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Semprun pour mémoire

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Acteur et témoin du cruel XXe siècle, l’écrivain « émigré de partout » aura prôné toutes les réconciliations.

C’est une grande figure, marquée par toutes les déchirures du XXe siècle, qui vient de disparaître en la personne de Jorge Semprun, décédé à Paris ce mardi 7 juin à l’âge de 87 ans.

Issu d’une grande famille de républicains espagnols, petit-fils d’un ministre du roi Alfonso XIII, neveu d’un fondateur de la République de 1931, fils d’un juriste catholique et antifranquiste, le jeune Jorge fut résistant communiste et déporté à vingt ans. Exclu du Parti communiste de Santiago Carrillo en 1964, l’ «Espagnol rouge», très féru de culture germanique, devint romancier « français » à la quarantaine, avec Le Grand voyage. Vingt ans plus tard, il fut ministre de la culture dans le gouvernement de Felipe Gonzalez, de 1988 à 1991. Un lustre encore et il était élu à l’Académie Goncourt, dès 1996 !

Dans la foulée de Primo Levi, Robert Antelme et Elie Wiesel, Jorge Semprun fut l’un des grands témoins des camps d’extermination nazis, notamment par le truchement de L’Ecriture et la vie, couronné par divers prix. Mais l’ancien déporté de Buchenwald rappela aussi la filiation directe entre le camp nazi et celui qui lui succéda immédiatement, au même lieu et sous contrôle soviétique, dont les charniers ont été « effacés » de la mémoire par les autorités de la RDA.

Entre politique, roman et cinéma

Type même de l’humaniste européen de gauche, Jorge Semprun disait avoir une expérience « charnelle » de la politique, héritage de famille et vécue « dans la rue ». Naturellement anti-franquiste et anti-nazi, le jeune Jorge, au bénéfice de la meilleure instruction française acquise grâce à l’exil de sa famille à Paris, préféra rejoindre la Résistance au lieu de poursuivre ses études en Sorbonne. Déporté en 1943, à Buchenwald, il y fut  protégé par ses camarades communistes allemands. Il a raconté en outre, dans ses récits, comment la poésie mémorisée, y compris allemande, l’aida à survivre au bout de l’horreur.

Or les romans de Jorge Semprun sont nourris par cette expérience «charnelle». Du Grand voyage (1964), qui relate son transfert de  Compiègne à Buchenwald, à l’  Autobiographie de Federico Sanchez, (1978), où il interpelle le stalinien espagnol qu’il a été, Semprun acquiert « une mémoire lucide et critique » activée, dès les années 60, par la lecture de Soljenitsyne et de Chalamov.

À côté de la transposition romanesque de ses tribulations personnelles passées, comme dans Quel beau dimanche (1980) ou La Deuxième mort de Ramon Mercader (prix Femina 1968) filtrant son désenchantement à l’égard du rêve socialiste, l’écrivain s’est également attaché au présent et à l’avenir, engagé sur tous les fronts d’une réconciliation européenne. Ainsi le disciple de Goethe et de Brecht, traducteur et adaptateur pour la scène  du scandaleux  Vicaire de Rolf Hochuth, s’est-il fait l’avocat généreux d’une nouvelle Allemagne, «mère blafarde et tendre sœur».

Au cinéma, Jorge Semprun a réalisé, pour Alain Resnais le scénario de La guerre est finie (1966), évoquant l’opposition franquiste en exil ; et pour Costa-Gravas, celui de Z (1968) dont l’interprétation d’Yves Montand a fait date, avant que l’écrivain ne rende hommage au comédien dans le récit  Montand la vie continue (1988) fraternelle évocation d’une aventure artistique, d’un engagement et d’une amitié coupant son propre parcours

La vie continue : belle formule pour engager les nouvelles générations à ne pas ignorer ou rejeter le travail de mémoire accompli par Jorge Semprun… 

  

Le grand voyage

Son premier roman, Jorge Semprun l’écrivit au début des années 60, alors que, clandestin du Parti communiste espagnol, il se terrait à Madrid, traqué par la police franquiste. Coupé de tout, il céda alors à l’afflux de ses souvenirs, de la Résistance à Buchenwald. Non linéaire, cette première plongée dans la mémoire douloureuse nourrira ensuite Quel beau dimanche ! et L’écriture ou la vie. Ecrit en français, censuré en Espagne, le livre, immédiatement traduit en 13 langues,  reçut le Prix Formentor en 1964.

Gallimard, 1963.

 

Autobiographie de Federico Sanchez

«Le communisme a abouti à la construction politique la plus injuste et la plus inégalitaire qui soit», déclarait Jorge Semprun des années après avoir coordonné la résistance communiste au régime de Franco. Au Comité central du PCE en 1954, en plein stalinisme, il participa à la lutte clandestine sous le nom de Federico Sanchez, jusqu’à sa rupture avec le parti, faisant suite à celle de Dolores Ibarruri, dite la Pasionaria, très présente aussi dans ce livre d’expiation. Rédigé en espagnol, ce roman fut couronné par le prestigieux prix Planeta.

L’écriture ou la vie

« À Ascona dans le Tessin, écrit Jorge Semprun, un jour d'hiver ensoleillé, en décembre 1945, je m'étais mis en demeure de choisir entre l'écriture et la vie». Or il lui faudra plus de vingt ans pour accéder à cette écriture de la résilience qui trop longtemps l’étouffait dans «l’air irrespirable» de ses brouillons. Dans la filiation de Primo Levi, le récit mêle autobiographie et réflexion sur la difficulté de raconter la déportation. Sa réception éclatante, en 1994, prouva qu’un demi-siècle n’avait rien effacé.

Gallimard, Folio, 400p 

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