UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Mes adieux aux larmes

    JLKBURKI.JPG


    À La Désirade, ce samedi 30 juin. – Je me suis réveillé tôt l’aube ce matin sur un éclat de rire partagé avec ma bonne amie. J’étais encore tout habillé et nous avons évoqué mon retour épique de la rédaction, hier soir, moi cuité comme jamais et elle me poussant plus ou moins et me guidant après m’avoir apporté deux bâtons de ski, vraiment la drôle de paire grimpant le chemin conduisant à La Désirade à travers le pâturage, elle  me désignant les barbelés ou les orties et moi tricotant des deux cannes et finissant par me jeter tout habillé sur le lit que nous partageons depuis plus de trente ans puisque nous avons conçu Sophie en mars 1982 et nous sommes civilement mariés le 30 juin de la même année, il y a donc tout juste trente ans aujourd’hui.

     

    En dépit de mes craintes de parano, mon Adieu aux larmes s’est donc très joyeusement passé au desk de la rédaction, avec à peu près trente-trois confrères et sœurs ou peut-être même plus, autour d'une solide dotation de Pinot noir et d’eau sobre, sans compter les six gâteaux au fromage et aux pommes que j’avais préparés. Notre rédacteur en chef Thierry Meyer  m’a gratifié de paroles très amicales frottées de douce ironie, avant de m’annoncer trois mauvaises nouvelles. J’avais demandé de m’épargner tout discours et toute forme de cadeau. Or non seulement j’ai dû subir ce premier hommage verbal, mais la compagnie m’a offert un prodigieux stylo Caran d’Ache que je réserverai à mes notes matinales ; Raymond Burki m’a fait LE cadeau dont rêvent les célébrités cantonales et mondiales en me croquant sous des traits qui me ressemblent non sans évoquer mes sosies reconnus aux noms de Michel Boujenah et Enrico Macias. Enfin, pour me faire subir ce qu’on peut dire la totale, la toujours craquante Joëlle Fabre et son adorable complice blonde  m’ont réservé la dernière surprise consistant en une lecture à deux voix de l’entretien avec Jean Lacouture dont je traîne la casserole depuis vingt ans, « exécuté » un soir de décembre après une verrée de rubrique et dans lequel je finissais par engueuler positivement mon prestigieux interlocuteur.

    Les vaches ! Me faire ça alors que, déjà, ce jour-là, juste avant que ne tournent les rotatives, je m’étais demandé comment arrêter ce massacre…

    Or ce papier d’anthologie fait partie de la suite des Je me souviens que j’avais composée hier pour évoquer mes 23 ans à 24Heures, et les 43 ans durant lesquels j’aurais sévi dans une quinzaine de titres (de La Tribune de Lausanne dès 1969 à La Liberté de Fribourg, La Gazette de Lausanne et le Journal de Genève, l’hebdo Construire, le Magazine littéraire et même Le Monde et Libé à quelques reprises…), dont j’ai fait la lecture dans la foulée en présence de ma bonne amie et de Monsieur le directeur du Théâtre du Jorat, alias Michel Caspary, frère et confrère, admirable ex-chef de rubrique dont je dis l’amitié dans mes Chemins de traverse. Or voici cette liste, évidemment lacunaire…    

     

    Je me souviens…

    Je me souviens de l’odeur du plomb...

    Je me souviens de l’ombre massive sur le trottoir du localier Pijac…

    Je me souviens de la pipe de MacDonald le reporter cantonal...

    Je me souviens des matelas qu’il y avait dans certains recoins secrets des sous-sols aux rotatives…

    Je me souviens de mon premier reportage en Tunisie consacré aux débuts du tourisme de masse et qui m’a fait renoncer pour toujours à la lecture marxiste d’une situation concrète…

    Je me souviens de mon arrivée nocturne à Kairouan où des milliers de petits téléviseurs reproduisaient le discours du père de la nation sorti de l’hôpital...

    Je me souviens du premier bar de la Tour ne fermant qu’à point d’heures…

    Je me souviens de la série SOS Survie lancée à La Tribune-Dimanche en 1972 à l’initiative de René Langel notre mentor de l’époque, avec Richard Garzarolli, bien avant qu’on ne parle d’écologie et que le ressassement hebdomadaire du sujet ne fatigue Monsieur Lamunière…

     

    Je me souviens de Claude Langel évoquant les défilés de mode parisiens…

     

    Je me souviens du col de loutre du manteau de soirée d’Antoine Livio…

     

    Je me souviens des subjonctifs imparfaits du critique musical Henri Jaton, à la culturelle de La Tribune de Lausanne, vers 1970…

     

    Je me souviens des silences de Marc Lamunière dans l’ascenseur où nous étions coincés ensemble sur 8 étages alors que je n’étais qu’un obscur pigiste de vingt-deux ans plein de réserve envers la presse bourgeoise et ses requins présumés…  

     

    Je me souviens des briefings des chefs de rubrique de Marcel Pasche se demandant si la culturelle de La Tribune de Lausanne ne péchait pas par élitisme après avoir manqué un méga-concert de rock de plus…

     

    Je me souviens de Marie-Laure Borel restée mon amie et que je reverrai demain chez les Langel fêtant leurs 60 ans de mariage…

     

    Je me souviens des critiques de théâtre qu’on dictait le soir même aux linotypistes et qu’on appelait des tardifs...

     

    Je me souviens du dîner que m’a offert le directeur des Galas Karsenty pour essayer de me faire mettre du miel dans mon fiel…

     

    Je me souviens d’avoir embarrassé Paul Loup Sulitzer en lui demandant des détails trop précis sur l’excellent roman Popov dont je ne savais pas encor que c’était un autre qui l’avait écrit et qu’il n’avait visiblement pas lu…

     

    Je me souviens de ce que me dit un jour Ménie Grégoire à propos des retraités dont l’un d’eux lui avait déclaré que ce qu’il y a de terrible dans la retraite est qu’on n’a plus de vacances...

    Je me souviens des cinéastes romands réunis aux Journées de Sorrente en 1976 et discutant gravement le soir de la meilleure façon de toucher les masses en sirotant leur limoncello…

     

    Je me souviens d’avoir payé le souper auquel Günter Wallraff m’avait invité lorsque je suis venu l’interviewer à Cologne à propos de Tête de Turc et qui m’a ulcéré en traitant la Suisse de vampire de l’Europe...

     

    Je me souviens de mon entretien avec la diva Teresa Berganza qui m’a fredonné l’air de Musetta sur son canapé violet…

     

    Je me souviens de l’énorme ananas avec lequel je suis sorti de l’Hôtel Georges V après une conversation très arrosée avec Gore Vidal qui voulait me faire oublier qu’il m’avait fait lanterner une heure dans le hall du palace…

     

    Je me souviens de l’interview la plus pénible que j’aie jamais faite avec un Michel Houellebecq aussi déprimé que déprimant…

     

    Je me souviens d’avoir perdu notre fille Julie de sept ans dans la méga-foule du concert des Stones à Frauenfeld que je devais couvrir pour la culturelle de 24 Heures

     

    Je me souviens d’avoir fait du canoë avec Roger de Diesbach sur la Loue au titre du rapprochement convivial des collaborateurs du titre…

     

    Je me souviens de Georges Baumgartner au 69e étage du Centre de presse de Ginza, au cœur de Tokyo, qui m’expliquait les pressions qu’il subissait de la part des grandes firmes japonaises dont on voyait tous les buildings alentour comme autant de tours de seigneurs du Moyen Age…

     

    Je me souviens du séjour à Tokyo offert à notre rédacteur en chef par une grande firme japonaise qui espérait le faire se séparer de l’honorable Georges Baumgartner…

     

    Je me souviens d’un jeune coursier qui a l’air presque toujours aussi jeune et dont je ne sais toujours pas le prénom…

    Je me souviens des plaintes des téléphonistes houspillées par Jacques Chessex…

     

    Je me souviens de ma première rencontre avec Jean Ziegler après la sortie du Bonheur suisse qui a scellé notre amitié, et de sa question portant sur ma « fonctionnalité marchande dans le groupe Edipresse »…

     

    Je me souviens des fins de soirées du service de correction de 24 Heures au night-club Brummel qui servait encore des spags jusqu’à deux heures du matin…

     

    Je me souviens du prote, alias le chef correcteur, alias Monsieur Liardon…

     

     Je me souviens de la maman de Jo Lavanchy avec laquelle nous corrigions les textes jetés au téléphone par les reporters sportifs…

     

    Je me souviens de la patience que Jo Lavanchy a (presque) toujours montrée  lors de mes correspondances téléphonique parisiennes plus ou moins titubantes…

     

    Je me souviens de ce matin du 16 août 1985 où je suis arrivé en tremblant à mon bureau de la Tour où l’adjudant-guide Michel a confirmé au téléphone mon pressentiment que mon compagnon de cordée Reynald s’était crashé dans la face glaciaire du Dolent où il était parti l’avant- veille sans moi…

     

    Je me souviens de la critique musicale Myriam Teytaz lustrant ses chaussures de montagne à Tokyo dans l’intention de gravir le Fuji Yama...

     

     Je me souviens de la dégaine de boxeur court sur pattes de Milan Kundera…

     

    Je me souviens de la culotte de dame qu’un rédacteur en chef libidineux a sortie de sa poche lors d’un pot de départ…

    Je me souviens de la recommandation de Jacqueline de Romilly de ne pas interdire la télé aux petits enfants - et c’était la veille de son entrée à l’Académie française…

     

    Je me souviens d’une verrée de rubrique de fin d’année après laquelle j’avais encore à finir la transcription d’une interview de Jean Lacouture dont les questions devinrentlus longues que les réponses et sur un ton d’agressivité que je me reproche encore…

     

    Je me souvien d’avoir recouru à mon amie germaniste Cornelia Niebler afin de traduire mon enregistrement d’un entretien avec Günter Grass trompé par ma première question en allemand soigné et lancé ensuite dans un terrifiant monologue d’une heure auquel je ne compris presque rien…

     

    Je me souviens d’avoir annoncé le suicide d’un écrivain lausannois à la suite d’un malentendu avec son éditeur, et de la honte que j’en éprouve encore faute d’avoir vérifié mes sources…

     

    Je me souviens que pendant une interview dans son repaire de Chevreuse Michel Tournier me quitta un quart d’heure pour jouer avec trois petits garçons sur la même pelouse qui accueillait l’hélico perso de Mitterrand…

     

    Je me souviens que c’est grâce à Michel Caspary que je me suis aperçu que le supplément de salaire auquel j’avais droit comme chef de rubrique ne m’avait pas été payé depuis deux ans…

     

    Je me souviens que Marcel Pasche a accepté d’indexer mon salaire à venir mais a refusé de me rembourser ce qu’on me devait rétrospectivement - ce qui me fait dire qu’Edipresse me doit l’équivalent d’un scooter neuf…

     

    Je me souviens des parties de badminton  en compagnie de Jean et de Michel…

     

    Je me souviens d’un entretien de février 1980 avec Georges Haldas qui devait bien faire 8000 signes…

     

    Je me souviens du choc éprouvé lorsque mon ordinateur m’a dit pour la première fois LONGUES PHRASES…

     

    Je me souviens du concert de jazz improvisé par Heinz Holliger dans une boîte de San Francisco, le dernier jour de la tournée de l’OSR au Japon et aux States à laquelle j’avais été convié en tant que chroniqueur…

     

    Je me souviens de ma visite à Marina Vlady aux yeux très bleus, ce matin du 11 septembre 2001 ; de la perte affreuse, dans le métro, de mon carnet contenant une année de notes et d’aquarelles ; du film-catastrophe diffusé ensuite  par la télé du  studio de la Rue du Bac, enfin du premier commentaire des attentats au bar d’à côté, comme quoi c’était un coup du Mossad…

     

    Je me souviens du petit éléphant que le clown Dimitri a dessiné pour notre fille Julie…

     

    Je me souviens du petit renard que j’ai ramené à notre fille Sophie de Sapporo…

     

    Je me souviens du cher Picson qui se réjouissait qu’un article entre dans sa page « comme le papa dans la maman »…

     

    Je me souviens d’avoir été interdit d’écriture sur la question de l’ex-Yougoslavie après un reportage à Dubrovnik qui m’avait valu une vingtaine de lettres d’injures de Croates me taxant de désinformation pro-serbe…

     

    Je me souviens que dix jours après cette interdiction les mêmes chefs m’envoyaient en du côté du Mont Athos assister à un congrès de l’orthodoxie mondiale qui ne pouvait que se révéler  un foyer ardent de propagande pro-serbe…

     

    Je me souviens de la solidarité que m’ont manifestée Xavier Alonso et Philippe Dumartheray à un moment difficile…

     

    Je me souviens de ce moment difficile où je fus prié de mettre en page la démolition de mes Passions partagées par un pigiste commis à cette corvée – pénible épisode que j’évoque dans mes Chemins de traverse

     

    Je me souviens d’avoir agressé Gilbert Salem au moment où il s’apprêtait à me doubler pour 24 Heures sur un reportage exclusif du Matin que j’avais réalisé à la rédaction du Canard enchaîné

     

    Je me souviens du bonheur que c’est parfois de faire du bon travail en équipe...

     

    Je me souviens de la mise en page la plus hideuse de l’histoire de 24Heures où ma présentation des œuvres magnifiques de Fabienne Verdier s’étalait sur deux pages foutues en l’air par de hideuses publicités charcutières…  

     

    Je me souviens de la patience avec laquelle on a toujours accueilli ma faiblesse en matière de journalisme rigoureux…

     

    Je me souviens des fins de soirée avec Henri-Charles Tauxe et son amie du moment…

     

    Je me souviens que c’est le même Henri-Charles qui a accueilli, à La Feuilles d’avis de Lausanne (« mère » de 24Heures) l’entretien poltitiqueent très incorrect que j’ai eu en 1972 avec le grand romancier fasciste Lucien Rebatet, quelques mois avant sa mort…

     

    Je me souviens des premières au théâtre de Vidy, chez Gonzalo du lac et mon compère René Zahnd…

     

    Je me souviens de l’heure magique passée avec le Chinois François Cheng à la veille de son entrée à l’Académie française…

     

    Je me souviens du ravissement de Patricia Highsmith à découvrir les dessins de nos filles et le jeu de tarots que je lui avais acheté à Locarno…

     

    Je me souviens que Patricia Highmsith ma dit qu’elle aimerait renaitre sous la forme d’un petit poisson ou d’un vieil éléphant…

     

     Je me souviens de la pondération de Robert Netz…

     

    Je me souviens du cynisme affiché de Gérard de Villiers et de la kalachnikov soudée à un corps de femme nue trônant au milieu de son bureau…

     

    Je me souviens de ce chef d’orchestre vaudois qui disait qu’on ne savait pas ce qui était le pire : d’épouser Gorjat, critique au Matin, ou d’égorger Pousaz, critique à 24 Heures

     

    Je me souviens de toutes les rencontres inoubliables que permet le sésame d’une carte de presse…

     

    Je me souviens de l’oiseau entré dans la salle de concert de Santa Barbara (Californie) et de sa vaine tentative de distraire le chef Armin Jordam et la soliste Martha Argerich…

     

     Je me souviens des chroniques quotidiennes que je dictais la nuit du Japon ou de Californie à Arlette Choffat qui les dactylographiait le jour…

     

    Je me souviens d’avoir séché un rendezvous avec Jacques Prévert par timidité…

     

    Je me souviendrai que Jean Elgass fut le premier chef de la rubrique culturelle à être parvenu à me faire lire un roman de Marc Levy…

     

    Je me souviendrai de la gentillesse et de la patience de mes camarades de la culturelle…

     

    Je me souviendrai de l’exclamation de Jean Ellgass selon lequel nous nous serons bien amusés naguère…

     

    Je me souviendrai de nos cafés-croissants du lundi matin avec Boris Senff et François Barras mes voyous préférés…

     

    Je me souviendrai de la page magnifique que m’a consacrée Philippe Dubath avec la complicité de Jean Ellgass et de la chefferie…

     

    Je me souviendrai de la main de velours dans le gant de fer - ou le contraire - de Thierry Meyer - …

     

    Et si vous ne vous souvenez pas de moi, chiche que je me rappellerai à votre bon souvenir au prochain écrivain mort qu’on me priera d’enterrer au titre d’increvable dinosaure de mémoire…

  • Ceux qui prennent la tangente

    medium_Bilbao.JPG

    Celui qui éventre le divan de sa cousine défunte à la recherche du magot de l’oncle arménien / Celle qui porte le deuil à ravir / Ceux qui estiment que le lait nuit à leur libido / Celui qui bécote les photomatons de ses catéchumènes / Celle qui se demande si son ami Valentin n’est pas un Bachelor potentiel / Ceux qui feront tout pour que l’anniversaire de Cindy soit un flop / Celui qui prend tous les soirs sa tisane antipalu sur la véranda de son bungalow d’Awala en Guyane / Ceux qui lancent des appels au secours que personne n’entend / Celui qui dit trouver l’inspiration de ses raps dans la contemplation des tanches / Celle qui dit pas touche à mes tchoutches en tchatchant / Ceux qui ont (disent-ils) les narines en stéréo à force d’y sniffer grave / Celui qui s’adonne aux périples périphériques / Celle qui s’inflige l’itinéraire drastique à genoux sur le macadam de la chapelle au cimetière / Ceux qui comme Alphonse de Châteaubriant en 1939 crurent déceler l’ «immense bonté du visage d’Hitler» / Celui qui menace ses amis d’écrire un roman sur son impossibilité d’écrire / Celle qui a conservé tous les disques de Gloria Lasso / Ceux qui insinuent que c’est Bob Littell qui a écrit le livre de son fils / Celui qui s’est promis d’écrire un poème sur les vaincus à la fin de la semaine / Celle qui aime sortir nue sous sa pelisse de ragondin et parcourir ainsi la rue des Abattoirs / Ceux qui vont passer une semaine aux Moluques pour se ressourcer au niveau du senti / Celui qui pense que son collègue Dulaurier a mérité quelque part sa tumeur au menton / Celle qui laisse un message à la secrétaire de Frédéric Beigbeder à qui elle se propose de raconter la fugue de sa tortue Samantha / Ceux qui prétendent qu’y se la pètent dur à Marrakech / Celui qui lit des romans de Jane Austen à sa marraine aveugle de Brisbane / Celle qui mire les abricots le long de l’autoroute / Ceux qui aiment s’aimer en écoutant du Johnny Cash dans leur Mobilhome garé le long du canal des Maures / Celui qui fera ce dimanche sa cure de chocolat noir / Celle qui dit qu’elle prend son pied en lisant Thomas d’Aquin dans le métro de Montréal / Ceux qui se sont connus dans un billard de Bilbao, etc.

    Aquarelle JLK: Partie de billard à Bilbao, 2004.

  • De JMO sur JLK

    Olivier3.jpg

     

    Pour saluer JLK

    Par Jean-Michel Olivier

    Certains racontent leur vie comme un roman, en falsifiant les dates, en maquillant l’histoire, en imposant des masques aux personnages qu’on pourrait reconnaître. On appelle ça l’autofiction. Le plus souvent, c’est ennuyeux. Ca sonne faux. Pourtant, ça se vend bien. Les librairies en sont pleines. C’est un signe des temps.

    D’autres ne trichent pas. Ils racontent leur vie au fil du rasoir. Ils la passent au scanner de la langue. Sans complaisance, ni narcissisme. Ils tentent de déchiffrer l’énigme d’être en vie, encore, ici-bas, au milieu des fantômes, près de la femme aimée (on ne dira jamais assez l’importance de ces fées protectrices), en voyageant à travers les pays et les livres.

    Je parle ici de Jean-Louis  Kuffer, journaliste et écrivain. Mais surtout immense lecteur, découvreur de talents, infatigable chroniqueur  de la vie littéraire de Suisse romande. Son dernier livre, Chemins de traverse, s’inscrit dans la lignée de L’Ambassade du papillon (2000), des Passions partagées (2004) et de Riches Heures (2009). Il s’agit à la fois d’un journal de lecture et d’un carnet de bord qui couvre les années 2000 à 2005. C’est un livre extraordinaire et passionnant.

    JLK est un vampire assoiffé de lectures : Kourouma, Nancy Huston, Chappaz, Chessex, Amos Oz.Il a besoin des livres pour nourrir sa vie, et lui donner un sens. Chez lui, le verbe et la chair sont indissociables. Il faudrait ajouter le verbe aimer. Car la lecture du mode, comme l’écriture, procède d’un même sentiment amoureux. Impossible dans ces pages imprégnées de passion, tantôt mélancoliques et tantôt élégiaques, de distinguer l’amour du monde de l’amour des livres ou de la « bonne amie ».

    Lire, écrire, vivre et aimer : ça ne peut être qu’un.

    Le livre commence au bord du gouffre : dépression sournoise, vieux démons qui reviennent (l’un d’eux a le visage, ici, de Marius Daniel Popescu, autre vampire, compagnon des dérives alcooliques), tentations suicidaires. Grâce à sa «bonne amie », aux lectures et aux rencontres (car lire, c’est toujours aller à la rencontre de quelqu’un), JLK remonte la pente. Il voyage. Il se lance dans un nouveau livre. Il ouvre un blog devenu culte pour tous les amateurs de littérature (http://carnetsdejlk.hautetfort.com). La vie, toujours, reprend ses droits.

    Son journal de bord, entre Amiel et Léautaud, rassemble ces éclats de lumière qui éclairent nos chemins de traverse. Ce sont les fragments d’une vie éparse – images fulgurantes, aphorismes, rêves, méditation sur la douleur, l’amitié ou le partage – qui trouvent leur unité dans l’écriture. Ecrire, n’est-ce pas résister à ce qui nous divise ?

    Le 15 mai prochain, Jean-Louis Kuffer quittera son poste de chroniqueur littéraire au journal 24Heures après quarante années de bons et loyaux services. Pour lui, sans doute, rien ne changera. Il continuera à lire et à écrire, à vivre et à aimer. Mais ses lecteurs redoutent ce moment.  Le vide qu’il va laisser dans la presse romande.

    Traverse1.jpg(Cet article a paru ce samedi 12 mai dans Le Nouvelliste, quotidien principal du Valais)