Ami,
A l’heure des bilans et du compte de tes désillusions,
Ne laisse pas seule l’érosion du temps travailler,
Echappe au renoncement des rampants, des morts vivants.
Reprends ton maillet et ton ciseau pour tailler la pierre brute qui t’a été donnée.
Construis ta maison, ta tanière,
Ne t’y refuse rien qui puisse y manquer.
Cet antre, que toujours, où que tu sois, tu puisses rejoindre,
Pour retrouver la rassurante et protectrice solitude,
Qui te ramène à ton destin.
A ta corde, ajoute le nœud qui te lie à toi même.
« Like a bridge over trouble water”,
Retrouve en toi toutes les faces de la Force,
Qui y dorment depuis toujours.
Et comme Jacob toute une nuit, livre ce combat à ton pire ennemi,
Tapi au fond de ton âme, pour choisir ton Nom.
Nul vénérable maître, nul père à tes côtés.
Traque dans ton feu, dans ton désert,
Celui qui te ressemble et n’est pourtant pas toi,
Celui qui sournoisement, attend le plus mauvais moment
Pour t’assommer de toutes tes bassesses et tes trahisons.
Désarme-le en faisant front un à un à tous ces démons,
Les effaçant d’un regard acéré et prévenant, comme autant de spectres vides.
Ne renie rien de ce qui te fonde et t’enracine dans ton présent.
Rien ne se perd, tout se transforme.
Combat, jour après jour sans cesse recommencé, jamais gagné,
Pour t’aimer assez pour échanger, partager,
Pour t’aimer assez pour recevoir sans devoir,
Pour t’aimer assez pour donner sans attendre…
Plonge enfin dans l’onde fraîche qui t’enveloppe et t’apaise,
Ce vide immense, que certains nomment, qui t’affole, qui te porte, qui te pousse,
Cette soif infinie, ces faims insatiables,
D’être tour à tour, et en même temps,
Et Tamino et Papageno,
De voir ce que tu ne peux regarder,
D’entendre ce que tu ne peux écouter,
De toucher ce que tu ne peux prendre,
De ne jamais rien regretter pour ne plus souffrir,
De vivre enfin en homme libre et fier.
Cette lettre-poème m’a été envoyée par mon amie (occulte et si proche à la fois) Frédérique Noir. L'image: Bouddha de l'époque Song (700ans), mangé par les termites à l'exception de sa face. Protecteur tutélaire des amis fragiles de La Désirade.
Commentaires
Ce Bouddha est superbe et très impressionnant, salut Jean-Louis !
Salut Raymond, avez-vous bien reçu les exmplaires de la revue auxquels vous avez droit ?
très beau poème
me fait penser à "agir je viens" du petit père Michaux, que je t'invite à (re)lire à L.
c'est plein de force comme ceci : "j'ai lavé le visage de ton avenir"
(il en existe deux versions dans le volume de la pléiade)
J'ai écouté tout l'été le concerto d'Aranjuez dans la version de Lagoya et une autre magnifique, actuellement si forte de FAIROUZ, chanteuse orientale qui a interprêté sur ce thème Li BEYROUTH... un moment d'émotion pure....
Non, pas encore ! Quels sont les prochains thèmes ?
Oui, construire sa maison, sa solitude par delà des bords d'abîmes.
C'est un très beau texte, Frédérique Noir, médecin des hôpitaux de Paris . Lu par quelqu'un qui fait le même métier que vous, et qui est quelquefois bien découragée par son entourage professionnel......Merci de faire s'allumer des lumières!
JLK, j'ai du mal m'exprimer. je parlais plutôt des capacité de prévention de la lecture d'un texte.....
Pour pouvoir traquer , comme le dit Frédérique, le démon qui est en nous tous, et l'empêcher d'agir, encore faut il l'admettre. savoir le voir. Ne pas pratiquer le déni. La création littéraire le permet, je pense. La lecture seule, j'en suis beaucoup moins certaine........
C'est très beau et ces mots ont le pouvoir de remettre debout un être qui allait renoncer...