Longtemps ce fut la maison des Wei, aux confins des territoires impériaux riverains des Quatre-Mers, qui détint le Secret du Pal.
Ce symbole de soumission faisait l’envie de tous les dominions. Quel prince, à l'instar de l'Empereur Wu des Wei, n’avait rêvé d’exposer ainsi la chair toute vive du vaincu au Pal, quel hiérarque n'aspirait à régner tant que vivrait le supplicié ?
Jusque dans le bas peuple on connaissait l’extrême difficulté de mettre au Pal. La règle absolue veut le vaincu préservé dans ses quatre fonctions vitales et l’aptitude à mouvoir incessamment ses cinq membres, pour survivre au moins sept ans. Cet art se ramasse dans une formule, constituant le Secret.
La chute de la maison Wei restera liée, dans les annales, à la divulgation du Secret du Pal, imputable à la concupiscence d’un Conseiller. Pour une montagne d’or celui-ci vendit le Secret que jamais, au demeurant, le Barbare venu de l’Ouest ne sut faire appliquer par ses techniciens à la main faillible.
La suite figure dans les livres d’histoire. Aujourd’hui encore les Américains ont recours à la chaise électrique ou à la chambre à gaz. Nous buvons certes du Coca-Cola, mais n’en pensons pas moins.
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Une quête d’absolu
Into the Wild, de Sean Penn
C’est un bien grand beau film généreux et limpide qu’Into the Wild de Sean Penn, dont l’empreinte qu’il laisse au cœur est toute pure. L’histoire en est prenante, les personnages principaux sont également de belles personnes, comme on dit, les images et la musique ne sont pas moins superbes et, surtout, il s’en dégage un sentiment général d’autant plus bienfaisant et tonique qu’il n’a rien de complaisant ou d’édulcoré, voire de frelaté, comme pourrait le faire redouter le thème rebattu du retour à la nature. De fait, les rudes lois de celle-ci ne sont pas ignorées ni sous-estimées. Une scène terrible, marquée par le sacrifice « inutile » d’un élan, souligne le caractère très problématique d’une immersion « naturelle », même si la quête du solitaire reste fondée. Le titre d’ En pleine nature ne rend d’ailleurs pas compte du piège que celle-ci représente bel et bien dans le film, alors que l’original Into the Wild en désigne mieux l’ambivalence, qui renvoie aux obstacles et au combat du héros de Construire un feu de Jack London.
L’esprit des Jack, London et Kerouac, mais aussi de Thoreau et de Tolstoï, préside à ce parcours initiatique d’un tout jeune homme déçu par ses parents, dont la mésentente tourne à la haine sous les dehors du mensonge et de l’hypocrisie.
Deux grandes lignes narratives traversent le film et se relancent l’une l’autre en contrepoint, modulant en outre le passage des années et scandant l'avancée de chaque nouveau chapitre: d’une part, c’est le récit du Magic Bus, la carcasse d’autocar perdue en plein Alaska où Alex Supertramp (c’est le pseudo glorieusement naïf qu’il s’est choisi) va vivre cent jours de solitude absolue ; et, de l’autre, la chronique tenue par sa sœur au fil de ses années de fugue, qui témoigne des conséquences de celle-ci sur les parents restés sans nouvelles, reconnaissant leurs responsabilités et se rapprochant peu à peu l'un de l'autre.
On le sait, Sean Penn revient de loin : de toutes les défonces et de tous les dégoûts. Or ce qui sidère en l'occurrence est la complète fraîcheur de son regard sur le monde et sur les gens, tous abordés avec tendresse et jusqu’à l’indulgence, s’agissant du père égoïste et violent qui se prend pour Dieu au point, une année, de décider, le con, que Noël n’aura pas lieu…
L’Amérique d’Into the Wild est à la fois celle de L’Attrape-cœur de Salinger et de Sur la route de Kerouac, des anciens hippies dans les déserts et de Bush Senior justifiant la guerre du Golfe ou des paumés down & out crevant dans les grandes villes; et l’on se rappelle aussi la dernière page de La Route de Cormac McCarthy dont on pourrait dire que Sean Penn la réinvestit avant la catastrophe ou au moment d’en renaître…
Si la « théologie » de McCarthy est plus profonde dans son aperception tragique et sa visée rédemptrice, que la religiosité tolstoïenne qui se dégage d’Into the Wild, ce film ne représente pas moins, aujourd’hui, un geste de résistance aux forces obscures et destructrices de l’empire du fric, à la violence, au fanatisme, au cynisme ou à la décadence. Le fait qu’Alex, prodigieusement vécu, plus encore qu’interprété, par Emile Hirsch, soit à la fois un fou de lecture et un pèlerin de l’absolu, dont l’apprentissage passe par une nouvelle naissance et une filiation restaurée (avec une femme, puis un vieil homme qui l’adoptent pour ainsi dire en le poussant au pardon des siens), avant la révélation finale de ce que le bonheur n’a de sens que partagé – tout cela élève le film au-dessus des rêveries New Age à base de marshmallow spiritualisant.
La grande générosité d’Into the Wild va de pair avec une forme lyrique n’excluant pas ici et là quelque pompe ni quelques clichés, mais c’est aussi la loi du romantisme à l’américaine (on est bien dans la lignée de Twain, London ou Thomas Wolfe), dans un ample mouvement et un grand souffle. Si la scène de l’empoisonnement « naturel » du protagoniste rappelle La bouche pleine de terre de Branimir Scepanovic, c’est à Tolstoï qu’on pense à la fin poignante d'Alex, rappelant la mort « cosmique » du prince André...
Sean Penn, Into the Wild. Sur DVD et en salles.
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Pensées de l'aube (68)
De ce dimanche. – Pour nous, les enfants, Pâques, c’était le dimanche des dimanches - un dimanche vraiment plus dimanche que les autres où le ciel était plein de cloches et le jardin plein d’œufs que le Lapin avait peinturlurés et planqués Dieu sait où - donc deux jours après la Croix, le Lapin : tu avoueras que ce n'est qu’un dimanche que ça peut se passer, et ça nous réjouissait plutôt, les enfants, qu’il y ait un dimanche comme ça qui ressuscite chaque année…
De la foi. – Notre ami le théologien me dit qu’il n’y croit pas vraiment : que son intelligence l’en empêche, puis il me dit : toi non plus tu n’y crois pas, rassure-moi, aussi lui dis-je : non mon ami, je ne vais pas te rassurer, je ne sais pas si je crois, je sais de moins en moins ce que c’est que croire au sens où tu crois que tu ne crois pas, mais surtout (et cela je ne le lui dis pas) je ne sais comment je pourrais l’expliquer à quelqu’un que son intelligence empêche de comprendre rien…
De la charité . – Vous connaissez le mendigot du Sacré-Cœur : il sort de chez ce pouilleux d’abbé Zundel qui le régale déjà plus qu’il n’en faut, et le voilà qui nous lance à la sortie de l’office, son : Christ est vraiment ressuscité ! que moi ça me fait honte, mais j’ai beau savoir qu’il ira les boire ce soir, je lui donne quand même ses deux euros - ce n’est quand même pas tous les jours Pâques…
Image : Philip Seelen -
Riches Heures. Blog-notes 2005-2008
Vient de paraître
aux éditions L'Âge d'Homme.
Du blog au livre...
Au lecteur
Ce recueil, établi à la demande de Jean-Michel Olivier, directeur de la collection Poche Suisse, aux éditions L'Age d'Homme, rassemble une partie de mes Carnets de JLK, blog littéraire ouvert sur la plateforme HautEtFort en juin 2005. Proposant aujourd’hui quelque 2000 textes, dans les domaines variés de la littérature et des arts, de l’observation quotidienne et de la réflexion personnelle, entre autres balades et rencontres, ces Riches heures de lecture et d’écriture s’inscrivent dans le droit fil des carnets manuscrits que je tiens depuis une quarantaine d’années, qui ont déjà fait l’objet de deux publications : Les Passions partagées (1973-1992) et L’Ambassade du papillon (1993-1999), chez Bernard Campiche.
En outre, ces Carnets de JLK illustrent les virtualités nouvelles, et notamment par le truchement de l’échange quotidien avec plusieurs centaines de lecteurs, de cette forme de publication spontanée sur l’Internet, qu’on appelle weblog ou blog.
Dans l’univers chaotique qui est le nôtre, où le clabaudage et la fausse parole surabondent, ces carnets se veulent, au-delà de tous les sursauts de méfiance ou de mépris, la preuve qu’une résistance personnelle est possible à tout instant et en tout lieu pour quiconque reste à la fois attentif à la rumeur du monde et à l’écoute de sa voix intérieure. À l’inattention générale, ils aimeraient opposer un effort de concentration et de réflexion au jour le jour, ouvrant une fenêtre sur le monde.
SOUS LE REGARD DE DIEU. - Pasternak disait écrire « sous le regard de Dieu », et c’est ainsi que je crois écrire moi aussi, sans savoir exactement ce que cela signifie. Disons que ce sentiment correspond à l’intuition d’une conscience absolue qui engloberait notre texte personnel dans la grande partition de la Création. Ce sentiment relève de la métaphysique plus que de la foi, il n’est pas d’un croyant au sens des églises et des sectes, même s’il s’inscrit dans une religion transmise.
J’écris cependant, tous les jours, «sous le regard de Dieu», et notamment par le truchement de mes Carnets de JLK. Cela peut sembler extravagant, mais c’est ainsi que je le ressens. En outre, j’écris tous les jours sous le regard d’environ 500 inconnus fidèles, qui pourraient aussi bien être 5 ou 5000 sans que cela ne change rien : je n’écris en effet que pour moi, non sans penser à toi et à lui, à elle et à eux.
Ecrire «sous le regard de Dieu» ne se réduit pas à une soumission craintive mais nous ouvre à la liberté de l’amour. Celle-ci va de pair avec la gaîté et le respect humain qui nous retient de caricaturer Mahomet autant que de nous excuser d’être ce que nous sommes. L’amour de la liberté est une chose, mais la liberté d’écrire requiert une conscience, une précision, un souci du détail, une qualité d’écoute et une mesure du souffle qui nous ramène « sous le regard de Dieu ».
A LA DESIRADE. – Nous entrons dans la nouvelle année par temps radieux et la reconnaissance au cœur alors que tant de nos semblables, de par les monde, se trouvent en proie à la détresse, à commencer par les victimes des terribles tsunamis qui viennent de dévaster les côtes de l’Asie du Sud-est.
A La Désirade, la vision de ma bonne amie qui fait les vitres, comme on dit, me semble la plus belle image de la vie qui continue…
(1er janvier 2005)
ÉCRIRE COMME ON RESPIRE. - Ce n’est pas le chemin qui est difficile, disait Simone Weil, mais le difficile qui est le chemin. Cela seul en effet me pousse à écrire et tout le temps: le difficile.
Difficile est le dessin de la pierre et de la courbe du chemin, mais il faut le vivre comme on respire. Et c’est cela même écrire pour moi : c’est respirer et de l’aube à la nuit.
Le difficile est un plaisir, je dirai : le difficile est le plus grand plaisir. Cézanne ne s’y est pas trompé. Pourtant on se doit de le préciser à l’attention générale: que ce plaisir est le contraire du plaisir selon l’opinion générale, qui ne dit du chemin que des généralités, tout le pantelant de gestes impatients et de jouissance à la diable, chose facile.
Le difficile est un métier comme celui de vivre, entre deux songes. A chaque éveil c’est ma première joie de penser : chic, je vais reprendre le chemin. J’ai bien dormi. J’ai rêvé. Et juste en me réveillant ce matin j’ai noté venu du rêve le début de la phrase suivante et ça y est : j’écris, je respire…
Tôt l’aube arrivent les poèmes. Comme des visiteurs inattendus mais que nous reconnaissons aussitôt, et notre porte ne peut se refermer devant ces messagers de nos contrées inconnues.
La plupart du temps, cependant, c’est à la facilité que nous sacrifions, à la mécanique facile des jours minutés, à la fausse difficulté du travail machinal qui n’est qu’une suite de gestes appris et répétés. Ne rien faire, j’entends ne rien faire au sens d’une inutilité supposée, ne faire que faire au sens de la poésie, est d’une autre difficulté; et ce travail alors repose et fructifie.
En librairie ces prochains jours. Commandes directes : http://www.lagedhomme.com/
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Pensées de l'aube (67)
De la veillée. – Cette fin de nuit de pleine lune te fixait de son monocle opalescent qui s’est bientôt orangé dans les bleus s’éclaircissant, le jour ne semblait pas se rappeler les cruautés de la créature pensante, tu n’avais en toi nulle autre pensée que de remerciement d’être en vie sur cette terre tremblante et souffrante qui souffrirait encore et tremblerait - mais qui t’apparaît si jolie en ce matin du monde…
De ce vendredi – Tous les saints du calendrier sont à la peine et ça ne va pas s’arranger au fil des heures, vous me dites que vous n’en avez rien à scier mais ça ne s’est pas fait pas sans vous, rien ne se fera sans nous, le premier crachat, la première épine, le premier clou, rien ne vous sera épargné, les mal barrés, croix de bois croix de fer si je mens je vais en enfer…
Du bonus pascal. – Vos agenouillements de vieilles peaux et de nigauds jeunets les font ricaner, mais après le père Noël, le lapin fait pisser le dinar et ça c’est du solide, on y croit dur comme fer, et puis la pierre qui roule, ma poule, ça fait toujours se déplacer les foules et cartonner les nuitées romaines - enfin ce dieu qui va pour prendre l’ascenseur nous vaut un break super et ça ne mange pas de pain, thank you rabbin...ImageJLK: Grammont à l'aube, huile sur toile, 2006.
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Pensées de l’aube (66)
De ce qui n’est qu’allusion. - A l’éveil des ces jours inclinant au redoux on ne trouve pas de mots assez légers, assez transparents mais qui évoqueraient aussi le poids des montagnes millénaires et la densité de l’air qui les relie aux galaxies, tout ce lien de temps imaginaire et d’atomes de brume un peu chinoise ce matin - des mots qui dévoilent en voilant et qui parlent sans prétendre rien dire que ce qui est…
Du trait de l’oiseau. – Cependant m’impatientent les chichis du minimalisme et les pâmoisons de toute une anorexie esthétique, car le coup de cisaille de la fauvette dans l’azur du matin, au pic de son coup d’aile sur les champs purinés de frais - ce pur salut à personne et tout le monde dans l’odeur merdoyante du printemps, ne sera jamais couché sur grand papier à la cuve – il fuse de la sauvage et nul ne sait ce que ça veut dire…
De l’hérésie. – Vous avez raison de nous reprocher d’acclimater la Croix et le Tao, jardins et précipices, Ibn Arabi et Miss Dickinson aux oiseaux illuminés, vous êtes les réguliers de la Règle bien convaincus d’avoir trouvé et qu’en conséquence le Salut vous est dû, tandis que nous autres cherchons un peu partout sans attendre rien, juste émerveillés sans savoir diable pourquoi…
Image : Philip Seelen -
Un couple uni
Nous aimons nous tenir par la main et déambuler ainsi le long des Ramblas.
Notre dernière querelle date de 1987, le soir précédant mon départ en Pologne. J’étais rentré bourré. Elle m’a dit je ne sais plus quoi. Je lui ai mis une beigne avant de m’en rendre compte. Je lui fis dans l’avion une lettre que mes larmes de sentimental à la con trempèrent de grosses gouttes. Lorsque je suis revenu de Varsovie, elle portait encore des lunettes noires pour cacher son bleu.
A Varsovie, j’ai passé toute une nuit avec un confident de l’ex-pape, amputé d’une main, qui se rappelait les décombres de la ville en 1945, il avait sept ans et son père lui disait de bien regarder - la ville entièrement reconstruite aujourd’hui où l’on trouve des boutiques de Cardin .
C’est ce que je lui raconte sur les Ramblas, qui valent toujours le déplacement.
Ah oui cela encore: notre position préférée est celle du missionnaire. -
Ceux qu’inspire la rumeur de la mer
Celui qui porte un bouquet de jonquilles dans la poche arrière de son jean / Celle qui s’en va tout doucement dans la lumière plombée du fjord / Ceux qui se sont retrouvés pour accueillir la mort ensemble / Celui qui évite de penser à tout ce qu’il sait essentiel / Celle qui trouve les mots trop grands pour ses émotions d e demoiselle / Ceux qui n’osent pas dire qu’ils s’aiment / Celui qui décapite des tortues dans un film javanais / Celle qui a perdu sa sœur dans une manif d’Athènes / Ceux qui se rappellent le jour et l’heure de la mort de Lady Diana / Celui qui estime que The Queen is dead est le meilleur album des Smiths / Celle qui ne veut écouter que Strangeways en mâchant de la rhubarbe / Ceux qui se demandent à quoi l’on rêve quand on a perdu le sens des couleurs / Celui qui se promet de s’engager dans la Légion étrangère s’il échoue à l’examen d’admission à la fonction de Palefrenier Chef du haras de la Comtesse Bouleboule / Celle qui reproche à son fils de ne pas porter de bretelles / Ceux qui se séparent pour survivre / Celui qui a découvert la leçon de sagesse subliminale du roman à succès Jody et le faon / Celle qui ment à en avoir la face bleue / Ceux qui prétendent aimer la pluie en banlieue et les politiciens de seconde zone / Celui qui estime que la vie ne fait que prendre sans rien donner / Celle qui dort toujours dans le sac de couchage de son premier prétendant explorateur / Ceux qui considèrent que le bonheur ne vaut rien sans matelas bancaire conséquent / Celui qui se juge indigne des compliments du vice-président de son club de tango / Celle qui pense que tout désormais est trop tard / Ceux qui sont morts dans le même fauteuil à oreilles de l’institution Le Clair Matin / Celui qui trouve un réconfort au Hamburger Heaven / Celle qui spécule sur le fait que la fille d’un premier mariage de sa bru va se retrouver dans le même lycée que Louis Sarkozy et que son fils Tibère pourrait en profiter d’une manière ou de l’autre en dépit de son penchant récent pour la religion musulmane / Celle qui pense qu’un gros aurait plus de chance avec elle qu’un aveugle malgré la tendance inverse / Ceux qui aiment l’odeur mêlée des clopes et des fish’n’chips / Celui qui a la nostalgie des jardins ouvriers de la Banlieue Ouest / Celle qui passé de la passion pour Sissi impératrice à celle des tailleurs ton sur ton / Ceux qui prétendent avoir assisté au dernier concert de Chet Baker au New Morning, etc.Aquarelle JLK: dunes de Sète, 2007.