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  • Ceux qui se prennent de bec

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    Celui qui entre deux claques pique un bec à Rebecca / Celle qui répond du tac au tacle / Ceux qui ont toujours de la vaisselle neuve / Celui qui dit à la diva qu'il lui voit les os sous son bronzage à claire-voie et la gifle part / Celle qui dompte les gigolos de ses seuls regards de fer barbelé / Ceux qui se lancent des anathèmes comme à la belle époque des prophètes et de leurs meufs / Celui qui a réponse à tout-à-l'égout / Celle qui persifle et signe / Ceux qui se séduisent en se griffant / Celui qui se fait une manucure de sommeil / Celle qui fait péniche à part depuis que le mariner Lulo a viré debord / Ceux qui se la jouent Zabou Taylor et Richie Burton /   Celui qui pète plus haut que son culte / Celle qui n'avouera même pas son âge au fossoyeur / Ceux qui ont la sérénité des vieux amants / Celui qui n’a plus de jambes mais qui joue au Scrabble comme pas deux / Celle dont la fille benjamine a l’air d’avoir du retard à l’allumage mais qui répète qu’il n’y a pas le feu en aidant son enfant à bûcher sur ses travaux de physique quantique et d’épistémologie transversale / Celui  a plusieurs pères de rechange et trouve ça moins stressant finalement / Celui qui trouverait du bon même chez les Belges / Celle qui a toujours trouvé ses seins trop menus et qui n’en a pas moins fait carrière dans la police montée / Ceux qui résistent à tout sauf à la tentation de se quereller pour le bonheur de se recoller et ainsi de suite / Celui qui travaille à temps perdu / Celle qui s’engage à arrêter de fumer à la place de son fils pompier / Ceux qui ont le réflexe de ne jamais réfléchir / Celui qui ne s’est jamais habitué aux animaux domestiques de sa prochaine ex / Celle qui ne se doute pas qu’elle cite Nietzsche (un Allemand souffreteux) lorsqu’elle affirme que le singe est trop bon pour que l’homme en descende / Ceux qui se tuent pour ne pas savoir ce qui les attend / Celui qui se résigne à la honte d’avoir un beau-fils social-démocrate à la tessinoise / Celle qui s’est faite à l’idée de partager la couche d’un richissime avocat d’affaires à l’haleine fétide et vue sur le Monte Generoso /  Ceux qui disent bien connaître l’œuvre de Marcel Proust quoique pas personnellement, etc.

     

    Image : Philip Seelen

  • L'étoile dansante

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    Première merveille découverte à Locarno: Karma shadub, de Ramon Giger, déjà lauréat du Grand Prix  au Festival Visions du réel de Nyon. D'une beauté et d'une humanité rarissimes...

     "Voilà du sublime", me suis-je dit en assistant ce matin à la projection du nouveau film du jeune (né en 1982) réalisateur Ramon Giger, fils du grand musicien Paul Giger. Le titre de l'ouvrage en question, Karma Shadub, signifie "l'étoile dansante" en langue tibétaine, constituant également l'intitulé d'une pièce de musique écrite pour son fils par le musicien. Le film s'ouvre sur la conclusion d'un grand concert donné en la cathédrale de Saint-Gall, dans une apothéose chorale évoquant la musique sacrée d'Arvo Pärt. Or Paul Giger avait demandé à Ramon de consacrer un film au concert en question, qui allait poser immédiatement, au jeune réalisateur, une question de fond sur la relation à ce père, à la fois célèbre dans le monde entier et qui, après une enfance idéale, lui échappa de plus en plus. La séparation d'avec la mère, des voyages incessants, une vie consacrée à la musique auront contribué à creuser le fossé entre père et fils, qui se retrouvent ici, dès le début du film, comme "un mur en face de l'autre", ou presque. Mais ce "presque" est la faille dans laquelle Ramon va frayer, avec une honnêteté totale, le chemin vers cet inconnu que reste à ses yeux son père à maints égards.

     

    Locarno17.jpgD'emblée, la question de la confiance est posée au fils par le père. Il a besoin de fait, de croire que son père croit en lui autant que lui l'admire. Mais cette confiance, il le sait, ne sera acquise qu'en construisant son film tout en recomposant l'histoire de leur relation, où la mère jouera aussi un  rôle déterminant. De fait, après la séparation des conjoints, Ramon a toujours vécu avec sa mère, qui se dit fondamentalement "inadaptée" et a souffert de voire ses propre "forces" épuisées par la présence de son artiste de conjoint. Tout cela qui pourrait se réduire, évidemment, à un récit de vie de plus traitant des relations père-fils, comme les réalisateurs romands Lionel Baier et Jacob Berger les ont déjà abordées, alors que l'ouvrage de Ramon Giger me semble, tant par son contenu émotionnel que par sa forme, conduire plus loin et plus haut: dans la fusion artistique d'un magnifique poème d'amour dont chaque plan signifie et se déploie en beauté plastique et musicale à la fois, sur la base d'une sorte de journal intime suivant la double ligne d'une vie et de la préparation du concert.

    Locarno20.gifPlus que l'histoire des difficultés relationnelles rencontrées par Paul et Ramon, sur fond de première idylle enfantine, Karma Shadub évoque les multiples aspects, que nous avons tous vécus, de la relation entre parents et enfants, conjoints partageant de grands idéaux (c'est par Paul qu'Ursina est venu à la musique, et leur culture "libertaire" est commune, que relance d'ailleurs Ramon) ou se disputant dans les aléas de la vie quotidienne. Or le grand art de Ramon Giger tient à filtrer et à rendre leur place à tous ces éléments de la vie partagée. Chronique kaléidoscopique recomposée au fil d'un montage admirable de fluidité et de sensibilité purement cinématographique (tout le non-dit suggéré par le seul enchaînement des plans), Karma Shadub intègre les composantes concrètes d'une vie (la nature omniprésente, les maisons revisitées, le concert en train de se préparer avec les danseurs, etc.) et tous les mouvements de la relation en train de s'éprouver (doutes réitérés, hésitations, coups de gueule, retours en douceur) entre les protagonistes. Une grande tendresse imprègne, enfin, ce film développant les mêmes qualité d'observation et d'écoute que Die ruhige Jacke, premier ouvrage de Ramon Giger déjà remarqué à Visions du réel en 2010, posant déjà la question fondamentale de la communication difficile, en complicité avec un autiste, Bref, c'est avec un sentiment de profonde reconnaissance qu'on sort de la projection de Karma Shadub, à voir absolument et sans doute à revoir, à discuter et à méditer.

     

    Festival de Locarno. Reprise au Rialto 1, le 10 août à 23h.

  • Commedia pazza

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    En bonne tradition comique italienne, par et avec l'acteur-réalisateur Sergio Castellitto, gratifié d'un Léopard d'or à la carrière, "notre" festival a démarré dans la meilleure humeur, avant les trombes du soir sur la Piazza Grande...

     

    Après l'ère du Français Père naturellement francophile et porté sur le cinéma américain ou "de genre", la première programmation du nouveau directeur artistique du Festival de Locarno, l'Italien Carlo Chatrian, fait un peu plus de place à la cinématographie italienne, quand bien même celle-ci ne serait plus des "grandes années"...

    Premier signe: l'hommage à Sergio Castellitto, acteur et réalisateur dont une comédie assez carabinée, datant de 2010, était à voir au jour d'ouverture de la manifestation, intitulée La Bellezza del somaro.

    Sous des dehors passablement déjantés voire parfois "jetés", avec des mouvements de caméra frisant la parodie des "anti-dogmatiques" de Dogma, cette comédie n'en épate pas moins par la vivacité de sa satire d'époque, son remarquable tonus et l'excellence de ses acteurs, Sergio Castellitto en tête, à quoi s'ajoute la présence récurrente (et combien apaisante) de l'âne éponyme sur fond de sublimes paysages toscans.

     

    Un architecte progressiste (incarné par le réalisateur, dont l'abattage comique est impressionnant) passe le cap de la cinquantaine avec l'angoisse au ventre au côté de sa belle et intelligente conjointe (Laura Monte, tout à fait épatante elle aussi), aussi conventionnelle que lui en son esprit résolument "ouvert" de lacanienne à l'écoute de toute nouveauté "dérangeante",  sauf celle qui la dérangerait en effet.

    Or voici qui dérange le couple: que leur fille mineure Rosa, après avoir largué son nigaud de Luca, genre post-punk très adonné à la fumette, leur amène, pour le week-end convivial en leur résidence secondaire des hauts plateaux siennois, un Armando plus que septuagénaire !    

     

    Contrastant absolument avec le couple et ses amis bobos tous plus ou moins barjos, le vieil homme au très beau visage, serein et parfaitement "normal", fait figure de révélateur entres les "adultes" aux énervements puérils et les ados en manque de réelle attention, aux regards trop lucides.

    Superbement épinglés, les personnages de La Bellezza del somaro constituent une frise qui prolonge en somme, aujourd'hui,  celle des Nos plus belles années. De la journaliste hargneuse ressassant ses slogans révolutionnaires, à la gouvernante régentant ses patrons, en passant par la psy qui encaisse le retour du refoulé de ses patients-copains  ou la petite amie en manque de sexe de l'architecte, le jeune motard au python câlin ou le petit Black super-intégré, il y a là toute une société non seulement italienne mais occidentale... 

    Au milieu de ceux-là, comme un ange à cheveux blancs  passé par là, le septuagénaire très doux et non moins ferme dans son visible rejet du délire ambiant, donne au film son mélange de tendresse amusée et de stoïque placidité, semblables à celles de l'âne...      

     

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  • Habitus du verbe

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    Variations cingriesques (11)

     S'il n'était ni ferré linguiste (le positivisme scientifique lui était étranger) ni philosophe à patente, Charles-Albert n'aura cessé, dans son effort constant de définition et de redéfinition, de moduler une réflexion sur la langue, les sources et l'usage de celle-ci, son évolution et ses multiples aspects relativement aux territoires et aux gens, qui s'est constituée en pensée autour d'une notion pour lui fondamentale qu'il appelle l'habitus.

    À propos de son petit pamphlet, Rudolph Mahrer remarque justement que "sa critique de l'artificialité de l'espéranto portera contre toute forme de langue rompant le lien qui la lie à son peuple". C'est ainsi que Cingria peut s'en prendre virulemment à certain speaker de la radio française (à Radio-Toulouse en l'occurrence) qui se force à certain accent "voulu français", pour ne pas dire "voulu parisien", comme la façon en reste aujourd'hui très répandue en Suisse romande et en Belgique au dam de tout accent local, par uniformité de chic pourrait-on dire.

    Or ce n'est pas pour autant le folklore des accents particuliers que Cingria regrette (lui-même n'accuse d'ailleurs aucun accent suisse ou français sur les enregistrements que nous avons de lui), mais l'uniformisation du ton qui  efface toute couleur et toute émanation pour ainsi dire organique d'une voix du Sud ou du Nord et des génies propres à chaque lieu en vertu de chaque habitus, impliquant avec la modulation de la voix une façon spécifique de peindre son portail ou d'entretenir son jardin(et d'en parler), et avec le parler modifié la modification perceptible lorsqu'on passe de Saint-Gingolph (Suisse) à Saint-Gngolph (France) sur un parcours de moins de trois centsmètres...

    Charles-Albert était extraordinairement sensible au passage des frontières et non moins capable d'en exprimer les moindres signes. Se déplaçant le plus souvent en bicyclette hors des villes, et ne cessant d'observer les "premiers plans" des bords de routes, il savait saisir  les nuances marquées non tant par les lignes de démarcation politiques, que par le transit d'un habitus à l'autre. Or celui-ci dépendait certes, souvent, du passage d'un pays à l'autre, mais bien plus de la façon de parler du pêcheur vaudois et de son vis-à-vis savoyard, à l'écoute desquels il n'avait pas son pareil sans donner pour autant dans la niaiserie régionaliste. C'est que le terroir chez lui n'est pas, non plus, folklorique, mais tellurique et légendaire; et que sous le parler roman subsiste l'airain du latin...  

     Il lui arrivait certes de théoriser, mais jamais longtemps sans dériver dans le concret imagé. Ainsi, dans une Note verbale datant de 1934, parue dans la N.R.F., entame-t-il un discours aussitôt persifleur, dont l'argument tout à fait sensé se mêle de fantaisie expressive.

    "C'est ennuyeux d'écrire", note-t-il, "parce que les nationalismes de XIXe siècle ont bordélisé les langues". Et de distinguer un "autrefois" où une langue était naturellement parlée, comme le latin,  "sur une vaste étendue de peuples et de terres et de mers" avec beaucoup de variétés où nul, "sinon par plus ou moins de conformité à une langue fixe d'en dessous, ne s'autorisait à situer ici ou là une authenticité plus grande", et une actualité de nations redécoupée dont chaque "centre" politique imposerait son authenticité linguistique à ses périphéries.

    On sait, évidemment la réalité historique royale et centralisée à Paris de la France, qui autorise plus qu'ailleurs l'affirmation d'une "langue royale", sans pour autant souscrire à une "authenticité plus grande" que définirait l'Académie. Là non plus, cependant, Charles-Albert ne défend pas le folklore des patoisants ou des régionalismes littéraires, mais le lien plus profond de chaque peuple à sa langue et par exemple, s'agissant de Suisse romande, à ce qu'il appelle son fonds lotharingien. Inventeur d'une langue, comme Rimbaud l'est à sa façon, Ramuz n'est en rien le représentant d'un "foutu baragouin" que dénigreront les critiques parisiens défenseurs du "bien parler", mais un sourcier de la langue française au même titre qu'un Céline, qui ne l'admirait pas pour d'autres motifs.

     "Il est absurde", écrit encore Cingria, "de dire que le français dans des régions qui dépassent la France est moins authentique que dans la France même. Il s'est simplement passé ceci que dans le territoire débordant, le français est resté en contact avec le parler roman (parler vulgate) alors que dans le territoire nation le français repart avec un cartésianisme et un faux diamant de capitale que jamais les petits pays ou pays de gens n'adopteront. C'est là la grande différence. Faisant appel à l'histoire disons que ce qui est pays est lotharingien et que ce qui est capitale est francien. Ramuz est lotharingien"...

    Tout cela que Charles-Albert précisera cent et mille fois sur le terrain et en présence d'êtres de chair et de verbe vibrant. "C'est splendide, à vrai dire, d'entendre vibrer comme vibre un bocal dangereusement significatif cet instrument étourdissant qu'est un être"...  

     

    Charles-Albert Cingria, Oeuvres complètes, tome V (Propos 1). L'Age d'Homme, 1095p.

  • Hoï !

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    Supplément au Guide du Routard à propos d’Appenzell, du salut que s’adressent ses gens, de ses peintres et de ses verts toscans
    Si les Tchèques de Prague se saluent d’un sonore ahoj !, comme on l’a vu dans L’As de pique de Milos Forman, en Appenzell c’est simplement hoï ! qu’on se lance en se croisant ; et lorsque vous êtes avec quelqu’un qui connaît tout le monde, ce qui est banal puisque tout le monde se connaît en Appenzell, la chose devient assez comique, voire burlesque.
    J’étais hier soir avec Toni, natif des lieux et connaissant donc tout le monde, qui m’emmenait au pas de charge aux quatre coins de son bourg pour m’en raconter l’essentiel, et tous les trois pas : hoï, hoï, hoï, à se croire dans un film japonais…
    Or de cela, le Guide du Routard ne pipe mot. Ni du fait qu’il y a des peintres en Appenzell. Ni rien à propos des joyeux compères du jass en Appenzell.
    Je m’étais installé à l’Auberge du Pigeon (zur Taube), sur le conseil du Routard, excellente maison en effet tout en haut de la Hirschengasse (la rue du Cerf), lorsque j’avisai, à la vitrine de la boutique voisine, au bas d’une immense maison de bois vert pâle, une toile qui me disait quelque chose, et tout aussitôt la signature confirma mon sentiment : Carl Liner.
    69017b9d65f903f73b56ad7055ba7247.jpgab2e8dcd03f32537ee6f72675f946817.jpgCarl Walter Liner (1914-1997), fils de Liner Carl August (1871-1946), un réaliste remarquable du début du XXe siècle, est un peintre qui a vécu les métamorphoses naturelles de la figuration à l’abstraction lyrique, pas loin d’un Nicolas de Staël. Longtemps installé à Paris, il est revenu en pays où il fait figure de maître, dont la belle cote sur le marché se vérifie. e906ec56b59425559c31f160dff62869.jpgL’exposition actuelle de ses grands formats, au Musée Liner d’Appenzell, immense espace ultramoderne dont le Routard ne dit mot, illustre cette œuvre majestueuse dont je préfère, pour ma part, les petites formes et notamment les aquarelles les plus jetées ou les paysages stylisés, comme celui de la vitrine de Toni.
    De fait, c'est ce paysage de Carl Liner qui m’a fait entrer chez Toni, dans la maison vert pâle, où j’ai découvert ensuite une véritable caverne d’Ali-Baba à la manière helvétique.
    Toni a lui aussi la folie de peindre. Or dès que j’eus mis le nez dans son antre, il m’a ouvert ses portefeuilles où, tout de suite, j’ai flairé la papatte. Toni est à la fois un naïf et un peintre d’instinct, qui touche parfois à la forme pure et à la beauté dans certaines peintures fulgurantes. Sans relever tout à fait de l’art brut, comme Adolf Wölffli qui fut encagé pendant des années dans ces régions proches, l’art de Toni ressemble à sa maison : c’est le capharnaüm helvète dans toute sa gloire, avec mille tableaux de lui et de cent autres, une collection de baromètres géants et d’accordéons, un extraordinaire buffet du XVIIe hérité de son grand-père qui vaut le quart de sa maison, laquelle compte vingt-cinq pièces dans lesquelles il a entassé des kyrielles de Vierges et de Jésus de bois, un tuba géant et un tire-pipes miniature, des épées et des fusils, enfin un monde d’images et d’objets que prolonge le monde de sa conversation d’homme libre et farouche, dont la culture est vécue et plus vivante que celle de tant de gardiens du nouveau temple.
    La passion de peindre lui a sauvé la vie, m’explique Toni qui ne se sent lui-même qu’en travaillant sans se soucier de plaire ou de déplaire. S’il est content d’avoir vendu, la veille, le superbe Liner de sa vitrine à un client connaisseur, et s’il est lucide sur la situation de l’artiste dans la société pompe-à-fric de notre drôle d’époque, le lascar n’est pas aigri ni fatigué à aucun égard, qui affiche une espèce de foi candide en la capacité créatrice de l’homme.
    Toni sait très bien distinguer la bonne peinture du kitsch pour touristes, qu’il ne juge pas pour autant. Or on le constate, dans cette région qui a un riche passé de peinture populaire et dont l’artisanat reflète aussi le goût raffiné: que la beauté semble reconnue des gens mieux qu’ailleurs, que ce soit par la nature ou par les œuvres. Aussi, ces gens qu’on dit les plus arriérés de la Suisse, en matière politique, me sont apparus bien plus ouverts et originaux que ne le prétendent les lieux communs repris par le Routard. Race de nains de jardins repliés sur eux-mêmes : allez donc y voir…
    7e781b5c4a383b9aea1a743cd9b306e2.jpgdfaecd3a7861bb509601b7ae06822017.jpgToute cette après-midi, j’ai repris les chemins empruntés par Robert Walser et Carl Seelig autour du Säntis, écoqués dans les mémorables Promenades avec Robert Walser (Rivages) grisé par les verts indicibles de ces hautes terres, rappelant l’Irlande ou la Toscane, avec quelque chose d’unique dans le ton du pays. Dans ce même pays cohabitent le culte de la tradition et l’esprit d’aventure, le souci de l’ordre qui fait prescrire au randonneur de ne pas baigner son chien dans l’abreuvoir du bétail, en même temps qu’on laisse le bétail en liberté sur les terrasses à touristes. Nature et culture sont ainsi mêlées, avec une sorte de malice collective, d’intelligence et de gouaille débonnaire qui culmine dans les tonitruantes parties de jass (jeu de cartes pratiqué ici d’une manière toute spéciale), évoquant une société encore tenue ensemble à beaucoup d'égards. N’idéalisons pas, mais allez y voir…

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  • La fronde des nuls

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    Première polémique débile avant l'ouverture du Festival de Locarno: L'Expérience de Blocher, de Jean-Stéphane Bron, "censuré" avant d'être vu ! Notre confrère Patrick Chuard lève le lièvre dans les colonnes de 24Heures...

    Une semaine avant la projection du nouveau film de Jean-Stéphane Bron, L'expérience Blocher, certains socialistes suisses poussent de hauts cris au motif que des fonds publics aient été consacrés à un long métrage dont le personnage central est le tribun nationaliste Christoph Blocher, milliardaire populiste, grand manitou du parti UDC et ancien ministre fulminant toujours tous azimuts - en pur démocrate au demeurant. (*) 

    Sous prétexte que la moitié du budget de L'Expérience Blocher (soit 260.000 francs) a été financé par l'Office fédéral de la culture, quelques élus de gauche s'insurgent contre cette "publicité" faite à Christoph Blocher "aux frais de la République", comme l'assène le politologue socialiste François Cherix qui jure de ne pas aller voir ce film !

    Moins stupidement borné, le socialiste genevois Carlo Sommaruga déclare au contraire: "On peut aimer ou détester Blocher, mais le fait est qu'il a profondément marqué notre paysage politique ces dernières décennies. Ce personnage, qui a eu un une incroyable force politique avant sa chute pathétique, est un bon sujet. J'irai voir le film avec curiosité".

    Locarno11.jpgOr ce qui sidère, dans ce début de polémique absolument imbécile, c'est que le film de Jean-Stéphane Bron soit illico assimilé, par les bien-pensants, à un acte de propagande. Comme si le réalisateur lausannois, dès ses débuts, notamment avec son percutant court-métrage sur le thème des fiches (Connu de nos services), puis avec Le Génie helvétique, magistrale plongée documentaire dans les coulisses du palais fédéral, et ensuite avec Cleveland contre Wall-street , docu-fiction exemplaire sur la crise des subprimes à Detroit, n'avait pas prouvé son indépendance d'esprit et son intelligence démocratique pure de tout didactisme partisan.

    Est-ce un acte anti-démocratique que de documenter la trajectoire personnelle et la mouvance idéologico-politique d'un personnage et d'un parti des plus influents dans notre pays ? C'est exactement le contraire qui est vrai, et d'autant plus que les réalisateurs de la génération de Jean-Stéphane Bron (dont un Michael Steiner, qui a magnifiquement décrit la chute de la maison Swissair dans son Grounding) ne sont en rien des idéologues partisans mais des observateurs aigus de la réalité contemporaine.          

    Fernand Melgar est aussi de ceux-là qui, l'an dernier, suscita la polémique à Locarno avec son film Vol spécial, consacré aux circonstances inhumaines des renvois de requérants d'asile déboutés, et qualifié outrageusement de "film fasciste" par le président du jury Paulo Branco. Du moins celui-ci avait-il vu le film avant de balancer son jugement de censeur stalinien. Dans le cas de L'expérience Blocher, les protestations anticipées de politiciens qui n'ont pas encore vu le film ne feront que ridiculiser ceux-ci en attendant la projection de mardi prochain sur la Piazza Grande. ..   

     (*) Etant entendu que la "pure démocratie" sert d'alibi aux démagogues assoiffés de pouvoir de tous bords...

  • Evviva Locarno 2013 !

     

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             La 66e édition du  Festival international du film s'ouvre mercredi 7 août, pour refléter les nouvelles réalisation du cinéma mondial, jusqu'au 17 août. Un nouveau directeur artistique, Carlo Chatrian, prend la succession des précédents compères Maire et Père, aux côtés du Président Marco Solari. La rétrospective sera consacrée à George Cukor, et Werner Herzog y recevra un Léopard d'honneur.  La présence suisse y est réaffirmée avec, notamment, trois nouveaux films très attendus de réalisateurs romands: Yves Yersin, en compétition et, sur la Piazza Grande, Lionel Baier et Jean-Stéphane Bron. Pour le glamour: Nathalie Baye et Victoria Abril seront de la fête.  

    Dix-huit des vingt films en compétition internationale à Locarno seront des premières mondiales. Les producteurs de Feuchtgebiete (Zones humides) ont choisi le festival du film tessinois pour montrer au public l'adaptation cinématographique du roman de Charlotte Roche. Avec la Suissesse Carla Juri dans le rôle principal, l'adaptation du best-seller allemand est bien placée dans la course au Léopard d'or.

    Resserrer les liens du festival tessinois avec son voisin du sud fait partie des objectifs fixés par le nouveau directeur, lui-même italien. Ainsi, pour la première fois depuis de nombreuses années un film italien sera à découvrir en première mondiale sur la Piazza Grande: La variabile umana de Bruno Oliviero.

    Le cinéma américain est en revanche moins représenté que lors de précédentes éditions. Au moins deux productions américaines seront tout de même projetées à Locarno: Wrong Cops de Quentin Dupieux et We're de Millers, avec Jennifer Aniston.

    Trois films suisses sont par ailleurs en compétition internationale pour le léopard d'or: Mary, Queen of Scots de Thomas Imbach. Tableau Noir d'Yves Yersin et Sangue de Pippo Delbono.

    Le jury international sera dirigé par le réalisateur philippin Lav Diaz. Le festival débutera le 7 août prochain par la projection du film islandais Two  Guns. La Piazza Grande dispose de l'un des plus grands écrans à ciel ouvert du monde et peut accueillir jusqu'à 8000 spectateurs.

     

     Locarn03.jpgGeorge Cukor en rétrospective

    Après Ernst Lubitsch (2010), Vicente Minelli (2011) et Otto Preminger (2012), la Rétrospective 2013, organisée en collaboration avec la Cinémathèque suisse, le Musée national du Cinéma de Turin et la Film Society of Lincoln Center de New York, sera dédiée au réalisateur américain George Cukor (1899-1983).

    Le maître de la comédie hollywoodienne, lauréat d’un Oscar pour My Fair Lady (1964), a signé une cinquantaine de films et dirigé quelques-unes des plus grandes actrices du cinéma classique,telles  Greta Garbo (Le roman de Marguerite Gautier, 1936), Judy Garland (Une étoile est née, 1954), Marilyn Monroe (Le Milliardaire, 1960), Sophia Loren (La diablesse en collant rose, 1960), Jane Fonda (Les liaisons coupables, 1962 ; L’oiseau bleu, 1976) et Katharine Hepburn (Holiday, 1938 ; Indiscrétions, 1940 ; Madame porte la culotte, 1949).

    Locarno02.jpgLe Festival proposera l’œuvre du réalisateur dans son intégralité et les films seront présentés dans les meilleures copies disponibles tout au long des onze jours de la manifestation. Les projections seront accompagnées de débats sur le cinéma de George Cukor, animés par des réalisateurs, des acteurs et des critiques invités à Locarno. Le public du Festival pourra aussi assister à une table ronde sur l’œuvre du réalisateur animée par Roberto Turigliatto, qui a été chargé de la Rétrospective.

     

    Locarno04.jpgCarlo Chatrian, directeur artistique du Festival del film Locarno, déclare : « Depuis quelques années, le Festival poursuit un parcours de relecture du cinéma classique américain, en montrant comment un univers pourtant bien connu peut encore nous apprendre beaucoup de choses sur notre présent. Après les rétrospectives consacrées aux réalisateurs européens ayant débarqué en Amérique ou aux cinéastes ayant regardé l’Europe depuis l’Amérique, il m’a semblé opportun de conclure ce voyage au cœur du septième art avec un des exemples les plus purs de la maestria “hollywoodienne”. George Cukor n’est seulement un grand directeur d’actrices, ni l’architecte incomparable de nombreuses comédies ; c’est le cinéaste qui a le mieux interprété l’essence d’un cinéma qui, s’arrêtant à la surface des choses, réussit à faire surgir la profondeur de l’être et qui, en tout divertissant le spectateur, en exalte l’intelligence » .

    Léopard d'honneur à Werner Herzog

    Locarno06.jpgLe même Carlo Chatrian se dit «heureux de pouvoir accueillir à Locarno un réalisateur qui incarne autant l’esprit du Festival : au cours de sa longue carrière, Herzog a su passer de la fiction au documentaire, de productions à petits budgets à des films avec de grandes stars sans rien perdre de son identité. Si un prix n’est pas qu’une reconnaissance mais aussi un signal pour le futur, je pense que Werner Herzog est la personne la plus adaptée à tracer la route que le Festival veut emprunter. Une route qui pense le cinéma comme un acte qui implique et bouleverse les personnes qui le font et qui le voient. Un acte qui demande une ferme volonté tout autant qu’une prise de position précise. Celles-là même qui ont poussé Herzog à quitter son village des montagnes de Bavière pour parcourir les routes du monde et traduire en images et en son les expériences vécues, partagées, imaginées.»

    Outre la présentation d’une sélection d’œuvres représentatives de sa filmographie et la cérémonie de remise de prix sur la Piazza Grande, Werner Herzog participera à une conversation ouverte au public du Festival, modérée par Grazia Paganelli, auteur d’une monographie sur le réalisateur.

    Werner Herzog, une des figures les plus importantes du cinéma allemand et international connaît le succès dès son premier long métrage, Signes de vie (Lebenszeichen, Ours d’argent du Meilleur premier long métrage à Berlin en 1968). Avec Aguirre, la colère de Dieu (Aguirre, der Zorn Gottes, 1972), il commence à travailler avec son ami/ennemi Klaus Kinski, protagoniste, entre autres, de Fitzcarraldo (1982, Prix de la mise en scène au Festival de Cannes) et Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu: Phantom der Nacht, 1979). Herzog s’impose aussi dans le cinéma documentaire, en consacrant à Klaus Kinski le portrait Ennemis intimes (Mein liebster Feind – Klaus Kinski, 1999), et en tournant des œuvres à succès comme Grizzly Man (2005) ou Rencontres au bout du monde (Encounters at the End of the World, 2007), nommé aux Oscars.

     

    Les dix films présentés à l’occasion du Pardo d’onore Swisscom à Werner Herzog sont : Les nains aussi ont commencé petits (Auch Zwerge haben klein angefangen, 1970), Aguirre, la colère de Dieu (Aguirre, der Zorn Gottes, 1972), L’énigme de Kaspar Hauser (Jeder für sich und Gott gegen alle, 1974), Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu: Phantom der Nacht, 1979), Fitzcarraldo (1982), Le pays où rêvent les fourmis vertes (Wo die grünen Ameisen träumen, 1984), The White Diamond (2004), Grizzly Man (2005), The Wild Blue Yonder (2005), Dans l’oeil d’un tueur (My Son, My Son, What Have Ye Done, 2009).

    Le Léopard d’honneur a déjà été remis à de grands maîtres tels Bernardo Bertolucci, Ken Loach, Paul Verhoeven, Jean-Luc Godard, Abbas Kiarostami, Alain Tanner et Abel Ferrara.

     

    Cinéma Suisse

    Huit longs métrages et deux courts métrages suisses fêtent leur première mondiale au festival de Locarno. Avec la comédie Les grandes ondes de Lionel Baier et le documentaire de Jean-Stéphane Bron sur Christoph Blocher, deux films grand public sont au programme sur la Piazza Grande.

     

    Avec trois films, le cinéma suisse est fortement représenté dans la compétition principale du 66e Festival del film Locarno, sa présence dans la compétition secondaire des «Cinéastes du présent» étant un peu moins importante.

    Pour la compétition principale, le festival a sélectionné le nouveau long métrage de fiction Mary, Queen Of Scots de Thomas Imbach et le documentaire Tableau noir d’Yves Yersin sur l’école des Vieux-Prés, ainsi que la coproduction helvético-italienne Sangue, un film d’inspiration autobiographique de l’auteur et réalisateur italien Pippo Delbono.

    L’harmonie, du Franco-Suisse Blaise Harrison est le seul film suisse à concourir dans la compétition «Cinéastes du présent». Mais ce ne sont pas moins de quatre films helvétiques qui sont programmés hors compétition dans cette section, dont les nouveaux films de Lorenz Merz, Cherry Pie, et de Benny Jaberg, The Green Serpent.

    Locarno05.jpgLes nouveaux films de deux cinéastes suisses romands, dont la première est attendue avec impatience, sont également projetés sur la Piazza Grande : Les grandes ondes (à l’ouest) de Lionel Baier et L’expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron, un documentaire sur le politicien de l’UDC Christoph Blocher.

     

    Documentaires suisses dans d’autres sections
    Le documentaire Watermarks de Luc Schaedler, qui raconte les changements subis de nos jours par la population chinoise en raison du développement économique et social fulgurant, fête sa première mondiale dans le cadre de la Semaine de la critique. Dans la série Histoire(s) du Cinéma sont en outre projetés les deux documentaires restaurés d’Alexander J. Seiler, Ludwig Hohl et Palaver, Palaver.

     Points forts de l’année

    La section Appellations Suisse, qui se trouve depuis dix ans sous la responsabilité de SWISS FILMS, présente des films ayant eu beaucoup de succès aux festivals internationaux ou ayant marqué l’année cinématographique. Parmi les temps forts de cette sélection figurent le documentaire Karma Shadub de Ramòn Giger et Jan Gassmann récompensé du Grand prix à Nyon, le documentaire d’animation La nuit de l’ours de Frédéric et Samuel Guillaume, le documentaire Harry Dean Stanton: Partly Fiction de Sophie Huber, qui a parcouru une carrière festivalière internationale impressionnante, ainsi que le docu-fiction très apprécié par le public Verliebte Feinde de Werner Schweizer sur le célèbre couple politique Iris et Peter von Roten.

    Veuve.jpgEnfin, une projection spéciale est consacrée à la cinéaste Jacqueline Veuve, décédée cette année peu après l’attribution du Quartz d’honneur. Le festival rend hommage à la grande dame du docu helvétique en projetant les films Les frères Bapst et La petite dame du Capitole.