On rit beaucoup, mais on finit au bord des larmes à la vision de La parade du réalisateur serbe Srdjan Dragojevic
Comédie grinçante réalisée à Belgrade sur fond de manifestations homophobes d'une violence extrême, à la fois dur et tendre, souvent hilarant et tout à fait sérieux dans son propos, ce film m'a rappelé la recommandation que Bertolt Brecht fit au poète algérien Kateb Yacine après que celui-ci lui eut demandé comment parler de son pays déchiré par la guerre: "Ecris une comédie !".
Rien apparemment de "brechtien", pour autant, dans cette comédie ne craignant pas le kitsch burlesque et la dérision, genre Deschiens à la balkanique, rassemblant une brochette de personnage inénarrables dans un décor qui, à tout moment, sous le toc et le kitsch nouveaux riches nous rappelle de terribles souvenirs.
La première séquence détaille ainsi, sur le corps nu du formidable Lemon, alias Mickey, ancien chef de guerre tchetnik recyclé roi des gangsters de Belgrade, que voici en train de prendre sa douche, son curriculum vitae sous forme de tatouages évoquant autant de combats et autres menées sanglantes. Mais c'est de son chien chéri, sorte de gros tas blanc et jaune à redoutables crocs, que le sang va jaillir tout soudain, flingué sous ses yeux mais pas tout à fait mort, et bientôt sauvé de justesse par un vétérinaire tout doux et bien enveloppé, Radmilo de son prénom et vivant en couple avec un beau designer du nom de Mirko qui, lui, ressemble un poil à Noureev.
Or le croisement de ces deux trajectoires va se prolonger car la fiancée de l'ex-chef de guerre, spectaculaire créature en train de leur préparer un mariage pour le moins hollywoodien, recourt précisément au designer Mirko pour lui arranger tout ça. Lequel Mirko, gay militant, cherche à relancer une Gay Pride à la mesure de son rêve de dignité, supposant une protection qui évite à la manifestation les violences inouïes de l'édition précédente. Passons sur les détails: ce qui compte est que Mickey, alias Lemon le dur, proprio d'un important centre d'arts martiaux, homophobe jusques aux moelles, est sommé par sa fiancée d'assurer la protection de la prochaine Gay Pride de Belgrade que la police locale n'entend pas assumer. Sur le thème modulé des Sept mercenaires, après avoir vainement tenté de rallier ses potes des gangs locaux, Mickey Lemon va s'embarquer, dans la Mini rose de Radmilo le véto, à destinaton de Croatie, de Bosnie et du Kosovo, pour tâcher d'en ramener les durs de durs qui sont devenus inséparables à force de se tirer dessus. Inutile de préciser que, si vous connaissez un peu l'histoire de l'horrible guerre qui suivit l'éclatement de la Yougoslavie, les traits satiriques renvoyant à des faits tragiques ne laissent d'accuser le trait grinçant. Les compatriotes de Dragojoevic apprécieront sans doute, ou détesteront, bien plus que le public occidental, même si l'essentiel reste explicite. Une séquence symbolique est particulièrement savoureuse, malgré son relent amer: lorsque les mercenaires serbe, croate et bosniaque, débarquent dans le village à minarets où le chef de guerre albanophone local, rappelant l'aigle avec lequel il trafique de l'héroïne, les accueille à bras ouverts, à l'instant même où passe un char américain. Alors lui de glisser la came par une meurtrière du blindé, d'où ue invisible mains lui file une liasse de dollars qu'il s'empresse de distribuer aux enfants du village...
Autant dire que La Parade ne se borne pas à la préparation de la Gay Pride, même si l'on y arrive finalement, dans un déchaînement de violence inouïe qui se solde par la mort d'un homme. Au passage, une séquence montre le chef de la police participant à un combat de chiens se déchiquetant à mort, dont les hurlements des participants se fondent aux vociférations démentielles des jeunes extrémistes déferlant sur le centre ville pour casser du pédé, encouragés par les ennemis, politiciens ou prêtres, de la pourriture occidentale...
On sort de La Parade sonné, car la fin du film combine habilement les séquences stylisées de la manif, réunissant une poignée de militants entourés des mercenaires fameux, contre une horde sauvage d'excités, et les images réelles des manifestations qui eurent lieu à Belgrade, auxquelles s'ajoutent les éléments d'information non moins accablants. Ainsi la satire parfois énhaurme, aux trouvailles comiques percutantes, loin de diluer le propos lié à la défense des droits de tous, l'accentue au contraire en l'inscrivant dans un contexte général de gabegie, de violence sociale et de lendemains qui déchantent. Le discours final de Mirko, au premier rang de ceux qui vont se faire tabasser, dépasse de loin la seule cause des homos pour invoquer une nouvelle fraternité à venir dans ce pays déchiré qui se cherche des boucs émissaire. Sans être du grand cinéma, La Parade a lemérite de traiter de front une question aujourd'hui centrale, avec des personnages certes outrés mais servis par des acteurs "monstrueux" à souhait et sympathiques en diable. Et puis on rit. Et puis on pleure. Enfin il y a de quoi réfléchir autant que de se tenir prêt à réagir...