Retour sur Klatch avant le ciel, de Nancy Huston, en création au Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne-Renens.
On devrait être secoué à la sortie du théâtre Kléber-Méleau, ces jours, où se donne Klatch de Nancy Huston, mise en scène en création par Philippe Mentha qui tient aussi, non sans héroïsme, le rôle–titre. La pièce se veut en effet dérangeante. Contre la domination masculine sous tous ses aspects, du mec quelconque à Dieu le Père. Contre la servitude féminine plus ou moins volontaire. Plus précisément en l’occurrence : contre l’auto-adulation pleurnicharde de l’Artiste-mec, puisque le protagoniste est un vieux comédien à l’hosto dont on va revivre toute la trajectoire après une première double allusion grinçante à Fin de partie et Oh les beaux jours de Beckett : « Encore une journée divine… »
Retour donc à l’enfance de Klatch soumise à l’autorité de Maman. À sa vocation théâtrale en butte à la rivalité d’une première épouse actrice, prénom Sarah, qui le largue avec la petite Clara pour sa propre carrière. À un nouveau « pacte » avec la très catholique Hortense, bientôt en butte à l’athéisme de la jeune Clara. Laquelle adulera Papa avant de s’émanciper, socialement et sexuellement, pour balancer au vieux grabataire un réquisitoire de tribade féministe « qui s’assume ».
Or sort-on « secoué » de tout ça ? Pas vraiment. Faute d’incarnation. Passant au théâtre, la romancière poreuse qu’est Nancy Huston, si sensible aux nuances humaines dans Dolce agonia ou Lignes de failles, cède un peu trop le pas, ici, à la « femme libérée » impatiente de délivrer des messages. Par trop « typés », les personnages passent d’une situation à l’autre au fil de situations convenues voire improbables. Ainsi de la relation entre Klatch et la pauvre Hortense (Danielle Borst), décidément caricaturée. On rit un peu. On n’est jamais vraiment ému. Festival de citations, Klatch convoque une flopée de grands auteurs et de paroles « à graver », mais le verbe de la pièce elle-même, souvent forcé, s’effiloche en words, words, words…
Suite de tableaux qu’articule une sorte de tourniquet artificiel d’entrées-sorties, la pièce ne manque certes ni d’observations en matière de guerre des sexes (mais après Ibsen et Strindberg…) ni de tirades de bravoure, jouant en outre sur quelques morceaux chantés à la Brecht, excellemment modulés par Pascal Auberson. Lequel signe aussi la musique du spectacle - la note du maître de chant sera meilleure pour ces dames que pour le Monsieur, mais passons. Côté scénographie, c’est du Jean-Marc Stehlé « maison », solide, efficace, esthétiquement accordé à l’objet. Pour l’interprétation, Philippe Mentha se « donne » à fond dans un personnage d’humilié multifaces, autant que les comédiennes (Danielle Borst en Hortense, Chloé Réjon excellente en Sarah et Clara, et Catherine Schaub-Abkarian en infirmière et en mère) dont les personnages dorlotent ou chahutent le pauvre Klatch…
Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau,. Réservations: 021 / 625 84 29.