Encensé à Cannes ce printemps, le Lausannois d'origine portugaise Basil Da Cunha revient à Locarno avec Après la nuit, tout en siégeant dans le jury des léopards de demain. L'étoffe d'un "grand"...
Basil Da Cunha est un drôle de Suisse: pas de quoi rassurer Christoph Blocher dans sa berline-bunker. Avec sa dégaine de colosse punky, le lascar de 27 ans, fils d'artiste lausannoise et de prof d'université portugais, n'est d'ailleurs pas plus rassurant selon les bons vieux codes du cinéma helvétique. L'ancien videur de boîtes lausannoises a certes passé par la Haute école de cinéma de Genève, dont certains "intervenants" l'ont marqué et remarqué, à commencer par Pedro Costa, grand monsieur du cinéma portugais indépendant. Mais sa façon de travailler, avec très peu d'argent et des "comédiens" issus d'un bidonville, bouscule toutes les conventions. Or le produit fini qu'il propose, malgré une grande part d'improvisation, saisit par sa force expressive et sa cohérence artistique.
Dès ses premiers courts métrages, la patte de Basil Da Cuha tranchait d'ailleurs sur les films d'école souvent si cérébraux. Dans À côté, datant de 2009, son portrait d'un ouvrier bossant sur un chantier de nuit à Genève, troublé par la pulpeuse présence d'une belle voisine, crevait aussitôt l'écran par sa pleine pâte humaine et la poésie des images. Même constat pour Nuvem, le poisson-lune (2011) filmé dans le bidonville de Riboleira, près de Lisbonne, retrouvé en 2012 dans Les vivants pleurent aussi et, aujourd'hui, dans son premier long métrage tourné en trois mois sur un canevas dicté par la vie de ses "potes" Cap-verdiens.
En trois ans, le jeune cinéaste s'est en effet acquis la confiance de cette communauté où il dit se sentir plus en sécurité que dans certaines rues de Lausanne, malgré les braqueurs et autres tueurs qu'il y côtoie. Ses tournages ont ainsi été marqués par diverses descentes de police visant ses "acteurs", entre autres embrouilles personnelles. Son engagement physique est donc total, mais non moins remarquable son oeil de cinéaste, non moins vives sa sensibilité et sa sensualité, qui pallient la fragilité de ses films en matière de scénario.
Sous les dehors d'un film noir parlé en créole Après la nuit raconte l'histoire du Rasta Sombra qui, à sa sortie de prison, est immédiatement confronté à un chef de bande dressant les autres contre lui. Aussi "différente que l'était Nuvem, qu'on retrouve ici en complice lunaire, Sombra cherche à échapper à l'engrenage de la violence lié à ses dettes de dealer. Malgré la complicité d'un enfant, la présence de son iguane et les conseils d'un sage exorciste, Sombra sera massacré en bord de mer par celui-là même qu'il a refusé d'exécuter.
Déjouant les poncifs du genre, Basil Da Cunha construit un fascinant labyrinthe nocturne dont le lyrisme des couleurs rappelle Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa. Ses personnages ont en outre gagné en densité, mais nous perdons pas mal de la substance du dialogue par un sous-titrage très imparfait. N'empêche: il y a là, en puissance, l'univers visuel et le souffle d'un grand cinéaste à venir.
Comme on s'en doute, le cinéma selon Basil de Cunha reste, sinon marginal, en tout cas hors norme et lié à une expérience-limite.
Mais son approche du monde tel qu'il est peut être un bel exemple pour les réalisateurs de la nouvelle génération. Comme c'est au titre de juré des Léopards de demain, la section des courts métrages suisses et internationaux, que le réalisateur se trouvait aussi à Locarno, j'ai profité de lui demander des nouvelles, précisément, de cette édition suisse 2013, après la volée assez désastreuse de l'an dernier.
Sans entrer dans le détail pour l'ensemble de la sélection, Basil Da Cunha relève du moins les qualités d'A iucata, du Tessinois Michele Pennetta, évoquant le monde des courses de chevaux clandestines en Sicile. Pour le reste, refusant l'optimisme "jeuniste" de commande, il déplore que les gens de son âge aient si peu de choses à dire...