...), morceaux de bravoure épiques, magnifique images mêlant  côtes écossaises et landes vaudoises, bande son et musique non moins dégagées des poncifs du genre.

    L'essentiel du drame  se joue enfin entre les murs et les personnages du premier plan: en cadrages serrés, marqués par les chocs entre passions personnelles et luttes politiques ou religieuses, alliances et trahisons. La force du film tient à la galerie de portraits qu'il dégage autour de Mary (la très remarquable Camille Rutherford), de Lord Darnley (Aneurin Barnard) au comte de Bothwell (Sean Biggerstaff), notamment.     

    Locarno56.jpgBref, après quatre premiers films prospectant les multiples aspects de la réalité humaine, de la passion romantique selon  Lenz (2006) à l'autofiction de Day is done, (2011), en passant par I was a swiss banker, (2007) Thomas Imbach poursuit une oeuvre se jouant des genres et des formes à l'enseigne d'un vrai cinéma d'auteur.

     

      

     

     

     

     

  • Un Suisse parfait

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    Avec L'Expérience Blocher, film parfait, Jean-Stéphane Bron, à la place du mort, filme et laisse parler le milliardaire au-dessus de tout soupçon, collectionneur d'art au goût parfait et parfait tribun populiste rêvant d'un pays fermé aux étrangers pauvres ou délinquants...

     

    La première image frappante de L'Expérience Blocher est d'un clôture, qui revient à la fin du film où le fils de pasteur paysan devenu chef d'entreprise multinationale et leader du premier parti de Suisse, dévoile ce qu'on pourrait dire son jardin secret, dûment verrouillé lui aussi. Entretemps, dans sa berline luxueuse mais pas trop, Christophe Blocher aura fait, une fois de plus, l'apologie d'une Suisse débarrassée des moutons noirs étrangers, avant de fixer la caméra d'un air satisfait, sous le regard non moins satisfait de son épouse légitime. Deux heures durant, nous suivons donc l'homme politique suisse le plus adulé et le plus détesté au fil de sa dernière campagne électorale, sillonnant le pays en ne cessant de dicter ses ordres par téléphone à un certain Livio. L'air souvent débonnaire, voire rigolard, avec l'espèce de sourire un peu simiesque de celui qui se félicite d'un bon tour qu'il vient de jouer, le personnage dégage une certaine jovialité, sans aucune chaleur pour autant. Quant à sa femme, plus stylée que lui, c'est le parfait glaçon.

    En contrepoint, la voix chaude de Jean-Stéphane Bron, alternant une sorte de carnet de bord off et la chronique détaillée de l'irrésistible ascension du fils de pasteur passé d'un apprentissage d'agriculteur aux plus hautes sphères de l'industrie suisse mondialisée, structure le portrait d'un homme à la silhouette finale de Commandeur seul, égocentrique à l'extrême, gagné par le ressentiment et plombé par l'âge quoique n'en finissant pas de parader pour la galerie dans sa villa-musée ou son château où il se la joue prince du moyen âge...

     

    Le parti pris de "cadrer" Christoph Blocher au plus près, non sans  avoir gagné sa confiance prudente, relevait pour Jean-Stéphane Bron d'un pari certainement risqué que les adversaires de Blocher lui ont reproché avant même d'avoir vu le film. Quoique fît le cinéaste, celui-ci ne pouvait que servir la publicité du vieux renard. Or, sur la base du film, les mêmes auront beau jeu de clamer que le film ne dénonce pas assez les méfaits du tribun nationaliste, humanisant au contraire celui-ci comme, naguère, on reprocha au réalisateur de La Chute d'humaniser Hitler sous les traits de Bruno Ganz.

    Locarno55.jpgSeulement voilà: le propos de Jean-Stéphane Bron est tout autre que de dénoncer: il tient essentiellement à montrer, et d'abord que Blocher n'est en rien comparable à Hitler. En cinéaste sachant faire signifier un cadrage, il montre par exemple Christoph Blocher, au col du Gothard, encadré d'agents de sécurité, faisant un discours aux pierres ! On verra bien entendu, sur les plans suivants, le public fervent du tribun, comme on le retrouvera au long de son périple électoral. Mais les images parlent, autant que le rappel des faits évoquant la trajectoire économico-politique du bonhomme, entre bonnes affaires avec l'Afrique du Sud de l'apartheid et juteux contrats avec la Chine totalitaire. Rappelant clairement les étapes de la carrière du self made man, Jean-Stéphane Bron n'accumule pas les données documentaires comme dans Le génie helvétique ou le formidable Cleveland contre Wall Street, mais construit le portrait de Blocher en déjouant son refus de "casser le morceau", groupé sur ses secrets d'homme d'action sans états d'âme, dans son décor à transformations tissé de clichés illustrant son pouvoir et sa réussite. Du confort de sa berline à sa piscine privée où il nage seul, des murs de sa villa où s'alignent les plus belles toiles de Hodler ou d'Anker - renvoyant à une idylle paysagère ou paysanne aussi mythique que l'insurpassable label suisse vanté aux Chinois -, au château où il invite ses amis qu'il régale d'un petit concert choral auquel il prête sa voix, les images, alternant avec celles bien étales du lac ou bien ronflantes du Rhin, composent un portrait finalement assez effrayant d'autosatisfaction propre-en-ordre, loin des gens et de la vie.

    Locarno05.jpgL'expérience Blocher est, cinématographiquement, une oeuvre parfaite, ou plus exactement: parfaitement appropriée à son objet. En ce qui me concerne, autant par amitié personnelle que par estime pour Jean-Stéphane Bron, j'espère que celui-ci dépassera cette parfaite maîtrise pour dire plus amplement l'imperfection du monde, comme il n'a dailleurs cessé de le faire dès ses débuts. Or chacun de ses films marque une avancée, et ce dernier ouvrage est un bel acte de citoyen démocrate et d'artisan-artiste. Autant dire que tout est à attendre, et du meilleur, de l'expérience Bron à venir...  

     

     

  • Friture sur Les Grandes ondes

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    À Locarno, la première édition de Carlo Chatrian fait florès avec une Piazza bondée et des salles combles, une rétrospective Cukor de haut vol et une kyrielle de découvertes.  En attendant L'Expérience Blocher de Bron, Lionel Baier fait de l'oeil au public.

    Joli moment d'émotion dimanche soir, sur la scène de la Piazza Grande, lorsque le Vaudois Lionel Baier, posant son micro par terre, s'est relevé pour appeler de toute sa voix  lancée aux étoiles: "Jacqueline, la projection va commencer !".

    Locarno41.jpgBelle façon, pour l'ancien projectionniste du cinéma d'Aubonne, devenu prof à l'ECAL et réalisateur des plus doués de la nouvelle génération du cinéma suisse, de rendre hommage à Jacqueline Veuve qui a "marrainé" ses premiers pas de cinéaste. Deux jours plus tôt et sur la même scène, la même complicité entre générations était manifestée par la toujours très belle Faye Dunaway félicitant le nouveau directeur artistique Carlo Chatrian de faire, à Locarno, une si bonne place au jeune cinéma.  

    Quant au dernier film de Lionel Baier, Les grandes ondes (à l'ouest), il a fait se gondoler, gentiment, le public de la Piazza Grande, visiblement sensible à cette satire rappelant assez, par son esprit, l'humour d'un Alain Tanner ou d'un Michel Soutter.

    Lionel Baier est une encyclopédie de cinéma sur pattes, qui a le grand mérite, en artiste plus personnel, de dire et répéter sa reconnaissance aux "anciens", dont un Claude Goretta, entre autres clins d'yeux et citations tous azimuts. Les "grandes ondes" de son nouveau film sont celles de la SSR en 1974, dont le patron Roulet (un Jean-Stéphane Bron barbu et coincé dans son costard), aux ordres d'un conseiller fédéral blochérien avant la lettre, décide d'envoyer une équipe de télé au Portugal pour illustrer l'excellence résolument positive de l'aide suisse à ce pays méritant d'être aidé, n'est-ce pas...

    Locarno40.jpgC'est parti sur le ton doux-acide de Comme des voleurs, où Baier n'avait pas encore assez de subventions pour se payer un "combi" VW. Cette fois on passe, après Un autre homme jouant également sur la satire des médias, au grand format tenant mieux l'écran géant de la Piazza en dépit de dialogues manquant illico de naturel, en bonne tradition romande, et de gags d'une légèreté relative... La mise en place de la comédie et sa première partie, avecLocarno44.jpg l'équipe  du reportage (Valérie Donzelli en journaliste affirmant sa féminité, Michel Vuillermoz au lourd passé de grand reporter luttant contre l'amnésie après un "pépin" au Vietnam, et Patrick Lapp en ingénieur du son de pus tendre composition ) sillonnant les routes du Portugal, est un peu lente voire laborieuse. Du moins est-elle marquée, après visite de stations d'épurations et autres relevés de bienfaits helvétiques (l'eau tiède amenée dans un collège par voie de robinets mélangeurs), par l'apparition du jeune Pelé, 18 ans et une passion folle pour les films de Pagnol, qui vivra la Révolution des oeillets avec le joli trio, dès le 24 avril. L'évocation de ladite révolution, avec poings brandis  et culs nuls évocateurs de folles orgies (!), fait gentiment sourire, mais s'inscrit en somme dans l'esthétique "vintage" des Tanner-Soutter-Reusser-Moraz. Bref, Lionel Baier cligne de l'oeil au public comme son combi VW, ou certaine Coccinelle de fameuse mémoire, mais ceux qui croient en son grand talent savent qu'il peut mieux faire...

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