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Le miel et la cendre

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Quelque temps ensuite, je ne sais, quelques années, cela n’a guère d’importance, j’ai vécu dans ce monde facile que je récusais tout en m’y éclatant, comme on disait alors.
Tout ce temps mort je me suis éclaté, comme on disait alors, et le temps lui aussi s’est alors éclaté, dont le labyrinthe du Palais Mascotte reste aujourd’hui la parfaite image.
Le Palais Mascotte, l’ancienne usine de traitement des déchets urbains, désaffectée et réinvestie, indéfiniment relookée, comme on disait alors, d’abord par les marginaux de la contre-culture, à cette époque-là, devenue squat et lieu modulable des expressions de toute sorte, ensuite développé aux normes nouvelles de la contre-culture devenue la culture officielle, quand les anciens squatters devinrent conseillers des managers et des acteurs de la nébuleuse culturelle avant de devenir eux-même managers et acteurs de la nébuleuse culturelle, – le Palais Mascotte me tint alors lieu de point de chute nocturne où je m’éclatais un soir sur d’eux.
Les soirs que je passais à m’éclater au Palais Mascotte me restent à l’instant, alors même que je les croyais tissés de temps mort, le creuset le plus vivace du devenir darwinien de mon âme, ainsi que mon oncle Stanislas appelait ironiquement mes reptations existentielles. Au Palais Mascotte se concentrait tout ce que je désirais et détestais. Le théâtre expérimental du Palais Mascotte, les performances et les installations du Palais Mascotte, dans les premières années de sa réhabilitation, les soirées à n’en plus finir avec les squatters du Palais Mascotte, dans les anciens entrepôts de l’usine transformés en lieux de vie, les nuits dans les diverses fumeries et autres alcôves du Palais Mascotte, avant le développement exponentiel de ce qui deviendrait l’usine à Loisirs & Plaisirs de notre ville conjuguant Culture & Profit, les nuits sauvages de ce qu’on appellerait romantiquement le premier Palais Mascotte, avant ce qu’on appellerait lucidement sa récupération, bref le Palais Mascotte des grandes années reste, dans ma mémoire physique et métaphysique, ce lieu mythique et mutique du désir éclaté où je courais un soir sur deux pour me fondre dans le magma des bruyants, le second soir m’attendant avec sa désespérance lucide, à me purifier dans le silence de mon atelier du Vieux Quartier et à tenter de faire, sans faire, à écrire des pages que je déchirerais le lendemain et à maculer des toiles que je lacérerais le lendemain avant de courir au Palais Mascotte.
Toutes les nuits ou presque je vivais à cent à l’heure, comme on dit, tout en gardant sur mes gesticulations les yeux ouverts du petit crevé que je restais aussi. Je m’éclatais et le petit crevé me fixait dans l’orgie des bruyants - je ne pouvais m’éclater une nuit sans ressentir le poids de ce regard scandalisé.
Je ne faisais pourtant que vivre normalement, aux critères de l’époque, mais le petit crevé voyait là aussi du scandale. Je m’étais mis à travailler selon les normes de l’époque, tout en restant indépendant, me gardant vaguement pour La Chose ; car je rêvais, évidemment, d’écrire un roman ; d’ailleurs je l’écrivais : tous les soirs je recommençais d’écrire ce roman, que je déchirais le lendemain après ma nuit au Palais Mascotte, et le petit crevé se gaussait de ma confusion..
Qui était le petit crevé, tellement plus sévère que mon oncle Stanislas et que tous les tribunaux réunis des gens ordinaires ? Que me reprochait-il en somme ? Quel mal faisais-je que m’éclater ? Que me voulait cet avorton teigneux ? Que je me cloître ? Que je me les coupe ? Que j’entre dans une secte de taiseux ? Que je me flagelle à journée faite ? Ou l’éclair de lucidité qui m’avait frappé une nuit, là-bas, au cœur du vacarme des bruyants, en pleine orgie de corps sans noms, dans la féerie captieuse de la mousse-party du Palais Mascotte, cette soudaine intuition-sensation physique et métaphysique d’un temps mort qu’il me semblait avoir vécu déjà, en mon enfance, cette espèce de message que m’avait envoyé le petit crevé visait-il à me scandaliser en vue de tout autre chose – de la vie peut-être, de la simple vie telle que la vivent les gens ordinaires, ainsi que je le pense ce matin d’automne ?
Le scandale est en moi, je le sais, le scandale me rôde autour dès l’éveil, le scandale est cette espèce de faux ange qui me sourit et se rit de tout comme, au Palais Mascotte, tous tant que nous étions, faux anges de tous les sexes que nous étions, nous nous serons souris en nous éclatant avant de rire de tout. Mais saurais-je jamais démêler ma joie de l’exubérante tristesse des bruyants ?

Il n’y a pas de temps mort, me dis-je aujourd’hui, il n’y a pas eu de temps mort, mais ce n’est qu’aujourd’hui que je puis le dire en revivant le temps que diront ces mots qui me viennent comme d’une source obscure, dans la conscience plus aigüe du scandale, à croire que le petit crevé et moi ne formons plus qu’un, mais n’est-ce pas aller plus vite que le temps ?
Je me retrouve, les après-midi, avec Monsieur Lesage, au Rameau d’or. Donc les après-midi m’ont été rendus. J’ai beau retentir encore, parfois, du bruit de la nuit: j’ai retrouvé mes rayons de miel. Nous ne nous parlons pas tout le temps, Monsieur Lesage et moi, sauf de nos lectures et de mes peintures, où selon lui, bien plus que dans mes papiers qu’il lit de loin en loin, je suis ce que je suis.
Sans lâcher la clope qui le tuera, selon son expression, Monsieur Lesage me signale chaque jour telle ou telle page qu’il me dit écrite pour quelques-uns, auxquels il m’assimile à ce qu’il semble, sans attendre de ma part aucune espèce d’assentiment, et c’est ce que j’aime assez chez lui : c’est qu’il me foute la paix. Monsieur Lesage se dit tantôt royaliste tchékhovien et tantôt voltairien piétiste, mais il pourrait se dire pascalien libertin que cela me chanterait tout autant, étant ce qu’il est avec sa clope et son ombrageuse passion. Somme toute, notre complexion commune tient à l’oxymore. Monsieur Lesage est un feu glacial comme je suis l'oeil blanc du cyclone.
Ce qui me frappe dans votre peinture est qu’elle nous regarde, remarque Monsieur Lesage à chaque fois qu’il me rejoint dans mon atelier (il est seul autorisé à y pénétrer) pour écluser la fiasque de Big Jamie que je lui réserve rituellement. Vous peignez comme un manche mais il y a chez vous le don de dire ce qu’un visage veut dire, observe Monsieur Lesage sans cesser de regarder ce qui nous regarde dans les visages que je peins.
En ce temps-là je ne peins que des visages et des corps, et je ne montre à Monsieur Lesage que les visages, mais il sait que je peins des corps, il aimerait bien les voir, je le sais, mais il ne me demande rien, en revanche il me prédit un jour, comme ça, de sa tranquille assurance, qu’un jour je ne peindrai plus que des paysages, étant entendu que mes visages aussi deviendront des paysages.

Quelque chose m’avait été arraché avec Galia, je ne savais trop quoi, mais je me sentais amputé de quelque chose ou de quelqu’un. L’émouvante beauté perdue m’avait fait conclure à la perte de toute émouvante beauté, de sorte que je ne voyais plus qu’un simulacre de beauté, que j’appelais beauté sans y croire.
Je savais exactement ce qu’est l’émouvante beauté, mais le sentiment de l’avoir perdue, et le ressentiment que j’en concevais, me poussait à sa dépréciation et l’époque m’y encourageait de toutes ses séductions, déployées chaque nuit au Palais Mascotte.
Or je voyais la nullité de tout simulacre et la récusais. Des années durant, ainsi, je n’aurai fait que poursuivre ce simulacre et le nier au même instant. Des années durant je n’aurai fait que faire et défaire à la fois. Cent et mille fois j’ai recommencé ce livre qui serait, à n’en pas douter, mon livre des livres; cent et mille fois, dans mon atelier du Vieux Quartier, j’aurai fait et défait mes esquisses de visages, que je ne montrais qu’à Monsieur Lesage. Cent et mille fois, ces années-là, j’ai dit que j’aimais sans que rien ne fût vrai de ce que je disais, même si je le pensais ou croyais le penser: je prenais des corps, les peignais, les baisais et les jetais aussitôt après, je prenais et je jetais des corps comme des milliers et des millions de corps se prenaient et se jetaient en ces années-là.
Or je n’étais pas tout mauvais, loin de là, et tout de l’époque non plus n’était pas mauvais, loin de là. Plutôt, j’hésitais à n’en plus finir. Je vivais dans l’ondoyante relativité des choses et la pluralité de ces temps-là. Je vivais dans l’aisance facile de l’époque qui jouait la difficulté. Je me traitais d’impudent mais je m’en accommodais en somme, et Monsieur Lesage s’éloignait un peu, faisant celui que tout indiffère, ayant reçu de graves nouvelles de son médecin, et le petit crevé se taisait, à croire que je l’avais bâillonné. Mais je m’efforçais de le rassurer : c’est une affaire de patience et d’obstination, mon ange, lui disais-je déjà, comme si je savais que la vie que je menais alors en préparait une autre. Mais se taisant, comme mon imaginaire oncle Stanislas, le petit crevé ne pouvait manquer de constater que j’étais en désaccord de plus en plus vif avec la vie que je vivais ; sans doute, me disais-je pour me rassurer, le petit crevé m’attendait-il quelque part sans désespérer, et Monsieur Lesage abondait en constatant ma tristesse: vous vous faites du mal, mais continuez. Et de même mon oncle Stanislas me soufflait-il de continuer, et je continuais…

La pudeur de l’enfant est énorme, mais je lui faisais violence, et nul ne se doutait de ma douleur secrète. Alors que tout de l’époque tendait à l’exhibition, ce que j’exhibais moi-même m’était scandale, mais plus je me jugeais et plus je tendais moi aussi à l’exhibition et au scandale. Mon personnage était de plus en plus conforme à l’époque, les gens ordinaires avaient tout lieu de me prêter de mauvaises mœurs, selon leur expression, mais je me rassurais en posant à l’insaisissable, contre mon vrai sentiment. Mes écrits étaient diversement appréciés, que je jugeais tout négativement mais sans en rien dire. Je lisais tout ce qui paraissait et j’en écrivais, mais jamais je n’en étais satisfait. Je passais pour celui qui sait de quoi il parle, mais je récusais ce jugement. J’allais dans les expositions et les théâtres et j’en écrivais mais je réduisais à rien ce travail de dératé pour lequel j’étais, en ville, considéré comme tant d’autres que je tenais pour des impudents. J’écrivais en effet comme tant d’autres. Comme tant d’autres, je prenais les corps et les jetais, et comme tant d’autres je prenais les mots et les jetais.
Tout ce qui paraissait alors, tout ce qu’on exposait alors me semblait nul et non avenu. Tout s’empile et s’annule, me disais-je. Toute cette velléité de création n’est que décréation, me répétais-je. Je lisais évidemment l’Autrichien Thomas Bernhard et je lui donnais mille fois raison. Je lisais le nihiliste Cioran et m’en régalais amèrement, sans adhérer pour autant aux pensées et aux mots que ceux-là prenaient et jetaient.
Cependant la première lumière sur les jardins en cascades de murets en murets des anciennes vignes médiévales du Vieux Quartier, à la fenêtre de mon atelier, et l’émouvante beauté des choses et des gens, certaines matinées de ces années, me purifiait parfois de trop de sentiments mélangés. J’avais vu ma petite mère traverser la rue Centrale, en son émouvante beauté.
Je savais en moi des clairières et des îles. Surtout je commençais de manquer de Quelqu’un dont l’émouvante beauté me manquait, et peu à peu les après-midi m’étaient revenues avec leur émouvante beauté, peu à peu m’étaient revenues des bribes de nos enfances et de nos adolescences, peu à peu me revenait l’émouvante beauté du silence dans les grands bois déserts de nos enfance et de nos adolescences.

Il n’y a pas de temps mort : il n’y a que le scandale de ce désir de rien qui nous remplit de rien en ne faisant que nous affamer de notre faim comme la Bête inassouvie de L’Enfer de Dante, me dis-je ce matin d’automne aux grands bois dorés à la feuille tout en me remémorant ce temps où je n’avais plus faim de cette faim, ce temps de mes après-midi retrouvées que je passais à me perdre dans les grands bois en entrevoyant ici et là quelque paysage ; ce temps de grand esseulement apaisé où je n’aspirais plus qu’à cette émouvante beauté dont les beaux corps et les beaux visages, aux normes de l’époque, me semblaient de plus en plus dénués, avant de m’écœurer par leur fadeur de papier léché.
Un rêve étrange m’en avait transmis le dégoût, où je me voyais lécher les beaux corps et les beaux visages des damnés du Palais Mascotte, longtemps après notre mort. J’avais le corps d’un chien incapable de tenir encore qui que ce fût dans mes bras, et cela me frustrait lugubrement mais je léchais les morts se dandinant sur la scène du Palais Mascotte, et leur peau de papier glacé me transmettait sa fadeur de miel avarié, tout n’était plus que fantasme, tout de la vie après la mort du Palais Mascotte n’était plus que fantasme et que cendre et peu à peu m’apparaissait cela que les corps que je léchais étaient faits du même papier au goût de miel avarié que le fantasme au goût de cendre de mon corps de chien.
Cette fadeur moite est celle de la chair qu’on prend et qu’on jette, toute semblable à la chair sans saveur des mots qu’on prend et qu’on jette, or elle m’avait laissé ce goût de cendre aux lèvres, mais de tant manquer, à mon réveil, de l’émouvante beauté que je savais, m’y ramènerait – je le savais.

(extrait de L’Enfant prodigue, récit en chantier)

Peinture: Terry Rodgers.

Commentaires

  • Un orgue de Barbarie. Ce mouvement d'enroulement d'une main sur une manivelle qui provoque le défilement de la bande de carton perforée et cette musique entêtante et répétitive du musicien ambulant, ce passant qui laisse sa musique dans les rues... Voilà ce que je ressens à lire cette écriture nouvelle et logorrhéique, ce flot de paroles irrépressible et chaotique, délivré par les trous de la bande de la vie, les trous au coeur...C'est fascinant.

  • ...suis un peu chahuté par ma lecture...le fond rouge du blog nous accompagne et rappelle sans cesse ce côté éblouissant et éclatant de la vie à cet âge et en même temps sa fragilité...ses tours et détours...on change de braquet là...on est dans la caverne de notre héros...et on ne s'y ennuie pas...le rythme s'accélère...la matière est plus dense...j'attends avec impatience la suite comme dans un feuilleton littéraire...je ne serai jamais un bon critique pour toi, désolé, mais je ne peux pas te lire et en même temps prendre une distance qui me détacherait de ton oeuvre en cours...suis trop ton contemporain et trop à tes côtés...vive l'Amitié...et toujours fidèlement. Flop.

  • Vous parlez de logorrhée, Christiane ? Alors là ça devrait m'inquiéter même et d'autant plus que, vous connaissant un peu, je vous sais peu portée au dénigrement gratuit; c'est dire que je suis sensible à la remarque. Votre impression tient peut-être à la vitesse et àla saturation de certaines parties de ce récit, à plusieurs braquets comme le dit Philip. C'est vrai que c'est un flot et qui se précipite parfois à mon insu, nouveau pour moi dans son influx et sa forme mimant le délire obsessionnel - mais logorrhée n'est pas du tout ce que supporterais de lire chez quelqu'un d'autre...
    Enfin, je m'expose peut-être un peu trop en publiant si vite ce qui relève parfois du récit brut, à revoir sans doute, mais cette façon de mise à jour est aussi productive dans l'effet de distanciation, et puis je garde à peu près en tête, ou sur l'imprimé, la vision de l'ensemble. En tout cas, merci à vous deux de me dire ainsi votre sentiment et en toute sincérité - cela seul m'important évidemment.

  • ...si logorrhée est aussi bien une maladie de la parole qu' une expression qui définit bien l'usage de la parole et de l'écriture pour ne rien dire...soit totalement rassuré JLK...tu es à un million d'années lumières d'une telle hypothèse concernant ton récit en chantier !!! Dans l'attente...Philip

  • Oh, là, Jean-Louis, surtout pas comme vous le traduisez mais à la façon de Beckett. C'était loin d'être un dénigrement , ce don de la parole qui brise ses barrières pour dire ce qui n'a jamais été dit, ces trous du coeur et de la mémoire. Cette parole est alors comme un flot irrépressible entraînant comme un grand fleuve toutes les alluvions amont. C'est cela que j'évoquais et c'est une parole neuve, une parole non filtrée qui s'enchante de son roulement fou, qui marche droit à travers le langage. Peut-être ce que fait marmonner Beckett à Molloy, vous éclairera sur mon commentaire que je voulais au plus près de ce que je ressentais :
    "Je parle, je parle, car il le faut...folie d'avoir à parler et de ne le pouvoir... Tout se ramène à une affaire de paroles, il ne faut pas l'oublier... Il faut dire des mots, tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine, étrange faute..."
    Je crois au contraire que cette façon d'écrire est neuve et je l'aime beaucoup. Logorrhée n'a pour moi, ici, rien de péjoratif mais plûtot l'enfouissement dans un rythme d'écriture puissant et venu du profond de vous.

  • Je voudrais préciser également la deuxième image que j'ai employée, celle de l'orgue de barbarie, celui de ces chanteurs qui placent leur voix sur la musique de leur instrument. Et celle des limonaires est singulière car elle se déroule sur un rythme répétitif, accentué par le mouvement d'enroulement de la manivelle. J'ai pensé à cela quand j'ai entendu le rythme très particulier que vous avez donné à cette écriture à partir de cet enroulement du début des phrases qui permet la faille, l'échancrure, l'espace, la route où va s'endiguer la parole. C'est un magnifique travail, magnifique.
    (J'ai regardé sur mon dico la définition de logorrhée : flux de paroles irrésistible.) C'est cela qui m'a paru être à la source du travail, l'éclairer, le façonner. Bon, j'espère avoir ôté toutes les ambiguïtés dues à cet outil difficile : le blog , où on ne peut éclaircir tout de suite un malentendu. Dites-moi, si c'est plus clair !!!

  • Merci, Christiane, de préciser, car le terme de logorrhée reste essentiellement péjoratif à mes yeux, dans son usage courant évoquant une diarrhée verbale. Or la parole ne coule pas comme la chiasse, pour parler cru; elle le peut évidemment, mais ce texte est d'une autre nature qu'un dégobillage adolescent comme il s'en répand des zambèzes, notamment sur Internet. Vous citez Molloy qui me flatte très excessivement, mais la citation précise m'éclaire dans la foulée, et je pourrais vous indiquer aussi un autre flux parent, qui est celui d'Antonio Lobo Antunes dans ses pages les plus lâchées, notamment dans Explication des oiseaux ou ses textes plus directement autobiographiques. Merci à Philip aussi pour ses propos encourageants. Je repars ce matin le pied léger, grâce à vous deux, tandis qu'un jour bleu nuit se lève sur le monde...

  • Bonne écriture, cher Jean-Louis, et bon ciselage des mots pour que nous advienne ce livre qui m'entraîne dans son flot dont la source est, je le sais, maîtrisée. Bon, j'efface ce mot de mon vocabulaire puisqu'il a fugitivement apporté l'épine d'un malentendu avec un ami. Ah, suivre une trace comme Filou et japper imprudemment quand on sent l'oeuvre bonne est une vie dangereuse !

  • Et je trouve dans ces deux derniers textes un côté pathétique dont j'ai du mal à définir l'origine. Est-ce le pathétique de tout souvenir fût-il relayé par la fiction ? Si j'essaie de cerner ce pathétique (à quoi je ne confère aucune connotation péjorative, loin s'en faut), je le verrais dans l'expression : "comme on disait alors" (que je reécris "comme on ne dit plus"). reprendre ces mots passés de mode (comme on disait) est une émotion à laquelle je suis sensible. Peut-être que l'un des modes sous lesquels se manifeste le pathétique est ce battement "alors" /"plus" (une négation d'autant plus forte qu'elle est implicite). C'est , à mon avis , la force de votre texte.

  • Merci, cher Jalel, et pardon aux lecteurs de ce blog qui ignoreraient votre blog de ne le leur avoir pas pointé. Je vais le lier fissa et j'en cite illico votre traduction d'Adonis, auquel "notre" Nobel est acquis depuis longtemps...

    Guide de voyage dans les forêts du sens

    Qu’est-ce que l’inconnaissable ?
    Une maison qu’on aimerait voir
    Et qu’on ne voudrait pas habiter.




    Qu’est-ce que le secret ?
    Une porte fermée
    Qui se brise si on l’ouvre.



    Qu’est-ce que le rêve ?
    Un homme qui a faim frappant à la porte du réel.



    Qu’est-ce que la certitude ?
    De décider qu’on n’a nul besoin de connaissance.



    Qu’est-ce que le baiser ?
    Une cueillette visible
    D’un invisible fruit.


    Adonis. (traduction de Jalel El Gharbi)

    Quant à ce que vous dites de mon texte, c'est vrai que certains mots suffisent à nous figer ou à nous remettre en chemin: Déjà, Alors, Or, Hélas, Mais...

    Très belle et bonne journée au monde des vifs

  • aahhh..les mots...le ciselage des mots...quel art difficile...dans mon dictionnaire sous logorrhée : littér. et méd. Flux de paroles inutiles; besoin irrésistible, morbide de parler. Petit Robert de 1977. Ciseler la logorrhée sera votre punition de Français 2. Amicalement à Christiane et JLK. Philip.

  • Je ne veux pas la ciseler cette coulée mensongère, je veux l'oublier pour avoir peiné un ami et à la place laissée vacante, j'inscrirai un mot couleur d'attente et de bonheur qui portera dans ses lettres cette surprise de lectrice au seuil enchanté de cette langue nouvelle.
    Amitiés aussi, à vous. Christiane

  • Mais vous ne m'avez absolument pas peiné, chère Christian, juste inquiété un quart de seconde, et vos explications sint toutes bonnes...

  • J'ai inventé un mot pour vous : logosorée ...orée du langage...pour entrer dans "la première lumière des jardins en cascade et l'émouvante beauté des grands bois déserts de l'enfance et de l'adolescence"... Comme vos amis, j'attends le déroulement de cette écriture.

  • (extrait de L’Enfant prodigue, récit en chantier)

    Récit enchanté.

    La joie, Jihelka, la joie !

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