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Du renvoi d’ascenseur

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A La Désirade, ce mardi 1er juillet 2009. – Mon compère de blog Bertrand Redonnet, que je n’ai jamais rencontré que sur la Sphère et dans un livre épatant, intitulé Zozo, chômeur éperdu, que j’ai aimé et commenté dans mes Carnets de JLK, vient de me rendre la pareille en consacrant à mon dernier opus, Riches heures, une présentation personnelle et généreuse(http://lexildesmots.hautetfort.com)  qui m’a beaucoup ému par la justesse de sa perception – à quelques exagérations près, comme de prétendre que je lis « tout », et je ne vois pas que la Désirade ait la moindre « baie vitrée », ni la forêt proche le moindre pin… - et par son attention vive au détail du livre. Or rien ne me touche plus que l’attention réelle d’un lecteur, bien plus importante à mes yeux que les compliments qu’il pourrait m’adresser, dans une période que caractérisent justement l’inattention et la flatterie convenue, ou le déni pur et simple.
Ce que j’aime surtout dans sa lecture de ma « lecture du monde » et de mon aspiration essentielle aux « passions partagées », c’est qu’il insiste sur la dimension de la « rencontre » que représente possiblement chaque livre dont on puisse réellement « tout lire » - et c’est dans ce « tout » non quantitatif que nous nous rejoignons évidemment.
Bertrand souligne justement ma défiance envers toute forme d’idéologie, et cela dès le marxisme de nos dix-huit ans, et même si j’ai été tenté de remplacer le personnalisme de mes vingt ans par un ralliement à l’anarchisme de droite frotté de catholicisme littéraire intempestif à la Joseph de Maistre ou à la Léon Bloy (salut Dantec…), tout esprit de clan et tout système idéologique clos m’ont toujours rebuté et rejeté, jusque dans ses manifestations inattendues. J’ai bien observé, ainsi, un Alexandre Zinoviev, lu et rencontré maintes fois, qui se voulait le grand contempteur de l’idéologie. Or j’ai bient'ot découvert chez lui une passion de nature purement idéologique – un contre-système qui explique le manque d’incarnation de ses livres, à l’exception des premiers, tel l’inoubliable Adieu à l'automne.
Bertrand Redonnet cite alors, comme étant significatif, l’écart scandaleux – véritablement scandaleux, à l’époque : la chose à ne pas faire – dont je me suis rendu coupable en ma folle jeunesse, consistant à rendre visite à Lucien Rebatet, le plus grand Salaud vivant des lettres françaises, auteur d’un pamphlet d’une incroyable violence, Les Décombres, dont j’ai d'ailleurs refusé de parler avec lui (come quoi ma liberté n’était pas totale…), mais aussi d’un immense roman d’apprentissage, pur de tout fascisme et de tout racisme, intitulé Les deux étendards et mettant en scène, dans l'entre-deux-guerre lyonnais, le grand débat entre foi catholique et athéisme sur fond de découverte juvénile de toutes les passions.
C’était en 1972, je pratiquais le journalisme et la critique littéraire depuis trois ans et m’étais éloigné de mes amis progressistes sous le double effet de la découverte de la complexité de la réalité réelle, et de la rencontre de l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, notoire anticommuniste… Mon entretien avec Rebatet me valut pas mal de lettres d’injures et un violent esclandre dans un café lausannois (le Mao…) où j’entendis un ex-camarade hurler qu’il fallait me tuer. Or je me dis, aujourd’hui, que je l’avais en somme cherché, et pas tant à vrai dire pour défendre Rebatet que pour me dégager du « politiquement correct » de l’époque, moins conventionnel mais plus hargneux et violent qu’aujourd’hui, comme je me suis toujours tenu à distance du milieu littéraire local, par goût atavique de la liberté.
Cette même liberté, que Bertrand a raison de coupler avec l’amour fusionnel de la nature sauvage, tel que nous le partageons visiblement – lui aux confins de la taïga et moi en notre nid d’aigle lémanique de la Désirade – fait que sa dernière remarque, à propos d’un éventuel délit de renvoi d’ascenseur, me fait bonnement sourire. Hélas Bertrand, fais seulement un mauvais livre et tu verras le sort que je réserve à mes amis ! Quelques-uns, que je connaissais depuis des années et dont j’étais donc censément plus proche que nous deux, en ont fait la cuisante expérience. Hélas c’est plus fort que moi : dès que je suis dans un livre, j’en oublie l’auteur. Ou plus exactement : le noyau poétique du livre, dont parle Walter Benjamin, et qui a toujours été le Graal que je cherchai dans un livre, compte seul, et je l’ai trouvé vibrant auprès de Zozo, comme je l’ai trouvé vibrant dans Nullarbor de David Fauquemberg, devenu depuis mon ami mais que j’étrillerai si son prochain roman, à paraître tout bientôt, ne me semble pas à sa hauteur.
Ce genre d’approche, évidemment, échappe à beaucoup d’esprits avisés qui ne voient du dehors que manœuvres et combines.
Pour ma part, sans jouer du tout les purs, je revendique cependant le droit de dire du bien des bons livres de mes amis. Une lampe m’éclaire dans ce choix. Je l’ai héritée de ma mère qui l’avait reçue au moment de prendre congé de l’entreprise Schindler spécialisée dans la fabrication d’Ascenseurs Suisses. Son collège Gottlieb, secrètement amoureux d’elle qui venait de se fiancer et projetait de s’établir en Romandie, avait économisé pendant des mois, thune sur thune, pour lui offrir cette lampe à pied de bois torsadé et à lampadaire en étoffe imitant celle d’un jupon de vierge, comme cadeau de départ - chère mère avec laquelle nous aurons vécu tant de riches heures…

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Commentaires

  • C'est la photo de JLK montant vers son antre tant désirée qui m'a poussé à écrire un commentaire dans le site de Bertrand Redonnet. Mais il est plus approprié dans celui-ci.

    Etre voisin de JLK, l'ermite qui lit dans ses montagnes (et les miennes), c'est aussi entendre pétarader sa machine, petite jumelle de l'auto-chenille de l'expédition Citroên des années trente. Presque chaque jour des quatre saisons, quand les fleurs chantent et les oiseaux sifflotent, la "machine à Kuffer", elle, pète et pétarade, emportant en haut les livres et les courses, et vomissant en bas les poubelles et certains livres lus et autres babioles résignées au rejet. Le pompom, c'est quand l'ermite -- otage de sa machine et comme menacé du syndrome de Stockholm -- monte lentement et/ou descend légèrement et percute le mur du silence d'un "Pilou!, Pilou!" sonore et peu efficace pour le vieux chien sage qui prend tout son temps, tout son temps, tout son temps, et qui n'entend plus grand-chose ou fait semblant). Cet aboiement "ermétique" bref et vibrant, fait sursauter mon chien numéro un. Le chien numéro deux, un Retriever débonnaire et jovial, soupire et grognasse au numéro un: "t'inquiète, c'est l'ermite à la machine".

    Je me réjouis de lire le livre.

  • Alors là il me bluffe, Damien. Je n'en reviens pas. Ou plutôt c'est lui qui revient de loin. Le fada des îles, mon voisin le plus immédiat à l'enseigne du grand chalet Les Narcisses, dont ne nous séparent que trois ânes au pré d'en dessous, et sur le dernier livre duquel je suis en train de préparer un papier bien estival, Damien Personnaz himself, auteur de Sept oasis des mers où il raconte sa folie des îles lointaines (Ascension, Sainte-Hélène, Cocos, Christmas, Lord owe, Kosrae, Pohnpei) qui revient juste d'un dernier périple et qui vient juste d'ouvrir son blog à lui (http://blogs.courrierinternational.com)... tu vois ça Bertrand, pas besoin d'aller au fin fond de la Polska B pour se trouver un compère, y a plus près et c'est moins cher... En plus de ça, misère, je ne dis pas les chiens mais pire: nos femmes ont l'air de s'entendre. Celle de Damien est peintre, et pas du dimanche, même si certaines de ses toiles sont du dimanche matin des jours heureux, et voilà-t-il pas qu'elles vont peinturlurer cet été de concert. Mais cette fois c'est moi qui vais les espionner, parce qu'elle a de vieux trucs de peintre, Mara, que je compte bien piquer en douce à ma douce...

  • Oui, mais avec ça, pourquoi nous avoir ressorti Rebatet maintenant? Amour pour la bonne littérature, indépendance d'esprit, la chaleur? Donc ce cher Rabatet, l'écrivain le moins fréquentable (à juste titre, non?) et qui n'avait rien d'attirant (je l'espère) a écrit, les chaînes aux pieds, son plus beau livre. Non, les autres n'étaient pas beaux, ils étaient abjectes. En attendant sa réedition je ne peux pas m'empêcher de penser à tous ceux qui auraient pu écrire de bon livres mais qui ont été réduits en fumée par les copains de Rebatet. Avec sa bénédiction. Que voulez-vous, JLK, cette pensée ne me quitte plus. La chaleur peut-être.

  • Si je reprends ce texte sur Rebatet, Schmutzli, c'est parce que Bertrand Redonnet en parle à propos de mon livre Riches heures qu'il commente, dans lequel cette évocation d'une rencontre est incluse. Or les lecteurs de ce blog n'ont pas forcément en mémoire la chose précise, et je trouve bien qu'on sache de quoi l'on parle.
    Quant à ignorer Les deux étendards sous prétexte que certaines pages du Rebatet propagandiste sont effectivement abjectes à nos yeux, cela me semblerait aussi vain et faux que de ne pas lire Le Voyage au bout de la nuit de Céline pour punir celui-ci d'avoir écrit les Beaux draps. Selon la même logique , on devrait ne pas "ressortir" les romans de Louis Aragon, chantre du stalinisme, entre autres "idiots utiles" du communisme qui, selon votre raisonnement, pourraient aussi être accusés d'avoir empêché des millions de disparus d'écrire... Ne confondons pas tout... Que je sache, les laudateurs occidentaux de la Révolution culturelle chinoise n'ont pas encore demandé pardon non plus aux centaines de milliers de victimes de ce bond en avant vers l'abjection collective, et particulièrement aux artistes chinois dont on a coupé les mains !
    Par ailleurs, et pour d'autres visiteurs de ce blog qui me reprocheraient de recycler d'anciens textes, je leur répondrai que je suis comme ça, cycloïde et répétitif (j'en suis à ma 777e écoute de Didon et Enée de Purcell) et que je le fais aussi parce que je crois qu'un texte, surtout dans la forme brève, gagne à être lu à divers moments et sous diverses lumières. Alors tiens, dans le foulée, je vais ressortir une réflexion sur la re-lecture à la lumière de mon actuelle re-lecture de Walter Benjamin, pour lequel l'activité de re-lecture était essentielle...

  • Nous divergeons sur un point, JLK. Pour moi, la lecture ou la re-lecture de certains textes doit se faire à divers moments peut-être mais sous une seule et même lumière. Ne le prenez surtout pas mal, j'ai envie de vous dire: heureusement que Pol Pot n'a rien écrit!

  • Détrompez-vous: Pol Pot a écrit de très jolis poèmes anacréontique à la sauce khmère, comme Hitler a taquiné l'aquarelle et Staline le pianola. Les pires dictateurs sont des artistes ratés d'une sentimentalité marquée. Avez-vous vu Moloch, portrait suave d'AH par Alexandre Sokhourov ?
    Quant à cette question de lumière, ça se discute parce qu'il y a lumière et lumière, n'est-il pas ?

  • Flûte alors, (c'est le cas de le dire) même Pol Pot! À tout ce petit monde je dirais ce que Pétrone dit à Néron dans Quo Vadis (re-lecture): Incendia Roma ma non suonare la cetra. Je n'ai pas vu Moloch mais j'ai vu Alexandra grâce à votre blog. Merci.

  • J'arrive en retard, retenu par l'orage....
    Ah, cher Jean-Louis, Brassens écrivait que... oui, Brassens, j'ai bien dit Brassens...
    Comment ça Brassens ? T'aimes pas Brassens, je le sens....T'as le droit, t'as le droit...Tiens, à propos de Brassens, tu sais qu'il avait été plus ou moins viré de la fédé anar (triste oxymore) où on le trouvait suspect parce qu'il parlait trop souvent de Dieu et de dieu dans ses poèmes ?
    Chansons ? Oui, si tu veux..Chansons...Chansons poèmes, alors.... C'est vrai que chanson, ça fait pas sérieux, ça fait éphémère, soupe...Brassens ne faisait quand même pas le même métier que Mike Brant, t'en conviendras...Bon, bref, je m'égare...
    Il y a un gars un peu loufoque que j'avais rencontré à Vaisons-La -Romaine et qui s'était amusé avec une espèce de logiciel à la noix, à décortiquer l'œuvre de Brassens, oui l'œuvre, pour en arriver à cette conclusion qui prouve que les preuves ne prouvent jamais rien, cette conclusion disais-je, que le mot le plus utilisé était "dieu" avec ou sans majuscule. Plus de 250 fois !
    Tu te rends comptes ?..Je sens que tu t'en fous un peu...eh ben moi aussi...Parce que c'est même pas ce que je voulais dire en prenant le micro, là. Je voulais dire que Toi et Damien m'aviez fait penser à ce magnifique vers, oui, vers, j'ai bien dit vers, de qui tu devines :
    "Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint,
    Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins !"

    Je t'embrasse et aussi, s'il est là-bas à rêver à seul dieu, justement, sait quoi, notre tendre Philip.

  • Cher vieux,
    Tu as tout faux, enfin presque tout. D'abord en me soupçonnant de ne pas aimer Brassens, que je refuse absolument d'appeler Tonton Georges... Mais mon pauvre toi, Brassens fait partie de mes premiers Maîtres sans majuscule, au même titre que Zorba, Charles de Foucauld, Saint-Ex et Morvan Lebesque du Canard de Dieu. Ma mère et mon père n'aimaient pas tant les vilains mots de ce Brassens, à une époque où Le Gorille était interdit d'antenne sur Radio-Lausanne dont les studios se trouvaient à un kilomètre de notre jardin candide, mais moi j'en faisais mon miel poivré, de l'évangélique Auvergnat à la fraternelle Mauvaise réputation, en attendant cent autres merveilles que je réécoute à tout moment, comme La Non-demande en mariage ou Prière pour être enterré sur la plage de Sète et, de Vigny, la sublime mise en musique de Pensées des morts.
    Cette histoire du nom de Dieu n'est que signe de la liberté de pensée de Brassens. Lorsque j'avais treize ans, un petit camarade du mouvement de jeunesse dont je faisais partie me fit un jour la remarque agacée que je ne parlais que de Dieu et de sexe. Mais si j'en parlais de Dieu et de sexe, c'était pour dire autre chose, et Brassens en dit bien plus sur Dieu ou l'Eros que lorsqu'il dit le nom de Dieu ou parle de ce qui effarouche le Bourgeois. Parce que Dieu ne se dit pas, ni l'Eros. Le déballage actuel sur le sexe ne parle que rarissimement de l'Eros. La masturbation mondiale et la mondiale copulation qui s'exhibe sur l'universelle Webcam n'ont rien à voir avec l'Eros, enfin presque rien.
    Curieusement déjà, à treize ans, je parlais de sexe à tort et à travers mais ne me masturbais point, alors que mes petits camarades se paluchaient les jours de pluie sous la tente du camp à la montagne, et si je parlais de Dieu c'était pour dire: amour, charité, beauté du monde, mystère et boule de gomme...
    Et quant à me ranger dans le clan de ceux qui n'ont point d'idéal sacro-saint, pas non plus camarade: j'ai bel et bien un idéal sacro-saint, mais en disant cela je dis autre chose, qui devrait émaner de ce que j'écris, j'espère, sans y pouvoir rien que de me laisser traverser par lui.
    Je t'embrasse. Là nous aurons des orages ce soir - je prévois le tout gros orgasme divin de Dame Gaïa...

  • Tu vois comme c'est sot que de vouloir avoir tout juste tout le temps. Parce que, là, c'est un réel bonheur que d'avoir eu tout faux. Mais faut dire aussi que je m'en doutais fortement et que c'était un jeu de vilains.
    Adhère complètement à ce que tu dis du moustachu sétois. T'envoie bientôt un de mes derniers exemplaires du livre que je lui consacrai, jadis, et que Phil a déjà.
    Pensées des morts, oui, remarquable. Mais Lamartine. Pas Vigny.
    Porte-toi bien et tous ceux-celles que tu aimes itou
    Fraternité
    B

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