Lecture de Comment je suis redevenu chrétien de Jean-Claude Guillebaud
OUVERTURE
- On lui demande souvent s’il est chrétien ou non.
- Et jusque-là il ne savait trop quoi répondre.
- La question gêne d’ailleurs.
- Etre chrétien, aujourd’hui, n’est en effet pas très bien vu, en tout cas en France. Cela fait ringard.
- On peut dire qu’on est homosexuel ou échangiste sans problème.
- Se dire chrétien, surtout dans le milieu intello, ça craint.
- Longtemps il a campé dans le flou.
- Il a refusé de « lâcher prise ».
- Mais une colère l’a fait réagir : l’intolérance envers les chrétiens, justement.
- Au temps des persécutions, dans les décennies précédant la conversion de Constantin, il était de bon ton de se dire chrétien.
- Michel Henry et Frédéric Boyer, qui se sont dits chrétiens, ont été snobés par la critique après en avoir été respectés.
- La charge antichrétienne fait l’impasse sur le trésor du judéo-christianisme.
- La phrase de Tertullien, credibile est quia ineptum, citée à tout-va, n’est pas un argument anti-rationaliste mais une définition de la croyance.
- Par ailleurs, on ne dit plus rien des combats juridiques de l’Eglise pour adoucir la violence médiévale.
- Rien de l’œuvre éducative et hospitalière de l’Eglise.
- Les chrétiens n’osent plus se montrer.
- « Je ne suis pas sûr d’avoir intimement la foi, mais je crois profondément que le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps. Y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu. Ce qui m’attire vers lui, ce n’est pas une émotivité vague, c’est la conscience d’une fondamentale pertinence ».
- Il récuse alors la rétractation de cette conviction dans l’enclos de l’intimité. Récuse à la fois le silence précautionneux et la crispation dogmatique.
- Veut dire comment il a vécu tout ça.
- Rappelle qu’il a été journaliste pendant vingt ans, sur tous les fronts, du Vietnam à la guerre du Kippour en passant par la guerre du Liban.
- Il a couvert les drames de la planète.
- En témoin. Assistant aux catastrophes du monde par « zapping tragique ».
- A éprouvé la honte de voir des gens condamnés à mort alors qu’il se sauvait.
- A souffert de s’endurcir. Mais a appris à percevoir les mutations du monde.
- La question du Mal lui est apparue de plus en plus clairement. Accentuée avec les génocides du Rwanda et d’ex-Yougoslavie.
- Vers le milieu des années 70, il a senti venir des transformations profondes de notre monde. Avec l’intégrisme des ayatollahs iraniens. Avec la sauvagerie du passage à l’acte au Liban, puis dans les Balkans.
- A constaté les grandes bifurcations anthropologiques liées à la chute du communisme et aux révolutions informatique et biologique.
- Conscient de se limiter à une observation « horizontale », il a éprouvé le besoin de prendre du champ et de réfléchir.
- Et c’est pourquoi il s’est retiré du journalisme.
- Evoque les temps apocalyptiques annoncés par Karl Jaspers.
- Des temps non pas de fin du monde catastrophique mais de « révélation », de « surgissement ».
- A écrit six livres pour mieux comprendre. Ce qu’il appelle des « reportages d’idées » : La Trahison des Lumières, La Tyrannie du plaisir, La Refondation du monde, Le Principe d’humanité, Le Goût de l’avenir et La Force de conviction.
- Il a voulu comprendre les 3 révolutions en cours : économique, numérique et génétique.
- Convaincu que nous devons penser cette époque.
- Une époque de « grande inquiétude ».
- Après avoir quitté Le Monde, il est devenu directeur littéraire au Seuil où il a collaboré avec de grands intellectuels de ce temps en France : Henri Atlan, Louis Dumont, Jean-Pierre Dupuy, Cornelius Castoriadis, René Girard, Michel Serres, Edgar Morin, notamment.
- A tenté de lutter contre la parcellisation du savoir.
- Cite l’Enquête sur les idées contemporaines menée par Jean-Marie Domenach dès 1981 pour L’Expansion.
- Lui-même est redevenu étudiant, très marqué aussi par Jacques Ellul.
- A l’époque, le christianisme l’indifférait plutôt, et notamment les débats sur l’existence de Dieu.
- Est d’abord revenu au christianisme pour des raisons anthropologiques.
- Rappelle sa trajectoire de petit catho de province venu à mai 68 chroniquer la révolution.
- Marqué par les interprétations de Maurice Clavel et Michel de Certeau.
- De plus en plus intéressé par le « trésor » du judéo-christianisme.
- PREMIER CERCLE : LES SOURCES DE LA MODERNITE
- Parle de trois cercles concentriques.
- Achoppe aux sources de la modernité
- Se rappelle une remarque de René Girard : « C’est ce qui reste de chrétien en elles qui empêche les sociétés modernes d’exploser ».
- Estime que le message chrétien a été largement intégré, mais qu’il est coupé de ses sources.
- La plupart de nos valeurs sont issues de la Bible, c’est un fait.
- Mais en France, ce constat est occulté depuis les Lumières.
- L’attachement de la gauche aux anti-chrétiens historiques (de Voltaire à Nietzsche) est plus accusé qu’ailleurs.
- La France occulte sa double filiation avec la Bible et les Lumières.
- Mais il est vrai que l’Eglise ya aidé.
- Notamment avec l’encyclique Quanta cura de Pie IX contre les idées modernes.
- Hors de France, on a accepté ce continuum sans rupture.
- Cite Benedetto Croce : « Nous ne pouvons pas ne pas nous dire chrétiens », qui date de 1942.
- Croce souligne la révolution morale et spirituelle représentée par le christianisme. (Cf. Commentaire No 1001, printemps 2003).
- Croce évoque par ailleurs les « chrétiens du dehors ».
- En travaillant à La Refondation du monde, Guillebaud a mis au jour six valeurs héritées du judéo-christianisme , à commencer par l’individualisme, en tant qu’autonomie de la personne.
- Rappelle les textes de Louis Dumont sur les origines chrétiennes de l’individualisme. Cite aussi Les sources du moi (Seuil, 1998) du philosophe canadien Charles Taylor.
- Montre comment l’individualisme d’inspiration chrétienne se distingue des conceptions bouddhiste ou confucéenne, autant que du « sujet » en tradition islamique, ainsi que l’illustre Le sujet en islam de Malek Chebel.
- Montre aussi comment l’Eglise instituée a combattu la liberté individuelle propre au christianisme…
- Mais cite également l’effort de l’Eglise, contre la royauté, à favoriser le mariage par consentement mutuel, contre les mariages arrangés (cf. Duby et le Goff).
- Distingue enfin l’individualisme narcissique voire autiste de notre temps du concept de personne-en-relation.
- Deuxième valeur issue du christianisme : l’aspiration égalitaire. Une idée qui n’existait pas vraiment dans la pensée grecque.
- Les Grecs ne pensaient pas que les hommes appartenaient tous à la même « essence ».
- Aristote : « Les barbares n’ont de l’homme que les pieds ».
- Influence décisive de l’épître aux Galates de Paul.
- Rappelle ensuite la fameuse controverses de Valladolid, sur l’humanité ou la non-humanité des Indiens, opposant deux chrétiens : Juan Ginès de Sepulveda, historiographe de Charles Quint, et Bartolomé de Las Casas.
- Un débat fondateur préludant aux futures controverses entre colonialistes et anti-colonialistes.
- Rappelle que Las Casas excluait les Noirs de son plaidoyer, ce dont il se repentit ultérieurement.
- La controverse illustre l’opposition d’un christianisme subversif et de son « adaptation » par l’Eglise.
- Cite ensuite les concepts d’universalité, d’espérance (contraire à la circularité du temps selon les Grecs et à l’amor fati de Nietzsche).
- Rappelle la téléologie du prophétisme juif, illustrée dans le Pentateuque par la formule : « Souviens-toi du futur ».
- Cite le concept de progrès lié à l’espérance, à quoi s’oppose l’hégémonie du présent « consommé » par nos sociétés hédonistes.
- Prône le retour au « goût de l’avenir » célébré par Max Weber.
- Cite enfin notre rapport à la science, en s’opposant à l’idée reçue selon laquelle le religieux s’oppose forcément à la science, comme le font croire les exemples de Giordano Bruno ou de Galilée.
- Rappelle le rôle fondamental des ordres religieux, et notamment des jésuites, dans les avancées du savoir ; et que les plus grands astronomes ont souvent été des religieux, et que ceux-ci ont donné des fournées de savants dans tous les domaines.
- Rappelle que le monothéisme a aussi favorisé l’émergence de la science expérimentale. Cite le concept intéressant d’ « étincelle théologique », qui ouvre littéralement l’exploration de la terre jusque-là sacralisée par le polythéisme.
- Tel est le repérage de ce que Guillebaud appelle le « premier cercle », consistant à reconnaître les « traces » de nos divers héritages greco-latins et judéo-chrétiens.
- Relève alors que ce premier cercle n’est qu’une approche périphérique.
- « Le christianisme, c’est autre chose qu’une simple collection de valeurs humanistes. Avoir la foi, ce n’est pas adhérer simplement à un catalogue de principes normatifs, qui serait comparable au programme d’un parti politique. Oublier cela, ce serait confondre la « religiosité » avec la croyance.
DEUXIEME CERCLE : LA SUBVERSION EVANGELIQUE
- Un cercle plus proche du feu central.
- Important du point de vue anthropologique.
- Rappelle qu’il a été l’élève de Jacques Ellul avant de devenir son éditeur.
- De La subversion du christianisme, livre majeur selon lui.
- Un essai proche de la téologie de la libération catholique.
- Egalement influenc par le phénoménologue Michel Henry.
- Dans C’est moi la Vérité, L’Incarnation et Paroles du Christ.
- Rappelle une autre dette envers Maurice Bellet et Le Dieu pervers.
- Qui décriait le Dieu jaloux aux chantages affectifs intolérables.
- Egalement très redevable à René Girard.
- Décrié par les intellectuels comme l’a été un Camus.
- Pense que l’œuvre de Girard est une bombe à retardement qu’n n’a pas encore comprise.
- Ces auteurs lui ont appris à voir comment le Christ avaiut fendu l’histoire en deux.
- Ne pense pas qu’il y a filiation avec le Talmud et le code babylonien, contrairement à Régis Debray.
- Pas une religion « de plus ».
- Pense que le christianisme marque une rupture définitive.
- En inversant le sens du sacrifice, il devient une « religion de la sortie du religieux ».
- Dénonce la persécution sacrificielle et proclame l’innocence des victimes.
- Paul dénonçait déjà le « trop » de religion devant les philosophes grecs.
- La folie de la Croix balaise tout autre religion.
- Le message évangélique inverse les perspectives.
- Les Grecs pratiquent le sacrifice sous le signe de l’unanimité persécutrice.
- Le mimétisme y est essentiel, qui survit aujourd’hui dans nombre de phénomènes médiatiques, équivalents de la lapidation.
- La résurrection ruine le sens du sacrifice.
- La résurrection est une objection qui enraie le mécanisme de tout sacrifice.
- C’est pourquoi le consentement à la résurrection est le cœur de la foi chrétienne.
- Chrétiens ou non, nous avons désormais intégré le message qui nous fait déceler le mensonge sacrificiel, la ruse de la persécution.
- Notre souci des victimes n’a pas d’autre origine.
- Le point de vue de la victime est devenu référentiel à cause du judéo-christianisme.
- La surenchère victimaire en découle, ruse fréquente aujourd’hui.
- Mais l’interprétation progresse lentement.
- Jean XXIII : « Nos textes ne sont pas des dépôts sacrés mais une fontaine de village ».
- Relève l’intérêt des contradictions entre les quatre évangiles.
- Les chrétiens sont les héritiers d’un récit.
- La parole « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » lui paraît d’une « intelligence anthropologique stupéfiante ».
- De fait, les persécuteurs son en pleine méconnaissance de leurs actes.
- Nietzsche avait vu cette fondamentale nouveauté, pour la combattre.
- Souligne l’intérêt d’une lecture attentive de Nietzsche.
- Dont l’imprécation rend hommage à la subversion du christianisme.
- L’entrée dans ce deuxième cercle a poussé Guillebaud vers la gauche. « Je me suis senti plus chrétien que catholique ».
- Se sent peu attiré par le Dieu tout-puissant et punitif .
- Pour le Romain, la vénération d’un crucifié est une obscénité.
- Cette élection d’un vaincu a été stigmatisée maintes fois.
- Lui-même est de plus en plus attiré par la métaphore de la Croix et par la kénose : la relative faiblesse de Dieu qui laisse l’homme aux prises avec sa propre liberté.
- Revient aux idées de tsimtsoum et de kénose.
- Rappelle la colère de Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune.
- Mauriac fustigeant les défenseurs du franquisme.
- Intègre une vision assez protestante du christianisme.
- Pas fasciné par la « réussite » de l’Eglise, comme l’est Régis Debray.
- Pense que cette vision reconduit au maurassisme « athée mais catholique ».
- Guillebaud lui-même se sent aux antipodes du catholicisme conservateur.
- Estime que beaucoup d’antichrétiens, visant cette cible, sont injuste avec le christianisme fonamental.
- Signale les résurgences de cette pensée chez un Julius Evola ou un Carl Schmitt.
- Son christianisme le pousse au contraire vers la théologie de la libération et les nouveaux mouvements.
- Devient chroniqueur à La Vie pour cette raison.
- En réaction contre le cynisme du néo-libéralisme.
- Dénonce la gauche française qui a perdu tout contact avec les humiliés et les offensés.
- Assiste à la banalisation de l’injustice sociale.
- Dénonce la dérive consumériste et hédoniste.
- Constate que les chrétiens ont fait les frais de ce cynisme.
- Se dit motivé par la colère et non le romantisme compassionnel.
- Ne se sent cependant ni libéral ni libertaire.
- Dans un premier temps, participe à la critique de l’institution catholique.
- Décrie le césaro-papisme.
- Puis il a évolué.
- En fréquentant les croyants. Découvre des communautés vivantes et ferventes.
- Découvre des religieux humbles et héroïques.
- Une Eglise très affaiblie. Mais dont la faiblesse même est peut-être riche d’un possible rajeunissement.
- La minorité n’est pas forcément catastrophique selon lui.
- Rappelle le rôle des premiers chrétiens face à l’abjection du pouvoir romain.
- Les chrétiens pourraient retrouver une fonction protestataire.
- Y compris contre le délire transgressif.
- Evoque la dimension de joie de cette réaction, au sens où l’entendait Bernanos.
- La colère joyeuse que prônait Emmanuel Mounier.
- Souligne l’importance du lien communautaire.
- Affirme que la croyance passe par la relation.
- A cet égard, dit son souhait que l’Eglise redevienne un foyer vivant.
- Toute l’histoire chrétienne a été marquée par l’opposition, difficile mais féconde, entre la pesanteur de l’institution et la fulgurance du message.
- Rappelle les composantes humaines du Journal d’un curé de campagne.
- Rappelle que l’histoire du christianisme est fondée sur les trois figures de la puissance, de la protestation et de la sainteté.
- Rappelle que des gestes « saints » n’ont cessé de vivifier l’Eglise. Cite Maurice Zundel le mystique suisse, Christian Chergé le trappiste de Tibhérine assassiné, et de l’abbé Jean Flory défiant les Allemands à Noël 1942 en rappelant l’origine juive des figures de la crèche, auxquelles il colla des étoiles jaunes devant les officiers boches…
TROISIEME CERCLE : LA FOI COMME DECISION
- Reste le problème de la foi.
- Dont le troisième cercle est le lieu central.
- Claude Dagens, évêque d’Angoulême, l’a surnommé « prophète de l’extérieur », non sans ironie.
- Se demande alors « où il en est »…
- Il dit hésiter, marmonner, tricher.
- Retourne un peu à la messe. Dont la phraséologie le fait regimber.
- S’intéresse à de nouvelles approches des textes, au phénomène de l’ennui.
- Lit et rencontre Timothy Radcliffe.
- En travaillant à La Force de conviction, découvre chez Leibovitz, philosophe israélien, que c’est le caractère volontaire de la croyance qui le distingue de la connaissance.
- « On croit aussi parce qu’on l’a choisi ».
- Affirme que la croyance n’est pas conclusive mais inaugurale, semblable en cela à l’amour.
- Analyse, par contraste, les phénomènes de la décroyance, et leur impact psychologique dévastateur.
- Souligne aussi bien la dimension affective de l’assentiment à la foi.
- Se demande enfin si cette foi n’a pas toujours persisté en lui.
- Se dit incapable de répondre.
- Cite Kierkegaard : « Il arrive que la foi voyage incognito ».
- Et se souhaite de rester joyeux…
- Tout cela très intéressant, impressionnant de sincérité et de netteté, largement ouvert à la discussion et à l’expérience personnelle de chacun.
- Me sens très proche de cette pensée en constante relation, jamais dogmatique ni crispée. JCB représente le type à mes yeux de l’homme de bonne volonté. Me ravit qu'il cite Kierkegaard en fin de course, mon pote de ces jours...
GUILLEBAUD Jean-Claude. Comment je suis redevenu chrétien. Albin Michel, 182p.
Commentaires
Chacun peut se tromper dans la vie...je suis agnostique et ma femme est pratiquante.
le bonsoir et merci pour votre tres bon article.
christophe
Salut Jean-Louis, voilà encore une bien belle note, tonique et éclairante, non mais !
Merci pour cette article, à la fois précis et vivant.
Ainsi, JCG est aux portes du temple: fort bien, nous lui souhaitons bon vent. Que lui manque-t-il pour entrer? Car il manque bien quelque chose, non? L'écriture peut-être?
Vous n'y êtes pas du tout: ceci n'est pas un article mais une simple prise de notes. Si c'est vivant et précis, c'est la faute de JCG. Aux portes du temple ? Mais non: il y a déjà Chestov et Simone Weil aux portes, tandis que lui y entre en enfant sans complexes de la Fille aînée. Mais est-ce important ? Le temple n'est-il pas partout ? En tout cas vous je vous ai à l'oeil: même que vous lie après avoir fait un tour chez vous. Encore merci pour la clef de Stéphane Fretz: ça ouvre des chapelles qui n'ont rien de confiné. Et puis vous avez raison: l'écriture manque peut-être un peu à JCG, la papatte j'entends, mais chacun se sauve comme il peut n'est-il pas ?