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PanopticonA31.jpgRécits de l’étrange pays, 9.

       La pensée positive se répandit, en ces années, à proportion du double sentiment de vide et de vague angoisse refoulée que suscitait le bien-être et la perception non moins vague quoique lancinante d’une nouvelle espèce de solitude de l’individu confronté à un trop grand congélateur ou à un trop grand véhicule genre 4x4 Fan Cruiser, pour aboutir au succès phénoménal des traités de développement personnel et autres revues spécialisées dans la gestion d’un peu tout et n’importe quoi. On vit alors l’expansion et même la prolifération, dans l’étrange pays, comme dans toutes les nations nanties,  d’établissements plus ou moins performants ou onéreux voués au ressourcement physique et psychique, voire même spirituel de la mortelle et du mortel, et la tendance au suicide assisté se professionnalisa à l’avenant.

En mauvais esprit caractérisé, lecteur impénitent de Lucrèce et du Canard enchaîné, le vieillissant Lesage, vigile indocile de la librairie Les Fruits d’or sise au coeur du Vieux Quartier de notre chef-lieu, avait prophétisé le formatage absolu du relatif, selon son expression, et l’avènement du parfait ennui par l’accomplissement de l’excellence à tous les niveaux du Nouvel Homme, et ses clients, rares mais choisis, jusqu’aux plus jeunes, avaient surabondé.

       L’un d’eux, surtout, vingt ans d’âge et les tifs douteux, prénommé Sylvain, alias l’homme de la forêt, se plaisait plus qu’aucun autre à s’éterniser au fin fond des Fruits d’or, dans le retrait à fauteuils défoncés, à lire et fumer des roulées tout en partageant, avec le vieux fol, des idées de renouveau sans rapport aucun avec les molles velléités des adeptes de la  nouvelle religion Business & Wellness, et Sylvain soumettait ses dernières compositions à la Lautréamont revisité cyberpunk, entre Kerouac et Bove, au libraire qui l’admonestait et l’encourageait de la même voix chevrotante et nette, lui trouvant de bons  accents érotisants  à la Miller et de belles envolés anarchisantes à la Stirner.

       Ainsi des îles de bon sarcasme émergeaient-elles encore de l’océan du Simulacre, et douze Sylvains, j’veux dire douze cents Violaines et Valentins, douze mille Thyfaines et Corentins frottés de mauvais esprit survivaient-ils et procréeraient-ils au dam de l’assommante positivité, sus au suave sourire des élus à la petite semaine, j’veux dire : des élues et des élus.

Image : Philip Seelen   

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