(Le Temps accordé, 2023)
Ce samedi 22 juillet - Oblomov dort en boule à côté de son maître. Oblomov est le nom que je donnerai désormais à notre cher Snoopy dans mes autofictions matinales, et je suis donc le maître, encore couché dans mon king size de jeune veuf (deux ans de veuvage c’est encore jeune) à ne cesser de penser à Lady L. alors que je reçois, par WhatsApp, le selfie du petit Quintet de notre deuxième fille et des siens posant dans les eaux de la mer d’Andaman, tout en achevant la lecture de L’immortalité de Milan Kundera où l’on voit l’image de Paul se refléter vingt-sept fois dans les miroirs environnants...
Oblomov, le personnage du roman de Gontcharov, est le poisson-lune de la littérature russe, en somme la part asiatique affalée de notre âme européenne d’avant les Grecs, en lequel on voit le parangon de la paresse improductive - Lénine le taxait de koulak parasite - alors que sa rêverie est aussi innocente que le sommeil de mon chien en boule, pour ainsi dire angélique...
A propos d’anges, qui n’ont rien à voir avec ceux de Kundera - du genre intellectuels évanescents et autres militants énervés -, je reçois ce matin, par Messenger, et que m’envoie un compère de Facebook, la repro d’un tableau symboliste signé Carlos Schwabe, disciple du Sâr Péladan, représentant une ribambelle de ces créatures diaphanes sortant d’un clocher pour se rendre Dieu sait où...
J’aime beaucoup cette expression « Dieu sait » dont tout le monde use, jusqu’aux plus mornes, aux plus ternes athées.
Lorsque je me suis aperçu que tous les personnages de mon roman à paraître, Les Tours d’illusion, étaient des anges, sans rien de commun pourtant avec les personnages épinglés par Kundera, je me suis demandé d’où ça me venait et en ai conclu in petto « Dieu sait », surtout à propos du jeune Tadzio, fils de la Polonaise Ewa débarquée en Ukraine, et de la vieille Olga revenue de tout et semblant avec Jocelyn - projection de mon vieil ami Gérard - une petite fille jouant au mikado avec un dandy délicat de sept ans... Quant à savoir si le chien Oblomov rêve : Dieu sait !
L’immortalité de Kundera commence et finit au bord d’une piscine. Faut-il y voir une symbolique spiritualisante à la Péladan, genre eau lustrale d’avant et après, transit et purification au fitness paramystique ? Mais non: l’ironie tchèque est plutôt pagaille païenne à la Stravinski que fusion théosophique wagnérienne, et la raillerie d’Avenarius à propos de la formule d’Aragon selon lequel «la femme est l’avenir de l’homme», qui lui fait se demander si les hommes vont devenir des femmes, conserve son pesant de comique trente-trois ans avant les variations actuelles sur le genre qui nous font imaginer une Elsa bottée fouettant cette fiote de Louison...
Peinture: Carlos Schwabe. Cloches du soir, 1891.