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Un dimanche de la vie

 
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(Le Temps accordé, 2023)
Ce dimanche 23 juillet. – Ce jour du Seigneur, selon l’expression locale et mondiale, et même en période de vacances inactives, est une enclave temporelle propice à la perception du global, fût-ce sous le ciel encore gris de ce matin qui suggère, plus que l’ouverture à l’immense et au vertigineux cosmique, la protection d’un plafond de maison paisible, loin des tracas et des fracas.
Hegel parle quelque part du « dimanche de la vie », à propos d’une image débonnaire tirée de la peinture hollandaise, et c’est à ce genre de clairière que j’aspire à revenir malgré le bruit et la fureur du monde – mes lectures d’hier soir relatives au désastre ukrainien présent et plus encore à venir - , mais hier soir aussi je me sentais plein de reconnaissance devant les bacs de fleurs nouvelles arrangées par notre fée S. à main verte, au milieu desquelles paradaient les Edelweiss à la « noble blancheur », images s’il en fût de l’immanente perfection semblable à celle des petits enfants et des insectes qui nous survivront en cas d’hiver nuclaire, ainsi que me le disait, au téléphone, le vieux marcheur du désert Théodore Monod à quelques mois de sa mort à un âge canonique – défi sémantique pour un increvable pacifiste...
 
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DES AFFECTS. – Le chien Oblomov ne parle pas, mais il manifeste son impatience de sortir en geignant à répétition, puis, sans réponse du gouvernement, en se levant sur ses pattes de devant jusqu’à hurler quasi « à la mort » au dam non moins furieux du maître des lieux, et c’est un affect au sens où l’entendait le docte Spinoza, risquant de provoquer cet autre affect que serait mon improbable rouée de coups. Or nous en sommes là, en armistice « familial », sans le déchaînement des hybris nationaux et transcontinentaux menaçant d’aboutir à la guerre des mondes – donc j’ouvre la porte au chien trottinant bas au motif de son arrière-train défaillant de sujet de douze ans et des bricoles…
 
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DEVANT LA NATURE. - Mon pauvre ami D. (je note « pauvre » à cause de sa mort affreuse, après une fin de vie non moins triste) reprochait aux poètes romands (il visait surtout Gustave Rod, Philippe Jaccottet et quelques épigones) ce qu’il qualifiait de « fuite dans la nature », et je me rappelle l’agacement véhément qu’il manifesta à la vue splendide des « géants des Alpes » qu’on découvre du plateau de Montana où il se trouvait en bref séjour obligé avec son épouse et leur petite fille, comme enragé par cette beauté panoramique (laquelle avait faire dire à Schopenhauer que « das Leben ist kein Panorama », ou quelque chose comme ça), et moi je souriais car je savais que cette colère affectée avait un autre motif (D. fulminait de ne pouvoir travailler à ses affaires) alors que je l’avais vu, en d’autres circonstances, s’émerveiller à la traversée de la Côte d’or en gloire de fin mai, sur la route de Paris – tels étant les affects contradictoires de la créature humaine sortie de la nature à ses risques et périls, avant de la dominer, de la piller et de la détruire…
 
CE QUE NOUS DISONS QUE DIT LE CIEL. – Je reprends, ce matin, comme au bord du ciel (le balcon de La Désirade se prête à la métaphore un peu pompeuse), la lecture de mon penseur vivant de prédilection (l’autre, René Girard, nous ayant quittés il y a quelques années), en la personne de Peter Sloterdijk dont le dernier essai – formidable d’érudition et d’intuitions fécondes - , intitulé Faire parler le ciel, cristallise la nébuleuse de mes propres réflexions en la matière depuis mes seize ou dix-huit ans, et qu’oriente sa première phrase : « Le lien établi entre les conceptions du monde des dieux et la poésie est aussi ancien que la tradition des premiers temps de l’Europe ; mieux, elle remonte jusqu’aux plus anciennes sources écrites des civilisations du monde entier »...
Or on a bien lu « écrites », vu que le ciel est censé nous parler en dictée, et le terme de poésie est à prendre, précise l’héroïque traducteur Olivier Mannoni, au sens allemand goethéen de Dichtung, incluant l’idée de création, de composition littéraire et de fiction qui fait de Proust et de Bernanos, de Claudel et de Rimbaud, des poètes plus ou moins comparables – car tout ne l’est pas vraiment en vérité - aux « théopoètes » à la manière de Jean l’évangéliste et autres visionnaires du sacré…

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