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  • De touchants Intouchables

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    Une pinte de tendresse et de verve à partager

    On n’acclamera pas le énième chef-d’œuvre, on n’aura pas la cuistrerie de comparer Intouchables des compères Toledano et Nakache aux grandes comédies du 7e art, et pourtant c’est de l’artisanat de haute volée, aux mouvements puissamment enlevés, au rythme soutenu, aux cadrages alternant superbement grands espaces ouverts et retraits intimes, au dialogue ciselé pilpoil pour des personnages consistants et subtils, à l’interprétation en force ou en délicatesse mais jamais trop démago – bref c’est un bel et bon film d'aujourd'hui que cette adaptation cinématographique de l’histoire vraie de Philippe Pozzo di Borgo où François Cluzet, jouant des seuls traits de son visage et des intonations de sa seule voix, et l’irrésistible Omar Sy, mêlant drôlerie et gentillesse, font merveille au premier plan sans occulter pour autant quelques dames adorables ou quelques bourgeois calamiteux au deuxième plan.

    Intouchables3.jpgC’est entendu : le thème du handicap est traité ici de façon si non convenue qu’elle devient presque convenue (le richissime bourgeois cloué sur sa chaise et le beau Black des banlieues sans commisération, ça pourrait même puer la convention dilatoire), et pourtant ce film littéralement tissé de clichés, aux saillies satiriques non moins téléphonées (sur les soignants, l’art contemporain, les goûts musicaux qui se télescopent ou les dérives de la novlangue plus ou moins branchée)  ne nous vaut pas moins une formidable  pinte de belle humeur et de tendresse, avec une tas d'observations fines dans la foulée -  donc merci la compagnie, on ne va pas chipoter sur un tel plaisir...  

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  • Ceux qui maraudent

     

     

    Panopticon11120.jpgCelui qui grappille dans les vignes du Seigneur / Celle qui se nourrit principalement de produits importés par la firme dans laquelle elle est employée surnuméraire / Ceux qui se contentent d’une Ope Cup Saké avant de se mettre au lit dans leur tenue de nuit / Celui qui laisse son toutou Tom jouer sur le tatami de Tina la tatouée / Celle qui se douche à l’eau glacée entre un morceau de Stockhausen et le suivant de Schnittke / Ceux qui pagaient au rythme de la pendule tenue bien droite à l’arrière de la pirogue / Celui qui réprouve la pratique des garçons d’extrême-droite tirant à l’arbalète sur les marmottes pacifistes du haut Toggenburg / Celle qui met à fond les amplis pour chanter Saison des amours au karaoké face à la mère qui roule sa houle / Ceux qui vont exprès à Washington D.C. pour voir les Bonnard de la collection Philips / Celui qui s’exclame avec son crâne accent genevois : bravo bonnard vive Calvin ! / Celle qui aimait bien entendre Bouvier dire bonnard quand il avait le moral donc pas très souvent / Ceux qui font leur miel des faits divers du journal Le Matin dit plus souvent le Tapin / Celui qui lit debout dans le métro de Yokohma le manga sadique du père qui frit debout aussi sa fille à la poêle après l’avoir découpée en fins morceaux / Celle qui estime que le Japon doit être tenu à l’écart de l’Europe Unie / Ceux qui planchent sur la relance du dinar grec / Celui qui prétend avoir eu un rapport oral avec Limonov mais c’est pile le genre du type à se vanter un lendemain de Renaudot ou de Toussaint / Celle qui n’écoute pas ceux qui lui parlent mais eux non plus / Ceux qui estiment de leur devoir de lancer sur Facebook une association des homonymes Duclou / Celui qui a envoyé des messages à 6 homonymes Delaclope sans réponse à ce jour / Ceux qui ont une pensée émue chaque matin pour leurs 666 amis de Facebook aux prénoms variés / Celui qui est sûr de récolter 666 « j’aime » quand il colle une photo de myosotis sur Facebook / Celle qui « partage » toujours les photos de myosotis ou de hamsters malicieux sur son profil positif / Ceux qui ont passé de Facebook à Twitter pour protéger la confidentialité des révélations de leur cousine championne de canasta / Celui qui convoite le badge de meilleur joueur sur la nouvelle console japonaise du bar La Baraka / Celle qui constate avec inquiétude que le badge que portait hier son fils est le même qui a été retrouvé à côté de l’écureuil égorgé dont parlent ce matin les tabloïds / Ceux qui concluent après les derniers événements qu’après ça on ne sait plus où on va au jour d’aujourd’hui / Celui qui sa tatoue le torse au sang de bigarreaux / Celle qui se cueillait des bécots aux lèvres des voyous du quartier avant l’extinction de la race hélas / Ceux qui descendent la rivière de Grapillon / Celui qui palpait à douze ans déjà les nichons sans bonnets / Celle qui choisit les plus beaux morceaux des charcutiers charnus / Ceux qui rôdent toujours dans les vergers de leur adolescence de sauvageons, etc.

    Image : Philip Seelen.   

  • Le Goncourt et après...

     

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    Un siècle et de poussières après l’attribution du premier prix Goncourt à John-Antoine Nau, pour son roman Force ennemie, qui reçut la somme de 5000 francs des premiers académiciens avant d’être vite oublié, Alexis Jenni, lauréat du Goncourt 2011 pour L’Art français de la guerre, paru chez Gallimard, devra se contenter de 10 euros. Telle est la règle.

    Mais les 56.000 exemplaires déjà vendus de ce roman franco-français solidement charpenté,  qui sonde la mémoire de la France guerrière et colonialiste, pourraient bien se trouver décuplés ces prochains mois par ce prix géant qui éberlue positivement « l’écrivain du dimanche » lyonnais, comme il se présente lui-même, si la faveur du public et des libraires français suit le mouvement d’intérêt qu’a immédiatement suscité L’Art français de la guerre.

    Le prix Goncourt a souvent été critiqué pour les « magouilles » qui présidaient à son attribution, limitant les éditeurs papables aux trois enseignes de Gallimard, Grasset et Le Seuil (Galligrasseuil), et le fait est que l’on doute que les 600 pages serrées de Jenni, parues chez un éditeur de seconde zone, eussent jamais passé la barre.

    Or, ce qui est appréciable, en revanche, c’est que ce livre intelligent et de bonne foi, bien construit, intéressant pour tout ce qu’il dit de l’histoire occultée des guerres françaises, passe précisément la barre !

    Ce qu’on n’occultera pas, au demeurant, c’est la guerre économique qui se joue avec les prix littéraires. L’éditeur pavoise, mais des auteurs y ont laissé des plumes, comme Jean Carrère l’a raconté. Jacques Chessex, a contrario,  l’a bien vécu, avec un bon sens tout vaudois. On souhaite la pareille  à l’écrivain du dimanche lyonnais !

  • Bon pour le Renaudot !

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    Emmanuel Carrère, après Céline et Perec…

    D’aucuns avaient vu en Limonov, dernier roman-portrait d’Emmanuel Carrère consacré au zizanique écrivain-tribun russe, le lauréat idéal du Goncourt de cette année. Or l’attribution du Prix Renaudot à ce livre, certainement moins « grand public » que celui du lauréat du Goncourt, et publié à une enseigne moins influente, n’a rien d’infamant et confirme, après maints autres exemples, la vocation du deuxième grand prix de l’automne littéraire français à marquer la différence entre ce qu’on pourrait dire le « régulier », ce que les Anglo-Saxons appellent le « mainstream », et le plus « irrégulier ». C’est ainsi qu’en 1932, le génial Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, auquel on ne comparera pas le roman de Carrère, fut écarté du Goncourt mais gratifié du Renaudot, de même qu’en 1963 Le procès-Verbal de Le Clézio et, en 1965 les choses de Georges Perec, marquèrent l’histoire de ce porix qui n’a rien « de consolation ».

    Auteur en constante évolution, achoppant à la réalité brute avec une implication personnelle singulière, comme on l’a vu déjà dans L’Adversaire, ou de manière plus « faniliale » dans Un roman russe, Emmanuel Carrère, fils mal coiffé d’académicienne impeccable, poursuit une investigation passionnante, avec Limonov, dans les marges du « littérairement correct » qui l’ont déjà vu sonder les eaux troubles de Philip K. Dick…

    Bon pour le Renaudot !   

    Emmanuel Carrère. Limonov. P.O.L., 496p.

  • Le Goncourt annoncé

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    Un roman qui bat en brèche l’amnésie française: L’Art français de la guerre d'Alexis Jenni.

    C’est sans grande surprise qu’est tombé, hier, le verdict de l’Académie Goncourt, attribuant le plus prestigieux des prix littéraires français au premier roman du quadragénaire lyonnais Alexis Jenni, intitulé L’Art français de la guerre. De fait, le nom du lauréat, considéré comme une des « révélations » de la rentrée, semblait le mieux placé sur la dernière ligne de la course au Goncourt, avec celui de Carole Martinez et son beau roman médiéval lyrico-mystique intitulé Du domaine des murmures, qui a obtenu trois voix au premier tour contre cinq à son concurrent – tous deux courant pour la puissante écurie Gallimard. Or la vocation déclarée du Goncourt dès sa fondation, tenant à encourager un inconnu de talent, se trouve en somme honorée après moult dérogations – de Marguerite Duras couronnée à 70 ans en 1984, au célébrissime Michel Houellebecq « rattrapé » l’an dernier…

    Tout classique de forme, bien construit et pratiquant la « ligne claire » de notre langue, L’Art français de la guerre, certes long et très  franco-français de substance, et malgré son pesant de sentences voulues définitives (mais n'est pas Céline qui veut...)   devrait pourtant toucher aussi le public « étranger » par les questions qu’il pose sur l’effacement de la mémoire. On peut douter que son retentissement soit comparable à celui des Bienveillantes de Jonathan Littell, « goncourtisé » en 2006, mais l’ouvrage a le même mérite de rompre avec un certain nombrilisme littéraire. Ainsi module-t-il, par le truchement de ses deux protagonistes, une sorte de décapage de l’histoire des guerres françaises de ces soixante dernières années, entre l’Indochine et l’Algérie, notamment

    Amorcé par une évocation de la guerre du Golfe, par le narrateur un peu glandeur-quadra-paumé  qui découvre à la télé, en 1991, le départ des spahis de Valence pour le désert et sa Tempête, le roman décolle avec l’apparition, dans un « café perdu », de Victorien Salagnon, revenu de toutes les guerres et qui, bien après ses activités d’ « officier parachutiste dessinateur » du  Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, a continué de peindre au pinceau chinois, dont il va d’ailleurs transmettre l’art à son jeune interlocuteur. « Avec du noir il faisait de la lumière, et de la lumière le reste découle ». Pour payer ces leçons, le narrateur se fera le chroniqueur des tribulations parfois terribles de Salagnon,  constituant la partie la plus dynamique du roman, ponctué par les surtitres de Roman I à Roman VI. Ceux-ci  alternent avec des chapitres sur-titrés Commentaires, de  I à VII, qui marquent un contrepoint réflexif. « Les guerres sont simples quand on les raconte », déclare Salagnon au fil de son récit. « Sauf celles-là que nous avons faites. Elles sont si confuses que chacun essaie de s’en sortir en donnant un petit roman plaintif, que personne ne raconte de la même façon. Si les guerres servent à fonder une identité, nous nous sommes vraiment ratés »…

    A noter enfin que la composante du dessin, dont les traits lient aussi les deux protagonistes, a son importance dans la modulation du récit d’Alexis Jenni par images, souvent bien silhouettées et frappantes – qui trouvent d’ailleurs une prolongation sur un blog dessiné de l’écrivain (http://www.jalexis2.blogspot.com) à l’enseigne de Voyages pas très loin.

    Or Alexis Jenni, et c’est bien sympathique, a l’air le premier éberlué de se trouver propulsé « un peu plus loin » avec L’Art français de la guerre.

    Alexis Jenni. L’Art français de la guerre. Gallimard, 633p.

  • Ceux qui ont la touche

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    Celui que les histoires de cul d’Embrasez-moi d’Eric Holder ont tout de suite botté / Celle qui adore lire debout et le faire aussi sous la douche avec quelqu’un de consentant si ça se trouve / Ceux qui se partagent les cerises confites au petit dèje / Celui qui pique un fard alors que c’est lui qui mate / Celle qui dit comme ça qu’elle kiffe les regards louches / Ceux qui se donnent rendez-vous rue de Hesse ou rue Soufflot ça dépend des jours / Celui qui le fait à la camarade à celle qui se prête juste pour voir / Celle qui le fait juste en passant et pas de plus même si affinités vu que l’Agenda passe avant / Ceux qui s’aimeront surtout plus tard à travers leurs enfants / Celui qui aime les triolets d’Elsa / Celle qui dit préférer le souvenir de la chose à la chose mais est-ce vrai ? / Ceux qui en ont imprégné les murs / Celui qui les a toutes essayées avant d’en choisir une hors du bureau / Celle qui les a tous essayés au bureau qui s’en est trouvé plus soudé / Ceux qui appellent amitié leur façon de prendre les femmes de leurs amis / Celui qui se fait le serment (par écrit) de baiser la Chèvre / Celle qu’on appelle la Chèvre mais c’est façon de parler / Ceux qui ont connu sainte Blandine au sens biblique / Celui qui s’en tient aux bas quartiers / Celle qui a pris l’ascenseur du cœur et de l’âme et du mal de cheveux quand elle s’est retrouvée seule / Ceux qui se sont rabattus sur les levrettes d’élevage assez rentables avec la mode / Celui qui se garde les poires d’Hélène pour la soif / Celle qui s’offre au plus donnant-donnant / Ceux qui laissent venir à eux l’immensité des choses / Celui qui les cérébraux ont toujours fait fuir / Celle qui a des convulsions cérébrales en tant que cheffe de projets culturels / Ceux qui vibrent en surface / Celui qui parle de profondeur pour en imposer / Celle qui flaire le faux à fleur de peau / Ceux qui gardent leurs sens en éveil / Celui qui se relève d’une espèce de coma éveillé / Celle que plus rien n’embrase que de faire le pompier / Ceux qui se réfugient dans le ricanement compulsif style jeune Japonais blasé / Celui qui ne vit plus que par procuration / Celle qui tue le temps mé-ti-cu-leu-se-ment / Ceux qui succombent au mépris des médiocres / Celui qui ne se fie qu’à ses antennes / Celle qui se la joue femme savante et ne sait plus où elle en est / Ceux qui ne se touchent plus que par les mots / Celui que tout déçoit plus ou moins sauf de voir le jour se lever sur l’arrière-cour / Celle qui laisse du temps au vent / Ceux qui se retrouvent en cabane au Canada / Celui que sa sensualité a rendu plus indulgent / Celle qui petite chantait zut merde pine et boxon dans l’auto de papa et maman ravis / Ceux qui se bécotent encore de loin en loin / Celui qui demande à l’imam de lui lâcher la grappe / Celle qui les laisse aller et ils s’en allent, etc.     

    Image: Philip Seelen

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