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Pajak au miroir de Nietzsche


Orphelin de père, Frédéric Pajak a le culot d'une sorte de voyou « métaphysique ». Au coup de salaud que lui a fait la vie, ou disons carrément Dieu si l'on admet que ce personnage est à l'origine de la vie et reste comptable de ses interruptions les plus scandaleuses (le Père qui permet que vous soit arraché son représentant terrestre, non mais !), le jeune homme a répondu de façon naturelle, en fils révolté se construisant de bric et de broc à la marge de la société des pères. Frustré de présence paternelle à l'âge où ça compte, mais également empêché de le tuer au moment freudien réglementaire, ce fils d'artiste n'est pas devenu fonctionnaire à l'Etat pour liquider symboliquement la grande et belle ombre de son père artiste: au contraire il a fait « comme papa », et ça s'aggrave visiblement avec l'âge. Le bon larron (Campiche, 1987) annonçait un peu maladroitement la couleur (le drôle est le contraire d'un habile en dépit de dons certains) mais le ton et la manière, aigres et purs à la fois, y étaient avec cette rage et ce regard direct qui se sont nourris, au fil des années, d'une expérience et d'une capacité de synthèse qu'aiguise une singulière lucidité.

A l'ère des spécialistes et des chasses sourcilleusement gardées, Pajak a développé une interrogation personnelle qui mêle ses obsessions intimes et ses curiosités élargies, avec le double instrument du dessin et de l'écriture. Il en a tiré des OVNI artistico-littéraires dont le premier paru, L'immense solitude, convoquait déjà Nietzsche et Pavese « orphelins sous le ciel de Turin ». Or, après Le chagrin d'amour (PUF, 2000), récompensé en Suisse par le Prix Dentan, et la non moins originale « biographie » de Joyce, Humour, composée en complicité avec Yves Tenret, Pajak revient à Nietzsche dont il découvrit les Œuvres complètes dans la Chine « maoïstement antimaoïste » de Deng Xiaoping au fil d'un bref essai aux fulgurances de pensée et d'écriture nous rappelant, par les angles vifs de son style et ses beautés, celles d'un Dominique de Roux.



La lecture « sauvage » de Nietzsche a révélé à Pajak quel chrétien il restait « au fond » en dépit de son impiété présumée, et combien ce « christianisme » culturel et cette « impiété » de surface lui cachaient « au fond » le Mystère. Il en va sans doute de même de la plupart des prétendus « croyants » et des présumés « mécréants ». En quête naïve du Mystère auquel Nietzsche achoppa jusqu'à s'identifier au crucifié, Pajak devait rencontrer Luther et lui découvrir une « morbidité obsessionnelle » relançant, contre les soleils de la Renaissance, la « haine mortelle contre la vie » de Paul, premier grand écrivain du christianisme et son inventeur en quelque sorte.
Et Nietzsche là-dedans ? Disons pour faire (très) court: un fils de pasteur « luthérisé » jusqu'à la moelle, qui fut aussi féroce avec sa mère et sa sœur que Luther le fut avec les juifs, et qui n'osa jamais cependant s'en prendre à la figure idéalisée du papounet, mort trop tôt comme celui de Pajak. Du moins le liquidera-t-il « par procuration », « en tuant le Père de son père mort ». Cela pour les grandes lignes, qui feront se froncer maints sourcils ou se hausser maintes épaules paternes. Or ce petit livre, d'une insolence qui n'exclut pas l'engagement profond de l'auteur, vaut à nos yeux par ses pointes, dont les « flèches » devraient stimuler toute pensée inquiète et libre.

Frédéric Pajak, Nietzsche et son père. Avec 21 dessins de l'auteur. PUF, 92 pp.

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