Quand le drame est sous contrôle...
Un drame alpin a coûté la vie de six jeunes militaires suisses, la semaine dernière, sur l’arête sommitale de la Jungfrau de laquelle deux cordées se sont abîmées dans la face de quelque mille mètres. Or, dès l’annonce de l’accident à la télévision, la digne présentatrice à l’air catastrophé de circonstance a cru rassurer la multitude en annonçant qu’une cellule psychologique avait aussitôt été mise sur pied pour soutenir le moral des survivants.
Dieu sait que je ne suis pas insensible aux traumatismes divers et autres chocs subis par mes semblables, mais cette histoire de cellule psychologique me dérange et me fâche de plus en plus. Que cela signifie-t-il ? Pourquoi cette annonce systématique ? Quel simulacre de compassion et d’apaisement, pour évacuer quoi ?
J’ai vécu moi-même un tel drame : j’ai appris, un splendide matin d’août 1985, que mon meilleur ami s’était fracassé dans une face nord au terme d’une course que nous étions supposés faire ensemble et à laquelle je n’avais pu participer, j’ai vécu la douleur insensée de sa moitié et de ses enfants, et voici vingt ans que j’évalue les conséquences catastrophiques d’un probable infime geste inapproprié (comme on dit aussi dans la novlangue des médias) sur une pente de glace à près de quatre mille mètres, et je m’interroge sur ce qu’aurait représenté, ce matin-là, le concours d’une cellule psychologique…
On me dira que cette nouvelle institution marque un progrès dans l’assistance aux victimes. Tant mieux. Mais en ce qui me concerne, je n’en reste pas moins sceptique sur l’utilité et l’opportunité du Geste du Spécialiste à ce moment-là, surtout je me demande si cette utilité n’est pas essentiellement de garantir à la Société que le drame est « sous contrôle » du Spécialiste, en d’autres termes : qu’on peut continuer de s’en foutre du moment que la cellule psychologique « assure », comme on dit…
Commentaires
Bien vu.
Ces cellules psychologiques font partie du décor de notre civilisation qui par ailleurs fait tout pour évacuer la mort.
Par mon métier, j'ai fréquenté la mort pendant 35 ans. On m'a déjà dit : Toi , tu es habitué à tout cela...Je peux vous garantir qu'on ne s'habitue JAMAIS à la mort.
Je serais par ailleurs curieux de rencontrer l'un ou l'autre de ces 'spécialistes' des catastrophes. Il ne doit pas être humainement possible de pratiquer ce métier plus de quelques mois. Sauf anesthésie complète du sentiment.
D'accord avec vous, de plus rien que ce terme de "cellule" psychologique...
Rares sont les personnes en état de pratiquer de telles interventions. Il faut une foi, un amour, une force, un tact, une empathie, un rayonnement intérieur d'une qualité qui ne court pas les rues.
Bien sûr, un psy peut aider, s'il a le coeur de le faire, je ne veux pas dénigrer ces intervenants.
Quant à dire que tout le monde s'en fout, que c'est l'époque, etc... cela me semble un peu hâtif... ne jugeons pas, et tâchons de ne pas être comme ceux que l'on critique si facilement...