UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Le brio d'un Maître

    Titien.jpeg

    Avec Le Turquetto, Metin Arditi revisite la Venise du Titien dans la foulée d'un autre peintre de génie. Le Prix Giono 2011 couronne ce livre.

    Le dernier roman de Metin Arditi s'ouvre sur un scoop, comme on dit en jargon médiatique. À savoir que L'Homme au gant, tableau fameux du Titien devant lequel on se prosterne au Louvre, serait d'une autre main que celle du grand peintre vénitien du XVIe siècle. Une analyse scientifique de la signature de l'oeuvre, prêtée au Musée d'art et d'Histoire de Genève, en 2001, permettrait en effet d'émettre l'hypothèse que le tableau «n'est pas de la main du Titien».

    Or qui oserait douter du sérieux de Genève, alors que la cité du peu badin Calvin est (notamment) le siège mondial des affaires du richissime Metin Arditi, par ailleurs professeur de science dure, ferré en génie atomique ? Qui oserait prétendre qu'un ingénieur titré, doublé d'un notable respecté, Président de l'Orchestre de la Suisse romande et mécène courtisé, nous balance comme ça de l'info qui soit de l'intox ?

    À vrai dire le doute vient d'ailleurs: et d'abord du fait qu'il y a plus de vérités vraies, dans le nouveau roman de l'écrivain Metin Arditi, homme-orchestre s'il en est, que dans tous ses livres précédents, à commencer par le dernier paru en 2009, Loin des bras, tout autobiographique qu'il fût, mais manquant peut-être de mentir-vrai.


    Se non è vero...

    Fondé sur une conjecture infime - l'initiale d'une signature douteuse -, Le Turquetto déploie en fait, au fil d'une marqueterie narrative chatoyante, le roman de celui qui aurait pu être aussi grand que Titien, voire plus grand dans la fusion du dessin et de la couleur, mais que les vicissitudes de son époque auraient condamné à l'oubli après la destruction de son oeuvre par le feu de l'Inquisition.

    Metin Arditi, originaire lui-même de Constantinople, y fait naître un garçon follement doué pour le dessin, Juif de naissance qui inquiète son pauvre père en suivant les leçons de calligraphie d'un sage musulman, lequel lui reproche à son tour de préférer le portrait profane à la seule lettre sacrée.

    Débarqué à Venise sous un nom grec après la mort de son père, surnommé «il Turquetto», Elie Soriano deviendra le meilleur élève du Maître (alias le Titien) qu'il surpassera même peut-être, notamment dans une Cène géniale détruite, comme tous ses tableaux, après que ses ennemis ont percé ses origines infâmes. Etre Juif et se faire passer pour chrétien est en effet passible de mort en ce temps-là. Au demeurant, le Turquetto assume son origine après s'être peint sous les traits de Judas, et s'il échappe finalement à l'Inquisiteur corrompu , c'est grâce à un nonce également dégoûté par une Eglise trahissant l'Evangile...

    «Se non è vero è ben trovato», dit-on dans la langue de Dante pour reconnaître qu'un mensonge, ou disons plus gentiment une affabulation, peut être plus vrai que ce qu'on appelle la vérité. Et d'ailleurs quelle vérité ?

    C'est une des questions essentielles que pose Il Turquetto, passionnante variation romanesque sur les acceptions de la vérité: vérité de nos origines peut-être incertaines, vérité des valeurs que nous croyons absolues, vérité de l'art qui dépend si souvent de conditions sociales ou économiques données - les aperçus du roman sur les Confrèries vénitiennes sont captivants - , vérité de la religion qui prétend exclure toutes les autres.

    Metin Arditi a sûrement mis énormément de son savoir et de sa grande expérience existentielle dans ce roman par ailleurs foisonnant, sensible et sensuel, plein d'indulgence pour les êtres et d'humour aussi, qui est autant celui d'un connaisseur de l'art que d'un amoureux de la vie et, pour tout ce qui touche, aujourd'hui, au retour des obscurantismes, d'un humaniste ouvert aux sources d'une vérité aux multiples visages.

    Metin Arditi. Le Turquetto, Actes Sud, 236p.

    Arditi.jpg

  • Citoyen du monde

    Vargas2.jpg

    La conférence du Nobel de Mario Vargas Llosa nous vaut un bel éloge de la lecture et de la fiction, gages de liberté.

     

     

    Mario Vargas Llosa avait 5ans lorsqu’il apprit à lire. «C’est ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie», affirme-t-il au début de son éclatante Conférence du Nobel intitulée Eloge de la lecture et de la fiction, parfaite introduction à son œuvre grande ouverte sur le monde.  Si la lecture le fit magiquement entrer dans le sous-marin du capitaine Nemo et ferrailler aux côtés de d’Artagnan, c’est par l’écriture qu’il commença de prolonger ou corriger la fin des histoires qui remplirent son enfance. Son dernier roman, Le rêve du Celte, est d’ailleurs traversé par un souffle épique de roman d’aventures. Rien d’innocent cependant dans les menées de son héros, Roger Casement (1864-1916), pendu à la fin du premier chapitre comme un criminel, et dont la trajectoire retracée ensuite est celle d’un accusateur féroce du colonialisme, au Congo belge puis dans l’Amazonie péruvienne, dont l’action prélude en outre à l’indépendance de l’Irlande.

     

    Après son portrait mémorable du dictateur Trujillo, dans La Fête au bouc, Vargas Llosa montre une fois de plus sa connaissance profonde des motivations humaines et des rouages politiques, acquise avec l’expérience. C’est pourtant «au paradis» que le jeune Mario vécut sa première enfance, avant de perdre son innocence à onze ans. Alors, en effet, on lui révéla que son père, déclaré mort jusque-là, ne l’était pas. Ayant rejoint ledit paternel à Lima, il découvrit «la solitude, l’autorité, la vie adulte et la peur». Avec, pour seul salut, la lecture et «cette passion, ce vice et cette merveille: écrire, créer une vie parallèle où nous réfugier contre l’adversité, et qui rend naturel l’extraordinaire, extraordinaire le naturel, dissipe le chaos, embellit la laideur, éternise l’instant et fait de la mort un spectacle passager».

     

    Tout enseignant de littérature devrait lire et faire lire ce lumineux opuscule de Vargas Llosa. Tranquillement «intime» dans la reconnaissance déclarée à Patricia, qui lui donna trois enfants et n’hésite pas, elle qui «fait tout et fait tout bien», à lui dire: «Mario, tu ne sers qu’à une chose, à écrire»… Mais également lucide dans ses observations d’ex-révolutionnaire de vingt ans, déçu du communisme et rejetant ensuite toute forme de dictature. De ses tribulations personnelles, l’écrivain tira La ville et les chiens, tableau virulent de l’académie militaire où son père l’envoya et qui établit sa première gloire. Par la suite, l’autobiographie céda le pas à des romans polyphoniques de plus en plus ambitieux et percutants, tels Pantaleon et les visiteuses  et Qui a tué Palomino Molero?, stigmatisant le fanatisme militaire ou religieux.

     

     «Citoyen du monde», parce qu’il devint lui-même dans le Paris de Sartre et Malraux, puis à Barcelone dans les années 70, entre autres multiples lieux où il habita, Varga Llosa l’est naturellement, attaché à sa patrie natale (ce Pérou dont il faillit devenir le président très libéral en 1990), ou à l’Espagne, dont le roi le fit marquis. Il se qualifie encore d’ennemi du nationalisme en lequel il voit «la cause des pires boucheries de l’histoire», ce qui ne l’a pas empêché de soutenir un candidat nationaliste aux dernières élections présidentielles péruviennes…

     

    Mario Vargas Llosa. Eloge de la lecture et de la fiction. Gallimard, 48p.

     

    Le rêve du Celte. Galimard, 388p.

     

  • Ceux qui se ramassent

    Panopticon889.jpg 

     

     

    Celui qui se lève avant tout le monde pour écrire tranquille / Celle qui se demande comment disparaître / Ceux qui revoient A Lonely place pour la énième fois / Celui qui fait sienne la devise : Lavorando mi riposo, en travaillant je me repose / Celle qui en a marre de prendre tout sur elle /  Ceux qui se réfugient dans les coulisses de l’exploit / Celui qui rlit la Disparition d Prc / Celle qui laisse infuser son ombre sur le mur d’angle / Ceux qui se trissent par l’angle mort / Celui qui rejoint son bureau par les dunes / Celle qui se réfugie dans le thé dansant / Ceux qui se cachent dans la foule / Celui qui évite les jeunes mormons motivés / Celle que la conso dynamique genre Fnac paralyse bonnement / Ceux qui se retrouvent en se perdant / Celui qui fuit comme un robinet d’eau tiède / Celle qui est trop lâche pour se lâcher / Ceux qui sont balisés comme des pistes de décollage où rien ne décolle / Celui qui se multiplie par un premier enfant avec celle qui le lui a fait / Celle qui sert un Marini on the rock au père batteur de la future pianiste de concert / Ceux qui ont fait des enfants pour mettre un peu de vie dans la maison des retraités / Celui qui fait bouboume à pépère à son premier poupon alors qu’il est plutôt genre trader cynique / Celle qui découvre un père attentionné chez les macho méditerranéen qu’elle a épousé pour son argent / Ceux qui se réfugient dans les replis de leurs houris / Celui qui découvre que la révolution du jasmin a des épines sous sa barbe / Celle qui vote avec ses lessives / Ceux qui sont venus à cause des Bonus et s’en vont avec / Celui qui estime qu’un crash européen est souhaitable afin de repartir d’un bon pied / Celle qui a des réserves de riz en cas de crise / Ceux qui pratiquent la méditation transcendantale en plein quartier des affaires et même parfois à l’heure de pointe / Celui qui plaint son pays d’être devenu ce qu’il est tout en se félicitant lui-même d’être resté ce qu’il était / Celle qui estime que la vocation d’un contribuable est de contribuer / Ceux qui sont de plus en plus médusés sur leur radeau / Celui qui s’abstient de ne pas voter sans être sûr que ça se remarque / Celle qui se rappelle la propension du peintre Auguste Renoir à casser tous les angles d’un nouvel appartement au marteau / Ceux qui vont voir ailleurs si le taux de change est meilleur, etc.

    Image : Philip Seelen        

     

  • Nick le révolté

    Ray1.jpg

    Rencontre-entretien avec Susan Ray, veuve du grand cinéaste américain Nicholas Ray.

     

    La Cinémathèque suisse présente, jusqu’au lundi 31 octobre, une rétrospective consacrée au grand cinéaste américain Nicholas Ray, auteur de La Furerur de vivre et de nombreux autres films de première importance tels Les amants de la nuit (1948), le fabuleux In a lonely Place (Le violent, 1950) avec Humphrey Bogart, Johnny Guitar (1954) ou encore À l’ombre des potences (1955), Le Roi des rois (1961) et Les 55 jours de Pékin (1963) avec Ava Gardner.  « Autour » de Nicholas Ray ont également été présentés L’Ami américain de Wim Wenders et le mémorable Lightning over Water ; Nick’s movie, du même Wenders témoignant de la fin de son ami en phase terminale de cancer, à sa demande. Enfin, Susan Ray, de passage à Lausanne ces derniers jours, présentait le dernier film de Nicholas Ray lui-même, tourné avec une quarantaine d’étudiants en 1971, intitulé We can’t go home again et constituant une sorte de patchwork « godardien » où l’on voit un film  se faire avec et par les étudiants, sur l’arrière-fond très présent des révoltes contre la guerre au Vietnam et pour les droits civiques à la fin de sixties.  En complément, la même Susan Ray présentait un documentaire de son cru sur Nicholas Ray en ses dernières années, sous le titre de Don’t expect too much.

     

    Susan18.jpgEntretien avec Susan Ray

     

    -        Quelle sorte de teenager étiez-vous lorsque vous avez rencontré Nicholas Ray ?

    -        J’étais une jeune fille assez différente des autres, je me sentais un peu à part dans ma génération, que Nick comprenait mieux que moi. Je venais du Connecticut. Mes parents étaient des gens instruits de la classe moyenne, mon père était avocat et ma mère enseignante. J’étais plutôt introvertie et le suis restée. Je lisais beaucoup et j’écrivais. J’aimais la musique et un peu le cinéma. Je n’avais jamais entendu parler de Nicholas Ray, dont j’avais vu pourtant quelques films, dont Bigger than life. C’est à l’occasion du fameux procès des activistes, à Chicago en 1969, que nous nous sommes rencontrés une première fois par le truchement de l’avocat de la défense. Etudiante en méthodologie historique, j’avais été chargée de suivre le procès pour un éditeur new yorkais. Ce n’est que six mois après le procès, cependant, que Nick m’a fait venir chez lui et m’a demandé de travailler pour lui. J’ai commencé par nettoyer un monceau de vaisselle, ce qui l’a impressionné. Puis il m’a demandé de rédiger un script à partir du rapport qui avait été fait du procès de Chicago, pour un film qu’il avait en projet. Je n’avais aucune expérience de ce genre de travail, mais je m’y suis attelée. Moi qui rêvais alors de nouvelles expériences et autres aventures plus exaltante que le monde abstrait des cours, j’ai été servie !Ray13.jpg

    -        Quel type d’homme était alors Nicholas Ray ? 

    -        Il m’a semblé tout de suite extraordinaire. Il avait l’air d’un homme. Jamais je n’avais vu un type comme ça. Il dégageait une énergie folle. J’avais l’impression, avec lui, d’être plus libre qu’avec quiconque. Je me sentais acceptée telle que j’étais, et de surcroît je pouvais jouer avec lui comme avec un enfant. Nous avions ainsi des marionnettes, avec lesquelles nous avons joué jusqu’à la mort de Nick. Sa préférée était un lion. Elles faisaient un peu partie de notre famille. Une amie m’a dit que cette part enfantine, en moi, avait particulièrement attiré Nick, chez lequel elle était aussi très présente. Et puis, j’étais impressionné par la part de spiritualité qu’il y avait en lui. Comme je voulais devenir nonne lorsque j’avais cinq ans, et que je restais très préoccupée par ce domaine-là, j’ai été touchée par sa façon d’aller au fond des choses.

    -        On sent cette profondeur dans le contenu implicite de ses films… 

    -        Absolument. Sans pratiquer lui-même aucun exercice spirituel, sa façon d’interroger l’essence des choses et son travail sur la réalité faisaient de lui une espèce de mystique. C’était en tout cas un homme en recherche. A la fin de sa vie, lorsque j’ai commencé à pratiquer le yoga, il m’a dit que c’est ce qu’il aurait dû faire à mon âge. Il voulait absolument se comprendre lui-même à travers son approche des autres. Ses intuitions étaient d’une acuité exceptionnelle et ce sont à mes yeux les meilleurs indices d’une authentique spiritualité.

    -        Qu’a-t-il trouvé, pour sa part, dans la jeune fille que vous étiez ?

    -        Je me le suis souvent demandé. Je crois qu’il a senti que je le comprenais mieux que les autres. Il est difficile d’expliquer pourquoi deux êtres se reconnaissent et décident de vivre ensemble, mais Nick m’a dit un jour, dans une lettre, que je le connaissais mieux que quiconque. Nous étions bien ensemble, mais cela n’allait pas sans affrontements, pourtant  Nick a été la seule personne à me laisser libre jusque dans l’opposition.

    -        D’aucun parlent du Nicholas Ray de ces années comme d’un homme fini, ruiné et perdu d’alcoolisme. Or ce n’est pas l’image qu’il donne dans son dernier film…

    -        Cette caricature de Nick m’a toujours révoltée ! Parce que son départ d’Hollywood n’a pas été le seul fait du milieu, mais également de sa volonté à lui. Mais évidemment, il est difficile, pour ceux qui croient tout avoir avec l’argent et la gloire, de comprendre qu’on puisse être las de tout ça et chercher autre chose. Or c’est exactement ce qui est arrivé à Nick, qui aspirait à explorer de nouveaux territoires. L’incroyable intensité de son engagement, dans la préparation du film avec les jeunes, qui flanchaient les uns après les autres alors qu’il pouvait travailler vingt heures d’affilée, est la meilleure réponse à propos de l’homme « fini », même s’il est vrai qu’il s’enfonçait de plus en plus dans son alcoolisme.

    Ray12.jpeg-        Quand a-t-il commencé à parler de We can’t go home again ?  

    -        Dès 1971, quand il a été engagé à donner ses cours à l’université de Binghampton. Il était convaincu que la seule façon d’enseigner le cinéma est de faire un film. Et c’est ainsi qu’il a poussé ses étudiants à s’impliquer à fond dans la réalisation.

    -        Leur vie même semble s’intégrer dans le film. La fille qui dit avoir racolé pour ramener 2000 dollars à la réalisation affabule-t-elle ?

    -        Pas du tout ! D’ailleurs il est difficile de faire la part de la réalité et de la fiction dans toute cette matière ressaisie par le film, où l’histoire du couple initial est juste un fil rouge. L’essentiel est ailleurs, qui a déterminé tout le travail de Nick et de l’équipe. Il s’agissait, pour lui, de donner une nouvelle image, plus brute et plus vraie, de la réalité que nous vivons. L’imagerie conventionnelle du cinéma et de la télévision lui semblait par trop léchée. Il aspirait à dégager ce qu’on pourrait dire une image subliminale de la réalité, en multipliant les approches par le patchwork d’images d’actualités, de scènes jouées au naturel ou avec des masques, d’éléments vidéo aux effets picturaux décalés, qui donnent au film son caractère expérimental.  C’est aussi pourquoi il n’a pas eu recours à des acteurs professionnels.

    -        Quel a été votre rôle dans l’élaboration du film ?

    -        J’y ai beaucoup travaillé… depuis quarante ans, entre montage final et restauration ! Mais pendant le tournage, je me suis tenu dans les coulisses. D’abord parce que je n’aime pas être photographiée ou filmée, ensuite parce que je me consacrais à de plus humbles tâches, entre la cuisine et le travail d’assistance…  

    -        Qu’en est-il du documentaire que vous avez consacré à Nicholas Ray sous le titre de Don’t expect too much, qui reprend la sentence du Sphinx tirée de la belle scène centrale de We can’t go home again ?

    -        J’avais des questions à résoudre. À l’origine, c’est Bernard Eisenschitz, le biographe de Nick, qui devait le réaliser, mais ça n’a pu se faire. Je m’y suis donc attelée, alors que je n’avais jamais fait de films.

    -        Quelles questions vous posiez-vous ?

    -        Elles portaient à la fois sur ce que l’équipe de tournage avait vécu avec Nick et, plus généralement, sur les relations entre maître et élèves, qui me passionnent.

    -        Et quelles réponses avez-vous obtenu ?

    -        J’ai constaté à quel point Nick s’était réellement « donné » à ces jeunes, comme s’il leur devait quelque chose d’important. Cela correspondait d’ailleurs à ce qu’il disait de sa génération, qu’il prétendait une génération de traîtres en cela que les pères avaient fait semblant d’ouvrir grands les bras à leurs enfants et les avaient refermés sans rien leur donner – ce qui me semble, pour ma part, une conclusion injuste. En fait j’ai l’impression que le reproche peut être fait à toutes les générations, et que la nôtre n’a pas été plus brillante que celle de Nick, au contraire !

    -        Vous avez évoqué le thème de la transmission, au cœur du film lui aussi, notamment dans la scène du Sphinx interrogé par l’homme en quête de sagesse. Or, qu’estimez-vous que Nicholas Ray vous ait transmis ?

    -        Nick ne m’a pas transmis la sagesse, que j’ai plutôt trouvée auprès de mes maîtres zen. Il m’est d’ailleurs difficile de démêler ce que Nick m’a transmis et ce qui était déjà en moi. Ce que je dirai, au plus juste, c’est qu’il m’a permis d’être moi-même. J’aurais peut-être aimé qu’il me guide un peu plus, j’ai souffert de son alcoolisme, ce n’était pas un homme facile à vivre, mais moi non plus je n’étais pas facile à vivre. Nick m’a aidé à explorer les zones d’ombre de la nature humaine, les parties cachées, obscures ou douloureuses ; la recherche spirituelle passe par la souffrance, je vous l’ai dit, et c’est ce mélange aussi, de fragilité  et de profondeur, que j’ai retrouvé cet après-midi au musée de l’Art Brut que j’ai visité, à Lausanne, avec quelle émotion !  

     

    Lausanne. Cinémathèque suisse. We can’t go home again est à voir encore le 28 octobre, à 15h. Le même jour, à 18h.30, reprise des The lusty Men (Les indomptables), à 18h.30. En outre, La Fureur de vivre repassera le 29 octobre à 15h. Pour le reste des projections, on consulte le site de la Cinémathèque : www.cinematheque.ch Une vidéo consacrée à Susan Ray est visible sur le site.