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Des coïncidences révélatrices

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Notes panoptiques (6)

À propos des deniers livres de Pascal Quignard, David Fauquemberg et Lieve Joris, de Walter Benjamin et de Guido Ceronetti, de Vassili Grossman, de Thomas Sankara et de la momie Mitterrand.


Je venais de retrouver mon exemplaire d’Images de pensée de Walter Benjamin, en rangeant ma bibliothèque, lorsque j’ai commencé de lire le dernier livre de Pascal Quignard, La barque silencieuse, dont les premières pages évoquent ce mouvement qui définit entre tous le « littéraire», consistant à aller au fond des mots, en l’occurrence le premier mot de corbillard, issu des coches d'eau sur lesquels on transportait les nourrissons sur la Seine entre Corbeil et Paris, hurlants. En même temps que j’évoquais, dans un récit que je suis en train de finir sous le titre de L’Enfant prodigue, mes retrouvailles imaginaires avec mon premier mort, à dix ans, dans le quartier des Oiseaux de notre enfance, en la personne d’un petit leucémique prénommé Pierre-Alain ou Pierre-Louis, je ne sais plus bien, et que j’ai appelé Pilou, en même temps que je nous revoyais observer les scarabées je lisais ces jours le très étrange nouveau livre du très étrange Jean-Marc Lovay, Tout là-bas avec Capolino, qui lui aussi descend au fond des mots comme un plongeur en apnée, à la recherche en outre de ce qu’on pourrait dire l’Esprit du conte. Or ce que je me dis à chaque fois, de telle nouvelle rencontre survenue en ce moment précis, et pas à un autre, à telle autre intersection d’observations ou d’expériences, que ces coïncidences figurent le croisement par excellence de la vie et de nos destins. Vie et destin, soit dit en passant : grande rencontre et grande expérience, il y a pas mal d'années déjà, de cet immense roman de Vassili Grossman qui me reste comme un inoubliable concentré de mots sondant l’existence…

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On passe parfois des années à proximité de quelqu’un avant de le rencontrer vraiment. Cela m’est arrivé avec Philip qui partage ces jours notre vie et divers projets communs, dont notre Panopticon (lui par l’image et moi par les mots) et qui lit ces jours La Patience du brûlé de Guido Ceronetti, me disant qu’il se sent tout proche de ce grappilleur d’ « images de pensée », pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, dont Ceronetti est à divers égards un héritier, comme l’est aussi un Ludwig Hohl ou, selon Bruno Tackels , le biographe de WB, comme le sont aussi un Pascal Quignard, un Enrique Vila-Matas ou un Sebald, autres purs « littéraires ».

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Or il y a mille façons de vivre la littérature et autant de façons d’aller « au fond des mots ». J’y ai pensé ces jours en lisant deux autres livres qu’on pourrait apparenter à la mode de la littérature-monde et des « étonnants voyageurs », et dont le noyau ressortit essentiellement à une interrogation sur l’homme au monde et sur les chemins écartés, plein air, qui conduisent à son point faible par les mots. « Chaque homme a son point faible, disait Jack Dempsey, l’estomac peut-être, la mâchoire… Alors il faut chercher la faiblesse dans votre homme, et c’est là qu’il faut attaquer. » En le citant en exergue de Mal tiempo, son dernier livre, David Fauquemberg fait autre chose que de proposer la meilleure façon de démolir son semblable: il prépare une formidable rencontre avec la vie et le destin d’un boxeur par désespoir. De la même façon, c’est par la faiblesse de ce qu’elle éprouve après la mort de sa mère, que Lieve Joris, dans Les hauts plateaux, vit sa dernière et plus lancinante rencontre de l’Afrique la plus fragile, où la vie survit en dépit de tous les dangers. Son guide, le jeune David au drôle de chapeau, voudrait être d’abord écrivain comme elle, puis pasteur comme l’évangéliste qui répand la bonne parole aux paroissiens perdus de ces terres oubliées, puis il serait prêt à relancer la révolution de Thomas Sankara, abattu avec la bénédiction de la France, en lisant une biographie du révolutionnaire assassiné par son soi-disant alter ego. Or le seul nom de Sankara me rappelle, autre coïncidence, ce bel hommage à Sankara de l’autre jour, sur Arte, et ce visage et ces mots clairs et nets, comme ceux d’un certain Obama, faisant pièce au discours cauteleux d’un certain Mitterrand, le visage figé d’une momie dont la littérature à prétentions littéraires n’a jamais trouvé la vérité des mots... 

Commentaires

  • Mitterrand, Frédéric bien sûr?

  • Mais voyons Frédéric: ton homonyme n'a rien d'une momie, c'est juste un charmant neveu, tandis que le cynique à chapeau mou, dans ces séquences, est l'incarnation satanée de la suffisance coloniale et de la duplicité paternaliste - et dire que ce type se disait socialiste...

  • Malgré tous les travers épouvantables du vieux fourbe, je n'ai pu m'empêcher d'apprécier sa maîtrise oratoire, sa capacité de recentrer le débat pour repartir sur un terrain plus solide et développer des arguments riches et qui donnent à réfléchir. Et puis, quoi qu'on en dise, comme le notait Derrida, c'était quand même un homme du livre, passionnément du livre. Lecteur boulimique s'il en est. Lire fut en tout temps

    Il y a un très beau portrait qu'en a fait Giesbert (que je n'aime guère) dans son livre et la mort. Un portrait sans concession, vu qu'il en était au stade final, celui que l'auteur à l'air d'ailleurs de préférer.

    Je tiens également à ta disposition les entretiens qu'il a fait avec Duras. Très intéressant. Elle, complètement inconséquente, face à un Mitterrand tout en finesse et ô combien savoureux quand il parle avec de Jules Renard, avec une belle érudition vivante.

    Est-il besoin de préciser que je parle du Mitterrand promeneur, lecteur, amoureux de la nature, de Latche, du silence.

  • Mais oui je sais tout ça, mon grand, j'ai même vu les traces encore chaudes de son hélico à côté du Presbytère de Michel Tournier, mais tu le dis toi-même: vieux fourbe. À part quoi Mao, dont la Révolution culturelle a coûté la vie à quelque 500.000 Chinois, et maints autres tyrans (que Tonton n'est certes pas) étaient eux aussi des amoureux du Livre, comme tu dis. Quant aux portraits du père François, celui que je préfère est signé Baltique, sa chienne, je ne sais qui est derrière (on a parlé d'Erik Orsenna) mais c'est un régal aussi vache qu'affectueux... Ce que je voulais dire à propos de cette séquence faisant voisiner Thomas Sankara, que je n'adule sûrement pas, et Mitterrand, dépasse d'ailleurs de loin une affaire de goût ou de position politique: c'est un vrai symbole...

  • J'ai commandé Baltique. Caninement tien! Frédéric

  • C'est surtout le second septennat du vieux fourbe qui fut de trop. Comme le prolongement mortifère et nauséeux d'une imposture (l'idée que la gauche et ses beaux idéaux étaient au pouvoir, alors que son personnel politique était en pleine décomposition morale); pas étonnant d'ailleurs que les cadres du PS actuels, tous formés à la duplicité partout régnante de ces années lamentables, aient tant de mal à faire coïncider leur mesquinerie avec une pensée généreuse. La mort-suicide, on n'en saura jamais rien, de Bérégovoy, la fin lamentable de Grossouvre ... de quoi alimenter des chroniques balzaciennes sur la fin de règne dérisoire et cynique du vieux fourbe. Quant au neveu, ce n'est pas non plus le neveu de Rameau; oncle oblige...

  • Mitterrand la Momie ? N'est-ce pas Sollers qui le premier avait osé la comparaison dans l'un de ses romans, "Studio" si j'ai bonne mémoire ?

  • Le livre de Lieve Joris est passionnant. Elle décrit les splendeurs naturelles de ces hauts plateaux du Congo; elle s'émeut devant tant de barbarie et d'injustice humaines. Comme si, souvent en Afrique, le Créateur avait décidé de faire danser côte à côte, l'enfer de l'Homme et la beauté céleste du paradis sur terre. La souffrance de l'enfant, de la maman, du papa n'en sont que plus cruelles et décalées parce qu'enrobées par la beauté des lieux. Nul étonnement quand la souffrance se passe dans les couloirs déjà sans vie des hôpitaux ou autour des ghettos grelottant des cités périphériques; mais quand elle est emmaillotée dans un superbe environnement, elle devient plus douloureuse, comme incongrue.

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