Deux recueils posthumes de Raymond Carver. Et deux nouvelles adaptées au théâtre par Jacques Lassalle, ces jours au Théâtre de Vidy.
«Cette fois, c'est vraiment la fin», écrivait Tess Gallagher à un ami à l'époque où elle préparait la publication de ces cinq nouvelles de Raymond Carver. Ainsi qu'elle le raconte plus en détail dans sa postface, la compagne de «Ray» fut très occupée, après la mort prématurée de l'écrivain (terrassé par un cancer du poumon en 1988), par la supervision de trois recueils posthumes, ajoutée à ses propres travaux (elle est enseignante et poétesse), qui l'empêchèrent de s'occuper d'éventuels inédits de Carver, avant qu'un des responsables de la revue Esquire, Jay Woodruff, ne vienne à sa rescousse pour la préparation de ces cinq nouvelles inédites et plus ou moins achevées - on sait que Carver rédigeait jusqu'à trente versions d'une de ses histoires avant de l'estimer parfaite.
Or, loin de constituer des ébauches, et moins encore des fonds de tiroir, les nouvelles parues en traduction sous le titre de la dernière, Qu'est-ce que vous voulez voir?, sont dignes du meilleur Carver, à quelques détails formels près que les éditeurs ont d'ailleurs eu raison de ne pas gommer. Pour l'essentiel en revanche, touchant à la résonance émotionnelle et à la beauté limpide de ces tranches de vies meurtries, le lecteur retrouvera dans ce livre tout ce qui fait le charme et la profonde poésie de l'auteur des Vitamines du bonheur ou de Parlez-moi d'amour.
La première de ces nouvelles (Appelle si tu as besoin de moi) est à la fois la plus simple et la plus touchante. Un couple, au bord du divorce, loue une maison dans la campagne d'Eureka (sur la côte nord de la Californie) pour tâcher de se retrouver. Or, tout semble aller bien, mais ça ne va quand même pas, jusqu'au moment où l'apparition de deux chevaux blancs, dans le jardin, leur fait revivre ensemble un instant de magie et reparler et se retrouver bel et bien... avant de repartir chacun de son côté. Plus douloureuse, la nouvelle intitulée Rêves relate la mort, dans un incendie, des deux enfants d'une femme dont le mariage s'est effondré, tandis que le thème de l'homme brisé repartant de zéro, fréquent chez Carver (qui l'a vécu lui-même à plusieurs reprises), se trouve magnifiquement traité dans Du bois pour l'hiver.
Tels des contes de la douce déglingue que ses personnages affrontent comme autant d'enfants perdus, les nouvelles de Carver diffusent une tendresse lancinante et jamais démonstrative, comme d'un Tchékhov américain, et, souvent puisée dans la nature, une lumière et une beauté régénératrices.
Un Tchékhov américain
Le titre de la nouvelle Intimité, tirée du beau recueil posthume Les Trois roses jaunes (Rivages poche, 1999) dont la dernière évoque la mort d’Anton Tchékhov, situe exactement le lieu où se déroulent les histoires tendres et déchirantes de Raymond Carver: au cœur du cœur de la vie des gens. Plus exactement : des gens de l’Amérique populaire ou bohème, souvent paumés ou dérivant dans l’alcoolisme, comme l’auteur. Si Carver rend si bien les bleus au cœur de ceux qui s’aiment et se griffent, c’est d’ailleurs qu’il l’a vécu lui-même avec ses deux femmes successives : Maryann la violente, mère de ses enfants dont il divorça, et la poétesse Tess Gallagher qui s’occupa très activement de son œuvre après sa mort, à 50 ans, en 1988. Loin cependant de se borner à un inferno conjugal, le monde de Carver, plein de vitalité et de poésie, se situe très loin des complications psychanalytiques d’un Woody Allen ou d’un Philip Roth. C’est que Carver, de Parlez-moi d’amour aux Vitamines du bonheur ou aux Short cuts adaptés au cinéma par Robert Altman, est plus direct, plus brut et plus lyrique surtout, même si ses « fans » ignorent souvent sa magnifique poésie tissée de ballades où le quotidien se trouve comme enluminé…
Raymond Carver, Les Trois rose jeunes. Rivages Poche, 1999.
Qu'est-ce que vous voulez voir? Traduit de l'anglais par François Lasquin. Postface de Tess Gallagher. L'Olivier, 134 pp.
Le grand metteur en scène français Jacques Lassalle présente, ces jours, un spectacle en création à Vidy, intitulé Parlez moi d'amour et fondé sur deux nouvelles de Raymond Carver, Intimité et Le bout des doigts. La Passerelle, du 25 avril au 17 mai.
Infos: http://www.vidy.ch
Commentaires
Il y a eu aussi la traduction de son recueil de poèmes autobiographiques "Là où les eaux se mêlent "par Frédéric Lasaygues.L'incertain.
Dans "Toute sa vie" de ce recueil ,le poète rêve à un enterrement en mer.
-"D'abord j'étais étonné,
Et puis en proie au regret.
Mais tu m'as pris le bras en disant,
"Non ,tout va bien ,
Elle était trés vieille et il l'a aimée toute sa vie "-
Ce qui renvoie au dernier poème ("Late fragment")de son dernier recueil (A New Path to the Warterfall,Un nouveau chemin jusqu'à la cascade ),où Raymond Carver écrit :"Et as-tu obtenu ce que tu voulais de cette vie ?Oui, Et que voulais-tu ? Me dire bien-aimé,me sentir bien-aimé sur la terre ."
L'oeuvre de Carver est ainsi riche de fêtes qui tournent mal et de disputes qui tournent bien.On y lit perpétuellement une immense générosité d'être.
J'ai lu ce recueil car c'était le premier livre entièrement de poésie de Carver à être traduit en français !
Son oeuvre est liée à la vie comme vous le dîtes.
ça donne envie... merci
Je ne connais pas la poésie de Carver. Je pense que j'ai lu "Short cuts" et pour le reste je ne me rappelle pas les titres. J'ai vu le film d'Altman "Short cuts".
J'aime Carver, une ânerie de le dire, car comment ne pas aimer et cet univers et cette écriture. Ne m'étonne pas trente versions, trente réécritures d'une histoire.
Merci en tout cas de cette chronique. On va bien évidemment se procurer "Qu'est-ce que vous voulez voir ?" et "Les trois roses jaunes".
J'aimerais bien voir la mise en scène de Jacques Lassalle "Parlez-moi d'amour". Beaucoup de chance d'avoir cette création au théâtre de Vidy. Sera peut-être à Avignon cet été ?
Il existe un recueil de sa poésie en 10/18, dont je ne me rappelle pas le titre à l'instant, mais c'est un très beau titre - ah mais le voici sur l'un des 33 rayons des préférés: Là où les eaux se mêlent...
Nul que je suis, je n'avais pas encore lu la note de Soulef. Merci Soulef et bonne journée à mes amis sous le ciel noir.
jls