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L'banquet

 

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Rhapsodies panoptiques (18) 

…Tu sais combien je vomis le festif, Quentin : tu sais combien je dégueule tout ce degueulando – mais j’vais te répondre. Je vais répondre au dernier chapitre de ton premier livre où tu racontes le retour du jeune voyageur à la case départ, genre l’enfant prodigue on débriefe. Je vais tenter de te répondre en vioque de ton âge. Je vais traverser le Temps en quelques phrases et tâcher de répondre au vioque que j’étais à ton âge. C’est le plus beau passage de ton livre. Le moment où toute ta ferveur accumulée devient rage. Le moment où tout ce que tu as accueilli et déployé bute contre ce mur de visages. Les parents et amis. Les proches tout à coup si lointains mais qui font cercle. Les aimés qui font une place laissée vacante au baladin mais le voici rentré dans le rang et là faut qu’on le serre. Les bienveillants. Les souriants. Tu notes ça que j’ai tant de fois ressenti en tous mes âges de vioque pas tout à fait sorti de l’innocence: que ce sourire est le pire piège si ça se trouve. Toute cette bonté suisse. Encore merci. Non c’est moi. Et bonne fine de matinée. Et bon début de soirée. Toutes ces balises. Toutes ces bonnes mines juste inquiètes que tu fasses juste à présent. Parce que c’est à présent qui compte. À présent et demain l’ouverture des bureaux. Juste à présent que tu racontes juste ton voyage. Juste que tu nous fasses rêver ça c’est sûr. Juste que tu nous dises si Death Valley c’est juste comme dans les films et tout ça, genre Blow up et tout ça – notre bohème des sixties et tout ça, l’époque où nous autres vioques de vingt ans on ne mettait pas de slip sous nos jeans - tu te rends compte la liberté. Le tout bon sourire complice des bohèmes de retour. Route Sixty-Six. Entre Kerouac et Goa : la Route, quoi. Fais-nous juste rêver bis repetita…

… Et plus qu’évidemment, Quentin, que j’te captes. À dix-huit ans j’étais déjà d’accord avec toi: leur bonté me terrifiait. Et pourtant j’étais aussi en désaccord avec moi : leur bonté déteignait sur moi. C’était affreux que je me disais: j’aime être bon. J’étais plutôt salaud de nature comme quand on est amoureux grave, pour parler comme toi, mais je m’sentais bien quand j’étais bon. Le vrai con comme eux. Les miens. Genre nos proches. Parents et amis. Je leur apportais des cadeaux à Noël. Je choisissais le meilleur : pas le virement de chèques que c’est devenu mais le cadeau vrai, genre LE livre à lire vraiment ou LE disque à écouter les yeux levés. Tu vois ça, toi que je sens redouter Noël, dans ta vingtaine débutante, comme Noël m’a fait gerber dans ma trentaine de déviant aggravé, mais à Noël je revenais chez les miens qui chantaient encore de vagues cantiques. Et tendre Papa prévenant. Et brave maman passée mère-grand avec les premiers marmots du frangin. La poésie au pied du sapin : j’te mens pas toi qui aimes l’exactitude, même que je te le cite de mémoire : « La petite bougie a l’œil pointu a dit / c’est la fête à Jésus sois gentil ». Texto. J’te  dis pas d’où je venais le soir d’avant et où j’irais le lendemain. Je me la jouais agent double. Plus trouble tu meurs : j’voulais passer partout. Comme toi dans le désert aux fous. Mais il y avait des années que je revenais sans cesser de repartir, et c’est là que je reviens à ton premier retour…

…Il y a chez toi de l’humanité directe, Quentin, et c’est pourquoi je t’écris ce soir d’avant Noël, dans la pluie d’après la neige, dans le froid que réchauffent le feu de bois et les mots. Or toute la peur et l’horreur de Noël qu’on ressent de plus en plus, je la partage sans la partager. Toute l’horreur des fêtes, toute cette horreur de plus en plus partagée je la partage de moins en moins pour dire  vrai. Pas que je m’aligne avec les alignés : pas que je m’avale à mon tour avec les avalés, mais j’te lis entre les lignes, Quentin, et ce que je lis là dit le contraire de ce qu’on croit lire : que ta rage est d’humanité. Que ton orage est bon. Que la rage des humiliés devant la fête devenue simulacre est bonne. Que toute cette dinderie du festif a tourné à la pure connerie, j’vous  le fais pas dire, et qu’il est bon de se retirer dans ses fêtes à soi…

…Ta fête à toi c’est d’avoir vécu « tous ces trucs », comme tu le dis dans ton volapük, et de le raconter comme personne. Notre truc à tous est de vivre comme personne, mais pas tous ne s’en avisent tant les paupières d’un peu tous pendouillent jusque par terre. Tu connais le démon de la légende russe, dont les paupières habitudinaires pendouillent jusque par terre et qui ronchonne à tout moment qu’il n’y a rien à voir vu qu’il ne voit rien. Et c’est cela la fête en somme, enfin ce qu’on appelle désormais la fête festive et du soir au matin, partout, c’est le cinéma sous les paupières, c’est Vegas que tu as vu comme personne de même que tu as vécu Trona au bas bout de nulle part où Bukowski rejoint Beckett et les branleurs de Webcamworld. La fête festive c’est ça : c’est le branle absolu dans l’désert. Tu les as bien regardés et sans moraliser. Tu t’es reconnu le frère fraternel de ce poufiat de Jim qui fait ses records de dégueulée de Budweiser sur Youtube. T’as bien vu la Star Ac universelle et ce que t’en écris est sans haine. Juste un peu triste. Juste ce qu’il faut d’humour à peine décalé, Juste ce qu’il faut d’énergie pour repousser ce que tu dis le suaire de l’habitude. Juste ce qu’il faut pour esquiver ce que tu dis les relents de morgue. Juste ce qu’il faut pour ne pas pouloper ensemble comme tu dis  avant de solenniser dans le genre youngster à bonne école anar en déclarant comme ça qu’aux urnes tu n’amèneras que les cendres d’un bulletin de vote – mais tu fais ce que tu veux citoyen Quentin du moment que tu votes comme personne au graffiti sauvage…

…Et là je me suis levé et j’ai grand ouvert la fenêtre noire de nuit belle au souffle montant du lac et des forêts. Or voilà l’banquet que je me dis. Le banquet n’est pas ailleurs que je me dis. Picturalement le premier plan de ma noire fenêtre ouverte est une grande ondulation de montuosités forestières à clairières un peu moins noires où scintillent des loupiotes humaines. Juste derrière un peu plus bas il y a comme une fumée, comme une étole de brume au-dessus du lac noir à reflets plus ou moins lunaires que voile la fumée de mon clope Dominican 100% Tobacco  dont il est précisé qu’il nuira gravement à ma santé et à celle de mon entourage, mais Lady L. n’en à cure à présent qu’elle s’est piquée à Sister Morphée – et picturalement j’ajoute que l’ubac de la côte française est pointillé d’autres loupiotes humaines dont celles d’un certain casino où des fortunes ont été claquées cette nuit-même, et juste en face c’est le diadème de Novel à notre altitude à peu près, j’veux dire 1111 mètres au-dessus de la mer étale toi qui aime le surexact en ta vaguerie barbare de fan de rock industriel, enfin et pour clore ce banquet visuel j’ajouterai que picturalement le ciel est à l’instant même une conque d’un autre noir que les noirs d’en bas où commencent de scintiller de stellaires informations d’un passé plus que présent – j’veux dires des étoiles comme il y en a découpées dans du papier argenté sur les pacsons de Noël et dans les mirettes des bons enfants poils aux dents…

       …Nous les festivités festives on en à rien à souder, Quentin, sous les étoiles qui n’ont que l’âge de leur éclat passé, et là je te ressors ce que tu as noté un jour à Beatty, tombé de la lippe du barman du saloon, que j’ai noté à mon tour et que je prie mes 1888 amis-pour-la-vie de Facebook de noter -  ça ne s’invente pas le vrai de la vie qu’est notre banquet à tous , comme quoi « il paraît que le monde tiendrait dans la main s’il n’y a avait pas de vide », avant que ledit barman philosophe à la manque ne conclue comme ça tout gravement : « Je me demande ce qu’il resterait de l’esprit si on compressait la parole»…

…Ce qui se passe vraiment dans la nuit des mots, ce qu’on croit dire en écrivant, ce qu’on aurait voulu leur balancer à la table des familles, ce qu’on était impatient de retenir du Voyage et de le signifier à l’Humanité par courrier direct, ce qu’on a ressenti, ce qui nous a secoués, ce qui nous a surpris au bord des routes à l’arrêt clopes & chips, ceux qu’on a aimés ou cru aimer et cru séduire ou cru perdre, celui qu’on croyait être et celle qu’on est devenue, ce qu’ils sont vus du dehors ou quand on les étreint sous le dôme des étoiles, ce qui nous parle, ce qui se tait – tout ça c’est l’banquet, Quentin, et j’te remercie, petit, de l’avoir écrit même si c’est nous tous qui l'écrivons, l’banquet, tous tant qu’on est…

(Ce texte a été écrit en écho à l'épilogue, intitulé Le Banquet, du premier livre de Quentin Mouron, Au point d'effusin des égouts, publié chez Olivier Morattel en décembre 2011)

Commentaires

  • Bon déjà faut que je trouve ce "Au point d'effusion des égouts", aujourd'hui, et puis ces "Rhapsodies panoptiques" c'est cadeau pour la tête et le cœur et pis les yeux sous les paupières... Merci.

  • On ne bouge pas un cil dans les Pyrénées sauvages ! D'abord parce que vous ne trouverez pas l'Objet au kiosque voisin ! Ensuite parce que je vous dois bien ça ! Je vous l'fais signer demain par Quentin et je vous l'envoie fissa ! Bon Noël et tout ça en attendant !

  • Cher JLK, je reçois aujourd'hui votre courrier, le cadeau que vous me faites de ce premier roman (dédicacé) de Quentin Mouron ! Je suis touchée au-delà des mots (vous dire ça à vous !), saurai-je jamais vous remercier.

    Je vais lire, le Roman, puis vos "notes qui constituent la substance du Notebook à l’enseigne d’un Pasaporte de la Republica de Cuba octroyé à l’écrivain libre Quentin Mouron, en l’Ambassade du papillon, par l’employé de faction JLK, le 23 décembre 2011, veille de Noël. (Il est souhaitable de ne pas en prendre connaissance avant … " :)

    Puis je reviendrai dire... Merci, merci infiniment, JLK...

  • Voilà ça y est je l'ai lu, j'ai lu la bête et ça secoue. La Californie de Quentin Mouron, de L.A. à Las Vegas, en passant par le désert, Barstow, Bakersfield, Trona, Beatty, c'est pas de la carte postale, c'est de la tempête qui vous arrache le cul, c'est de la grande débâcle de langue qui vous envoie dinguer...
    Pour parler de Trona :
    « Trona, Californie. Je vous situe : au sud de Death Valley – cœur du désert – aride – entre deux bases militaires. J’avais vécu les grands effets hollywoodiens… Les jeux de scènes. De miroirs. De lumières. Toutes les pantalonnades. (…) Je connaissais bien les ficelles du théâtre… Je pratiquais… J’avais un passe. A Trona c’était tout autre. Tout s’était effondré. La grande débâcle. Les décombres. Ça avait été un séisme tel que les visages étaient partis avec les masques. Crac ! En tronc ! Il ne restait en propre que des débris sanglants. Oh sincère ! Sans doute ! Sinistre ! Cruelle sincérité ! Aucun menteur ici ! D’acteur ! De masque ! Le jeu minimum. Athéisme. Horizontalité. (p.75)
    (…) C’est con ce qu’on fait pour vivre. L’entêtement ridicule pour se hisser à l’existence. A Trona c’est patent. Il n’y a pas d’issue. La partie est foutue. On s’y tue de naissance.
    (…) Oh il faut pas croire qu’on s’échappe à soi parce qu’on reluque les autres ! Surtout pas ! Plus je vous mate la gueule et plus je m’y vois sourdre. (p.80) »
    Pour parler de l’amour :
    « Il faut être prudent avec la femme qu’on aime. Vous êtes toujours en défaut d’être. Devoir exister à côté d’une belle femme. Il vous manque quelque chose… Et à côté de vous, en face plutôt, votre amour se grandit, se pousse au ciel – vous écrase. Le contraste se creuse en gouffre : elle existe beaucoup. Vous n’êtes pas assez. Laura avait gonflé cette fameuse nuit où j’avais trop parlé. Elle se hissait au faîte. J’avais mis de la brise dans sa monotonie, et voilà qu’elle en gonflait aux cimes –que je me vidais d’air ! Que j’allais m’épuiser. Me laminer. Deux dimensions. Quand on est un géant on ne tolère pas longtemps les nabots qui vous circulent entre les jambes.
    (…) Je n’en dis pas plus sur comment je me suis senti. Sur comment je me sens toujours. Je tais même ce que Laura m’a dit. C’est un livre – je ne veux pas mouiller les pages. (…) »

    Et je ne crois pas qu'il parlait des larmes, Quentin.

  • Il le mouille pourtant jusqu'au cou son livre, lui fait porter une belle responsabilité en nous tendant ces 138 pages, initiées sous les mots de Duras (qui revenaient sous sa plume), "La comédie s'est proposée".
    Et à la p.95 :
    "J'ai roulé jusqu'à Baskerfield avec un souffle au coeur. Les étoiles très lointaines - affadies- presque éteintes. J'emmenais Trona avec moi, dans la voiture, le long des routes, dans ma mémoire. J'étais arrivé à l'homme au point exact où il se quitte. J'avais passé la comédie. Je l'avais regardé se nier - s'effondrer - en béance - je n'avais vu personne pour reboucher les trous. Le soleil avait tapé très fort."

    Je ne crois pas qu'il soit autorisé de faire autant de citations, c'est juste que je voyais difficile de faire autrement et en même temps extraire, sortir de l'ensemble, ça peut tout fausser...
    Alors vous redire juste merci et souhaiter beaucoup de lecteurs à Quentin Mouron.

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