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  • Amiet

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    Qui aime la couleur ne peut qu'être touché par la peinture de Cuno Amiet. Ce fut en effet un irradiant coloriste que ce maître incontesté de l'art suisse de  la première moitié du XXe siècle, même si sa notoriété posthume n'égale certes pas celle de Ferdinand Hodler, dont il fut le continuateur direct.

    C'est peut-être que l'œuvre d'Amiet est plus composite, moins puissante et moins radicale en ses aboutissants que celle de Hodler, mais la couleur le sauve de cet apparent éparpillement, autant que son art de l'aquarelle et du dessin, non moins marqué par la grâce.

    Il y a chez lui du fauve français autant que  del'expressionniste allemand, ses couleurs évoquent successivement  Gauguin et  Van Gogh, Kirchner et Nolde, avec des bonheurs à la Bonnard.

    Caméléon ? Je dirai plutôt : poreux à l'extrême, et tout de même partagé entre service public et vertu privée. Il y a en effet presque deux œuvres chez celui qui fut à la fois l'Artiste suisse officiel de l'entre-deux-guerres, solidement implanté dans son arche mythique d'Oschwand où se retrouvaient artistes et écrivains, et le créateur plus intimiste et plus libre dont son jeune ami et émule Eduard Gerber grappillera le meilleur pour en constituer une inappréciable collection, témoignant aussi de la bonification de l'œuvre en ses dernières années.

    Amiet14.jpgSans le génie ardent d'un Hodler, Cuno Amiet n'a jamais pour autant donné dans l'art officiel lénifiant, même si le symbolisme appuyé de ses fameuses Cueilleuse de pommes - gracieux sgraffito de la façade du Musée des Beaux-Arts de Berne rappelant le programme de défense spirituelle du pays, en 1936 - fleure évidemment son époque bien datée. On a aussi reproché au notable Amiet de s'être opposé à l'acquisition par le même musée bernois, en 1946, d'une toile de Picasso. « S'il y avait du jaune là où c'est blanc on pourrait l'acheter », aurait déclaré en dialecte bernois celui-là même qui participa aux mouvements novateurs du Blaue Reiter allemand  ou de la Sécession autrichienne. On n'en fera pas un renégat réactionnaire pour autant puisque ce n'était, en somme, qu'une question de couleurs !

    Amiet3.jpgÀ la bascule des générations, mais surtout d'une époque que marquera la fin d'une certaine peinture (Hodler ira jusqu'à la fusion de l'abstraction lyrique, mais après ?), Cuno Amiet fut aussi le dernier peintre « national » d'une certaine Suisse qui l'a d'abord vilipendé avant de le célébrer, puis de l'oublier...

    Amiet19.jpgNota Bene : né en 1868 à Soleure, Cuno Amiet fit très jeune ses premières études artistiques à Munich, où il se lia avec Giovanni Giacometti, dont il devint plus tard le parrain du fils, Alberto. Après un séjour à l'Académie Julian de Paris, il séjourna à Pont-Aven et s'établit, dès après son mariage avec Anna Studer, en 1898, dans le village d'Oschwander, canton de Berne, qu'il ne quitta que pour des voyages autour du monde liés à son rayonnement international. En 1931, à l'occasion d'une grande exposition au Glaspalast de Munich, détruit par un incendie, 51 toiles de Cuno Amiet furent anéanties. Un jeune jardinier, Eduard Gerber, s'approcha peu après de l'artiste auquel il acheta une première aquarelle, avant de se lier au couple et de constituer, avec peu de moyens, une collection faisant aujourd'hui référence. Celle-ci fit l'objet d'une grande exposition au Kunstmuseum de Berne, en 2011, dont le catalogue, publié chez Kerber, représente une bonne introduction à l'œuvre et à la vie de l'artiste. Celui-ci est mort en 1961 à Soleure, huit ans après la disparition d'Anna Amiet qui partagea sa vie, ses peines (la mort prématurée d'un premier enfant, compensée ensuite par plusieurs adoptions et tutelles, dont celle du fils de Hermann Hesse) et ses joies. Une grande rétrospective au Kunsthaus de Zurich avait célébré le nonagénaire en 1958.  Amiet12.jpg

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  • L'Arche de JLK

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    Ce qu'écrit Eléonore Sulser, critique littéraire au journal Le Temps, de Chemins de traverse.

    « Il en va de la critique littéraire comme du gardiennage de ménagerie, avec les obscures servitudes et les satisfactions jubilatoires qui en découlent assez semblablement. L’on pourrait dire qu’il y a du Noé chez le passeur de livres appelé à faire cohabiter, dans son arche, les espèces les plus dissemblables, voire les plus adverses »…

    Une arche de Noé, la littérature ? L’image est très belle qui surgit au détour de ces notes sur le monde, sur sa lecture et sur la lecture, rédigées, nous dit Jean-Louis Kuffer, depuis l’adolescence.

    Chemins de traverse est la suite d’un long journal, publié pour parties sous divers titres et chez divers éditeurs, accueilli cette fois par Olivier Morattel.

    On y lit des éblouissements et des peines privés – tendres visions de son épouse, « Lady L » en « bonne amie »,décès d’une mère - ; bonheurs et servitudes de la vie au sein d’un journal (semaine d’édition, interviews loufoques ou passionnantes, reportages), puis la vie des lettres romandes vue comme critique et comme auteur : fâcherie violente avec « Maître Jacques » (feu jacques Chessex) et, bien plus tard, réconciliation épistolaire ; errances passionnées, inspirantes et destructrices avec « Marius Daniel » (Popescu). Et bien d’autres histoires encore.

    Mais avant tout Kuffer-Noé est un lecteur et les livres sont la première chose qu’il partage ici. Il relit des classiques (beaucoup de Russes mais aussi Sagan ou Simenon), s’aventure avec éclectisme chez les contemporaines (Pascale Kramer, Charles Dantzig, Alexandre Jollien) comme en témoignant ces notes et la bibliographie buissonnière qui clôt ces Chemins de traverse.

    C’est aussi une mine de citations, à commencer par celle-ci de Charles-Albert Cingria : « L’écriture est un art d’oiseleur et les mots sont en cage avec des ouvertures sur l’infini ».

    Eléonore Sulser

    Traverse1.jpgJean-Louis Kuffer. Chemins de traverse ; lecture du monde 2000-2005. Olivier Morattel, 420p.

     

    Cet article a paru dans le supplément culturel du Temps en date du samedi 26 mai 2012.

  • Cantique suisse

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    Pour entonner le Cantique suisse

    J'ouvre ce nouveau blog, sur le site web de 24 Heures dont je suis le plus jeune retraité,  afin de donner, à un projet de longue date qui devrait aboutir l'an prochain à la publication d'un livre, aux éditions d'Autre part, une base interactive vivante. Cantique suisse, le livre, sera constitué sous la forme d'un Abécédaire, d'Absinthe à Zouc, dont la plupart des articles n'excéderont pas une page. Son double souci premier sera d'originalité subjective et de style. Les ouvrages consacrés à la Suisse sont innombrables, mais notre pays reste souvent méconnu dans sa part la plus singulière. C'est celle-ci qui m'intéresse de manière à la fois subjective et documentée, qui n'exclut ni la poésie ni la polémique, hors de toute prétention académique.

    Cantique suisse, le blog, se veut ouvert à la discussion ou aux rebonds vifs, et les souhaite même dans la limite du respect mutuel. L'énoncé de l'Abécédaire passionnel ci-dessous est provisoire et sujet à de multiples ajouts. Il sera enrichi chaque jour sans suivre forcément l'ordre alphabétique.  

            

    Abécédaire passionnel

    Absinthe.jpgAbsinthe / Accent / Aline / Alinghi / Aloyse / Altdorf / Amiel / Amiet/ Aurigeno / Bahnhofstrasse / Bakounine / Ballenberg / Berchtold / Bergier / Bieler / Betty Bossi / Birchermüesli / Blocher/ Böcklin / Bögli / Botta / Bouvier / Budry / Carnaval / Cendrars / Cenovis / Ceresole / CERN/ Cervin / CFF / Chillon / Cingria / Chappaz / Chessex / Cuisses-Dames / Dada / Davos / Dimitri / Dindo / Doyen Bridel / Dürrenmatt / Duttweiler / Eigerwand / Erasme / Erni / Ernst S. / Federer / FipFop / Franches Montagnes / Frisch /Geiger (Hermann) / Gilliard / Général Guisan / Génie helvétique (Le) / Giacometti / Gianadda / Gilles / Godard / Goetheanum / Gothard & Gothard / Gotthelf / Grounding / Grütli / Guillaume Tell /  Grock / Güllen / Haldas / Heidi / Hesse / Hingis / Hirschhorn (Thomas) /   Hodler / Honegger / Hornuss / Humbert-Droz / Keller / Journaux / Joyce / Jung / Klee / Koblet / Küng (Hans) / Kudelski / Lavater / Lénine / Palais fédéral / Le Parfait / Pipilotti / Landsgemeinde / Longines / Lötschental / Pestalozzi /  Maggi / Maison d'Ailleurs / Monte Verita / Morgenstraich / Morisod / Murer (Fredi) / Muzot / Nains de jardin / Nessi (Alberto) / Nabokov / Nestlé / Niederdorf / NPCK / NZZ / Odéon / Opel & Ospel / Orelli & Orelli / Parachutes dorés / Piazza Grande / Pilet-Golaz / Pont du Diable / Ramuz / Rilke / Ritz /  Römerholz / Rote Fabrik / Saurer / Schmid (Daniel) / Stress / Schwarzenbach / Segantini / Sils-Maria / Soglio / Soutter / Sugus / Suter (Martin) / Tinguely / Tissot / Töpffer / Tuor (Leo) / Walser / Winkelried / Wölffli / Ziegler /  Zoccoli / Zorn / Zouc.Zouc2.jpg

    Cantique suisse, le blog:

    http://cantiquesuisse.blog.24heures.ch

     

  • Ceux qui passent la ligne

    Pano14.jpgCelui qui plaque tout à l’instant de prendre connaissance du courriel glacial du responsable des Ressources Humaines lui demandant s’il s’identifie vraiment à l’Entreprise / Celle qui va chercher des clopes à l’heure de la pose et se retrouve le soir même sur le quai d’embarquement pour les îles Lofoten / Ceux qui ont passé de l’état de cadres moyens à celui de clochards à plein temps sans en avertir leur belle-famille recomposée / Celui qui consacre son atelier d’écriture en prison au thème du passage à l’acte / Celle qui s’est donné trois ans pour mater son macho qui a succombé sept ans plus tard à une cirrhose bien méritée /  Ceux qui en veulent à celui qui s’en va / Celui qui lit Spinoza avait raison moelleusement allongé dans son divan de cuir de Russie / Celle qui est consciente du fait que ses émotions relèvent d’un théâtre public alors que ses sentiments restent du domaine privé soumis au Secret / Ceux qui n’ont pas le sens du Secret / Celui qui ne sait se dépasser qu’en dépensant l’argent du ménage /  Celle que tout dépasse sauf son imagination aux ailes de licorne enchantée / Ceux qui se dépassent dans le tunnel et alimentent de ce fait les statistiques de la mortalité routière par collisions et incendies spontanés / Celui qui étudie le motif du passage de la ligne dans les romans « durs » de Georges Simenon tels que La Fuite de Monsieur Monde ou L’Homme qui regardait passer les trains / Celle qui réduit le génie de Simenon à un taux élevé de testostérone qui fait évidemment défaut à son conjoint Palotin / Ceux qui passent la ligne tous les matins au titre de Roms chapardeurs des zones frontalières / Celui qui s’intéresse à la source reptilienne de ses émotions les plus violentes / Celle qui étudie le modèle neurobiologique plausible des sentiments dans l’Unité de Recherche de l’Université de Malmö dont elle découvre les espaces verts au bras d’un prof de zumba brésilien que lui envient les bimbos suédoises / Ceux qui donnent raison à l’écrivain irlandais James Joyce quand il observe que l’écrivain anglais Bill Shakespeare « est le fonds dans lequel doivent chercher tous les esprits qui ont perdu l’équilibre » / Celui qui observe attentivement le processus de sa mise en colère tout en exprimant celle-ci avec la plus sauvage véhémence / Celle qui bride ses émotions et couve ses sentiments / Ceux qui sont de plus en plus conscients de la complexité de leur machinerie homéodynamique et en tirent un surcroît de flegme à l’anglaise dans les situations même agaçantes genre ce con me pique ma place dans ce parking de merde / Celui qui ne se doute pas de ce qu’il dit quand il évoque le Grand Arbre de la Vie / Celle qui est descendue des hautes branches du grand arbre de l’évolution  pour s’établir esthéticienne en Argovie / Ceux qui lisaient Conoscimento del dolore de Gadda lorsque les eaux du Pô ont débordé cette année-là de leur vingt ans et des poussières, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui ne disent pas tout

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    Celui qui n’a pas de réserve naturelle mais a appris à distinguer ce qui est à publier de ce qui ne l’est pas / Celle qui est discrète par respect de soi et d’autrui /Ceux qui sont indiscrets par esprit de revanche / Celui qui répand de faux bruits juste pour voir / Celle qui pratique la médisance comme un art martial / Ceux qui ont perdu un œil dans le trou de la serrure de sécurité / Celui qui mate la matrone de Matmata / Celle qui dit écrire pour ses tiroirs / Ceux qui parlent entre les lignes à haute tension / Celui que la parlote vide remplit d’un croissant effroi / Celle qui ne peut plus se connecter par crainte de la connerie connexe / Ceux qu’accablent les atteintes à la vie privée des prétendus amis du réseau des réseaux / Celui qui pratique la discrétion bien tempérée et le clavecin en plein air / Celle qui ne dit rien de ce qui lui importe vraiment / Ceux qu’on ne publiera qu’après leur mort genre Kafka ou Pessoa mais on s’en balance n’est-ce pas / Celui qui veut tout voir et tout entendre et tout sentir mais qui n’a pas le cœur de tout dire / Celle qui se tait avec éloquence / Ceux qui ne comptent pas leurs mots mais les choisissent avec soin / Celui fait des phrases / Celle qui cisèle de la poésie actuelle où il est question de Traces de fractures et de Bribes de failles / Ceux dont les recueils atones et aphones se vendent cher / Celui qui lit dans la foule du festival comme Gargantua en traversant la Seine à la nage d’une main et tenant son livre de l’autre sans le mouiller / Celle qui mouille sur le talus en lisant Despentes / Ceux qui parlent le soir en picolant de ce qu’ils ont lu le matin chacun dans son coin / Celui qu’on appelle bouche d’or / Celle qui en bouche un coin aux beaux parleurs en se taisant avec véhémence / Ceux qui disent Ave César Ducon ceux qui vont parler te saluent, etc.

    Image : Philip Seelen

  • L'échappée libre

     

     

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    Carnets de JLK: bilan de sept ans de blog. 3400 textes. 20.000 visites par mois. Avant d'autres échappées...

    Il y a sept  ans, dès juin 2005,  que j’ai entrepris la publication quotidienne de ces Carnets de JLK, comptant aujourd’hui  3400 textes et visités chaque jour par 500-800 lecteurs  fidèles ou renouvelés, dont la plupart me sont inconnus alors que de vraies relations personnelles se sont établies avec quelques-uns, parfois fructueuses. Sans les avoir jamais rencontrés, je me suis fait d'éventuels complices de Raymond Alcovère et de Bona Mangangu, dont j'ai rendu compte des livres dans le journal 24Heures, comme aussi de Philippe Rahmy, poète au verbe inouï, et de François Bon, dont on connaît le travail considérable sur Remue.net et Tierslivre, à côté de son oeuvre d'écrivain; en mars 2008 de Pascal Janovjak, à Ramallah, avec lequel j'ai échangé une centaine de lettres, en ligne sur ce blog - expérience reprise récemment avec fruit dans un échange d'épistoles avec Daniel Vuataz, jeune auteur  vaudois que je crois de bel avenir. De même ai-je apprécié les  échanges avec  Frédéric Rauss, Françoise Ascal, Bertrand Redonnet en Pologne, Jalel El Gharbi à Tunis, Miroslav Fismeister à Brno, Philippe Di Maria à  Paris - ces cinq derniers blogueurs-écrivains ayant apporté leur contribution au journal littéraire Le Passe-Muraille, et je ne dois pas oublier quelques fidèles lecteurs, dont Michèle Pambrun ou les pseudonommés Feuilly et Soulef, entre beaucoup d'autres... et je pourrais citer désormais les nombreux liens personnels nouveaux établis via Fabebook, notamment avec Angèle Paoli, dont le blog Terres de femmes est référentiel, les écrivains Helene Sturm et Lambert Schlechter, Jacques Perrin ou Pierre-Yves Lador, Antonin Moeri, Alain Bagnoud ou Jean-Michel Olivier, les libraires Claude Amstutz et Jean-Pierre Oberli, les lectrices Anne-Marie Gaudefroy-Baudy et Anne-Marie Brisson, Fabienne Kiefer-Robert ou Gilda Nataf, Claudine Redon ou Jacqueline Wyser,  et tant d'autres...

    Journal intime/extime
    Jamais, à vrai dire, je n’aurais imaginé que je prendrais tant de goût à cette activité si contraire apparemment à la silencieuse et solitaire concentration que requiert l’écriture. Or restant à l’écart du clabaudage souvent insane, vide ou vulgaire qui s’étale sur le réseau des réseaux, il m’est vite apparu que tenir un blog pouvait se faire aussi tranquillement et sérieusement, ou joyeusement selon les jours, en toute liberté ludique ou panique, que tenir un journal intime/extime tel que je m’y emploie depuis 1966 d’abord de façon sporadique puis avec une régularité et une densité croissantes, rédigé depuis 1973 dans une quarantaine de carnets noirs à tranche rouge de marque Biella, dont la dactylographie et les enluminures remplissent une vingtaine de grands cahiers reliés de fabrication chinoise – l’ensemble redécoupé ayant fourni la matière de quatre livres représentant aujourd'hui quelque 1500 pages publiées, dans L’Ambassade du papillon et Les passions partagées, Riches Heures et, tout récemment, Chemins de traverse.littérature,journal intimelittérature,journal intimelittérature,journal intimelittérature,journal intime

    Blog-miroir et blog-fenêtre
    A la différence de carnets tenus dans son coin, le blog est une pratique qui a ses risques, essentiellement liés au fait qu’on écrit quasiment sous le regard du lecteur et en temps presque réel. L’écriture en public, parfois mise en scène dans tel ou tel salon du livre, m’a toujours paru artificielle, voire grotesque, et je ne me sens pas du tout porté, à l’ordinaire, à soumettre au regard anonyme un texte en cours d’élaboration, dont je réserve l’éventuelle lecture à ma seule moitié ou à quelque autre proche. Si je me suis risqué à dévoiler, dans ces Carnets de JLK, une partie des notes préparatoires d’un roman en chantier, et l’extrait d’un ou deux chapitres, je me garderai bien d’en faire plus, crainte d’être déstabilisé d’une manière ou de l’autre.
    littérature,journal intimeMais on peut se promener à poil sur une plage et rester pudique, et d’ailleurs ce qu’on appelle le narcissisme, l’exhibitionnisme ou le déballage privé ne sont pas forcément le fait de ceux qui ont choisi de « tout » dire. Ainsi certains lecteurs de L’Ambassade du papillon, où je suis allé très loin dans l’aveu personnel, en me bornant juste à protéger mon entourage immédiat, l’ont-ils trouvé indécent alors que d’autres au contraire ont estimé ce livre pudique en dépit de sa totale franchise. Tout récemment,un effet de réel assez vertigineux m'a valu, après sa lecture de Chemins de traverse, la lettre d'un tueur en série incarcéré à vie me reprochant d'avoir parlé de lui comme d'un mort-vivant, ainsi qu'on le qualifie dans la prison où il se trouve toujours. Or le personnage lisait visiblement ce blog avec attention. Cet épisode n'a manqué de me rappeler certaines précautions à prendre dans l'exposition de nos vies sur la Toile, mes proches en ont frémi et je tâcherai d'être un peu plus prudent dans ma façon d'aller jusqu'au bout de ce que je crois la vérité, en les ménageant un peu mieux... 

    Une nouvelle créativité

    Si la tenue d’un blog peut sembler vaine (au double sens de l’inutilité et de la prétention vaniteuse) à un littérateur ou un lecteur qui-se-respecte, l’expérience personnelle de la chose m’a prouvé qu’elle pouvait prolonger, de manière stimulante et enrichissante, voire libératrice du point de vue du jaillissement des idées et des formes, une activité littéraire telle que je la pratique, partagée entre l’écriture continue et la lecture, l’ensemble relevant du même atelier virtuel, avec cette ouverture « inter-active » de plus.
    Ayant toujours été rebuté par la posture de l’homme de lettres confiné dans sa tour d’ivoire, autant que par l’auteur en représentation non-stop, et sans être dupe de la « magie » de telle ou telle nouvelle technologie, je n’en ai pas moins volontiers pris à celle du weblog sa commodité et sa fluidité, sa facilité de réalisation et son coût modique, sans éprouver plus de gêne qu’en passant de la « bonne vieille » Underwood à frappe tonitruante à l’ordinateur feutré. Bref, le blog n’est pas du tout pour moi la négation de l’écrit : il en est l’extension dont il s’agit de maîtriser la prolifération; et Facebook est aujourd'hui un nouveau vecteur qui étend, exponentiellement, les relations virtuelles d'un blog, jusqu'aux limites de l'insignifiance océanique. J'ai actuellement 2300 amis sur Facebook. La bonne blague ! 

    littérature,journal intimeDe l’atelier à l’agora
    Michel Butor, dans l’évocation de sa maison A l’écart, parle de son atelier à écrire comme le ferait un artisan, et c’est ainsi aussi que je vois l’outil-blog, entre le miroir et la fenêtre, le capteur nocturne (ah le poste à galène de mon grand frère !) et l’émetteur privé (ici Radio Désirade…), dans le tourbillon diffus et profus de l’Hypertexte.
    Un blog est enfin une nouvelle forme de l’Agora, où certains trouvent un lieu d’expression personnel ou collectif à caractère éminemment démocratique (d’où la surveillance bientôt organisée que lui apliqueront les régimes autoritaires), une variante du Salon français à l’ancienne qui voit réapparaître le couple éternel des Verdurin, ou le dernier avatar du Café du commerce.
    N’ayant plus trop le goût des chamaill
    eries littéraires ou idéologiques, et moins encore celui de la tchatche pour ne rien dire, je me suis gardé d’ouvrir ce blog à trop de « débats brûlants », et c’est ainsi qu’en un an les commentaires (4610 à ce jour) n’ont guère proliféré ni jamais tourné à la prise de bec ou de tête. Tant pis ou tant mieux ?
    Quoi qu’il en soit la nave va... 

    RicheCouve.jpgDu blog au livre. Réponse à Jacques Perrin et Raphaël Sorin.

    Elle va même si bien qu'au début de mai 2009, une partie du contenu de ce blog a fait l'objet de la publication d'un livre, sous le titre de Riches Heures, constitué comme un patchwork et qui essaie de rendre le son et le ton de ces notes quotidiennes dans la foulée des deux gros volumes de Carnets que j'ai publiés chez Bernard Campiche et qui ont fait l'objet de deux prix littéraires appréciables en Suisse romande. Sans la proposition de Jean-Michel Olivier, directeur de la collection Poche Suisse aux éditions L'Âge d'Homme, d'accueillir un florilège tiré d'un corpus d'environ 5000 pages, il est probable que j'en serais resté au blog, étant entendu que mes carnets existent par eux-mêmes sur papier. Autant dire que l'exercice relève de l'essai, dont seul le lecteur jugera de la réussite. En ce qui me concerne, toute modestie mise à part, j'aime bien ce petit livre. C'est une manière d'autoportrait en mouvement à travers mes lectures du monde, il est plus facile à emporter le long des chemins qu'un laptop et j'y ai borné mes notes très personnelles, voire privées, à des fragments le plus souvent brefs et datés, reproduits en italiques.

    Ces Riches Heures ont paru avec le sous-titre Blog-Notes 2005-2008, mais ce n'est pas de mon fait, et je me demande si c'est une bonne idée... Dans une très généreuse présentation de ce livre sur son blog, Jacques Perrin  (http://blog.cavesa.ch/) relève justement que la forme de ce livre reste tout à fait dans les normes conventionnelles du texte, sans l'iconographie et les multiples jeux qu'elle permet sur un blog, dont je ne me prive pas. Cela étant, je tiens à souligner le fait que les possibilités nouvelles de l'outil-blog ont été, dans le processus arborescent de mon écriture, une stimulation tenant à la fois à l'interactivité et aux virtulaités plastiques de ce support. C'est grâce au blog que j'ai amorcé, avec mon ami photographe Philip Seelen, le contrepoint image-texte du Panopticon, et c'est également grâce au blog que j'ai développé mes listes de Ceux qui, accueillies ensuite par l'édition numérique Publie.net de François Bon et son gang. Grâce aux réseaux de l'Internet, les 150 lettres que j'ai échangées avec Pascal Janovjak, jusqu'à la période dramatique de Gaza, ont pu exister quasiment en temps réel, et la question de leur publication éventuelle s'est posée à nous, mais leur non-publication ne les ferait pas moins exister. Dans la foulée, j'ai d'autres  d'autres séries comme celle des proses brèves de La Fée Valse et de mes Pensées de l'aube et autres Pensées en chemin, qui devraient aboutir à un triptyque.

    Benjamin7.jpgAngelusNovus.net

    Et  c'est alors que j'aimerais faire une remarque, liée à une grande lecture, remontant àl'automen dernier, des écrits de Walter Benjamin resitués chronologiquement par Bruno Tackels dans son essai biographique paru sous le titre de Walter Benjamin, une vie dans les textes. On sait que, comme il en est allé de Pessoa, les textes de WB ont été publiés pour majorité après sa mort. Or il est possible que, comme le relève d'ailleurs Bruno Tackels, la publication sur le domaine public d'un bloc eût particulièrement convenu à WB. Je me le suis dit et répété en constatant que je m'étais éloigné, ces dernières années, du Système éditorial ordinaire, avec lequel WB a toujours eu un rapport délicat. Dieu sait que je ne me compare pas à ce génie profus, mais l'expérience est significative, que recoupe la récente auto-pubication du dernier livre de Marc-Edouard Nabe sur son site. Est-ce une alternative intéressante à l'édition mainstream ?  Je n'en suis pas sûr du tout. Notre liberté  devrait respecter la liberté de tout un chacun et j'aime assez qu'un jeune écrivain continue de rêver de gloire via Galligrasseuil !      

    J'ai été content, pour ma part, de publier mes Riches Heures sous forme de livre, mais le travail amorcé par François Bon & Co à l'enseigne de Remue.net et de Publie.net me semble ouvrir de nouvelles perspectives qui vont changer,je crois, le rapport de l'auteur avec le Système éditorial ou médiatique. Raphaël Sorin voit bien qu'un lecteur-critique-écrivain ne dénature pas forcément son travail en pratiquant l'art du blog - je dis bien l'art du blog, car c'est ainsi que je le vis, bien plus librement aujourd'hui que sur papier journal où le nivellement du Système se fait de plus en plus sentir au détriment de l'art de la lecture. Mais il n'y pas que ça: quelque chose est en train de se passer dont nous pouvons, chacun à sa façon, devenir les acteurs. Walter Benjamin eût-il dit, comme Alain Finkielkratut, que l'Internet est une poubelle ? C'est fort possible. Mais j'aime à penser qu'il l'eût écrit sur son Blog, à l'enseigne évidemment d'Angelus Novus.net.

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    littérature,journal intimeAux dernières nouvelles, un nouvel éditeur qui a l'âge d'un mec qui eût pu être  mon fils, du nom d'  Olivier Morattel, ayant publié un livre surpremamt, Au point d'effusion des égouts, d'un youngster qui aurait l'âge de mon petit-fils, nommé Quentin Mouron, m'a proposé de publier un livre avec lui sur papier bio. J'ai marché à l'enthousiasme.

    littérature,journal intime J'ai horreur de ceux qui, en Suisse romande, freinent à la montée, comme disait mon ami Thierry Vernet. Les éditeurs jaloux de leurs auteurs et qui se bouffent le museau entre eux, dans nos provinces chiffonnées par la morgue de Paris,   m'ont un peu fatigué. Je le chante donc sur mon blog, Facebook, Twitter & Co: à bas les bonnets de nuit et les rabat-joie, et vive la littérature vivante qui se joue de toutes les formes et de tous les genres ! Après mes Chemins de traverse; lectures du monde 2000-20005, je publierai tantôt La Fée Valse, recueil de proses onirico-satirico-poético-érotiques et un Cantique suisse, aux éditions d'autre part, constituant mon Abécédaire passionnel d'un étrange pays, d'Absinthe à Zouc, avant une nouvelle tranche de carnets 2006-2012 qu'Olivier Morattel m'a promis d'éditer en 2013, si je ne l'ai pas ruiné entretemps. Son titre m'est déjà tout un programme vécu: L'échappée libre...

     

  • Ceux qui rebondissent

     

     

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    Celui qui repart comme en quarante / Celle qui remonte le courant dans sa Dauphine/ Ceux qui se délestent de leur surpoids / Celui qui n’a jamais renoncé à ses bretelles / Celle qui s’accorde des prolongations sans tirs au but / Ceux qui donnent le change avec une touche de colorant / Celui qui reprend son saxo à 87 ans / Celle qui pleure en entendant son vieux compagnon improviser sur Sunny Side / Ceux qui remettent le turbo genre torpédo / Celui qui va tâter de l’hébreu ou se mettre au ping-pong / Celle qui prend la vie comme elle vient et le temps comme il va et le funiculaire en fin de semaine pour voir les choses d’un peu plus haut / Ceux qui tombent deux ou trois masques / Celui qui replace sa dynamo dans le torrent de fonte des névés / Celle qui exulte à la rumeur du printemps russe / Ceux qui se déploient dans l’air tonique / Celui qui se berce d’illusions fécondes / Celle qui frissonne de voir le ciel s’ouvrir / Ceux qui rachètent le Temps en s’y plongeant ce matin neuf / Celui qui fait la nique au Gros Animal / Celle qui pressent un nouveau départ par exemple au Brésil / Ceux qui n’auront plus de souvenirs que rafraîchis / Celui qui se débat plus tranquillement qu’hier / Celle qui reprend ses marches en forêt / Ceux qui réveillent l’Ours affalé sous son bureau de fondé de pouvoir bernois / Celui qui a toujours été du matin sauf durant ces longs mois de composition de son putain de nouveau livre pourtant assez lumineux sur les bords / Celle qui interprète L’Eveil du printemps sur son pianola / Ceux qui saluent la monté de la sève en hennissant dans la cafète de l’Entreprise / Celui qui dépouille le Vieil Homme selon le rite païen / Celle qui change l’eau des fleurs et va marcher pieds nus dans la prairie encore spongieuse / Ceux qui revivent après avoir tourné la page / Celui qui fait de ce 1er mars le jour béni d’un dieu de paix / Celle qui estime ce matin qu’à l’impossible chacun sera tenu / Ceux qui savent qu’être heureux n’est pas de rester engourdi / Celui qui sent l’avenir et parle donc du présent avec justesse / Celle qui accuse le révolté de rester plus ou moins esclave / Ceux qui considèrent que la science devient alors que la poésie se contente d’être / Celui qui se délecte de son repentir au point d’aggraver son cas / Celle qui a compris que la corruption était insatiable et reste donc à l’écart des malins et des moqueurs / Ceux qui ont le sens et plus encore le goût du renouveau / Celui qui se sent aussi mal tout seul qu’en groupe / Celle qui reproche à son fils Alcide de rester là groupé comme un fœtus et cousu comme une volaille alors que le jour l’attend au jardin  / Ceux qui s’ouvrent à l’offrande de cette matinée comme des fleurs en papier dans l’eau claire, etc.      

     

    Image : Philip Seelen