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Magies d'un ange cabossé

 

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Rencontre avec Jean-Jacques Schuhl. Paris, janvier 2010.

 

Dix ans après le Goncourt à Ingrid Caven, l’écrivain revient avec

un essai de roman noir tournant à l’autofiction à facettes.  

 

 

Ange ou démon ? Telle est la question que vous vous posez après une heure passée chez cet étrange Monsieur qui éclate une dernière fois de son grand rire caverneux et vous lance comme ça :  « Je suis si romanesque, n’est-ce pas, si romanesque ! »

L’exclamation traverse d’ailleurs son nouveau roman, Entrée des fantômes, de part en part. Et de fait, comment ne pas trouver romanesque un personnage logeant en marge du roman du monde, entre voitures noires de gens de pouvoir et paillettes. Juste à côté, rue de Varenne, à Paris (France), d’une plaque commémorant le passage sur terre d’un certain Talleyrand, diable boiteux de la politique survivant dans la même rue sous les masques du Premier ministre et de ses sbires. Et les paillettes ? C’était hier soir, au Ritz, avec Kate Moss.

         Quoi, Monsieur ? LE Ritz de Proust ? LA Kate Moss du gang  Depp&Doherty ? Ah mais, le petit Marseillais juif alsacien fils d’Ashkénazes ne fabule-t-il pas pour le journal suisse ? « Je suis si romanesque ! », se défend-il en levant les yeux vers les antennes paraboliques de la nouvelle Russie plantées sur l’immeuble voisin. Et le Goncourt 2000 de suivre notre regard vers la vitrine aux reliques où jouxtent les tirage de tête d’  Ingrid Caven et sa traduction allemande à l’effigie de sa compagne : « Ingrid est ces jours à Berlin. » Lectrice infaillible de ses manuscrits, à ce qu’il précise : «Tout à l’oreille, à la fois actrice et musicienne, ne m’en passe pas une ! ». Or lui aussi, pour la musique, est à sa plus fine pointe dans son Entrée des fantômes. Pas tant jazz que Satie, d’ailleurs. Comme en peinture, se réclamant des artistes pop à la Rauschenberg plus que des « collages » qu’on lui colle.

Du côté des clichés, c’est d’ailleurs sa fête ses jours dans certains journaux parisiens : trop Parisien justement, trop glamour recyclé, dandy flapi et autres amabilités. Mais lui, du geste  princier d’écarter les vilains, comme il écarte l’air dégoûté le soupçon qu’il puisse écrire sur « ordi » et se « connecter » sur Facebook, de renvoyer à son livre : « Et puis, par la suite c’est allé trop vite, la trashlangue, le zapping, le rap, le verlan, le digital, l’électronique. J’ai plus cherché à m’adapter, au contraire, j’ai parlé de plus en plus lentement, avec de plus en plus de heu…heu ».

Or Jean-Jacques Schuhl, qu’on croit branché frimeur, serait plutôt du genre discret à protection bidon: « Le gens gagnent à être connus, ils y gagent en mystère. » Même pas un coin de voile levé, pour le journal suisse, sur une enfance difficile ou facile ? Essayé pas pu. Un « produc » s’y essaie sans plus de succès dans le roman : « Et si on f’zait l’scénar avec ta biogr ?! »

Rire caverneux et retour au romanesque de la première partie se la jouant roman noir avec une simili Kate Moss et un cardinal : essayé pas pu, à son tour. Et la suite ou le biographique devient romanesque à délices à l’approche de cet écrivain qui refuse mordicus de se faire opérer des hanche. « Peur de guérir ? », hasarde le journal suisse.  Alors l’homme blessé de se faire plus grave : « Crainte surtout de ne pas me réveiller… »

                                              

Autant dire : lui défendre de rêver éveillé ! À lui qui dit ne pas aimer raconter d’histoires : l’en empêcher pour de bon ! À lui qui dit ne pas aimer le théâtre : lui interdire de jouer le plus vilain des vilains, M. le maudit ou Richard III de Shakespeare ! À lui qui dit ne pas aimer l’harmonie : l’obliger à marcher droit…

Une oasis de poésie

Baudelaire (le poète, pas la marque de produits de beauté) qualifiait ce bas monde en ces termes: « Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui », et le baudelairien Jean-Jacques Schuhl ne dit pas autre chose en bricolant son oasis de beauté et de musique dans le désert de la laideur et du boucan : « Aujourd’hui presque plus de rêve face à cette trop forte réalité ».

Dans la première partie d’Entrée des fantômes, qui se la joue roman noir d’anticipation, avec un mannequin téléguidé et un cardinal, une histoire se cherche, qui rappelle les contes oniriques de Borges et Onetti, silhouettés dans le vague somnambulique et hyperprécis à la fois. Puis s’ouvre La nuit des fantômes, avec ses personnages en quête de l’Auteur qui les rêve, toupie au bord d’un abîme et ciselant ses formules, du genre : « Il n’y a rien de plus vide qu’une piscine vide ».

Pour consoler le cardinal du début, celui-ci se réincarne en poisson d’ornement, alors que réapparaît le stylo à minuscule lanterne magique du mannequin initial.  Dans la foulée, on a passé par une pharmacie élyséenne où « dialoguent » les vocables de la maladie et de la beauté : Nalbuphine fait de l’œil à L’Oréal et Dolosal à Kapanol. Côté poids du monde, un Docteur a trouvé que les radios de l’Auteur avaient l’air disloqué des peintures de Bacon. On répare ? Des clous: L’Auteur, quitte à lui faire la pige,  jouera de ses effets très spéciaux à lui pour exorciser l’horreur et l’ennui.

 

Jean-Jacques Schuhl. Entrée des fantômes. Gallimard, collection. L’Infini, 142p.

 

 

 

 

     

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