Den muso - La fille, de Souleymane Cissé. Mon film de Nouvel An. Comparé au premier roman de C. F. Ramuz, Aline. Une minute de silence a marqué, l'été dernier au Festival de Locarno, le passage du grand cinéaste malien Souleymane Cissé, qui demandait au public d'accorder une pensée solidaire à son peuple en butte à d'insensées violences. Or c'est à d'autres violences, faites aujourd'hui aux femmes, non seulement en Tunisie et en Inde, mais un peu partout dans le monde, qu'on pense en (re)voyant le film à la fois sobre, émouvant et percutant que Souleymane Cissé a consacré au sort tragique d'une jeune muette dans son film intitulé Den muso - La fille, tourné en 1975, douze ans avant Yeleen qui lui valut le Prix du Jury au festival de Cannes 1987. Entièrement dialogué en langue bambara, sans un acteur blanc au casting, ce premier long métrage de Cissé m'apparaît aujourd'hui comme le pendant africain d'Aline, premier roman de C.F. Ramuz paru en 1905. Les deux histoires évoquent en effet l'amour d'une jeune fille pour un garçon qui en abuse et l'engrosse avant de la laisser tomber, la poussant au suicide. Si Aline est plus jeunette et seulette que Ténin, celle-ci est muette à la suite d'une méningite qui l'a frappée en son enfance. Fille d'une paysanne veuve et nécessiteuse, Aline se fera rejeter par son Julien fils de notable. Tandis que Ténin, fille de directeur d'usine parvenu, macho et psychorigide, se fait draguer par un jeune Sékou voyou désoeuvré (il s'est fait virer par le père de Ténin), qui la force sur une plage avant de courir ailleurs. Se retrouver fille-mère en terre protestante à nuance puritaine, au début du XXe siècle, ou au Mali musulman des années 70, signifie un désarroi comparable à certains égards pour celle qui a "fauté", mais Ramuz accentue la solitude surtout morale d'Aline, lourdement culpabilisée par sa mère Henriette qui n'est pas la vraie responsable du suicide de sa fille, désespérée par la trahison de Julien. Or le même sentiment d'être trahie par Sékou pousse Ténin à se venger, mais ce ne sera qu'après avoir été chassée de la maison par son père fou de rage de se voir déshonoré. Par comparaison, l'on remarquera l'isolement social d'Aline et de la vieille Henriette, dans le roman de Ramuz, contrastant avec l'entourage de Ténin bien plus présent, chaleureux et divisé. Lorsque son père communique, à ses frères, sa décision de chasser Ténin de chez lui en les enjoignant de ne pas l'accueillir sous peine de se brouiller avec lui, lesdits frères, comme son père d'ailleurs, lui reprochent son orgueil et sa dureté sans parvenir à le fléchir. Quant au rôle de la mère de Ténin, belle femme fière que son mari rudoie en lui reprochant ses fugues probablement adultères, le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne défend guère sa fille à laquelle jamais elle n'a manifesté la moindre tendresse. On sent pourtant que Ténin pourrait survivre dans le quartier convivial de son grand-père, mais son amour trahi la pousse finalement à mettre le feu à la case dans laquelle elle surprend le père de son futur enfant en train d'en baiser une autre - et la mort qu'elle se donne la rapproche ainsi d'Aline. Merveille de concision narrative et de poésie, le premier roman de Ramuz reste un joyau de la littérature suisse romande marqué au sceau du tragique. Quant au premier long métrage de Souleymane Cissé, qui n'atteint pas encore le niveau de Yeleen, il en impose autant par la haute qualité de sa réalisation et de son interprétation que par une approche fine et très nuancée d'un microcosme de la société malienne ou nouveaux riches et gens ordinaires se côtoient en dépit de toute comédie sociale. Pas plus que Ramuz, Souleymane Cissé ne simplifie le drame vécu par sa jeune protagoniste, mais dans les deux cas on est frappé par la détresse des protagonistes, aussi sincèrement amoureuse l'une que l'autre, et la lâcheté, le cynisme abject de leurs sales mecs. C.F. Ramuz. Aline. L'Âge d'Homme, Poche Suisse. Souleymane Cissé. Den muso -La fille. DVD Trigon Film, 2009. Le film est également disponible dans un coffret réunissant quatre films du réalisateur malien.
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Ceux qui font avec
Celui qui écrit sur une nouvelle page blanche du livre noir / Celle qui fait regonfler les pneus de sa chaise roulante au seuil de l'an neuf dont l'horizon a l'air dégagé mais elle demande à voir / Ceux qui ont un coeur de rechange pour au cas où / Celui qui ne fera plus jamais le Cervin qu'à l'huile d'oeillette ou à l'eau sans mettre de celle-ci dans son vin ça c'est garanti / Celle qui ne peint plus que d'une main vu que l'autre est tendue au service d'Emmaüs à la satisfaction posthume de l'Abbé Pierre qui aimait bien comme on sait la peinture figurative genre Van Gogh première manière / Ceux qui peignent le Diable sur la muraille avant de la dynamiter / Celui qui est resté assez religieux mais à l'écart de toute église / Celle qui est restée lumineuse au dam de sa famille obscurantiste soumise à un Dieu méchant / Ceux qui n'ont pas souscrit au militantisme universaliste meurtrier qui a marqué la Nouvelle Eglise de l'Homme, des Jacobins aux Gardes rouges / Celui qui veille au fil de l'épée de sa mémoire / Celle qui ne laissera pas Miss 2013 se faire humilier qu'elle soit Indienne ou Tunisienne / Ceux qui vomissent toute forme de fanatisme y compris celle de l'Eglise universelle de l'indifférence / Celui qui a léché le cul des bourreaux maoïstes et continue de flatter leurs fils crypto-capitalistes évidemment meilleurs en affaires / Celle qui a chez elle la collection complète de la Fackel de Karl Kraus / Ceux qui ne se flingueront pas en 2013 vu qu'il y a 2000 ans qu'ils militent contre le port d'arme personnelle même en Arizona / Celui qui spécule sur une relance du marché religieux en Chine post-communiste / Celle qui constate qu'avec le succès se développe l'entropie et conseille donc à son neveu le jeune écrivain-dont-on-parle de se méfier de sa baraka sans trop se la jouer rabat-joie / Ceux qui restent lucides en dépit de leur optimisme naturel / Celui qui observe la naissance d'un néo-christianisme américain fondé sur l'individualisme narcissique et la gestion machiavélique des biens de la Nation déclarés marchandises divines / Celle qui taxe d'hystérie la folie prosélyte de son cousin évangéliste au nom prédestiné de Dieudonné Failebien / Ceux qui lisent Dostoïevski pour en savoir plus sur l'hystérie latente de l'Amour soumis à la guerre des sexes ou du Pouvoir soumis à l'hybris des nations / Celui qui récuse tout militantisme sacré / Celle qui supporte de moins en moins le drill physico-psychique de la prière obligatoire / Ceux qui feront avec ceux qui font sans moi, etc. (Liste jetée sur la pénultième page de l'éphéméride de l'an 2012 suivant la naissance présumée du Palestinien Iéshouah dont l'âme est toujours SDF disent certains (et j'en suis) tandis que l'établissement de nouvelles colonies sur terre d'Israël va bon train)
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Ceux qui se la jouent win-win
Celui qui est né pour gagner / Celle qui ne t'a pas programmé dans son plan de carrière / Ceux qui réussissent même quand ils ratent leur train comme ils le disent à Venise où les voici plantés / Celui qui maximise le potentiel violent de son pitbull Adolf dit aussi Dolfi par son amie blonde / Celle qui ne pense qu'à terrasser le chef de rayon sur le balcon / Ceux qui ont conquis la moitié du trottoir en 2012 et finiront le job en 2013 / Celui qui sommeille droit dans ses bottes / Celle qui savoure la victoire de Samothrace /Ceux qui traitent la mite de Sisyphe au Fly Tox / Celui qui apprend à son Rottweiler à pisser à droite sur les fourmis gauchistes / Celle qui grimpe sur l'échelle des espèces / Ceux qui sont parvenus sans être jamais satisfaits ni rembourrés / Celui qui monte sur la pute sans voir Monmartre / Celle qui descend à Tulle pour se remonter le moral / Ceux qui ont un mental à crémaillère / Celui qui marche sur les têtes pour mieux botter les culs / Celle qui pète plus haut que son string à faux diamants incrustés genre Paris Hilton sur le déclin /Ceux qui voulaient se faire Vegas-Paris en une nuit mais ont fini par boire la tasse / Celui qui a une bombe H dans le boxer mais a perdu le code / Celle qui l'a tellement voulu qu'elle s'est retrouvée au pouvoir avec un cigare quelque part / Ceux qui l'ont dans l'os sans avoir mangé leur pain perdu ce qui prouve que le Boss l'est pas rosse / Celui qui a tout misé sur son fils qui finit hélas gravement assassiné dans une remise / Celle qui se met à son compte pour ruiner ses maris / Ceux qui reprendront le bus en 2013 vu qu'ils apprécient la philosophie dans le couloir, etc.
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Les gamins russes
Notes de l'isba (29) Ivan le rebelle. - La première grande conversation rapprochant Ivan Karamazov, le plus ou moins athée, et son frère Aliocha, de cinq ans son cadet, évoque la passion des "gamins russes" pour les grandes questions philosophiques et politiques de l'époque, liées au sens de la vie et aux changements nécessités par l'état social russe. Ivan se voudrait au-dessus du commun, où il sait qu'Aliocha peut le rejoindre "droit dans ses bottes". Et de fait, son benjamin, plus chrétien que lui mais nullement borné, est à même de l'écouter et de comprendre sa diatribe de révolté contre un Dieu permettant la souffrance des enfants, et contre ces Russes prétendus croyants qui martyrisent leurs gosses. Même s'il est un peu effrayé par la rébellion de son frère, Aliocha partage son indignation tout en invoquant la figure compatissante et consolatrice du Christ. Or, cette évocation de l'innocence enfantine ne contredit en rien mon propre sentiment que, très tôt, ses premières blessures, ou ses premiers désirs, peuvent arracher l'enfant à cet état de candeur présumée et le rendre à son tour méchant ou cruel, "limite pervers", par mimétisme ou réflexe de défense, comme on le voit très bien dans le film Jagten de Thomas Vinterberg, entre autres nombreux exemples. Scandales et belles paroles - La révolte d'Ivan Karamazov contre un Créateur incessamment loué par les Psaumes et les Hymnes et les Félicitations reconnaissantes, alors que sa Création accuse des défauts indignes de l'artisan le plus foutraque, se retrouve chez l'essayiste américaine Annie Dillard, catholique hautement paradoxale qui détaille, dans la formidable suite d'observations d'Au présent, les raisons de cracher à la gueule d'un Dieu autorisant les malformations de naissance des enfants dits nains à têtes d'oiseau, entre autres monstres atteints du syndrome de Hurler que le Talmud salue par la bénédiction: "Béni sois-tu ô Seigneur qui crée des êtres dissemblables!" L'adoration d'un petit Jésus à deux têtes est-elle envisageable ? On demande à voir. Comme on demande à voir un religieux qui dise réellement ce qu'il ressent à la mère de cet enfant-là... Par tous les bouts. - Mais les religieux ont bon dos. Il est vrai qu'ils se posent en spécialistes, mais pas tous. Un Drewerman a péché par facilité en les classant tous "fonctionnaires de Dieu". Il faut absolument lire, ces jours, un essai de l'étrange philosophe Peter Sloterdijk, intitulé La Folie de Dieu et scrutant l'aval de tout ça, où religion et civilisation pourraient recommencer à rimer. On en est évidemment loin mais Sloterdijk montre bien que l'alternative n'est pas où l'on croit qu'elle est, entre croyance et incroyance, mais entre impatience et connaissance: volonté de tout fracasser pour complaire au Surpuissant, fantasme errant de la divinité mastoc qui écrase, et patiente écoute d'une autre voix indiquant une autre voie...
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Ceux qui détonent
Celui qui libère deux places en se levant dans l'autobus / Celle qui se peint les ongles à la laque de carosse noire / Ceux qui portent des luettes de bois au goûter des voyeurs / Celui qui ne croit qu'à ce qu'il boit / Cellequi réclame des preuves de ton amour qu'elle puisse déposer à sa banque / Ceux qui jouent au bugle sur la terrasse ventée / Celui qui enfreint le dressing code en se présentant nu à son enterrement /Celle dont le caraco vert Véronèse jure avec sa tenue de veuve éplorée / Ceux qui donnent le ton au club de karaoké que réprouve le public bantou pour son tour olé olé / Celui qui a toujours eu l'air d'un colonbelge quoiqu'il en eût /Celle qui chope un coup de froid dansla chapelle ardente/ Ceux qui n'ont de cesse d'imiter le grand nombre en se proclamant uniques au monde /Celui qui entonne un cantique protestant au dam de ses confrères Hell'sAngels / Celle qui pose un emplâtre sur ta jambe de bois et t'offre un yukulele pour la bercer / Ceux qui ont une opinon de rechange au cas où leurs pneus crèveraient / Celui qui remonte le moral de sa soeur par sa face ensoleillée / Celle qui agace un peu ses collègues du McDo avec ses façons de revisiter l'ontologie conceptuelle niveau chicken nuggets / Ceux qui froncent le sourcil en levant le petit doigt qui sait tout / Celui qui se passe des rires enregistrés quand il se rase /Celle qui a tâté du gang bang avant de revenir au point de croix / Ceux qui déconnent sans détoner / Celui qui pense et donc suit l'exemple du sergent Descartes qu'on dit un as de la boussole / Celle qui a passé Noël dans un placard au motif qu'elle avait agacé ses neveux rockers tolérants mais sans plus / Ceux qui n'admettent que les contradicteurs qui pensent comme eux / Celui qui éventre son piano en quête de l'esprit de Beethoven / Celle qui rompt le pacte de non-agression avec sa voisine corbeau à langue de vipère et bave de crapaud / Ceux qui se promettent d'être meilleurs en 2013 qu'en 2012 en rappelant à leurs amis de Facebook que l'homme est perfectible et d'autant plus que la femme suit avec la trousse de secours, etc.
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Pensées d'hiver
Notes de l'isba (16)
De l'infinie Personne. - J'use du nom de Dieu par commodité, au risque de ne pas être compris. Cela m'est égal. C'est parfois dans l'esprit de Goethe ou de Voltaire que je pense Dieu, et d'aucuns me taxent alors de déiste ou de théosophe, mais déjà je leur ai échappé en pensant au Dieu de ma mère ou de mes aïeules Agathe et Louise, ou de Pascal ou de Montaigne. Du coup certains me reprocheront de tout mélanger en fourrant Montaigne et Pascal dans le même sac, mais déjà je me retrouve dans l'esprit philosophique du juif russe Chestov ou de la juive française Simone Weil campant tous deux sur le parvis de l'église, auxquels j'associe naturellement les cathos américaines Flannery O'Connor et Annie Dillard, le catholique royaliste Gustave Thibon et le catholique mimétiste René Girard. Telle étant ma façon de toupiller dans l'esprit de cette Personne infinie que je reconnais sous le nom de Dieu.
Du travail. - Héraclite écrivait à peu près que la parole (l'intelligence du monde) qui s'augmente elle-même est le propre de l'homme, et tel aussi le propre d'une forme de travail qu'on ne peut plus interromprr quand on en a goûté le plaisir et l'inérêt. Or ce qui me passionne réellement découle de la métamorphose, après l'avoir produite. Ainsi tout faire pour que le connaître aboutisse au faire, et vice versa. Car faire donne un Sens à l'exercice des sens, le travail devenant orchestration sensible qui transforme ce qui disparaît en ce qui continue.
De l'inattention. - Le manque d'attention fait qu'on se détache des gens, tout simplement comme ça, faute d'amour ou faute de simples égards, faute d'intérêt ou faute de présence. Comme il n'y a plus personne on s'en va...
Amor sui. - On s'exaspère à la longue de subir sans cesse cet obsédant regard de chien répétant à l'envi son "et moi ?". Et bien pire: que cet "et moi ?" de chien devienne le fait de chacun, qui refuse au monde tout autre intérêt que son pauvre soi, alors que seul le monde est intéressant au contraire de cet "et moi ?" qu'on a tous en soi...
Images: l'isba d'été en hiver...
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Ceux qui relativisent
Celui qui se rappelle que la notion d'absolu est fort variable selon les siècles, les localités et les vacations singulières de chacun (du postier diligent, de la lingère accorte, du métaphysicien besicleux ou de la diva sourcilleuse) et plus encore selon les langues dans lesquelles le concept n'est parfois que suggéré par idéogramme ou parfois au contraire affirmé à la massue argumentative, ou psalmodié dans les fumeroles cultuelles - ou carrément absent si ça se trouve et ça se trouve / Celle qui affirme en tirant sur sa Vogue menthol que tout a toujours été comme ça et qu'il n'y a donc pas à s'étonner poil au nez / Ceux que le seul esprit de relativisme insupporte même s'ils le ressentent relativement à une idéologie absolutiste relativement obsolète au jour d'aujourd'hui où la Chine nombreuse et l'Inde en mouvement induisent une nouvelle acception de la relativité anthropologique / Celui qui vitupère tout ce qui aplatit et affadit / Celle qui se vexe de cela que ses cousines puritaines de Carinthie ramènent ses évocations d'extases sexuelles (le beau Mario) à de petites secousses / Ceux qui ne supportent aucun enthousiasme relatif à des expériences qui leur échappent genre saut à l'élastique avec Bashung ou tonnerre d'applaudissmeents à la Scala quand ta maîtresse italienne soprano colorature réussit son contre-ut / Celui qui proclame qu'il s'est comporté en trou du cul absolu au dam du pointilleux Marcello qui le ramène doucement au rang de moniteur d'auto-école juste un peu chiant / Celle qui s'entend à minimiser les exploits sexuels de Rocco Siffredi qui se vantait hier encore sur le téléski de Cortina d'Ampezzo / Ceux qui relativisent leurs prouesses au Trivial Pursuit en attendant qu'on les démente /Celui qui serait un Nobel de physique en puissance s'il achevait enfin sa révision de la théorie des cordes au lieu de céder à son penchant pour l'Akvavit / Celle qu'on dit relativement imbuvable en hésitant cependant / Ceux qui affirment au total une conviction relativement absolue quelque part - on peut dire ça comme ça, etc. -
Mémoire de Noël
A La Désirade, ce 24 décembre 2012. – Je suis retombé ce matin sur ces notes d’il y a plus de trente ans, de mes carnets de l’époque : La maison de mon enfance avait une bouche, des yeux, un chapeau. En hiver, quand elle se les gelait, elle en fumait une. °°° Noël en famille, ce sera toujours pour moi le retour à la maison chrétienne de mes parents. Au coeur de la nuit, c'est le foyer dont la douce chaleur rayonne dès qu'on a passé la porte. Puis c'est l'odeur du sapin qui nous évoque tant d'autres veillées, et nous nous retrouvons là comme hors du temps. Chacun se sent tout bienveillant. Nous chantons les hymnes de la promesse immémoriale. Nous nous disons sous cape: c'est entendu, nous serons meilleurs, enfin nous ferons notre possible. Nos pensées s'élèvent plus sereines et comme parfumées; et nous aimerions nous dire quelque chose, mais nous nous taisons. (25 décembre 1974) °°° C'étaient de vieilles cartes postales dans un grenier. Des mains inconnues les avaient écrites. L'une d'entre elles disait: “Je ne vous oublie pas”. °°° Or voici qu’hier, dans la maison de notre enfance, tant d’années après la mort de nos parents, les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits enfants de ceux-là ont perpétué à leur façon le rite ancien, quitte à esquinter la moindre les sempiternels chants de Noël. Si la ferveur candide et la stricte observance des formes n’y est plus, l’esprit demeure et j’ai été touché par la joie commune retrouvée autour du dernier tout petit, les yeux bien brillants comme les nôtres à son âge et comme ceux hier de notre vénérable arrière-grand-tante, bonnement aux anges. Il y a de plus en plus de gens, dans nos sociétés d’abondance inégalitaire, que la période des fêtes pousse à la déprime. Tel n’a pas été notre cas, si j’excepte pour ma part quelques années noires. Mais Noël reste le moment privilégié de ces retrouvailles et de ces signes – de ce reste de chaleur dans le froid du monde. Or je tiens à la faire rayonner, cette calorie bonne, en ce Noël selon nos dates. °°° Donc : Joyeux Noël à toutes et à tous qui passez et laissez ici, de loin en loin, un prénom, un sourire ou un pied de nez. Joyeuses fêtes et très belle et bonne année 2013, avec tous les Bonus possibles
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Ceux qui fêtent Noël
Celui qui aime l'odeur du sapin et des bougies et adresse ses bons voeux à toutes ses amies et tous ses amis-pour-la-vie de Facebook / Celle qui a conservé précieusement les santons de Colette Massard / Ceux qui ont fait la crèche dans un coin du squat / Celui qui apprécie le côté rituel des rites / Celle qui récuse toute sanctification du dominant et préfère donc le couple âne et boeuf honorés par les rois du monde / Ceux qui trouvent du charme au bricolage mythique de la Nativité tout de même plus avenant que le culte de Mithra / Celui qui reçoit chaque année un pyjama de pilou de sa mère-grand et s'en réjouit / Celle qui se défie de la méchanceté des Gentils et s'en remet ce soir à Dolly Parton déguisée en Santa Claus / Ceux qui visionnent Le Père Noël est une ordure pour manifester clairement qu'ils ne sont pas dupes ah ça c'est sûr / Celui qui a toujours aimé fêter Noël en famille à la maison ou au squat ou au front ou hors-saison / Celle qui a fait un berger à la Noël de la paroisse des Bleuets où son Ken Barbie a fait Jésus / Ceux qu'insupporte cette mise en scène paupériste de la naissance biologique d'un dieu semi-humain clairement voué à l'insolvabilité voire à la cloche / Celui qui nie l'historicité du massacre des innocents survenu cette même nuit mais que les croyants occultent volontiers eux aussi pour des raisons de confort moral / Celle qui collectionne les repros de Nativités picturales dont certaines appartiennent à des musées reconnus / Ceux qui affectionnent les Noëls latinos / Celui qui prétend que le récit des rois mages est empruntée à la tradition perse sinon aux Mille et une nuit / Celle qui trouve son bambin de sept mois aussi flippant que l'enfant-là sinon plus / Ceux qui vomissent le père Noël au motif que sa fonctionnalité marchande contrevient au pur idéal chrétien tout à fait désintéressé n'est-il pas ? / Celui qui ne souscrit même plus au persiflage de Scutenaire affirmant que l'existence des croyants prouve l'inexistence de Dieu vu que plus rien n'est à prouver dans ces eaux-là / Celle qui se dit de moins en moins croyante et se comporte de plus en plus en chrétienne au risque de déplaire à son directeur de conscience à cela près qu'elle n'en a pas / Ceux qui font l'amour à Noël en se basant sur l'Evangile dont rien de la Lettre ne l'interdit ni de l'Esprit encore moins alors bon Noël les enfants, etc.