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Le parapluie vert

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Des intersections mystérieuses et de la grâce d’une lecture de Sylviane Chatelain
Il se passe parfois des choses étranges, dans nos vies, qui nous échappent ou qui nous rattrapent au contraire, qui nous font peut-être signe, qui voudraient nous révéler quelque chose ou qui nous révèlent nous-mêmes, savons-nous ?
En tout cas hier, sur le quai de cette gare, un peu égaré d’avoir appris la mort d’une amie, chère quoique plus revue depuis des années, me demandant si j’allais repartir au sud ou au nord, à telle ou telle extrémité du pays, comme une impulsion soudaine me fit me ressouvenir que ce soir-là, précisément, une soirée de lecture se donnait à Rolle, au bord du Léman, chez une autre de ces personnes lumineuses qui rayonnent et chaque dernier mardi du mois, depuis des années, convie un écrivain à lire de ses pages, et ce soir-là ce serait la romancière Sylviane Chatelain.
Les mardis de Rosmarie Burri, à Rolle, n’ayant rien de la pose ou de l’affectation que j’exècre, typique d’un certain milieu littéraire, et cette soirée étant la dernière qu’elle donnerait avant de passer la main, je m’en fus donc avec mes bagages, direction Genève et jusqu’à Nyon, le direct ne faisant pas la halte de Rolle, à Nyon où je planquai mon barda dans un casier de fer avant de prendre l’omnibus de Rolle et là que vis-je soudain : je vis le parapluie vert, le vert parapluie je vis qui m'attendait.
Le vert est la couleur de mon encre et donc de mon sang, et tout de suite je compris, alors que la pluie menaçait, que ce parapluie vert m’était destiné et qu’il allait me porter chance. Donc je m’en emparai. Or dès ce moment, certaine magie poétique qui m’avait conduit depuis un mois aux quatre coins du pays se densifia plus encore, pour atteindre toute sa plénitude durant la lecture d’Une main sur votre épaule, le dernier livre de Sylviane Chatelain.
Je sais que d’estimables personnes considèrent Sylviane Chatelain comme un auteur romand de première importance, mais je l’avoue, j’en ai un peu honte : jamais je n’avais vraiment entendu ses mots jusque-là, jamais comme ça. Or hier soir, et la voix, la présence, la justesse de chaque mot habité physiquement par l’auteur y étant pour beaucoup, ce flux se déployant comme en vagues rappelant la prose de Virginia Woolf, avec un pouvoir suggestif relevant de la vraie fiction et du véritable exorcisme psychique, tels qu’on les trouve chez Henry James, je fus sous le charme et bien plus: convaincu d'entendre soudain de la belle, de la grande littérature. Autant dire que je me suis promis de revenir à cette suite de variations sur quelques thèmes, où il est question d’une maison et des personnages qui s’y succèdent, d’une maison-refuge qui est la fois une maison-menace, et de peinture et d’angoisse, de musique et d’angoisse, d’amour et d’angoisse.
Enfin très tard hier soir, ayant quitté mes amis plein de reconnaissance et regagné mes pénates en renonçant pour la nuit aux quatre vents du pays, j’eus encore à recevoir, du parapluie vert, cette dernière indication: tu vas lire ce livre, m’ordonnait-on, et je le pris au hasard sur le rayon et je le vis : c’était le Kierkegaard de Jean Wahl dont j’ignorais que je le possédasse (du verbe possédasser), et dans lequel aussitôt je me plongeai pour y retrouver l’angoisse à l'état pur, l'angoisse comme une maison d'os et d'âme, l'angoisse et la joie, l'angoisse et l'amour...
Sylviane Chatelain. Une main sur votre épaule. Campiche éditeur, 2006.

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