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  • Tribu de la douceur

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    L'ÎLE AU TRESOR - Un jour Dimitri m'a parlé de L'île au trésor comme d'un des plus beaux livres du monde, cristallisant tous les rêves de l'enfance de tous les âges. Et telle est la littérature pour ces naufragés que nous sommes: c'est l'île au trésor, au milieu de laquelle j'imagine un cabanon plein de livres, avec la malle fameuse dans laquelle nous attendent tous les manuscrits non publiés du vivant de leur auteur - telle est notre maison...

    NOTRE TRIBU. - Cette nouvelle année je serai de la tribu de mes femmes, de nos filles et de leurs jules, de ma bonne amie plus que jamais, de son frère et de nos anges gardiens. Cette année nous serons les gardiens de notre paix. Cette année nous nous battrons contre toute ingérence étrangère ou familière faisant obstacle à la douceur. Cette année nous trouvera sur tous les fronts de la guerre à la guerre. Cette année nous inspirera le mot d'ordre de destruction massive de toute forme de destruction.  Cette année nous verra plus que jamais faire pièce aux éteignoirs Cette année sera celle de l'éternelle renaissance de la Lumière. Cette année sera celle de l'enfance à venir...

                                                                                            (À La Désirade, ce 1er janvier 2013)

    Celui qui pilote le dirigeable des enfants / Celle qui a connu ce qu'on peut dire toute la tendresse du monde en serrant l'enfant contre elle pour la première fois / Ceux qui à la naissance de l'enfant ont acquis une nouvelle douceur, etc. 

      

    Zap001.pngUNE JOIE PARTAGEE. - L'arrivée, il y a quelque temps, du roman de Maxou que j'ai été le premier à lire, l'an passé, à l'état de magma, et qui a été formidablement amélioré par ce garçon dont j'ai parfois douté de la détermination, le rudoyant à proportion de mon affection quasi filiale, a été l'une de mes grandes joies de ce tournant d'année, et je suis maintenant convaincu que tout ce que j'ai pressenti chez le lascar, également bien perçu par les dames de Zoé, lesquelles l'ont accueilli et coaché de la plus remarquable façon - à commencer par la très finement attentionnée Nadine Tremblay, puis avec le soutien sans faille de Caroline Coutau, et même de Marylse Pietri la retraitée acquise de longue date à la cause africaine et veillant au grain dans son coin - méritait absolument notre attention, d'autant que les qualités de coeur et de conteur que j'ai relevées chez le Bantou dès L'Enfant du miracle, ont préludé pour moi à la découverte, au fil des mois, d'un être de vif-argent sensible et d'une belle personne digne de sa mère. Je n'ai donc pas eu à me forcer pour écrire, dans  les colonnes de 24 Heures, ce que je crois un beau papier et qui dit juste ce qui est, comme c'est.      

                                                                (À La Désirade, ce 20 janvier)

     

     Maxou24.jpgL'AMOUR FOU DU BANTOU. - Les commères de Douala en restent baba ! Les plus fameux caquets du Cameroun viennent en effet d'apprendre, par Facebook, qu'il y aurait en Suisse un jeune homme à la langue mieux pendue qu'elles toutes réunies: une espèce de griot-écrivain dont le verbe aurait la saveur d'une griotte veloutée et piquante. Le conditionnel tombe d'ailleurs puisque la nouvelle est de source sûre-sûre, émanant de la très fiable AFP, en clair: l'Association des Filles des Pâquis, dont les bureaux se trouvent au 39, rue de Berne, en pleine Afrique genevoise.

    Or cette adresse est aussi le titre d'un livre écrit par ce prodige de la parlote, du nom de Max Lobe, aussi doué à l'écrit que pour la zumba ! Quel rapport y a-t-il entre un Camerounais de 26 ans bien éduqué, cinquième de sept enfants, débarqué à Lugano son bac en poche et diplômé en communication et management, et le jeune Dipita, fils de prostituée aux Pâquis et condamné à cinq ans de prison pour le meurtre passionnel de son jeune ami William ? Le rapport s'intitule 39, rue de Berne, un vrai roman qui saisit immédiatement par sa densité humaine, la présence vibrante de ses personnages et l'aperçu de ce qui se passe en Afrique ou à côté de chez nous.

     

    De sa cellule de Champ-Dollon, Dipita raconte sa vie de garçon pas comme les autres, marqué en son enfance par les discours de son oncle Démoney. Rebelle très monté contre "papa Biya", le Président qu'il appelle "la Barbie de l'Elysée", l'oncle vitupère les magouilles du régime et le délabrement de la société, tout en recommandant à son neveu de ne pas se comporter à l'instar des hommes blancs qui pleurent comme des femmes et font de "mauvaises choses" entre eux. Or le même oncle, qui est à la fois le frère et le "papa" de Mbila, la mère de Dipita, n'a pas hésité à vendre celle-ci à des "Philanthropes-Bienfaiteurs" affiliés à un réseau international de prostitution, jusqu'à Genève où la jeune fille de 16 ans, abusivement vieillie sur son (faux) passeport, doit racheter sa liberté en payant de son corps. Dans la foulée, elle se fait engrosser par le chanteur-maquereau d'un groupe fameux, qui la pousse ensuite à conclure un mariage blanc avec un Monsieur Rappard spécialisé dans ce trafic lucratif. Pour faire bon poids, Mbila fourguera aussi de la cocaïne avec la complicité (de mauvaise grâce) du jeune Dipita. Enfin, cerise sur le gâteau, celui-ci, bravant les mises en gardes de son tonton, tombera raide amoureux d'un beau blond qui n'est autre que le fils du (faux) mari de sa mère.

    Glauque et compliqué tout ça ? Nullement: car Mbila, malgré ses humiliations atroces et sa colère contre son frère-papa, est aussi gaie que son fils est gay. Celui-ci garde par ailleurs respect et tendresse pour son oncle et sa tante Bilolo (la famille africaine, bien compliquée à nos yeux, reste sacrée), même si c'est chez les Filles des Pâquis, héritières d'une certaine Grisélidis, qu'il trouve refuge affectif et formation continue en toutes matières, y compris sexuelle.

    Notre grand Ramuz a fondé une langue-geste, qui travaille au corps toutes les formes de langage. Loin d'aligner les expressions locales, le romancier a forgé un style qui suggère les pensées et les émotions autant par les gestes de ses personnages que par leurs paroles. C'est exactement la démarche qu'on retrouve chez Max Lobe, qui ne sait rien de Ramuz mais a lu Ahmadou Kourouma et Henri Lopes et réussit à capter, dans son récit de conteur, des expressions souvent drôles mais plus encore significatives du doux mélange des cultures. Dans la bouche de l'oncle Démoney, le "cumul des mandats" devient "cumul des mangeoires". Dans celle de Dipita, le derrière rebondi de Mbila devient "cube magie". Et les mots de bassa ou de lingala y ajoutent leur son-couleur: le ndolo pour l'amour, le mbongo pour l'argent, notamment. Max Lobe a écrit 39,rue de Berne avec son sang et ses larmes, et sa joie de vivre, sa générosité, son élégance intérieure, sa tristesse ravalée, son incroyable sens du comique fusionnent dans un livre plein d'amour pour les gens et la vie. Le portrait (en creux) de Dipita est des plus attachants, et celui de Mbila bouleversant. La présidente de l'AFP, une digne dame Madeleine, a décerné au livre un prix spécial en matière d'observation. Et les commères de Douala se feront un plaisir de dérider les vertueuses Dames de Morges si celles-ci froncent le sourcil. Chiche que Calvin se mette à la zumba!

     

    ZieglerFils.jpgAUX CHEMINOTS. - Notre ami Jean nous avait à peine rejoints, débarqué du Conseil des Droits de l'homme à son restau préféré de derrière la gare où nous avions rendez-vous, qu'il nous avait déjà balancé ses soucis de dernière heures relatifs au Mali, et maintenant c'était à propos du World Economic Forum, s'ouvrant ce même jour, qu'il s'exclamait: "Vous avez vu: c'est le bal des vampires, la moitié des gens qui vont se retrouver à Davos devraient être en prison, et nous déployons une armada policière pour les protéger, sans compter nos ministres qui vont ramper à leurs pieds !"

    Or nous avions beau le connaître: ma bonne amie l'avait rencontré une première fois mais cela faisait plus d'une quinzaine d'années de ça, lui et moi étions en contact épistolaire ou téléphonique très régulier sans nous êtres revus depuis pas mal de temps, mais voici que sa formidable énergie de presque octogénaire irradiait bonnement, autant pour revenir sur les scandaleuses menées en Sierra Leone du multimilliardaire vaudois Jean-Claude Gandur et de sa firme transcontinentale Addax Bioenergy dont le siège est à Lausanne - qu'il attaque frontalement dans les pages de Destruction massive consacrées à la recolonisation par la culture intensive de la canne à sucre nécessaire à la fabrication du bioéthaneol, au dam des populations locales -, qu'au sort moins problématique de nos propres enfants. De fait, l'attention égale de Jean Ziegler à tous les aspects de la vie des gens, lointains ou très proches, m'a toujours frappé alors que d'aucuns ne le voient qu'en pur militant idéologue ou entièrement pris par ses multiples activités de justicier tous azimuts...                  

     

    P1020937.JPGDE LA FILIATION. -  Nous avons d'ailleurs beaucoup parlé de nos enfants respectifs, depuis quelque temps. Je lui ai dit et j'ai écrit tout le bien que je pense de la dernière pièce de son fils Dominique, sur l'immense Jaurès, je crois lui avoir fait plaisir en relevant le fait qu'à certains égards le portrait de ce juste, par son fils, renvoie au paternel de celui-ci. Et voilà que, tout en dégustant le poisson frais du patron espagnol, le camarade Z. s'est mis à cuisiner ma bonne amie à propos de notre fille benjamine J., qui a renoncé à un premier poste de juriste dans une grand boîte américaine dont le rythme de travail effréné et les pratiques à la limite de l'éthique l'ont dégoûtée, pour se lancer dans une thèse de droit humanitaire, et nous crible ensuite de questions sur l'aînée S., aussi peu conventionnelle que sa soeur avec ses études de lettres en espagnol et en arabe et son recyclage actuel de bibliothécaire-archiviste - la mère hollandaise de ma bonne amie, la mienne qui se disait socialiste et écrivit personnellement au Président de la Confédération pour le tancer à propos du sort des petites gens dans ce pays, nos pères et tutti quanti.  Notre Guillaume Tell gauchiste sait évidemment que j'ai été un aussi piètre militant progressiste qu'une nullité en matière universitaire; je lui ai raconté dix fois ma découverte du socialisme réel en Pologne, à dix-neuf ans, durant le même voyage qui m'a fait voir le rideau de fer et Auschwitz, et mes universités buissonnières; en revanche il apprend de ma bonne amie qu'elle a été, plus sérieusement que moi, membre du Groupe Afrique en sa vingtaine et se trouvait au Mozambique au moment de l'indépendance, et qu'à l'instar de ses parents elle a tenu à initier ses filles à l'histoire contemporaine en visitant avec elles le site de Verdun et le camp de concentration du Struthof, entre autres. Quant à lui, qui se dit mauvais père, il n'en a pas moins emmené Dominique en de nombreux voyages et le fils, malgré ses errances de jeunesse, n'a rien à lui envier aujourd'hui en matière d'engagement; enfin nous nous entendons tous trois pour réaffirmer notre attachement aux liens de filiation et notre confiance en ceux qui viennent...

     

    Maxou22.jpgNÈGRES BLANCS. - Une bise noire soufflait hier sur Genève, et c'est par étapes-bistrots que, du pied des Grottes, nous avons gagné Carouge où, après le "nègre blanc", comme on a surnommé Jean Ziegler, nous avions à rejoindre Max le Bantou pour le vernissage de son livre, à la petite librairie Nouvelles Pages. Il y avait foule pour la lecture de trois passages de 39, rue de Berne, et j'ai particulièrement apprécié la très fine et chaleureuse présentation de Max Lobe par l'éditrice Caroline Coutau, laquelle a détaillé les raisons qui ont poussé l'équipe de Zoé à accueillir le jeune écrivain, en soulignant illico la "voix" unique de celui-ci. Dans la foulée, la lecture aura permis aux auditeurs d'apprécier la qualité de l'écriture métissée de Max, sa très vive sensibilité sociale et psychologique, son mélange d'honnêteté crue et d'élégance, de malice et de verve. Quant à moi je ne pouvais faire moins, avant de remonter à notre alpage, que d'acheter un exemplaire du roman à mon cher négrito sapé de sa plus belle chemise blanche, pour le lui faire dédicacer à Jean Ziegler - et voici en quels termes candides: "Cher Jean, ce livre parle de l'Afrique que vous connaissez. Je vous laisse découvrir ce qui vous aurait échappé"...

                                                                                                 ( À La Désirade, ce 26 janvier)

     

     

    Celui qui ne sait pas qu’il ne passera pas l’hiver nucléaire / Celle qui se désabonne de ses revues de déco en apprenant que la Fin du monde est proche / Ceux qui perdent la tête au point de se faire sauter la cervelle, etc. 

     

     

    (Extrait d'un livre en chantier)

  • Le temps de la poésie

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     François Debluë reçoit, ce samedi 5 octobre à Ropraz, le Prix Edouard-Rod pour l'ensemble de son œuvre..

    En Suisse romande, le nom de François Debluë, autant que celui de son oncle Henri, est associé pour le grand public à la Fête des Vignerons. Henri Debluë, lettré vaudois à faconde,  signa le livret de l’édition quasi mythique de 1977. Son neveu François, plus discret et secret, lui fut pourtant un digne successeur en 1999. Mais l’auteur des Saisons d’Arlevin n’aime point trop être confiné dans ce seul rôle, pas plus qu’on ne l’imagine se «ranger» au lendemain de sa retraite de quelque trente-sept ans d’enseignement, alors qu’il vient de publier deux nouveaux livres et qu’il débarque d’un séjour en Chine où il était convié à la sortie de la traduction de sa Conversation avec Rembrandt.

     « Vertigineux ! », s’exclame-t-il. «Voilà le mot qui m’est venu à l’esprit et que je me suis gardé de dire tout haut, durant ce voyage trop bref mais si dense et intense, où il m’a semblé vivre deux temps à la fois : celui de la Chine immémoriale et celui du géant qui se réveille la tête couverte de grues… »

     

    Le Temps, le Temps qui nous traverse et nous relie à nos origines, tout en marquant la borne ultime de notre fin : tel est le thème majeur qui court à travers tous les livres de François Debluë, d’un premier recueil intitulé Travail du Temps à son dernier ouvrage, De la mort prochaine, tout pétri d’une méditation sur la fuite et les traces du Temps, sublimée par la musique des mots.

    La musique est d’ailleurs une des autres constantes de la vie et des œuvres de François Debluë, fils d’un musicien d’orchestre et pour ainsi dire « né dans un violon ». Tôt initié à l’instrument, ensuite  emmené aux répétitions de l’Orchestre de Chambre de Lausanne où son père jouait, l’enfant aura compensé certain manque affectif, lié à l’indifférence puis à l’absence de la mère, par la musique et la rêverie. De la même façon, la lecture palliera ce « peu d’enfance » qu’il évoque avec une ombre dans le regard. « Les mots ont été, d’une certaine manière,  mes confidents », relève-t-il. Et dans les grandes largeurs puisque, à la prime adolescence, il se plonge dans La Guerre et la Paix de Tolstoï.

     « C’est tout un monde qui s’est alors ouvert à moi, avec cette terre russe qu’il me semblait fouler au milieu de personnages réels », se rappelle le prof de littérature, en précisant aussitôt : « Mais il y avait aussi Tintin et Mark Twain ! » Et sur les autres grandes figures qui l’ont accompagné en ses jeunes années : «Le Rousseau des Rêveries a beaucoup compté pour moi, et cela durant toute ma vie d’enseignant, de même que Dostoïevski, dont j’ai souvent parlé avec Georges Haldas des années plus tard».

     De Georges Haldas, mentor et ami sans pareil, rencontré en 1968 et resté le plus proche de ses pairs écrivains, avec Jean Vuilleumier, François Debluë apprit la mort à Vienne, à son retour de Chine où il dit avoir été réveillé, la veille, par un cauchemar prémonitoire. « C’est une page personnelle importante qui se tourne, et cette immense présence qu’il représentait laisse un grand vide, mais ses livres restent, sans compter tant et tant de souvenirs». 

    Or, s’il y a de la mélancolie chez François Debluë, comme en témoignent les pages magnifiques de De la mort prochaine, le poète d’Arlevin, sensible à la lumière du monde, voire dionysiaque dans sa poésie, très attentif à la vérité profonde des mythes constituant notre culture, est aussi un humoriste étrange et un peu fou, d’une originalité souvent inaperçue dans la tournure du personnage aimablement vaudois, homme de lettre patelin qu’on imagine en sages savates en son logis de Rivaz, ou devisant en quelque cercle littéraire.

    Enfin, un Debluë peut en cacher un autre, et nous ne parlons pas de son oncle Henri, autre mentor de sa jeunesse, mais de son double kafkaïen : du romancier singulier de Troubles fêtes, détournant une commémoration solennelle et creuse pour mieux sonder la mémoire collective, comme le bon génie d’Arlevin, avec l’aide des dieux lutins,  a défié le folklore éculé sur son propre terrain. Alors, méfiez-vous du sourire en coin de l’auteur de Fausses pistes, et tenez-le vous pour dit : « Ce que vous direz de lui sera toujours faux par cela même que c’est vous qui le direz »…

     

     François Debluë: « Les mots ont été, d’une certaine manière,  mes confidents »

     

  • Au colloque subtropical

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    BRAIN STORMING. - Cependant il nous restait, avec Max le Bantou, à réviser notre speech francophone commun du lendemain, dont nous venions de découvrir le pitch établi à notre insu et proposant "Le défi de la langue et du langage aujourd'hui; rapport avec la langue française et les langues partenaires"...

    Mais qui donc nous avait collé cette expression babélienne de "langues partenaires" et qu'aurions-nous diable à disserter à ce propos, s'inquiétait mon jeune Camerounais au bon sens éprouvé ?

    Que dalle! lui répondis-je tout de go: langue de coton de pontes universitaires et autres intervenants culturels ! Ils proposent et nous disposerons: nous parlerons de nos parlures et de nos façons à nous de lire et d'écrire, en nos  périphéries obscures, dans la langue de Rabelais et de Voltaire qui est celle aussi d'Aimé Césaire et d'Amadou Hampâté Bâ, de Ramuz et de Kourouma, où tous nous sommes propriétaires et colocataires à la fois, à grappiller de concert  à l'arbre aux mots pour en faire notre miel... 

     

    Lushi2.jpgPARK HOTEL. - Quoique détestant les palaces, et ceux des pays pauvres plus que les autres évidemment, je me suis trouvé presque à l'aise dans le Park Hôtel aux chambres immenses et aux vérandas suggérant autant de veillées coloniales. Et du coup je me suis rappelé tant d'ambiances de romans ou de films dont il ne reste ici que le décor surplombant, dans la nuit avancée, la rue aux ombres murmurantes. Derrière la moustiquaire, avant de lire encore un peu des Mathémathique congolaises de Jean Bofane, rencontré dès la première pause au Grand Parloir sous les dehors d'un svelte géant riant de toutes ses dents, j'ai regardé quelque temps les rues désertes de l'ancienne cité blanche et me suis rappelé le voyage de Gide et ses réquisitoires. Or nous étions bien loin, désormais, des indignations du grand sorcier protestant ! Près d'un siècle après son Retour du Congo, la parole était bel et bien, aujourd'hui, aux Africains, et j'étais là pour les écouter. Du moins est-ce avec reconnaissance que j'ai pensé au courage du cher bourgeois pédéraste accompagné du jeune Marc Allégret, aussi libre d'esprit que le furent plus tard un Céline ou un Simenon. À propos de Simenon, nous aurons soupé et sympathisé, ce soir, avec le très avenant Fabrice Sprimont qui aura contribué à l'organisation, au nom de la Communauté française de Belgique, de ce congrès resté longtemps bien improbable à mes yeux; et c'est grâce à lui, qui m'a rappelé Le blanc à lunettes, genre lettré d'aventure  frotté de douceur tchékohvienne et de surréalité belge, que nous en avons appris un peu plus sur les tenants et participants de cet étrange jamboree littéraire...         

     

                                                                                                 (Lubumbashi, ce 24 septembre 2012) 

    Maxou12.jpgCEUX QUI PARLENT. - Nous avions droit au prime time matinal des tables rondes arrangées en carré: c'était bien de l'honneur pour deux émissaires black'n'white de la Suisse qui, comme on sait, lave-plus-blanc.   Nous nous étions promis, avec Max le Bantou, de rester simples et vrais autant que faire se pouvait: je parlerais des transits féconds entre gens aux parlers variés, Max dirait à sa façon comment il vit la multilangue française entre Douala et le quartier des dames à vendre à Geneva International; déjà les micros grésillaient et tourniquaient les caméras aux épaules; bref la journée était lancée mais je ne sais pourquoi, à ce moment-là, le souvenir de mai 68 dans les couloirs de la Sorbonne m'est revenu: je revoyais ces parias de la banlieue parisienne débarqués aux barricades et qu'on appelait alors, je ne sais pourquoi, les Katangais; il y avait de ça plus de quarante ans: autant d'années que celles qui me séparaient des vingt-cinq ans de mon compère le Camer...

     

    CELLES QUI OEUVRENT. - Elles n'en finissent pas de nous ramener sur terre, nos mères et nos frangines, nos amantes et nos amies: nous avons le miel et le fiel des mots aux lèvres, mais malgré leur romantisme invétéré elles n'en finissent pas de nous rappeler le sel et le sol de la vie, et là je les voyais une fois de plus couper court au choeur des "y a qu'à" et des "il faut".

    Nous écoutions donc Bestine et Ana, qui oeuvrent en terres d'Afrique, et Dominique venue de Liège, et je me disais que sans elles rien ne se ferait qui doit se faire à partir de rien, avant même que rien d'institué ne se fasse. Car c'était de cela qu'il s'agissait bel et bien: combien de librairies en ces lieux, quelle politique du livre et de la culture au Katanga, dans l'entier Congo et dans le continent, quel appui aux écrivains et aux indispensables passeurs ? Or il me semblait n'entendre, au fil des débats, que les mots de miel et de fiel de ces messieurs-là...   

     

    Kourouma.jpgAhmadou Kourouma: « Partout où qu'elle soit dans le monde, une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, la frappe et la menace. Elle a toujours tort. C’est ça qu’on appelle les droits de la femme.  »

     

     

     (Extrait d'un livre en chantier)

     

  • Milou au Congo

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    Celui qui te souhaite de profiter de l’Afrique comme on dirait à un Africain de profiter de la Suisse et, spécialement, de sa pâte à tartiner Le Parfait, etc.

     

    NOS ANGES GARDIENS. - J'avais rêvé que la nuit d'Afrique à gueule de crocodile m'avalait, comme Milou en est menacé dans Tintin au Congo, puis le sourire de ma bonne amie a éclairé mon réveil, j'ai bouclé mes valises, nous nous sommes quittés devant  la gare de Montreux le coeur un peu serré, elle m'a dit de penser à elle et j'ai souri en me disant que nos anges gardiens puisent en nous leur propre force - et déjà j'avais les tripes et le coeur en Afrique avant d'y mettre le premier pied, me replongeant, en train, dans la lecture entreprise la veille des Mathématiques congolaises de Jean Bofane; le tendre paysage de La Côte défilait aux fenêtres et je me trouvais entraîné dans la gabegie de Kinshasa, je voyais passer les villas de nababs du bord du lac et je lisais la scène atroce du gosse massacré par le sergent-chef Personne chargé de driller  les enfants-soldats; enfin je débarquai à Geneva Airport et retrouvai mon compère Max le Bantou avec lequel je me trouvais investi de la "haute mission", c'était marqué sur notre feuille de route, de représenter  la Confédération au Congrès des écrivains francophones à Lubumbashi - et Max me disait que son ange gardien à lui, sa mère à Douala, lui avait recommandé tout à l'heure,  au téléphone, de ne pas oublier d'emporter là-bas "La Parole"...                              

                                                                                   (Dans l'avion de Rome, ce 23 septembre 2012)

     

    DU CHAORDRE. - Tout de suite, touchant terre dans la touffeur de Lubumbashi, anciennement Elisabethville en son avatar colonial, m'a ravi le chaos organisé de cette Afrique-là.  Ah mais nos bagages étaient-ils arrivés, se trouvaient-ils dans l'entassement pyramidal jouxtant le tapis roulant ne roulant plus depuis longtemps, n'y avait-il pas de quoi s'inquiéter ? Mais non:   car dix, vingt, trente lascars aux gilets marqués de l'enseigne KATANGA EXPRESS nous pressaient de leur confier la recherche de nos précieux bagages moyennant quelque monnaie, et voilà que surgissait, rayonnant du plus alerte sourire d'accueil, le bien nommé  Chef du Protocole chargé de notre accueil solennel... 

    Lushi1.jpgLE CAFARD. - L'hymne solennel de la francophonie avait  déjà marqué l'ouverture du Congrès de Lubumbashi mais nous avions manqué ça et roulions maintenant à tombeau entr'ouvert dans le 4x4 noir corbillard du Chef du Protocole à faciès de fossoyeur  hilare.

    Nous étions tombés du ciel des songes dans la réalité cauchemaresque de la route congolaise où le spectre de l'Accident se trouvait déjoué à tout coup par le chauffeur entre déboîtements slalomés et déhanchements zigzaguants, mais curieusement je n'éprouvai aucune anxiété, tout à l'observation des visions  quasi surréelles qui se déroulaient le long des chaussées aux boutiques chamarrées et aux impayables enseignes; et partout des gens à vaquer, de bizarres arbres perchés sur des buttes, des femmes portant de hauts paniers en ondulant noblement, la ville s'annonçant dans les herbes, des terrains vagues et des friches - et voici que fièrement notre guide protocolaire  nous signalait les bâtisses de l'Administration Académique avant de bifurquer dans une zone défoncée entourée de bâtiments décatis aux diverses inscriptions de facultés - ainsi notre délégation suisse de deux pelés se pointait-elle au seuil du Grand Parloir où, tout soudain, une présence intruse se signalait dans ma chevelure encore mal démêlée de notre récent vol de nuit; et Max le Bantou  de chasser l'importun d'une chiquenaude élégante: bah, mais ce n'est qu'un cafard qui te souhaite la bienvenue ! 

     

    L'AREOPAGE . - Ensuite plus beaux, plus lustrés, plus étincelants dans leurs costars à rayures  et leurs chaussures à reflets, plus dignes et plus fringants que les magisters universitaires africains: jamais je n'avais vu jusque-là, et jamais mêlée, surtout, à tant de théâtrale apparence, tant de débonnaireté; puis les écrivains nous accueillaient eux aussi tout sourires, plus décontractés en leur apparat, dont  j'identifiai quelques-uns rencontrés, entre Paris ou Saint-Malo, dans l'autre Afrique essaimée, d'un Sami Tchak l'autre...

     

    Lushi5.jpgVOLEURS ET VIOLEURS. -  De nos premiers débats de francophones aux multiples provenances se dégagea, dès ce premier après-midi au Grand Parloir, le thème délicat assurément du vol de la langue et du viol de celle-ci. Les avis étaient partagés, contrastés, aiguisés par la présence de quelques dames se tenant les côtes.

    Tel estimait que son usage de la langue française relevait d'un indéniable vol, et qu'il en ressentait quelque gêne, tandis que tel autre affirmait que les langues africaines  pouvaient se prévaloir d'une antériorité  remontant au siècle d'Hérodote ou à de plus haute sources encore dont le français ne faisait que découler; et la question du droit de cuissage exercé par l'écrivain fut également l'objet d'un volubile échange tandis que l'orage y allait de ses arguments grondants.

    Or le premier jour des travaux tirait à sa fin. Le vent et la pluie à larges gouttes nous circonviendraient bientôt. Je n'en finissais pas pour ma part, déjà, de m'enchanter d'un peu tout. Nous filions enfin le long d'une route aux boues ocres éclaboussée par les sacs de pluie crevant dans les nuées. Nous nous trouvions comme dans un rêve éveillé sur une chaussée élastique bordée de campements à feux couverts. L'on voyait des silhouettes bouger entre vapeur et fumée. C'était l'Afrique tout cela, me disais-je, mais comment le dire en français ?       

          

     (Extrait d'un livre en chantier)

     

  • Ceux qui sont du clan

     

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    Celui qui sait que la couleur est dans le nom de Bolano / Celle qui porte l’eau douce au front / Ceux qui recensent les vagues / Celui qui pratique l’apnée lunaire / Celle qui savoure l’immanence à mi-pente / Ceux qui descendent dans le rêve par paliers / Celui dont l’épaule tiède accueille les chastes songeuses / Celle qui le fait avec les plongeurs glabres / Ceux qui parfument les rivages / Celui qui a la garde des flacons subtils / Celle qui se croit en odeur de sainteté nonobstant le décret du Vatican / Ceux qui fréquentent l’Hôtel Moderne avec des gestes anciens / Celui qui observe le serveur gracile à la cafète de la Maison de Repos / Celle qui le fait avec des Brésiliens illettrés mais moralement élégants / Ceux qui militent contre la réticence / Celui qui est non seulement contre mais tout contre / Celle qui dort un long temps au pied du morbier / Celui qui revisite la métairie de l’Oiseau / Celle que contrarient les appariteurs zoomorphes / Ceux qui stressent entre les dédaigneux / Celui qui sait pourquoi le poisson ne pense point mais réfléchit mieux la lumière que la moule maussade / Celle qui hume l’odeur de sodium des berges irradiées / Ceux qui ne pensent pas mais sentent fort / Celui que dirige la luminescence de la centenaire engloutie / Celle qui canne les chaises percées / Ceux qui en reviennent au siège curule genre Poséidon / Celui qui hante le bar sous la mer tenu par ce cher Roberto / Celle qui se conforme aux préceptes de la vie au fond des mares / Ceux qui se la jouent vingt mille lieues sous les moires / Celui qui n’a jamais confondu la généalogie du rabbi Iéshoua et celle de Gargantua / Celle qui récuse son ascendance darwinienne côté sangsues / Ceux qui ont survécu en s’entre-dévorant / Celui qui marque une pause dans le déroulé temporel de la Sélection / Celle qui se nourrit de regrets au point que son teint s’en ressent / Ceux qui assument leur profil siluriforme / Celui qui vit sa destinée d’enfant sirénomèle même pas sûr d’être sauvé par le Dieu méchant / Celle dont personne ne sait ce qu’elle pense de son enfant à branchies de requin / Ceux qui dissertent sur l’identité sexuelle de l’androgyne velu à trois fentes / Celui que sa vocation de pianiste de concert a conduit des favellas aux suites royales qu’il supporte à renfort de Prozac / Celle qui s’exhibe dans les débats philosophiques où l’on conclut toujours sur une note d’espoir / Ceux qui lèvent leur pouce sur Facebook quand on leur balance une photo de jonquille ou un cookie sympa, etc.