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  • En coulisses

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    J’aime les sentir me frôler quand elles bondissent hors de la scène. On dirait des souris blanches ou de petites poules affolées.

    Oui c’est surtout ça que je palpe au vol: c’est ce côté duveteux et furtif ou cette sensation de plume mouillée.


    Surtout je les trouve émouvantes. Dire qu’il y a près d’un siècle qu’elles font rêver les gens avec ce truc assommant qui s’appelle Le Lac des cygnes, et qu’il n’y en a toujours, à la fin, que pour les solistes!


    Cela étant, les parties fines en coulisses, ça c’est du pipeau.

    D’abord parce qu’elles sont crevées et vinaigreuses de sueur, ensuite du fait de leur squelette. En tout cas moi ça me glacerait de toucher le sac d’osses d’une danseuse, moi qui aime la femme bien en chair et plutôt du genre olé olé.

    Je sais bien que les tableaux du sieur Degas ont quelque chose d’assez émoustillant, mais faut jamais oublier les odeurs de pied et la poussière en suspens qu'il y a là derrière.

    Enfin je ne crois pas la trahir en précisant que Fernande n’aime faire ça que sous les draps et qu'en tant que pompier de l'Opéra j'ai ma dignité.

     

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Verts paradis

    littérature,poésie

    Dans le rêve je me trouve sous une Volkswagen enlacé à ma soeur benjamine, et nous y sommes superbien, mais rien de sexuel là-dedans.

    Nous jouons comme souvent, avec mes cousines, au Dromadaire. Cette fois nous faisons la course dans les dunes. Le vent soulève leurs jupons et j’y vois tout.

    Elle se regarde dans le grand miroir de la chambre de ses parents qui rentreront tout à l’heure de l’église. Elle est  vierge et pure, sainte en chemise, et pour la Mary Long qu'elle s'est allumée en douce, il suffira d'aérer. Poil au nez.

    Les filles se baignent ensemble dans le baquet de bois, les garçons dans celui de fer.

    Un oncle nous fait voir ses biceps. Nous faisons la queue pour les tâter. En passant nous humons les effluves de sa virilité. Il parle sept langues. J’essaie de me représenter ces sept langues dans sa bouche à lèvres.

    Je dois procéder à l’inspection des cousines. Il s’agit de vérifier le bon état de fonctionnement de leurs cycles. Les grandes ont de grandes roues et les petites de petits patins latéraux. La chair des unes et des autres est bien ferme. Je me sens ogre avec les petites et cuisinier de chasse avec les grandes. Mon frère les examine et note toutes les réparations dans son carnet du lait.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Filles de joie

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    Nous en avons assez des lugubres. Nous manifestons contre les sinistres. Nous exhibons nos visage et nos bras au risque d’être fouettées mais nous sommes les messagères d’un nouveau monde: sus aux rabat-joie !

    Nous irons jusqu’au bout de notre rêve de galanterie. Car c’est cela, n’est-ce pas ? qui nous disconvient dans le comportement des coléreux: c’est cette muflerie de tous les instants et cette mauvaise humeur.

    Nous sommes les fille faciles. Nous en avons soupé de la méchanceté des prétendus sages et des prétendues saintes. Ces prétendus sages et prétendues saintes s’astreignent du matin au soir et ne pensent qu’à soumettre le monde entier à ce joug, et c’est cela qu’ils appellent honorer l’Unique.

    Nous ne voulons pas de leur Dieu sombre. Nous n’aimons pas ce père sans égards. Nous attendons de Dieu qu’il sourie et qu’il nous tienne la porte à la bibliothèque ou à la disco.

    Nous n’avons aucune peur. Nous sommes les filles de l’air. Ils ne peuvent plus rien contre nous que nous violer ou nous tuer.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Romeo et Giulietta


    littérature,textes courts

    Romeo ne parle que de ça, vraiment ça l’obsède. Il me la faut, il me la faut, il me la faut, répète-t-il en salivant comme une bête, et ce qui suit est étrange.

    Dès qu’elle lui est livrée il se met à fréquenter les cinémas de province. La logique voudrait qu’il se montre en ville avec elle, mais pas du tout; et personne ne comprend à quoi rime le choix des toiles qu’il se paie.
    Personne n’a pigé qu’elle ne devait pas avoir de rivale.

    Personne n’a remarqué qu’il ne supportait plus les femmes à robes rouges.

    Personne ne remarque non plus que le mal qui le rongeait s’est résorbé, vu que personne n’était au courant.

    C’est grâce à elle que, de cinéma en cinéma de province, il découvre l’arrière-pays et la peinture sur le motif.

    Personne ne sait qu’il lui parle comme à un amante italienne:
    - Giulietta mia, ti voglio bene, ce genre d’inepties dont il est le premier à sourire.

    Lorsqu’il rate un virage et se précipite avec elle contre un chêne, il en réchappe mais restera paralysé. Elle, on l’envoie à la casse en dépit des râles du malheureux.

    Il en parlera toujours comme de l’amour de sa vie, mais personne ne comprendra de qui il s’agit.

    Certaines caissières de cinémas de province se souviennent de cet étrange garçon.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Les vieilles sirènes

    littérature


    L’avantage avec notre queue c’est que nous restons vierges. Cela facilite la concentration dans les travaux typiquement féminins.

    Contrairement à ce qu’il en est des humaines, c’est durant notre jeunesse que nous connaissons la mélancolie, ensuite de quoi nous devenons philosophes et beaucoup plus joyces.

    A l’asile, le long de la route poudreuse de fin juillet, nous restons sur les margelles de la fontaine et battons ainsi la mesure en tâchant d’attirer l’attention des faneurs demi-nus.

    Les faneurs demi-nus ne sont pas indifférents au battement de queue des vieilles sirènes des établissements médico-sociaux.

    Tout en attendant quelque bonne fortune, nous nous racontons nos rêves en cherchant un peu de fraîcheur sous les saules.

    L’une d’entre nous prétend qu’elle a passé la moitié de sa vie dans un bassin d’acclimatation de l’arrière-pays de Biarritz, dont le gardien prénommé Nestor lui mordillait les tétons avec un art qu'une geisha de passage dans le Sud-Ouest lui avait enseigné.  Nous l’avons d’abord prise pour une affabulatrice, puis elle nous a fait une imitation de la langue basque qui nous a fait pouffer, comme au bon jeune temps...

    Image: Le faucheur, de Gustave Roud