La montagne est d’une vieille beauté triste d’avant la tombe qui me rappelle ce sublime poème de Lamartine dont je ne me souviens pas d’un mot à l’instant, me revenant par la seule musique de Brassens. Les épilobes ont l’air de plumes d’autruches mangées aux mites au fond d’un grenier fleurant la souris morte, la cabane aux oiseaux penche plus que l’été dernier, les défeuillus mettent du gris taïga dans les vestiges d’or et de pourpre qui rehaussent le fond vert militaire de la forêt, le petit funiculaire rouge ne joue plus de l’autre côté du val, la plupart des chalets sont fermés, le silence se fait entendre beaucoup plus qu’en saisons de vie, un chat noir s’enfuit là-bas dans les taillis je me demande bien vers quelle ingrate tanière.
Les idées viennent en écrivant. Très peu de bonnes choses découlent de la seule cogitation. Le roman est une masse virtuelle de langage à travailler comme une sculpture.
Un romancier doit oser être bête autant que minutieux et précis. Certaine idiotie (mais rusée, s’entend) est pour ainsi dire la clef de son rapport avec la réalité et les gens. Il ne doit pas être toujours plus intelligent. Sans faire la bête, il doit se laisser aller à la naïveté ou aux élans irraisonnés, à tout ce qui fait l’imprévu de la vie et des êtres.
«Je suis le pavillon acoustique de l’univers condensé dans ma ruelle», écrit Cendrars dans Moravagine.
L’écriture romanesque pour sortir de soi.
Qu’un roman est l’histoire de nos possibles.
«Les gens n’imaginent pas la quantité infernale de travail que demande l’écriture d’un roman. Ils croient qu’on couche simplement sur le papier des choses qu’on a vécues, et basta. Alors que c’est du boulot, les mecs. C’est comme construire une putain de pyramide.» Et plus loin la romancière (Nancy Huston) résume ainsi son rôle de médium: «Je suis l’esclave nègre: pieds nus, dos nu, traînant des blocs de pierre sur de vastes étendues de sable brûlant. Je suis le corps momifié du pharaon, enfoui dans le creux sacré de la pierre, pour que son âme puisse voyager au royaume de la vie éternelle. Je suis l’architecte et le contremaître qui supervise les travaux, le trésor et la sueur, la nourriture et le soleil lancinant, le désert et le mystère».
A quoi j'ajouterai notamment: et la neige et les vaches seules à l'horizon de la Guadeloupe; et le nectar et la conscience physique que tout tient à des riens; et le sentiment que tout se déglingue et le désir de renaître; et ce genre de grande phrase soutenue par l’harmonium des forêts: «Son âme se pâmait lentement tandis qu’il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l’univers, et, telle la descente de leur fin dernière, tomber, évanescente, sur tous les vivants et les morts.» Signé James Joyce. Mal traduit mais signé James Joyce.
Photo JLK: automne à Sonloup.
Commentaires
Cette note est magnifique, merci. Oui, il faut un courage monumental pour écrire un roman, et notamment le courage d'être idiot.
Le poème de Lamartine - je suppose qu'il s'agit de Pensées des Morts, dont on peut trouver le texte notamment ici :
http://vraiparisien.hautetfort.com/archive/2005/10/28/poeme-de-fin-de-semaine.html
Il est tôt l'aube et la brume monte de la plaine vers nos hautes terres givrées, et j'entends à l'instant cette complainte de pure mélancolie à laquelle vous rendez ses mots. Merci de nous permettre de les retrouver, car c'est en effet Pensées des morts que Georges Brassens a mis en musique.
Merci pour ces quelques notes.
C'est vrai : l'appétit vient en mangeant, et "les idées viennent en écrivant". Il s'agit seulement d'oser. Juste également, à mon avis, cette idée du roman "comme une sculpture". Mais le sculpteur a, tout cuit devant lui, un bloc de pierre dans lequel tailler. Pas l'écrivain. C'est à lui de créer son matériau.