…Fort bien, inspecteur Molard, vous me surveillez cet établissement jusqu’à la fermeture et vous notez les moindres allées et venues d’un citoyen d’âge moyen sans le moindre signe distinctif, vêtu et coiffé comme Monsieur Tout-le-monde, qui fait ses livraisons la nuit sous forme de paquets soigneusement emballés et ficelés dont vous estimerez, de loin, le poids et la nature du contenu – mais surtout gardez-vous d’alerter le suspect, Molard, qui n’est peut-être qu’un bon Français comme vous et moi…
Image : Philip Seelen
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Nuances et détails
…Vous ne vous trompez pas, mais nous non plus ne nous trompons pas, sauf d’étage quand nous sommes beurrés; et puis une fois, c'est vrai, nous avons trompé notre faim en mangeant chacun la main de l’autre, mais je n’appelle pas ça se tromper, bien au contraire, et d’autant moins que c’est en nous trompant tous deux de train que nous nous sommes rencontrés le jour même où nos conjoints nous trompaient l’un avec l’autre sans le savoir, pour constater plus tard qu’ils s’étaient trompés - mais trop tard alors pour nous détromper…
Image : Philip Seelen -
Deux regards vivifiants
En mémoire de Thierry Vernet et de Floristella Stephani. Hommages à Genève.5 avril: dernier jour de l'exposition double au Manoir de Cologny. A voir absolument !
De janvier à juin 2009, les œuvres des peintres Thierry Vernet (1927-1993) et Floristella Stephani (1930-2007) seront exposées en divers lieux genevois. A l’initiative d’Ilona Stephani et de quelques amis, ce substantiel hommage rend justice à la mémoire de deux créateurs plutôt méconnus de leur vivant, hors de quelques cercles romands et parisiens. Cette généreuse initiative déclinera quatre verbes liés à leur double démarche existentielle et artistique :
PEINDRE : Tous deux avaient l’intime conviction d’être « nés peintres ». A l’écart des modes, dans leur petit logement de Belleville, à Paris, ils ont exploré toutes les ressources de leur art: dessin, gravure, aquarelle, huile, décors de théâtre ou de marionnettes.
VOIR : Floristella Stephani et Thierry Vernet, ouverts au monde à l’enseigne de la même soif spirituelle, vivaient cette relation par le truchement d’un même regard poreux et englobant, libre, essentiel et incarné, aboutissant à une expression communicable. Leurs œuvres participent de deux visions originales et bien distinctes, que relie cependant un même sentiment poétique.
VIVRE : Il leur a fallu composer avec les difficultés quotidiennes d’une vie entièrement dévolue à l’art, sans cesser des rester ouverts au monde, aux autres, aux livres et au voyage. Leurs travaux alimentaires (décors pour Thierry, restauration de toiles anciennes pour Floristella) a nourri leurs œuvres respectives.
S’EXILER : Le déplacement leur a paru correspondre à la recherche de soi et d’un lieu ouvert à la création. Issus tous deux de bonnes familles genevoises, ils se sont installés à Paris en 1958. L’hommage entend répondre à la question du départ et de la recherche d’un lieu favorable à la création.
AU PROGRAMME :
PINACOTHÈQUE DES EAUX-VIVES. Du mercredi 14 janvier au dimanche 15 février 2OO9
www.pinacotheque.ch - 7, rue Montchoisy - 1207 Genève - Arcade au chemin Neuf Tél. + 41 22 735 66 75
Mercredi et vendredi de 16h à 19h - Jeudi de 16h à 20h - Samedi de 11h à 18h
De l'usage du dessin à «l'Usage du Monde»
En constante observation des êtres et paysages rencontrés, Thierry Vernet s’est toujours senti «en voyage». Le récit de cette
aventure donnera à la fois «L‘Usage du Monde», livre écrit par Nicolas Bouvier et illustré par Thierry Vernet et «Peindre,
écrire, chemin faisant», lettres de Thierry Vernet à sa famille. Belgrade, Kaboul, Tabriz, Téhéran et jusqu’à Colombo, partout
Thierry dessine, s’émerveille, apprend, travaille, prépare des expositions qui contribuent financièrement à les pousser plus
loin. La Pinacothèque offre la possibilité exceptionnelle de voir pour la toute première fois les impressions des dessins à partir
des plaques typographiques originales.
- Nicolas Bouvier «L’Usage du Monde», dessins de Thierry Vernet, Payot 1992
- Thierry Vernet «Peindre, écrire, chemin faisant» L’Age d’Homme, Genève 2006
Vernissage le mercredi 14 janv. à 18h en présence de Mme Eliane Bouvier.
Brunch de clôture à la pinacothèque: dimanche 15 février 2009 dès 11h
LES CINÉMAS SCALA. Dimanche 15 février 2OO9, 19h
www.les-scala.ch - Rue des Eaux Vives, 23 - 1207 Genève - Tél. + 41 22 736 04 22
Le film ”22 Hospital Street”
Après deux années de voyage, au début des années 1950, de Genève au sud de l’Inde, Nicolas Bouvier arrive aux portes d’une
île ensorcelée : Ceylan. Il y rejoint son compagnon de voyage, le peintre Thierry Vernet et sa femme, Floristella. Ceux-ci
retournent au pays et le laissent seul dans la petite ville côtière de Galle. Bouvier y sombrera dans une zone de silence, peuplée
d’insectes et de magie noire, Le récit de cette déréliction sera un livre «surécrit», d’une prose splendide et malicieuse:
«Le Poisson-Scorpion». Un film, réalisé par Christoph Kühn, nous en retrace les prémices et l’histoire.
(Bernard De Backer, La Revue nouvelle, décembre 2006). Séances en présence de M. Christoph Kühn, cinéaste, réalisateur indépendant qui crée son propre bureau de production,«Titanicfilm » et de Mme Eliane Bouvier, compagne de Nicolas Bouvier, elle poursuit son oeuvre en la mettant
généreusement à disposition de jeunes talents ou de nouveaux projets. Consciente de rester l'ultime mémoire de ce quatuor
d'amis, elle nous en conte l'histoire.BIBLIOTHÈQUE DES EAUX-VIVES.Du mercredi 28 janvier au jeudi 3O avril 2OO9
www.ville-ge.ch/bmu - Rue Sillem, 2 - 1207 Genève - Tél. + 41 22 786 93 00
Mardi, jeudi vendredi 15h -19h - mercredi 10h-12h, 14h-18h - samedi 13h30-17h
Peindre pour voir le monde
ou «la raison du tableau est toujours la meilleure» Th.V.
L'exposition, réalisée par Francis Renevey (l'Atelier Nomade), retrace le parcours de Floristella Stephani et Thierry Vernet au gré
de leurs peintures, écrits, notes, rencontres et voyages. Elle propose une réflexion sur le métier de peintre avec ses joies et ses
exigences. Cette exigence vis-à-vis de soi et des autres transparaît dans leurs oeuvres, souvent contemplatives,véhiculant à la fois
la sérénité et l’effroi du monde.
Vernissage le mercredi 28 janvier 2009, dès 18h.LA COMÉDIE DE GENÈVE. Du 5 au 21 février 2OO9.
www.comedie.ch - Bd des Philosophes, 6 - 1205 Genève - Tél. + 41 22 320 50 01
Du mardi au vendredi 10h30 à 18h30 - Samedi 13 février 15h à 18h - et les soirs de spectacles
Peindre le vrai et le faux
De 1949 à 1990 Thierry Vernet a conçu les décors de théâtre à la Comédie Française, à la Comédie, au Grand Théâtre et à l'Opéra
de Chambre de Genève. De ces décors que reste-t-il, peu, car le spectacle fini, les décors sont brûlés. C'est donc à travers un jeu
de croquis, de maquettes, d'aquarelles ou d'accessoires que nous glanerons les éléments qui nous ont fait rêver. Ils démontrent
l'habileté d'un peintre habitué à se consacrer à la recherche du vrai mais qui se joue ici du trompe-l’oeil et de l'éphémère.
Vernissage le jeudi 5 février 2009 à 18h, spectacle de marionnettes d’Alain et Blaise Recoing à 19h, entrée libre.
Punch et Judy: spectacle de marionnettes
Alain Recoing fut à l'origine du deuxième voyage, en Orient, de Thierry Vernet. Ensemble ils ont participé à un échange de
créations entre marionnettistes indonésiens et parisiens. Cette unique représentation de «Punch et Judy» revisite, avec des
marionnettes à gaines, ce canevas conçu dans la plus pure tradition anglaise. «Tout, ici, est soi-même et autre chose, d'où la
distance marionnettique, ce détachement, ce faire-semblant-de-telle-façon-que-ça-se-voit qui confère à cet art son étonnant
pouvoir poétique.» Th.V Un beau moment permettant de retrouver le castelet créé par Thierry Vernet.
LIBRAIRIE LE VENT DES ROUTES. Du samedi 28 mars au mercredi 22 avril 2OO9
www.vdr.ch - Rue des Bains 50 - 1205 Genève - Tél. + 41 22 800 33 81
Du lundi au vendredi de 9h à 18h30 - samedi 9h à 17h
Le visage des peintres de ce monde
Cette librairie de voyage s’inspire du souffle à la fois littéraire et itinérant de l’écrivain genevois Nicolas Bouvier. Il était naturel
que le café-librairie devienne l’escale de ce voyage artistique autour de l’oeuvre de Thierry Vernet et Floristella Stephani.
Seront exposées des photos prises par leurs amis, Nicolas Bouvier, Jean Mohr ou Jean Bouvier, le peintre.
Vernissage le samedi 28 mars 2009 dès 10h
Mercredi 22 avril dévernissage dès 17h30 en présence de M. François Laut, auteur de «l'oeil qui écrit» biographie
de Nicolas Bouvier et de Mme Eliane Bouvier, suivi d'une séance de signature.
THÉÂTRE À LA BIBLIOTHEQUE DES EAUX-VIVES. Le mardi 31 mars à 2Oh3O
Les Anges du Levant
Textes: Thierry et Floristella Vernet, adaptation: Jérôme Richer
Avec une comédienne et un musicien
Lier lettres de Thierry et journal intime de Floristella, dresser le tableau de deux fameux observateurs du monde, créer des
ponts entre l’Europe et l’Asie, faire un voyage à travers la pensée de deux amoureux de la vie, voilà l’invitation à laquelle vous
êtes conviés. Un voyage qui se fera en musique, entrée libre.MANOIR DE COLOGNY. Du mardi 24 mars au dimanche 5 avril 2OO9
4 place du Manoir 1224 Cologny/Genève
Horaires d'ouverture du lundi au vendredi 15h-19h, samedi et dimanche de 15h à 18h. Visites sur demande 079 337 60 14
La peinture du monde
Exposition de peintures issues de collections privées genevoises.
Thierry Vernet et Floristella Stephani se marient à Ceylan et se fixent à Paris pour vivre leur passion commune: la peinture.
Installés sur les hauteurs de Belleville à Paris depuis 1958, ils explorent les joies uniques et les aléas d’une création avec la
rigueur calviniste de suisses exilés. S’interdisant tout jugement sur l’oeuvre de l’autre, ils s’engagent dans une création parallèle
affrontant ensemble avec patience les difficultés du quotidien. Des amis les encouragent et acquièrent leurs tableaux.
Cette exposition est donc un double hommage: à leurs oeuvres et à ceux qui les ont aimées.
On y découvre notamment les peintures de Thierry Vernet de 1954, en Afghanistan, rarement exposées, et lamagnifique évocation de Café Florian, à Venise, de merveilleuses aquarelles et des dessins de Vernet et de son épouse qui se rejoignent daans leurs épures stylisées.
TEMPLE DE SAINT GERVAIS. Du lundi 6 au samedi 11 avril 2OO9
www.espace-saint-gervais-ch - Rue du Temple et Rue des Terreaux-du-Temple - Tél. + 41 22 345 23 11
Du lundi au vendredi de 8h30 à 11h30
Le chemin de croix de Floristella Stephani
et le via crucis de Franz Liszt
Protestante de naissance, Floristella Stephani a choisi de devenir catholique. Une de ses oeuvres majeures qui explicite ce
parcours spirituel est son «Chemin de Croix». Présenté au temple de Saint-Gervais, il sera accompagné de ses textes lus par
la comédienne Dominique Reymond, nièce de Thierry Vernet, et du Via Crucis de Franz Liszt interprété par: Diego Innocenzi
et direction, Marie-Camille Vaquie, soprano, Cendrine Carmelt, alto, Ives Josevski, ténor, Florent Blaser, basse.
Vernissage le lundi 6 avril dès 19h30, concert à 20h
Concert-lecture lors du vernissage de l’exposition du «Chemin de Croix» de Floristella Stephani.
BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE. Mardi 21 avril 2OO9
http://www.ville-ge.ch/bge/actualites/espace-ami-lullin.htm - La salle de conférence Espace Ami Lullin, au rez-de-chaussée.
Horaire dès 18h15, de 18h30 à 20h, conférences.
La Bibliothèque de Genève accueille en présence de Madame Barbara Roth, conservateur du Département des manuscrits,
les conférences d'Alexandra Loumpet-Galitzine et de François Laut.
L’exil de la création, la création de l’exil
En choisissant librement parmi les oeuvres de l'exposition, Alexandra Loumpet-Galitzine docteur de l’Université de Paris I,
interroge le processus de création comme une mise en exil volontaire du monde et de soi.
L'oeil de l'Autre!
François Laut, auteur de «L'oeil qui écrit», portrait littéraire de Nicolas Bouvier Ed. Payot, 2008, une biographie saluée par
la critique, nourrie de leurs échanges, de l’accès qui lui a été accordé aux archives Bouvier et notamment à sa correspondance
avec le peintre Thierry Vernet.COLLÈGE & ÉCOLE DE COMMERCE NICOLAS BOUVIER. Du jeudi 19 mars au vendredi 3O avril 2OO9
60, rue de Saint-Jean - 1203 Genève - Tél. +41 22 546 22 00
Du lundi à vendredi de 7h30 à 18h30
ECOLE DE CULTURE GÉNÉRALE HENRY-DUNANT. Du jeudi 7 mai au vendredi 3O juin 2OO9
20, av. Edmond-Vaucher - 1203 Genève - Tél. +41 22 388 59 00
Du lundi à vendredi de 7h30 à 18h30
avec la participation du
COLLEGE POUR ADULTES ALICE-RIVAZ (COPAD)
Un nouvel usage du monde
http://wwwedu.ge.ch/po/bouvier/
Exposition de travaux d’élèves réalisés durant les cours d’arts visuels autour de l'oeuvre de Floristella Stephani et Thierry Vernet.
Deux équipes d’enseignants en arts visuels s’associent dans ce projet pédagogique. Les élèves assisteront aux divers événements
organisés lors de cet hommage aux deux peintres. La découverte de l’univers de ces créateurs et la confrontation avec
leurs oeuvres, leur démarche artistique, leur regard sur le monde, constituera pour chacun des étudiants le point de départ
d’une recherche personnelle, puis d’un travail de réinterprétation et de création en dessin, peinture ou photo.
L’exposition présentera au public un florilège de ces réalisations.
Vernissage à CEC Nicolas Bouvier le jeudi 19 mars 2009 dès 17h, à l'espace d'exposition.
Vernissage à ECG Henry-Dunant le jeudi 7 mai 2009 à 17h, dans le hall principal.CRÉATIONS EN 2O1O
Pièce de théâtre > Sur les textes de Thierry Vernet et Floristella Stephani, un travail de Jérôme Richer, metteur en scène
et comédien.
Publication > Rédigée par Alexandra Loumpet-Galitzine, anthropologue et écrivain, une publication articulée à la fois
autour des thématiques de l’exposition: une saison autour de l’oeuvre de Floristella Stephani et Thierry Vernet et d’extraits
choisis de leurs oeuvres.
Film > Une palette à quatre mains, création d'Hélène Faucherre, réalisatrice à la TSR
Âmes généreuses, Floristella Stephani et Thierry Venet ont transmis leur vision artistique à travers leurs oeuvres et leurs
écrits, mais ils ont aussi laissé des traces dans les coeurs de ceux et celles qui les ont côtoyés.
SOUSCRIPTION 2OO9* 2O1O**
IMPRESSION DES DESSINS DE L'USAGE DU MONDE.
5O tirages typographiques numérotés dont 1O folios sur papier cuve
AFFICHE* > Une saison avec Floristella Stephani et Thierry Vernet
AFFICHE DES PANNEAUX > de Francis Renevey Atelier Nomade
MAGASINE VOYAGER* > les cahiers de l'Atelier Nomade N°5, Un voyage d'artiste, numéro spécial Vernet
DVD** > Une palette à quatre mains du film d'Hélène Faucherre, Réalisatrice à la TSR
PUBLICATION** > D'Alexandra Loumpet-Galitzine, anthropologue et écrivain.
ASSOCIATION «A LA DÉCOUVERTE DE L'OEUVRE DES PEINTRES
FLORISTELLA STEPHANI ET THIERRY VERNET»: 4DOP:FS_TV
Cotisation annuelle ordinaire Frs 30.- / cotisation annuelle de soutien Frs 200.- / dons
Compte postfinance No: 10-712838-7 / Pour les paiements en provenance de l’étranger IBAN CH87 0900 0000 1071 28387
Toutes les informations sur le site www.thierry-vernet.org
Images: grand format: Thierry Vernet, Vufflens-la-Ville; Java, Café Florian; Floristella Stephani, Moustapha. -
Pensées de l’aube (25)
Du pays lointain. – Tous ils semblent l’avoir oublié, ou peut-être que non, au fond, puisque tous les matins il t’en revient des voix, et de plus en plus claires on dirait, des voix anciennes, autour des fontaines ou au fond des bois, des voix qui allaient et revenaient, déjà, dans les vallées repliées de la mémoire de tous te rappelant d’autres histoires, et revenant chaque matin de ces pays au tien tu le vois bien, que tu n’es pas seul ni loin de tous…
Du premier ciel. – Ce sommeil de la neige n’a rien effacé, c’est juste un repos momentané, d’ailleurs nous restons là pour veiller sur la mémoire de ce qui reviendra, nous allons et venons entre les oubliés et ceux qui sèmeront nos cendres dans le premier jardin où nous sommes tombés, les bras ouverts et les yeux levés…
De l’évidence. – Tout nous échappe de plus en plus et de moins en moins, tout est plus clair d’approcher le mystère, tout est plus beau d’apparaître pour la dernière fois peut-être – tu te dis parfois qu’il ne reste de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses te reviennent avec leur murmure d’eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin et du soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque lever du jour…
Image: Philip Seelen
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Ceux qui s’éclatent sur la Noire
Celui que sa découverte récente de Schopenhauer incite à renoncer momentanément au snowboard / Celle qui a résolu de se plaindre du moniteur autrichien Tobias Säuli pour les privautés qu’il s’est permises sur le télésiège biplace du Teufelberg / Ceux qui estiment que l’ambiance du Club de curling Le Choucas n’est plus ce qu’elle était sous Giscard / Celui qui fait chier tout le monde en prétendant que la soupe de chalet servie au chalet Le Chalet n’est pas absolument ce qu’un Savoyard de souche peut appeler une soupe de chalet / Celle qui n’en revient pas d’apprendre que trois séminaristes ont été ensevelis sous une avalanche après avoir assisté à la première messe du jour et alors même que Benoît XVI remet les pendules à l'heure/ Ceux qui ignorent ostensiblement les feux rouges disposés aux croisements les plus dangereux de la piste Noire dite La Maudite dont les couloirs hyper-gelés ont fait un toboggan des plus meurtriers / Celui qui assistera à la retransmission télévisée des championnats du monde à plat ventre sur sa planche du pavillon de traumatologie / Celle qui découvre qu’on lui a volé son masque de ski Shark silver sans lequel il est hors de question qu’elle risque une descente sous la neige / Ceux qui se repassent La Tour infernale en regardant la neige neiger / Celui qui compte sur son bronzage au carotène pour accentuer sa dégaine de boucanier des cimes dont ces dames ne sont pas censées deviner les défaillances qu'il pallie au moyen des moyens permettant de moyenner / Celle qui a oublié son Ipod au parking souterrain de la station inférieure et qui se demande comment elle va survivre aux files d’attente d’un vendredi 13 / Ceux qui vous bassinent avec leurs évocations des Temps du Telemark / Celui que sa découverte du snowboard incite à trouver la philosophie d’Arthur Schopenhauer mal adaptée à une semaine aussi super, etc.Image: Philip Seelen
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ALERTE
…Restez à distance, le périmètre sera sécurisé dans quelques instants, l’équipe de déminage vient de quitter notre poste de commandement et se dirige vers le Jardin Municipal, surtout pas de panique avant l’Analyse de la Situation par nos spécialistes qui ont tous été des enfants à un âge ou l'autre…
Image : Philip Seelen
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Le fluide de Tanguy Viel
En lisant Insoupçonnable, en 2006.
Cela fait toujours du bien de se tremper dans une écriture neuve, surtout à ce moment où la nature se réveille et que tout repousse ; et c’est de fait dans le ruissellement de la fonte des neiges, faisant déborder les torrents des pentes alentour que jai lu le dernier roman de Tanguy Viel, le premier que je découvre pour ma part, dont la fraîcheur du style m’a régalé – jusqu’à ce que l’auteur dit, en fin de récit, de tout ce qui rouille : « Le port continuait de rouiller. Les entrepôts rouillaient. Les tôles rouillaient. Les bateaux rouillaient. La mer rouillait. Même les hommes, les quelques égarés qui continuaient de remuer la poussière des quais, on ne savait déjà plus si le soleil, le sel, l’iode, ou simplement le reflet de la rouille partout, on ne savait plus ce qui avait cramoisi leur peau ».
Mais l’or ne rouille pas, me disais-je en lisant cette page d’Insoupçonnable, ni le noir ni la paille du chapeau panama qui joue là-dedans le rôle d’objet-pivot autour duquel tourne le deal fatal final : ta femme contre mon silence, deux cents balles pour le chapeau et tu coupes à perpète…
C’est l’histoire de deux faux frère et sœur fauchés (Sam et Lise) et de deux vrai faux frères friqués (Henri et Edouard) qui se cherchent et se trouvent.
Sam et Lise vivent dans l’insouciance qui rouille à la longue de la vie facile plus ou moins décheuse, à laquelle un million d’euros de plus (ou mieux : un million de dollars) ajouterait un lustre plus durable.
Or tant qu’à se faire du cinéma, la story est vite filée (sur l’idée de Lise) au conditionnel des sales gosses : tu serais mon frère plutôt que mon mec, j’épouserais Henri pour son blé et je serais kidnappée, Henri cracherait le million par amour de moi et ensuite tous les deux on file aux îles ou à Fargo se la faire belle, le scénar de rêve.
Cela tient évidemment par l’astuce filée de bout en bout, sans être vraiment un polar, disons plutôt roman noir mental, ou plus ouvert par l’écriture et la puissance d’évocation : suspense poétique.
Il y a en effet une poésie très singulière dans la vision autant que dans l’écriture de Tanguy Viel, et c’est ce qui m’enchante bien plus encore que les trouvailles dont le livre regorge.
Celles-ci n’ont rien de gratuit au demeurant : les variations sur le golf (« Il est toujours plus dur de putter en descente qu’en montée ») ou la « valse épuisée » de Chostakovitch, même les phrases plus ostensiblement trouvées (« Je peux vous dire, même sur cinq cents mètres, c’est quelque chose de conduire une Jaguar avec un commissaire-priseur dans le coffre » ou « Mais ce n’est pas ma faute si ce sont les vieux qui sont riches ») ne se ressentent pas d’une recherche d’effets mais se fondent dans la coulée du texte bien fluide et pourtant en étrange, hagard et souriant suspens, comme d’une rêve éveillé.Tanguy Viel. Insoupçonnable. Minuit, 2006.
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Pensées de l’aube (24)
De la destinée. – Elle s’en ira vieille fille, comme on dit, sans qu’on se doute qu’elle fut amoureuse toute sa vie, de nombreux messieurs en secret cela va sans dire, mais aussi de monuments, surtout en Italie, et des enfants de ses parents et amis qui lui ont appris qu’elle-même ne saurait jamais grandir, bonne du moins à border tous les soirs ses poupées en priant le Fiancé de la prendre, elle, par la main jusqu’au jour…
Du fil des heures. – Du matin à la matinée, tout le temps qu’on vit cette montée elle me donne son énergie et me révèle l’air de nouveauté de ce qui vient, son air de jamais vu, son air d’enfant dispos et curieux de tout, et passé le milieu de la journée la vieille vérité des choses fait décliner le matin fée pour se couler dans les heures sans heures de la mélancolie…
De la musique des jours. – Et s’ils entendaient encore, ce matin, qu’en savons-nous après tout ? s’ils entendaient encore cette polyphonie des matinées qu’ils nous ont fait écouter à travers les années, s’ils entendaient ces voix qui nous restent d’eux, ce matin encore je les entends par les rues vibrantes d’appels et de répons: repasse le vitrier sous nos fenêtres, il y a bien du temps de ça mais je l’entends encore et les filles sourient aux sifflets des ouvriers - et si leurs tombes restaient ouvertes aux mélodies ?
Image : Philip Seelen -
Romantisme
… Depuis treize ans que je prends le TGV tous les lundis et les vendredis, je pense à cette voyageuse que j’ose dire la Femme de ma Vie, avec laquelle on s'évaderait dans la Forêt des Possibles, et pourtant jamais je ne me suis trouvé qu’en face de zombies – vraiment pas de quoi faire rêver un commercial à l'âme sensitive…
Image : Philip Seelen
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Pensées de l’aube (23)
Des petits souliers. – On dirait qu’il fait nuit depuis toujours dans la neige qui fait une espèce de jour dans la nuit, rien n’a changé depuis qu’il faisait froid dans vos chambres d’enfants, mais alors des voix vous encadraient, comme des voix de bergers autour des troupeaux, et bientôt vous étiez chaussés, de toutes les maisons du quartier s’en allaient les petits souliers ferrés sur la glace des chemins, par les routes ensuite vous vous pressiez comme des nains transis mais jusqu’au souvenir de cette morsure de l’hiver vous réchauffe l'âme…
De cette boule. – Tous les matins, maintenant, et ce sera comme ça jusqu’à la fin, sûrement : cette boule qui était au ciel jusque-là, ou tout au fond de la terre, est entrée en toi et te pèse de tout le poids du monde - et tu n’as qu’un chant pour t’en délivrer…
De l’embarquement. – Et tout à l’heure le monde remontera aux fenêtres, ou bien ce seront les fenêtres de la ville qui remonteront aux tiennes, il y aura des montagnes enneigées ou des silhouettes affairées, ce sera selon, des fenêtres de cet hôpital on ne voit que le ciel, de cet autre que la mer ou des murs, le monde affleure partout, on est dedans, on est embarqué : Terre à l’horizon…
Image : Philip Seelen -
A ton avis ?
… Qu’est-ce que t’en penses ? Tu te demandes s’il m’a battue ? Tu crois que je me suis fraisée sur la Piste du Diable ? Tu fantasmes sur le vampire qui m’a mordue à la lèvre ? Tu te figures que je vois pas que tu prends ton pied en me matant comme ça toute fragile et en somme toute jolie ? Et si je te disais que c’est juste une pub pour l'Assurance Pas de chance, que je suis maquillée au poil et que je fais pas ça à l’œil ?
Image : Philip Seelen -
Pensées de l'aube (22)
Pour Bona Mangangu
De l’ancien feu. – Bien avant votre naissance ils le portaient de maison en maison, le premier levé en portait le brasero par les villages et les hameaux, de foyer en foyer, tous le recevaient, ceux qu’on aimait et ceux qu’on n’aimait pas, la vie passait avec la guerre dans le temps…
Du passé. – Tu n’as aucun regret, ce qui te reste de meilleur n’est pas du passé, ce qui te fait vivre est ce qui vit en toi de ce passé qui ne passera jamais tant que tu vivras, et quand vous ne vivrez plus vos enfants se rappelleront peut-être ce peu de vous qui fut tout votre présent, ce feu de vous qui les éclaire peut-être à présent…
De l’avenir radieux. – Au lieu de jeter les mots usés tu les réparerais comme d’anciens objets qui te sembleraient pouvoir servir encore, tu te dirais en pensant aux enfants qu’il est encore des lendemains qui chantent, tu te dirais en pensant aux mal barrés qu’il est encore des jours meilleurs, tu ramasserais vos jouets brisés et tu te dirais, en te rappelant ce que disaient tes aïeux: que ça peut encore servir, et tu retournerais à ton atelier et le verbe rafistoler te reviendrait, et le mot te rappellerait le chant du rétameur italien qu’il y avait à côté de chez vous, et tout un monde te reviendrait avec ce chant – tout un monde à rafistoler…Image: Philip Seelen
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Pensées de l’aube (21)
Du renouveau. – Le silence des choses ce matin peut être dit néant ou prière, celui qui ouvre les yeux et parle en décide, mais qui sait si elles sont moins seules d’être nommées par lui ou si c’est lui qui se console ainsi de sa solitude – qu’importe à vrai dire si c’est dit et qu’à l’instant les choses reviennent au jour et que tu dis ce qu’elles ont ce matin à dire d’inouï - tout cela était en toi déjà mais tout a bougé cette nuit et le silence des choses aurait ce matin la voix du jamais entendu…
Des éteignoirs. – Tout a été dit, t’assènent-ils pour mieux te neutraliser, toi qui demandes à vivre encore, à recevoir encore, à recevoir et à donner quand ils n’ont plus rien, eux, à recevoir et plus rien à montrer que le déjà-vu, car tout est achevé selon eux, tout est accompli, c’est à croire qu’ils sont déjà morts et pour ainsi dire ressuscités, tout étant dit ils n’ont plus rien à entendre de la vie et n’attendent plus rien de toi non plus – détourne-toi, petit, de ces mauvais apôtres.
Du fil des jours. – Et tout est à recommencer tous les jours, c’est accablant quelques instants, le temps de te retrouver au point zéro : tu crains d’avoir perdu le fil, mais non, le voici, et avec lui que tu reprends entre les dents tout se retrouve lié, tout se remet à bouger ensemble, du cendrier à l’étoile, tout te revient, toutes les saveurs goûtées et à goûter encore, toutes les odeurs des années passées et attendues encore, toutes les pensées affleurant le jour blanc ce matin encore…Image: Philip Seelen