En lisant Insoupçonnable, en 2006.
Cela fait toujours du bien de se tremper dans une écriture neuve, surtout à ce moment où la nature se réveille et que tout repousse ; et c’est de fait dans le ruissellement de la fonte des neiges, faisant déborder les torrents des pentes alentour que jai lu le dernier roman de Tanguy Viel, le premier que je découvre pour ma part, dont la fraîcheur du style m’a régalé – jusqu’à ce que l’auteur dit, en fin de récit, de tout ce qui rouille : « Le port continuait de rouiller. Les entrepôts rouillaient. Les tôles rouillaient. Les bateaux rouillaient. La mer rouillait. Même les hommes, les quelques égarés qui continuaient de remuer la poussière des quais, on ne savait déjà plus si le soleil, le sel, l’iode, ou simplement le reflet de la rouille partout, on ne savait plus ce qui avait cramoisi leur peau ».
Mais l’or ne rouille pas, me disais-je en lisant cette page d’Insoupçonnable, ni le noir ni la paille du chapeau panama qui joue là-dedans le rôle d’objet-pivot autour duquel tourne le deal fatal final : ta femme contre mon silence, deux cents balles pour le chapeau et tu coupes à perpète…
C’est l’histoire de deux faux frère et sœur fauchés (Sam et Lise) et de deux vrai faux frères friqués (Henri et Edouard) qui se cherchent et se trouvent.
Sam et Lise vivent dans l’insouciance qui rouille à la longue de la vie facile plus ou moins décheuse, à laquelle un million d’euros de plus (ou mieux : un million de dollars) ajouterait un lustre plus durable.
Or tant qu’à se faire du cinéma, la story est vite filée (sur l’idée de Lise) au conditionnel des sales gosses : tu serais mon frère plutôt que mon mec, j’épouserais Henri pour son blé et je serais kidnappée, Henri cracherait le million par amour de moi et ensuite tous les deux on file aux îles ou à Fargo se la faire belle, le scénar de rêve.
Cela tient évidemment par l’astuce filée de bout en bout, sans être vraiment un polar, disons plutôt roman noir mental, ou plus ouvert par l’écriture et la puissance d’évocation : suspense poétique.
Il y a en effet une poésie très singulière dans la vision autant que dans l’écriture de Tanguy Viel, et c’est ce qui m’enchante bien plus encore que les trouvailles dont le livre regorge.
Celles-ci n’ont rien de gratuit au demeurant : les variations sur le golf (« Il est toujours plus dur de putter en descente qu’en montée ») ou la « valse épuisée » de Chostakovitch, même les phrases plus ostensiblement trouvées (« Je peux vous dire, même sur cinq cents mètres, c’est quelque chose de conduire une Jaguar avec un commissaire-priseur dans le coffre » ou « Mais ce n’est pas ma faute si ce sont les vieux qui sont riches ») ne se ressentent pas d’une recherche d’effets mais se fondent dans la coulée du texte bien fluide et pourtant en étrange, hagard et souriant suspens, comme d’une rêve éveillé.
Tanguy Viel. Insoupçonnable. Minuit, 2006.
Commentaires
Merci de parler de Tanguy Viel !
Je n'ai pas encore lu son dernier livre, mais j'ai beaucoup aimé "Le black note" et "L'absolue perfection du crime".
J'aime l'écriture syncopée de ce jeune écrivain et puis, comme vous le dites, la poésie qui se dégage de ce regard contemporain...