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  • Au miroir de Shakespeare (23)

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    Une lectures des 37 pièces du Barde.
     
    Les Comédies
     
    23. Mesure pour mesure.
     
    Le génie de William Shakespeare, à vingt ans près, n’aurait pu éclore et s’épanouir avec le double assentiment du pouvoir royal et d’un peuple enthousiaste, s’il avait dû affronter les puritains qui, dès la fin des années 1640, mirent un coup d’arrêt brutal à l’âge d’or du théâtre anglais sous les règnes successifs d’Elisabeth et de Jacques.
    Or précisément, Mesure pour mesure, datant de 1603, est la plus formidable attaque qui se puisse concevoir d’une tyrannie se fondant sur une prétendue vertu, où l’hypocrisie se pare des attributs prétendus sacrés d’une Loi de droit divin.
    Le duc de Vienne ayant décidé de s’absenter quelque temps, il confie le gouvernement au jeune Angelo, foudre de vertu que seconde le sage Escalus. Or celui-ci ne parvient pas à tempérer le zèle puritain d’Angelo, qui entend appliquer la loi morale avec la plus extrême rigueur. C’est ainsi qu’il condamne à mort le noble Claudio que tous apprécient, à commencer par Escalus, mais qui a engrossé sa fiancée avant mariage, écart que sans doute le Duc pardonnerait. Celui-ci étant resté à Vienne, juste désireux de voir comment ses sujets et ses suppléants se comportent, ce qu’il fait travesti en moine, l’on s’attend à un retournement de situation.
    Quant à l’inflexible Angelo, voici qu’il reçoit la visite d’une novice au prénom d’Isabelle, qui le supplie de gracier Claudio, son frère aimé. Le plaidoyer de la chaste créature, d’abord timide, se fait de plus en plus éloquent et d’une intensité passionnée qui trouble Angelo jusqu’à enflammer son désir. Ainsi en arrive-t-il à fléchir, puis à proposer à Isabelle, non sans perverse jubilation à l’idée de soumettre une vierge, de laisser Claudio en vie à condition qu’elle se donne à lui.
    Après le portrait d’un snob sans cœur en la personne du jeune et très puant Bertrand de Roussillon, dans Tout est bien qui finit bien, le Barde règle son compte à un autre égoïste psychorigide doublé d’un sale hypocrite.
    Cela étant , la malice supérieure de Shakespeare tient à sa façon de suggérer l’impureté fondamentale de tout un chacun, de la base au sommet de la hiérarchie sociale, et de piéger le faux vertueux par la ruse conjuguée d’un faux moine et d’une vraie nonne prête à jouer de faux semblants sans y laisser sa vertu, finalement relative elle aussi, comme tout jugement humain…
    Parce qu’elle vise, de manière frontale, le puritanisme fauteur de violence prétendue sacrée, cette pièce a souvent été reprise de nos jours, jusque récemment par Thomas Ostermeier, entre autres. Dans la version présente de la BBC, toute classique et parfaitement recadrée pour le petit écran, l’interprétation est une fois de plus au-dessus de tout éloge, avec la figure virginale qu’incarne Kate Nelligan dans le rôle d’Isabelle, l’ondoyante maestria de Kenneth Colley en Duc à la fois impérieux et ambigu, et la sombre présence , d’abord glaciale et bientôt réchauffée par sa sourde passion, de Tim Pigott-Smith en Angelo – l’ensemble de la réalisation, signée Desmond Davis, mêlant admirablement délices et sévices, luxure et mort, violence et pardon.

  • Au miroir de Shakespeare (22)

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    Une lecture des 37 pièces du Barde.
     
    Les Comédies.
     
    22. Tout est bien qui finit bien
     
    Il faut l’humour carabiné de Shakespeare, tout imprégné de sapience humaine, pour donner une fin heureuse à cette histoire d’amours contrariées, où se distingue surtout l’orgueil plein de morgue du jeune comte Bertrand de Roussillon, qui dame le pion à sa mère et au roi quand ceux-ci prétendent lui faire épouser la tendre suivante de celle-là au motif qu’elle vient de sauver le monarque en appliquant une recette médicale de son père et, pour récompense, demande la main du bel indifférent.
    Raconté comme ça cela pourrait sembler compliqué, mais tout est clair dans l’enchaînement des faits alternant les situations où nous voyons défiler des personnages merveilleusement contrastés, de la mère généreuse de Bertrand, psychorigide snob et puant en sa jeunesse arrogante, au roi mourant content de revivre grâce à la potion d’Hélène et se montrant plein de sagesse, ou de l’inénarrable vantard dont les rodomontades masquent un poltron et un traître, à l’amoureuse éconduite menant son affaire avec une main de fer dans un gant de velours.
    On l’a vu dans les comédies successives de Shakespeare : que les roucoulements romantiques ne lui en imposent pas plus que les menées cyniques.
    Or Bertrand, qui croit tout savoir, va devoir prendre sur lui en découvrant que son mentor n’est qu’un faux-cul, et que ses propres ruses amoureuses ne valent pas mieux.
    Mais qui vaut mieux que l’autre dans cet imbroglio ? Une fois de plus, le bon génie du Barde tend à la conclusion débonnaire et au pardon.
    À relever dans la foulée : la remarquable tenue picturale de la réalisation d’Elijah Moshinsky, dans cette version de la BBC, en phase avec un scénographe de haut vol : on est ici entre Vermeer et Velasquez, les Hollandais en leurs intérieurs et les Espagnols ferrailleurs, avec une touche Louis XIII sympathique à mousquetaires moustachus et gros nez.
    Aussi quelle malice : une épouse vierge se faisant saillir par celui qui la rejette et l’a prise pour une autre, qu’il rejette derechef comme la première ! Et l’amour là-dedans ? Il court il court, le furet…
     
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  • Au miroir de Shakespeare (21)

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    Une lecture des 37 pièces du Barde
     
    Les Comédies
     
    21. Le Songe d’une nuit d’été
    Dire que Le Songe d’une nuit d’été est la première pure merveille signée Shakespeare relève du pléonasme, vu que le merveilleux constitue la substance même de ce chef-d’œuvre de fusion formelle et d’effusions amoureuses transfigurées par la poésie.
    L’excellent René Girard y voit un summum de mimétisme, mais pour une fois le système du cher homme semble par trop systématique (!) voire artificiel, s’agissant d’une œuvre qui se rit de toute explication (à commencer par celle du Duc Thésee quand il s’efforce de définir l’imagination du poète, à la fin de la pièce) dans le mouvement fou de celle-ci auquel préside la trinité gracieuse et aussi active qu’invisible de Titania, d’Obéron et de Puck…
    Plutôt que d’expliquer le Songe – ce qui se peut faire naturellement sans recourir aux instruments conventionnels ou néo-convenus de la critique académique ou freudienne, entre autres -, il convient d’abord de s’y impliquer avec la candeur et le reste de sensualité sauvage qui reste à chacune et chacun en notre monde lisse et formaté.
    L’esprit du conte et le génie poétique, à la fois dyonisiaque et apollinien, président en effet à cette féerie apparemment surréaliste et plus fondamentalement réaliste, voire hyperréaliste en ce sens que toute la réalité humaine, légendaire et tout actuelle, mythique et magique, mais aussi pulsionnelle et affective, mais encore sociale et morale (avec le père de la libre Hermia qui freine des quatre fers), mais encore légale et politique (le Duc rappelle à Hermia qu’elle risque la mort si elle brave la loi athénienne en n’obéissant point à son paternel) se trouve modulée, et non pas sous l’égide d’une anarchie romantico-bordélique mais conformément à une très subtile redistribution des valeurs soumises au très shakespearien Degree, où la Renaissance à pas mal à voir même si Shakespeare la dépasse à sa façon.
    Le grand metteur en scène Peter Brook tremblotait un peu à l’idée de monter le Songe, comme il le raconte dans La qualité du pardon, superbe recueil de réflexions sur le Barde, et l’on regrette évidemment de ne pouvoir se référer à sa version, mais celle d’Elijah Moshinsky , à l’enseigne de la BBC, sûrement moins novatrice formellement que celle de Brook, n’en est pas moins formidable, et par son interprétation – dominée par la lumineuse Titania d’Helen Mirren et pimentée par l’adorable Puck de Phil Daniels – et par l’esthétique onirico-raphaélite – de la féerie nocturne poussant le baroquisme délirant (les petits elfes rivalisant de cajoleries sur le lit d’une Titania enlacée à l’âne couillu de ses rêves !) sans verser dans le kitsch…
    Mais aussi, relire Le Songe d’une nuit d’été en version bilingue rénovée (celle de Jean-Michel Déprats, en Pléiade, convient parfaitement) s’impose à qui désire replonger son rêve dans la substance verbale du mot à mot poétique, comme s’y emploient les comédiens savoureusement patauds et fraternels au milieu desquels le Big Will se projette lui-même en humble serviteur du Démiurge…

  • Les mots "jamais" et "toujours"

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    On répète des mots d’amour
    sans savoir ce qu’ils disent.
    Les mots ne seront-ils toujours
    qu’idées imprécises ?
     
    On ne sait pas, et va savoir
    si ce n’est pas mieux comme ça ?
    On se parle, et parfois une voix
    résonne par hasard…
     
    On a lancé le mot hasard !
    On se retient de croire
    à la magie de tout cela ;
    on se refait la belle
    dans l’ombre essaimée de Babel…
     
    Amour, je ne sais que te dire
    plus qu’au présent passé,
    mais tu es là et tu respires
    « toujours » et « à jamais »…
     
     
    Image JLK: Lady L. à Paris, en 1982.

  • Dolce cantabile

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    Parfois je cessais de chanter,
    au point de l’inquiéter
    elle, toute fragile,
    que mon bel canto ravissait
    jusques aux airs débiles
    que pour elle j’improvisais,
    tout à coup me voyait
    triste devant la vérité...
     
    Le trou noir ne s’explique que
    par les calculs savants
    de savants restés ignorants
    en matière d’opéra;
    or c’était cet obscur
    abîme que j’avais au cœur
    qui me paralysait
    au dam de toute loi,
    sans qu’aucune autre explication
    ne nous fût accordée...
     
    Ceux qui ont mal sont seuls au monde ,
    et soudain la déprime
    s’est coulée avec la douleur
    en toi autant qu’en elle,
    au point de vous couper les ailes...
    Mais tu le sais de source sûre
    et pour elle si pure,
    cela seul adviendra:
    que le chant vous délivrera...
     
    Peinture: Matisse.

  • Au miroir de Shakespeare (20)

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    Une lecture des 37 pièces du Barde
     
    Les Comédies
     
    20. Peines d’amour perdues
     
    S’il n’est pas rare que des jeunes gens, aussi débordants d’idéal que de sève, se détournent soudain de la chair au nom du pur esprit et de la vertu chaste, assez exceptionnel en revanche paraît le serment signé, au début de cette brillante comedie du premier Shakespeare, par le non moins jeune et beau roi de Navarre et trois de ses fringants ministres, résolus à se consacrer pendant trois ans à l’étude sans se laisser distraire ou tenter jamais par ce démon lubrique ennemi de l’Esprit que représente la femme.
    Point de femme au palais pendant 36 mois, et la honte au contrevenant, l’opprobre voire les fers !
    Le hic, c’est qu’une visite de la fille du roi de France est inscrite sur l’agenda royal et qu’on ne peut couper à l’impure présence vu qu’il en va de tractations diplomatiques et financières de première importance. Que faire alors sinon cantonner la princesse et ses suivantes dans les communs jouxtant le palais, au vif déplaisir de ces dames. Mais le pire est encore à venir, puisque les quatre foudres de vertus tombent illico amoureux des beautés en question, qui vont alors retourner la situation à leur avantage avec autant de ruse que de débonnaire malice.
    Jouant sur une double intrigue, avec celle des assermentés bientôt parjures (évidemment !) et la romance du pédant moralisant qui s’entiche d’une petite fermière toute simple, la pièce combine plusieurs lignes de franche satire visant les faux savants et les précieux ridicules, les pseudo-poètes et les séducteur verbeux, mais aussi de plus pénétrantes observations, par delà les affrontements relevant de la guerre des sexes, sur les simulacres de l’amour et les sentiments plus sincères et vrais, dont les femmes sont ici les souriantes incarnations, à commencer par la malicieuse et non moins majestueuse fille du roi de France, maîtresse du jeu soudain frappée, en plein spectacle parodique, par l’annonce de la mort de son père , après laquelle la pièce devient plus grave, plus émouvante et finalement ouverte à une nouvelle approche de l’amour fondé sur un attachement sincère et durable .
    Saine moquerie de toute forme d’affectation, du donjuanisme creux et de tous les traits de langage signalant la prétention où la fausse vertu, éloge de la bonne vie et du bon naturel , tout cela cohabite dans cette comédie lègere mais pleine de joyeuse sagesse.
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  • Au miroir de Shakespeare (19)

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    Une lecture des 37 pièces du Barde
     
    Les Comédies
     
    19. Les deux gentilshommes de Vérone
     
    Que dit Shakespeare dans Les deux gentilshommes de Vérone ? Il montre que ce qu’on appelle l’amour n’est parfois (voire souvent) qu’un leurre, dont l’image illusoire peut nous faire dérailler.
    Ce miroir aux alouettes abuse particulièrement la jeunesse vivant sa première romance, comme on l’a vu dans Roméo et Juliette. Un enfant y verrait plus clair, autant qu’un vieux sage, mais ici – et c’est un régal de malice – c’est le page de Valentin , adorable ado roublard et cupide, qui se fait le commentateur hilare du délire de ses aînés. Moins romantique tu meurs !
    Or il est plus précisément question, dans cette comédie des débuts de Shakespeare (vers 1592-93) d’une amitié gâchée par la rivalité amoureuse, ou plus exactement par une image de l’amour exaltée par l’envie.
    L’intrigue est assez simple et tout se joue très vite. Valentin et Protée, deux amis qui ont tout partagé depuis leur enfance, aussi proches l’un de l’autre que deux frères, et pour ainsi dire unis “à la vie à la mort”, se trouvent soudain en conflit par ce qu’on appelle l’amour.
    Protée, du genre soupe au lait, est amoureux de Julia, et cela ne semble pas inquiéter Valentin au moment où il celui-ci quitte son compère à destination de la cour impériale de Milan où son père l’envoie pour en faire ce qu’on appelle un homme.
    Sans flatter l’amour de Protée, qui en conçoit un certain dépit, Valentin, non sans malice, nomme son ami expert en amour, chargé de lui donner des nouvelles à ce propos par le truchement des lettres qu’il lui écrira. Il sera d’ailleurs pas mal question de lettres dans cette pièce: bien avant l’époque des SMS, ce qu’on appelle l’amour passe en effet par l’épistole, à savoir les mots plus ou moins enflammé qui évoquent l’amour non sans en rajouter le plus souvent.
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    Or, des le départ de Valentin , la flamme de Protée, qui n’a plus de témoin à ses élans, semble vaciller. Sur quoi, son propre père l’envoyant à son tour à Milan, il accuse le coup, non sans jurer fidélité à Julia. Dès son arrivée auprès de son ami, tombé amoureux entre-temps de Silivia, la fille du Duc, le jeune inconstant s’éprend en un clin d’œil de la belle, oubliant Julia et se demandant comment se débarrasser de son meilleur ami, dont il devient illico le pire ennemi sans en montrer rien.
    La pièce illustre donc la crise par excellence de la rivalité mimétique, dont on comprend que René Girard en ait fait l’un des premiers exemples d’une thématique essentielle de Shakespeare, à savoir l’amour triangulaire.
    Ainsi, c’est par ce que Valentin lui dit de Silvia que la passion de Valentin s’enflamme, de même que l’amour de Julia s’exacerbe quand elle voit Protée soupirer sous la fenêtre de Silvia.
    Tout cela n’est pas systématique pour autant, et d’abord du coté des deux amoureuses, plus subtilement sensibles et loyales que leurs amoureux. Quant à Protée, sa faiblesse menace de le faire basculer dans la félonie violente, que l’auteur épargne au public vu qu’on se trouve, n’est-ce pas, dans une comédie où tout doit bien finir…

  • L'Événement à la Maison Bleue

     

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    Il y a le Marché de Noël. Logique de l’estomac : les foules accourent.
     
    Ou les chats de Philippe Geluck : sympa le gars, concept et gadget, les quais de Montreux (Suisse du sud-ouest) deviennent, en cette fin d’année, galerie passante à l’international - Japonais et retraités suisses alémaniques défilent. Et puis quoi ?
     
    Et puis il y a Autre Chose.
     
    Au point d’effusion du goût : il y a l’Exposition des Amis de la Désirade à la Maison Bleue.
     
    À savoir : le généreux partage d’une passion.
     
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    Partage de Beauté : plus de 120 tableaux de toutes dimensions. Quelques noms (re)connus : Joseph Czapski, Thierry Vernet, Valentine Hugo, Karl Landolt, Pieter Defesche, Jean Fournier, Neil Rands, Lélo Fiaux, Charles Clément, Jacques Berger, Robert Indermaur, Olivier Charles, Giovanni Bellini, Géa Augsbourg, etc.
    Diverses merveilles à découvrir : quelques statuettes africaines ou chinoises, la tête d’un Buddha Gupta, le stylo rose vestige de la rencontre d’une starlette au festival de Cannes, sept papillons cloués dans leur boîte par l'impitoyable et savant conjoint de Vera Nabokov, etc.
     
    Un hommage émouvant : trente toiles, paysages et autres découpages, de LK, alias Lady L. , décédée en décembre 2021.
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    Un défi défrisant : les 100 Cervin de JLK, qui font éclater en couleurs et formes, nuances tantôt lyriques et tantôt dramatiques, le parangon du cliché pour touristes et boîtes de chocolat.
     
     
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    Quelques curiosités: un os de baleine orné de motifs gracieux par la main d’un Inuit ; une fiche documentant la préparation du génial roman Feu pâle de Vladimir Nabokov, de sa main propre ; divers autographes d’écrivains majeurs, de Paul Eluard à Marcel Jouhandeu, Guido Ceronneti ou Patricia Highsmith; deux demi-canards de bois serre-livres aux noms de Kama et Sûtra, un dessin d’enfant convoité par le Musée de l'Art Brut, etc.
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    Une boîte à livres : plusieurs centaines d’ouvrages cédés à très bas prix.
     
    Autant de raisons de faire, fissa, pèlerinage à la Maison bleue de la Grand-Rue de Montreux, au 2e étage droite. Visite sur rendez-vous au 079 508 97 29. Chaque pèlerin (ou pèlerine) est reçu (e) individuellement et reçoit, avec le café, une boule de chocolat. L’exposition a été prolongée jusqu’à la fin de l’année 2022.
     
    Images: Karl Landolt, 1976. Joseph Czapski, 1973. Lucia K, JLK.
  • Lumière du présent

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    « Tu comprends à présent
    que la lumière venait de là»...
     
    (Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour)
     
    On ne marche pas sur les œufs:
    on y danse, les yeux
    fermés, le cœur à la romance
    et fredonnant des airs
    légers comme les jeux appris
    dans cette ancienne vie
    que restera toujours l’enfance...
    On ne marchera pas au pas:
    on dansera plutôt
    en bandes déliées
    au gré de flûtes enchantées,
    le long des avenues
    ou par les hauts où des oiseaux
    voltigent en nuées
    ou relancent les envolées
    de nos élans adolescents...
    On passe le temps à jouer:
    on parle quand on dort,
    on rappelle à souper nos morts
    là-bas, les yeux ouverts
    sur les quais des ports éphémères
    où le temps les a déposés
    sans effort apparent,
    ni mesurer jamais ses heures
    à jouer dans les vents
    aux douces senteurs éventées
    des roses du présent ...
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Comme une ombre claire

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    La nuit tout le monde s’en va,
    mais personne ne sait
    pourquoi les ombres dans le noir
    continuent de sourire...
     
    Le fleuve là-bas lentement,
    silencieusement
    roule à la mer ses eaux dormantes,
    et dans votre sommeil
    comme un enfant s’enchante...
    Et comme un rire inattendu
    fuse au petit matin,
    dans la lumière comme un éclair
    virginal et lustral ...
     
    C’est le monde recommencé,
    au rivage premier,
    c’est la joie comme délivrée -
    c’est la bêtise exquise
    de l’enfant soudain retrouvé...
     
    Peinture: Rembrandt, Titus.

  • Le chemin sur la mer

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    « Certes, le vieux monde n’est plus de ce monde, mais plus vivant que jamais » (Ossip Mandelstam)

    Qui aura chanté pour l’enfant
    dans vos rangs défilés
    de battants obsédés
    par la plus vide arborescence ?

    Au présent digitalisé,
    tout adonnés à vos écrans,
    vous vivez par procuration:
    même le vent s’est absenté,
    le vent, la mer aussi blessée
    d’être exclue de vos rêves,
    et vos rêves perdus -
    le rythme et la rime exclus
    de vos seuls algorithmes...

    L’haleine du chien me revient:
    le souvenir des crocs
    mordant au plus tendre du corps
    de l’enfant pour jouer -
    l’enfant qui jouait à la guerre,
    le plaisir solitaire
    de l’Être se reconnaissant
    dans la caresse des amants...

    À trier vos déchets,
    ceux des enfants qui restent là,
    retrouvant si jamais
    le temps en regrets égarés,
    vont-ils oser le chant ?

    Retrouver les saveurs du chant
    de la diva qui s’extasie,
    et toute l’ironie
    du sort et des fééries
    d’avant la vallée de la mort ...

    Revivre enfin la douce vie
    capable de mystère,
    relancer la cérémonie
    du chemin sur la mer...

  • D'autres révélations

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    (Le Temps accordé, lectures du monde 2022)
     
    À la Maison bleue, ce vendredi 11 novembre. – Hier m’est arrivé, par la poste, un tout petit paquet envoyé de je ne sais quel bled de France profonde, dans lequel se trouvait le tout petit livre de Grégory Rateau que j’ai préfacé, et passée la surprise le format de ce recueil d’Imprécations nocturnes et sa couverture comme dorée à la feuille m’ont paru parfaits, comme d’un bréviaire libertaire à emporter dans sa poche revolver; et relisant ma préface il m’a semblé que ce que j’y disais n’était pas moins dans la juste tonalité.
     
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    Aussi ce que je me dis ce matin, revenu à La Haine des oiseaux de mon ami Quentin, qui m’a pour ainsi dire dicté mes contrerimes du lever du jour, je me dis que, décidément, ce qu’on appelle la poésie n’est pas ce qu’en disent les poéticiens et autres théoriciennes. Mais qu’en sais-je ? À vrai dire seuls les poèmes le savent, qui me viennent je ne sais comment…
    Ceci donnant cela :
    Ne parlons pas de la guerre...
     
    «Ce soir
    Aucun semblable
    Ne se ressemble plus».
     
    (Quentin Mouron, La haine des Oiseaux)
     
    Ils font semblant de faire semblant
    et cet eux, ce sont nous:
    il n’y a plus d’île qui fasse,
    les confins effondrés
    vous ont rejetés dans les nasses
    de ce vivre-ensemble factice
    dont vous vous repaissez...
    Le prix de l’eau va remonter,
    ou la nuit régnera
    sur la ville assiégée de partout;
    tu ouvriras les bras
    où se jetteront des zombies;
    tu te feras l’amour,
    et les momies de la télé
    mordront à tes appâts...
    Tout est lié, jolie pianiste:
    tes doigts sur le clavier
    du lanceur d’élégants missiles
    donnent aux imbéciles
    le droit de t’aduler à mort -
    tu diras protester,
    mais les violents l’emporteront
     
    MORTS ET VIVANTS. – J’en reviens sans cesse à la parole d’Euripide citée par Léon Chestov dans Les Révélations de la mort, mais ne sachant pas le grec ancien ni n'ayant la moindre idée du timbre de la voix de Chestov, je ne sais réellement ce que cela signifie, ou disons que je cherche à le convevoir, et vous pouvez en ricaner sur vos plateaux télé : « Qui sait, dit Euripide, il se peut que la vie soit la mort et que la mort soit la vie »…
    Or cela n’est pas d’un constat morbide qu’il s’agit, ni d’un paradoxe d’évitement de la réalité réelle : c’est une sorte de pari lancé à ce qui se voit ou qu’on croit voir, et c’est le fondement du doute et le tribut accordé à l’illusion féconde.
    Au miroir de ce soir, je te vois derrière moi, et bien entendu je doute même de ce que je redoute…
    Il va de soi que, tout ordinaire que je suis, je sache comme tout un chacun ce qu’est la vie, ayant vu la mort en diverses occasions, mon aïeule paternelle énorme comme posée sur le catafalque et le nez soudain exagéré pointant au ciel, et notre père ensuite en sa nudité christique oblitérée de cicatrices et d’ecchymoses, ou notre mère en jolie robe apprêtée derrière sa vitrine de la chapelle funéraire, et mon grand frère le forban , et mes amis aimés, mais pas un instant ne me lâche mon doute,pas un instant je ne conclus au néant de ces visages réduits en cendres, pas un instant je ne crois à la mort de mon amour en notre dernière nuit passée dans les bras l’un de l’autre - elle déjà voyant par delà notre temps accordé…
     
    Peinture: Thierry Vernet. Pp LK / JLK.

  • Jouets des dieux

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    Ceux qui s’aiment sont des enfants:
    cela s’entend la nuit
    dans le silence et l’innocence,
    par-dessus tout instant,
    sur l’île là -haut qui dérive
    lentement au fond des cieux...
     
    Le ciel est descendu en eux
    dans le reflet de l’eau
    qui les revigore au matin,
    et ce serait toujours,
    tous les jours le même matin
    revenu par amour
    les coiffer de cette lumière -
    tous les jours éphémères...
     
    Ils ne sont là que pour jouer
    à se prendre au sérieux:
    on n’est enfant rien qu’un moment,
    et l’ombre reprendra sa ronde,
    ils le savent pourtant,
    les enfants aux têtes blondes
    que le jeu même veut
    qu’on rende aux dieux leurs beaux jouets ...
     
    Peinture: Friedrich Dürrenmatt pour ses enfants.

  • La religion d'en rire

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde, novembre 2022)
     
    À La Désirade, ce mercredi 9 novembre. - Dans un rêve de cette nuit la Sarrasine me suggérait de convier mes père et mère à nous rejoindre sur le toit du théâtre afin d’en fumer une dernière, et j’étais triplement gêné. D’abord parce que le vent des montagnes, en ces nuits d’hiver, est d’une rigueur menaçant les sujets à risques, selon l’expression rebattue durant la récente pandémie, ensuite du fait de la disparition de mes père et mère il y a respectivement vingt ans (ma mère que Gemma n’osait pas dénigrer en ma présence) et plus de quarante ans pour mon père (qu’elle affectionnait au contraire), enfin pour la façon de me parler durement avant d’éclater de rire bruyamment, me rappeleant soudain (j’allais émerger du sommeil) que ma vieille amie tabagique et adonnée depuis peu aux opiacés reposait elle aussi sous une pierre, à quelqes pas de celle de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, dans le cimetière de Grinzing, bourg vigneron proche de la capitale où nous avions sifflé ensemble des verres de Gewurztraminer et de Nebelspalter, je ne sais plus en quelle année.
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    VIS COMICA. - Le nom de Gemma m’est revenu en rêve après que j’eus visionné, la veille et l’avant-veille, les 16 épisodes de la série coréenne intitulée You are beautiful dont la protagniste, une jeune orpheline prénommée elle aussi Gemma, décidée à vouer sa vie à Dieu, abandonne quelque temps son voile de novice pour intégrer, à la place de son frère jumeau et donc déguisée en garçon comme dans les comédies de Shakespeare, un groupe de pop extrêmement en vogue auquel elle ajoute sa voix positivement angélique et son minois d’androgyne propre à déclencher l’hystérie des adolescentes de Séoul et environs.
    Or, passant d’un épisode à l’autre, je m’étonnais une fois de plus de l’intérêt que je porte à ces produits de la culture coréenne, imaginant qu’un Georges Haldas ou qu’un Philippe Jaccottet me surprennent soudain à cette occupation sûrement frivole à leurs yeux, voire débile ; mais je me rassure en me disant que notre amie la Professorella, ma chère Annemarie J., en retraite de la faculté des lettres de Pise, est elle aussi accro aux séries asiates comme elle me le confirme volontiers sur Whatsapp…
    Combien nous avons ri avec Gemma, même quand tout coinçait entre nous – ou peut-être surtout à ces moments- là quand nous étions proches de nous égorger (moi) ou de nous poignarder (elle), et quel plaisir j’ai eu aussi à la voir se poiler avec Lady L., en tout cas une fois. Spinoza estime que la tristesse est un réel péché. Je lui donne raison avec la conviction connexe que le rabbi Ieshouah, lui aussi, riait parfois comme un dieu, quoiqu'en disent les bonnets de nuits de la théologie.
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    RETOUR AU GOOD WILL. – Passant à La Désirade pour y récupérer mon exemplaire du Purgatoire traduit et commenté par François Mégroz, ainsi que le dernier recueil de poèmes de Quentin, j’ai retrouvé, à la lettre S de ma bibliothèque française riche de 3333 volumes, un exemplaire du Poète tragique de ce fou de Suarès auquel je suis revenu ces jours avec son formidable essai sur Molière, qu’il place précisément à la hauteur du barde en les distinguant nettement pourtant, selon le critère avéré ou non de la féerie.
    Et reprenant maintenant la lecture du Shakespeare de Suarès, voici que je tombe sur des pages entières consacrées à Racine, et c’est une mise en rapport de plus et non moins révélatrice, qui me rappelle celles d’un Cowper Powys dans ses grands moments de traversée critique: Racine pour mieux cerner Shakespeare longtemps mal compris des Français - et Suarès de conchier Voltaire l’envieux et même de remettre en place l’enthousiaste Victor Hugo se la jouant outrageusement l’égal du génie «celte», avant que son fils ne s’attelle aux premières traductions à peu près recevables.
    Sur quoi les pages inouïes de ce Poète tragique, que j’avais lues une première fois bien trop distraitement, il y a plus de quarante ans de ça, alors que je n’avais encore abordé sérieusement ni Proust ni Shakespeare, m’ont donné envie de reprendre la publication de mes notes sur celui que j’appelle, plus volontiers que le Big Will, le Good Will…

  • Clairière de l'Être

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    Un être exquis m’attend là-bas,
    par delà la rivière
    de la rue bientôt oubliée -
    par delà le trépas...
    Sa façon de sourire inouïe,
    son béret sur l’oreille,
    le regard de ma douce amie -
    sa présence au sommeil...
    Toutes ces vies en un regard,
    cet être inaccessible,
    cette autre façon de paraître -
    que sais-tu de ce que j’ignore ?
    Sous la patience des étoiles,
    la nuit quand tu souris
    comme une voile se déploie
    en gage d’infini...
    Mais ces mots encore sont de trop:
    l’Exquis reste indicible.
    Veillons humbles devant les eaux,
    tout ardents et paisibles...
     
     
    (Image Lucia K, alias Lady L: veilleuse de nuit)

  • Mémoires croisées

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde 2022)
     
    À la Maison bleue, ce dimanche 6 novembre. – De retour à la Maison bleue depuis vendredi, et retrouvant, avec mes affaires descendues de la Désirade par Cécile et Florestan (prénoms fictifs), ce carnet relié de 365 pages quadrillées dont j’ai amorcé à l’encre noire l’annotation en 1991 (j’avais 44 ans), reprise en 2021 au stylo rouge, la lubie me prend ce matin d’en poursuivre la rédaction des pages restées vierges au stylo vert en recopiant illico ce que j’écrivais le 1er novembre 1991, jour de la Toussaint, dans l’esprit des bonnes résolutions récurrentes et compulsives qui est propre aux indécis de mon espèce : «Montrer la réalité telle qu’elle est. Tout ce qu’on voit sans voir. Décaper le tableau du quotidien. Assez de lyrisme et d’illusionnisme. Et dans ma phrase aussi, traquer la fioriture et la formule creuse. Chercher le solide ».
    Et ceci encore, daté du 6 novembre 1991 et tiré du Journal d’Isaac Babel dont je venais d’achever la lecture : « Quand j’étais jeune, je pensais que la somptuosité doit être décrite d’une manière somptueuse. Ce n’est pas vrai. Il s’avère qu’il faut, très souvent, partir du point de vue opposé ».
    Or notant cela, je me dis que ces propos recouoent la démarche de Quentin dans ses poèmes ras la terre ferme et l’émotion, qui me rappelle en outre ma propre détermination, à vingt ans, quand j’étais abonné à la revue Action poétique des compagnons de route du communisme, de « tordre le cou à l’éloquence »…
    Ces notes reprises en mode diachronique seraient comme une « mise en abyme », selon l’expression smart, ou comme un voyage à travers le temps de ma propre vie, comme un palimpseste de textes s’éclairant les uns les autres et se donnant un nouveau relief.
     
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    Ainsi poursuivant, sur la page vierge du lundi 15 avril 1991 (saint Paterne), ces notes du 6 novembre 2022, le cardiopathe que je suis devenu à passé 75 balais diaogue-t-il avec le quadra lisant Val pagaille de Dürrenmatt et en tirant une recension pour 24 Heures après un autre papier sur Le Temps du mal de Dobrica Cosic, futur président de la Serbie, dont le cher Dimitri se sera dit content…
    Moins de peine à respirer ce matin qu’hier soir où j’ai dû me borner, avec le chien, à une balade de moins de 200 mètres, mais les douleurs jambaires restent vives et je vais tâcher de tâcher de ne pas retourner à l’hosto.
     
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    LES VIEUX. – Sur cette photo de famille que je regardais hier soir après le départ de Cécile (40 ans le 23 novembre prochain où elle et Florestan recevront les clefs du nouveau logis dont ils ont fait l’acquisition en terre fribourgeoise), j’ai l’air, à 16 ans, d’un teenager ombrageux de série italienne, mon frère aîné (21 piges) d’un mafieux louche à cheveux blonds et lunettes noires, cravaté comme moi (fait rarissime) donc ce doit être une occassion solennelle, peut-‘être les noces d’or de nos aïeux lucernois, notre mère souriant au photographe (mon père) comme mes deux sœurs endimanchées elles aussi, de même que nos deux tantes « vieilles filles », et me frappe surtout la terrible dégaine de véritables vieux tout en noir de la Grossmutter, avec son chapeau cloche, et du Grossvater esquissant un timide essai de sourire sous sa moustache-qui-pique - nous sommes en 1963 au bord du lac des Quatre-Cantons (aux confins ensoleillés de la Suisse primitive), les parents de notre mère sont l’incarnation de la rectitude morale chrétienne et moi, les regardant aujourd'hui, je porte des jeans, une chaîne serpent au poignet marqué par les ecchymoses des prises de sang récentes, un t-shirt qui s’exclame Never give up, bref la caricature du boomer gardant, selon l’expression de son défunt ami Thierry Vernet, « une patte coincée dans le tiroir de l’adolescence »…
     
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    BOYFRIENDS. – J’écris la suite de ces notes matinales sur la page vierge du 17 avril 1991, jour dédié à saint Anicet, dont le nom me ramène au bord de l’autoroute du soleil, en 1964 ou 5, où - tout mignon éphèbe en lègère tenue d’été – je fais du stop à une heure du matin avec mon compère de grimpe Anicet, lorsque s’arrête une petite voiture à la fenêtre de laquelle un joli passager et le chauffeur non moins avenant me font un signe et deux regards immédiatement câlins, juste refroidis ensuite à l’apparition d’Anicet en golfs verts et chaussettes rouges d’alpiniste, traînant un énorme sac Millet et notre tente de campeurs d’altitude la veille encore plantée au Montenvers, face aux Drus, avant notre retraite précipité sous les trombes de flotte et notre décision de nous replier sur les Calanques...
    C’était la première fois qu’Anicet sortait de Suisse, nous nous retrouvions serrés avec notre barda derrière les deux jeunes gens se faisant des chatteries et dont pas un instant mon innocent ne soupçonnera la « différence », mais le pompon fut notre arrivée à la sortie de l’autoroute, à deux heures du matin, une escouade de flics nous arrêtant, faisant sortir les deux boyfrieds de leur voiture volée et nous laissant nous débrouiller avant que le chauffeur d’un train routier parqué là et pigeant notre situation, ne nous propose le refuge de sa remorque fortement imprégnée d’odeur de poisson de mer…
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    PARIS. – Dès les premières pages des Cahiers inédits de Paul Gadenne, dont le recueil de près de 500 pages vient de paraître aux éditions des Instants, recouvrant les années 1927 à 1937 et intitulé Le long de la vie, je me retrouve dans le cercle magique de la Littéraure : « Paris, dans ce crépuscule précoce d’hiver, Paris m’a saisi au cœur. Des chimères menacent le ciel, des élans de clochers, des flèches, entrevus dans l’ombre, et les grandes arches des ponts là-bas, en amont, dans un décor poignant de nuages lourds, de lueurs perdues s’effilant jusqu’à disparaître. Oh ! pouvoir dire à ceux qui viendront plus tard comment fut Paris, comment furent les choses tant que je vécu, et quelle fut la tristesse des yeux qui le virent et la mélancolie qui se traîne dans une âme qu’ils n’auront point connue !
    Mon Dieu ! J’ai balancé d’espoir en espoir, j’ai cherché sans jamais trouver qui m’apaise, et il n’en est pas un qui ne m'ait fait souffrir, et aujourd'hui encore j’en ai la chair meurtrie. Alors, comme dimanche dernier en lisant Virgile, comme dimanche dernier sur le désespoir de Didon, ce soir, en regardant Paris s’éteindre et somnrer dans une nouvelle nuit, j’ai moi aussi sombré dans les larmes ».
    Tant de douceur profonde et tant de musique dans les mots…
     
    ANICET (suite). – À nos dix-huit ans Anicet le sauvage de Bovernier aimait que nous, petits citadins crânement allurés, nous l’emmenions loin de la trappe du samedi soir où se retrouvaient à tout coup les buveurs du coin se forçant à la cuite morne, nous trois mousquetaires de sac et de corde, avec Reynald, à grimper entre les Aiguilles dorées et les créneaux du Grépon, Anicet dernier de sa portée catholique de douze garçons et filles, le père planté avec son goître dans le recoin de la cuisine où vaquait la mère style mamma sarde ou sicilienne, Anicet enfin que j’ai retrouvé quarante ans plus tard, me racontant la mort de son fils en esacalade sur une falaise d’Espagne, et la vie qui continue avec l’autre fils, Anicet et moi nous rappelant l’autre fin tragique de notre ami Reynald un dimanche de 1985, au Dolent où j’aurais dû l’accompagner, et le fils de Reynald marqué à vie, mon filleul aimé diplômé de shiatsu qui s’occupe encore de mes vieilles osses - ah mon Anicet au patronyme qui le résume : un vrai Sarrasin…

  • À fleur de cœur

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    (Le Temps accordé, lectures du monde 2022)
     
    À l’Hôpital Parfait, ce vendredi 4 novembre, avant le départ. – La nuit dernière m’a paru très longue, ou plus exactement très lente, dans tout ce blanc cerné de silence, coupé par trois séquences d’éveil un peu désorienté et transpirant, après un film vu sur ARTE - l’une des rares chaînes avec la BBC à échapper à la médiocrité – évoquant, sous le titre de Pride, la solidarité inattendue mais intense, manifestée, à l’époque de Margaret Thatcher, par la naissante communauté LGBT et les mineurs gallois, avec des personnages forts en gueule et en couleurs.
     
    Par son approche des milieux populaires et marginaux, sa verve et son fonds de tendresse, les nuances de ses observations et son ancrage historico-social rendu sans complaisance mais non sans engagement généreux, j’ai d’abord cru à un film de Stephen Frears ou de Ken Loach, et le nom du réalisateur (Matthew Warchus) m’a échappé au générique final, mais la chose a sauvé ma fin de soirée sans livres et à zapper sur soixante chaînes en retombant à tout coup sur les développements hystériques de l’incident survenu à l’Assemblée nationale française où tel député RN a eu l’imbécilité d’interrompre le discours d’un de ses collègues noir en hurlant, à propos des bateaux chargés de migrants, qu’ « ils rentrent en Afrique », du moins est-ce ce qu’il prétend qu'il aurait voulu dire alors que le député pris à partie s’est estimé concerné personnellement (il a entendu « qu’il rentre en Afrique »), etc.
     
    Quoi qu’il en soit, et même si le racisme me semble à moi aussi une peste indéfendable, l’emballement médiatique de toute la soirée, sur les chaînes de la parlote à plateaux, m’a paru refléter la montée aux extrêmes de la France binaire avec ses démagogues de tous bords, et je me suis félicité une fois de plus de ne plus perdre mon temps à chercher mes informations à cette lucarne juste bonne à les déformer ou à les rendre informes…
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    Je ne sais si c’est l’effet d’une sénilité précoce (alors même qu’une médecin trentenaire m’a dit cet après-midi que vu mon jeune âge elle me recommandait de mieux prendre soin de ma santé...), mais je deviens de plus en plus émotif, pleurant réellement (de vraies larmes) comme l’autre soir sur le sort des quelque 150 jeunes Coréens écrasés par eux-mêmes dans un mouvement de panique de masse pour le motif le plus absurde (la célébration d’Halloween), ou vibrant d’émotion au moindre sourire ou mot gentil de soignants qui ne font en somme que leur job, mais c’est comme ça, je suis comme ça: j’ai l’air dehors d’un vieil hibou hirsute et j’ai toujours dedans le cœur d’un enfant de 7 ou 17 ans…

  • Morning routine

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    Par Quentin Mouron
     
    (Pour JLK)
     
    Le Léman gris où le
    ciel repose
    Palpite faiblement
    Comme un cœur
    ressuscité
    Ce matin
    Par le miracle clair
    De l’art de
    ton médecin
     
    Le brouillard
    se dissipe
    Le soleil revient
    L’infirmier sourit
    Il apporte le thé
    Sur ordre du médecin
    Et toute ta
    journée gémit
    de sa douloureuse
    Beauté
    Q.M.

  • À l'usine à soins

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    (Le Temps accordé, lectures du monde 2022)
     
    Ce jeudi 3 novembre, à l’hôpital régional de la Riviera Dolce, 5 heures du matin. - Ici l’on gère, sont les premiers mots qui me viennent dans la grande cellule aux parois blanches immaculées et sans le moindre ornement, avec lesquelles contraste le noir de la baie vitrée donnant sur la nuit, que j’occupe au deuxième niveau de l’immense établissement hospitalier ou j’ai été transporté l’autre soir en urgence, et dans la foulée me viennent ces autres mots : ici l’on gèle.
    Je précise que ce n’est pas une critique mais un constat relevant de la parfaite technique de surface régnant en ce lieu: ici l’on gère, l’on gèle et l’on s’abstient de critiquer.
    Ici tout est fait pour gérer la douleur, et ça commence par une première évaluation : vous nous rappelez votre date de naissance et vous évaluez votre douleur sur une échelle de 1 à 10, ensuite de quoi c’est nous qui gérons. Vous êtes le patient et vous allez gérer ça, donc patience.
    La dernière fois que je me suis pointé aux urgences de l’usine à soins, en septembre dernier, j’ai été traité dès mon arrivée selon le protocole, j’ai lâché ma date de naissance et les détails afférents (1947 , le 14 juin, même jour que Donald Trump et Che Guevara) à la préposée top compétente, sur quoi je suis devenu patient, une heure après j’avais été soumis à divers examens et sept heures plus tard un médecin pressé m’expliquait que j’avais bien géré l’alerte mais que celle-ci était sans conséquences au vu des analyses qui prennent toujours un putain de temps (il avait usé d’une formule plus appropriée) avant de m’indiquer la sortie - et j’avais géré mon départ en me les gelant à cette heure de la nuit, traversant l’immense labyrinthe de l’usine à soins absolument désert et silencieux comme dans Kafka que je te dis pas...
    Mais cette fois c’était plus sérieux : carrément l’infarctus, a-t-il été diagnostiqué par coronographie, dix-huit heures après mon admission aux urgences où j’avais réitéré mon gag Trump /Guevara, hélas c’est l’âge et faut gérer.
    C’est le frère de Lady L., cet affreux gauchiste ne voyant jamais que la moitié vide du verre, et me reprochant donc de ne voir toujours que la moitié pleine, qui a trouvé cette formule limite critique de l’usine à soins - le même frangin qui n’a pas eu le temps de gérer ses adieux, tombant seul d’une masse devant son lavabo, il y a vingt mois de ça, nous laissant dans une tristesse ingérable avant, trois mois plus tard, le diagnostic affreux signant la mort annoncée de ma bonne amie...
    A présent on approche des six heures en ce lendemain du jour des morts, une infirmière jolie comme un cœur vient de me piquer le doigt pour un TP qui correspond à mon retour aux anticoagulants, je lui ai souhaité douce nuit vu qu’elle avait fini son service, son gentil sourire m’a fait du bien au protocole et ne comptez plus sur moi pour déplorer la moitié du verre vide qui faisait râler Lady L. autant que son frère, l’usine à soins dépersonnalisée et sans trace de bibliothèque ou de piano (une putain de télé débile dans chaque chambre mais même pas un pianola!), la tortore limite caserne, la déco grave, mais c’est là qu’ils et elles ont géré ta survie, mon ange, avant qu’à ton tour t’ailles te les geler de l’autre côté...

  • La mort, ma mort...

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde 2022)
     
    À l’hosto, ce jeudi 3 novembre. – Après mon évocation quelque peu taquine de l’usine à soins, tôt ce matin, qui m’a valu pas mal de retours sur Facebook, je me retrouve dans ma chambre à 5 étoiles – alors que je n’ai même pas d’assurance privée…- de la division Fleurs, où le médecin compte me garder jusqu’à demain si mon état encore très flageolant n'en exige pas plus..
    Passé tout à l’heure à la boutique de l’établissement où j’espérais trouver le moindre livre, j’ai dû déchanter : tintin, rien que des magazines et autres journaux bas de gamme (style Closer ou Détective), avec la seule exception d’une revue de vulgarisation scientifique, intitulée La Recherche et toute consacrée au Réel, et deux livraisons du Courrier international traitant de la bombe démographique et de l’effervescence culturelle de la Corée du sud, laquelle m’intéresse particulièrement après ma découverte, ces derniers mois, d’une vingtaine de séries de qualité.
    Quant à l’approche du «Réel » par cette revue spécialisée dont le langage me semble immédiatement accessible, alors que je suis un ignare pitoyable en la matière, elle m’intéresse ces jours après la lecture de La Théorie des cordes, ce roman de José Carlos Somoza que m’a offert notre fille licenciées en lettres hispaniques, dont la partie dévolue aux recherches d’un groupe de physiciens sur la possibilité d’ « ouvrir les cordes du temps » et d’obtenir ainsi des images datant de millénaires, m’a passionné, avant que la narration ne se perde, m’a-t-il semblé, dans l’embrouillamini d’une intrigue à base complotiste accumulant crimes et suicides...
     
    Même sans avoir le livre sous la main, j’ai esquissé hier soir, après une minute à subir à la télé l’effrayante présence de Cyril Hanouna, parangon de la basse vulgarité et de la crétinerie, une prochaine chronique sur BPLT du superbe roman de Giuliano da Empoli intitulé Le Mage du Kremlin et qui vient d’être couronné par l’Académie française (dame Carrère d’Encausse doit y être pour quelque chose), dont j’ai longuement parlé au téléphone avec mon ami Nicolas le Greco en lui disant que, plus qu’un livre « sur Poutine », il s’agit là d’une vaste projection des visions futuristes de Zamiatine, Orwell et Witkiewicz, très riche en observations sur l’évolution actuelle de nos sociétés capitalistico-communistes (Zinoviev me disait que la société de consommation lui apparaissait comme une forme particulièrement perverse de soft collectivisme), avec un dénouement qui assimile pour ainsi dire les oligarchies parvenues du post-soviétisme et de la Silicon Valley…
     
    Tout à l’heure je suis retombé, en consutant mon historique de Messenger, à l’époque d e mon premier infarctus (mi-décembre 2019) sur un message de Roland Jaccard qui se disait « fasciné » par mon « reportage en immersion hospitalière », évoquant en outre nos téléphones quasi quotidiens, avec Pierre-Guillaume, qui lui donnait ainsi de mes nouvelles – deux amis repris depuis lors par celle que Lady L. appelait la « Dame en noir »...
     
    Ce qui me rappelle aussitôt les mots de Thierry Vernet dans ses carnets à lui : « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement »...
     
    Aquarelle: Thierry Vernet, Conversation nocturne.

  • Panique pour rien

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    (Notes d’hosto, 2)
     
    Nullement disposé de nature à la panique ou à l’affolement (enfant j’étais le petit rêveur à sa fenêtre, qu’un rapport scolaire de sa huitième année disait nonchalant, voire indolent), je n’en ai pas moins été perturbé à outrance, ce dernier dimanche soir, après avoir bu un verre autorisé de Brunello, quand une subite sensation d’oppression m’empêchant quasi de respirer , accompagnée d’une pulsation soudaine accélérée et de vertiges quand je me suis levé de la table où je consignais mes notes de lecture sur Le Mage du Kremlin, m’ont effectivement saisi du besoin d’appeler au secours l’une ou l’autre de nos filles, mais c’est sans paniquer psychiquemnt - je m’observais et me préparais à telle ou telle décision avec lucidité -, sans me laisser aller à l’agitation imbécile qui s’emparait de mon corps , certes excédé par l’impossibilité d’appeler à l’aide (mon phone étant resté dans la voiture, à trois cents pas plus bas que notre nid d’aigle de La Désirade) mais l’esprit clair décidant de faire ça et ça, rejoindre la tire sans oublier la loupiote, appeler Sophie qui m’ordonnerait sûrement d’alerter le 144, et ma voisine Maritou, contactée entre-temps par notre infante aînée, m’attendait là-bas quand j’ai exposé ma situation au veilleur de la centrale des médecins - une autre voix que le jour de mon premier infarctus, après quoi toute effet de panique s’est effacé avec la présence des ambulanciers et de la jeune médecin tout rutilants de compétence dans leurs uniformes et leurs gestes appropriés..
    En ses derniers jours, Lady L m’a dit qu’elle avait l’impression que son corps glissait hors d’elle , à croire qu’elle n’était plus qu’esprit, souffle et même sourire, pauvres mains amaigries par la putain de maladie, bon regard douloureux mais si vivant - bref j’ai attendu, depuis mon arrivée aux urgences, plus de quinze heures et ce lundi soir, après la coronographie révélant une détérioration effectivement dangereuse d’un vaisseau obstrué a 99 o/o, un quart d’heure de manipulation de haut vol, avec vue à l’écran de mon araignée cardiaque traversée par les infimes tubulures réparatrices - pour l’installation du sixième ou septième stent dont ma carcasse est désormais appareillée dans sa mutation robotique, etc.
    Ainsi donc, sans avoir vraiment paniqué, j’aurai laissé la main invisible d’un bon instinct me conduire aux mains de l’habile colosse réalisant à vue ce prodige curatif...
    Ce même soir cependant, soulagé dans mon pieu médicalisé , je me suis retrouvé au bord des larmes en voyant défiler les images de la tragédie absurde survenue à Séoul où plus de 15o de nos frères humains, pour la plupart des jeunes, ont été broyés dans le chaos d’une panique de masse liée à la célébration de la fête la plus idiote, la plus vide de sens et la plus hideuse par sa mascarade qu’ait répandue au monde la sous-culture américaine - cet Halloween que je vomis en pleurant ses victimes...

  • Juste l'impensable

     
    (Le Temps accordé, Lectures du monde 2022)
     
    À l’Hôpital régional de la Dolce Riviera et environs, ce 2 novembre 2022. - Il m’a fallu revenir en catastrophe aux urgences de cet hosto, copy cat de l’épisode marqué par un premier clash cardiaque, en décembre 2019, pour commencer vraiment à réaliser ce qu’aura vécu Lady L., d’une façon tellement plus violente, dès le diagnostic terrifiant d’un angiosarcome du cœur à la fois rarissime et inguérissable, et durant les huit mois qu’elle nous est restée après qu’on lui en eut concédé deux ou trois ... A la fin , Les oncologues du CHUV l’appellaient leur petit miracle, lequel avait commencé avec une opération à cœur ouvert de huit heures qu’un jeune médecin qui y avait assisté m’a décrite comme juste incroyable...
    En rémission d’un cancer en somme périphérique de la glande masculine, après 55 séances d’accélérateur linéaire, je crois entrevoir ce qui distingue cette atteinte du Crabe de celle qui s’en prend au cerveau ou au cœur, par delà les symboles que représentent ceux-là.
    Une chose est un accident cardiaque, bien autre chose un cancer du cœur, à la fois impensable et difficilement imaginable. Or je la voyais toute désolée et presque s’excusant, seule confrontée vraiment à ce qui se passait au cœur de son corps, avant l’opération, et ensuite dans la diffusion sournoise des métastases. La très intelligente Susan Sontag, que j’ai rencontrée une année avant sa mort, s’est efforcée de mettre en mots cette maladie, comme d’autres ont essayé de dire le sida, mais ce qu’aura réellement vécu ma bonne amie ou la merveilleuse épouse de Dimitri victime d’une tumeur au cerveau, qui pourrait le penser ou même l’imaginer ?
    Les religions diverses ont tout un arsenal de formules visant à affronter ou exorciser ces ratés les plus manifestes de l’admirable Création, comme à la naissance des enfants malformés, sirenomèles ou nains à tête d’oiseaux. Mais dire, imaginer seulement la réalité ressentie et vécue par les victimes de la négligence ou de l’injustice de celui qu’on appelle Tout Puissant ou Très Miséricordieux?
    Pas une fois cependant Lady L. n’a maudit la vie ni quoi ou qui que ce fût, identifiant juste son mal sous la figure de La Bête, et parlant avec une sorte de politesse tranquille de la Dame en noir...
    Dorloté par les soignants de l’hosto où tout est fait pour acclimater toute forme de douleur - je revois ma bonne amie estimer la sienne sur une échelle de 10 après avoir rappelé sa date de naissance pour la énième fois sur le chemin de son calvaire en refusant la morphine offerte - je n’ai plus que les murs blancs qui m’entourent pour esquisser les figures de l’angoisse non dite, de la terreur ravalée, de la rage et du désespoir retenus par quelle pudeur, sur quoi tu fermes les yeux et tu pries si ça te chante, ou tu chantes juste faute de penser, comme elle aimait t’entendre ...
     
    (Suit un air déchirant amorcé par les mots « Lucevan le stelle »...)

  • Merci l'hosto

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde 2022)
     
    À l’hôpital,ce mardi 1er novembre 2022.- Me réveillant tout à l’heure sans savoir où je me trouvais, dans ce lit trop étroit et cette odeur a la fois inhabituelle et vaguement révulsante mais avec quelque chose de paisible et de même rassurant , et ensuite ces cathéters plantés dans mes deux bras, ces fils à électrodes devant et derrière, au plafond gris cette énorme potence articulée et cet appareil évoquant un module spatial suspendu à un rail traversant tout le même plafond, la nuit à la grande baie vitrée, un chapelet de gouttes lumineuses signifiant une probable pluie nocturne (ressouvenir du dernier ciel d’hier soir nuageux à couvert) et la foison de petites lumières au-delà du parking de l’hôpital, vers les zones industrielles et le lac et les pentes boisées à la -brésilienne encore fondues au noir de la nuit - tout ça m’a suggéré cette première pensée matinale que j’aura plutôt aimé l’hôpital, depuis mon premier séjour de petit opéré de l’appendicite, l’année des réfugiés hongrois, en tout cas apprécié l’expérience de l’hôpital, comme j’ai aimé et apprécié l’expérience de la caserne et de l’uniforme, jusqu’au procès que m’a fait l’armée pour refus de grader.
     
    Je dirais plus précisément ce matin: comme une tendresse, sans m’opposer au rejet de l’hôpital qui animait Lady L, et sans doute en voyant l’hôpital comme un moment exceptionnel de la vie, comme hors du temps et plus près des gens, même un peu désagréables comme certaines infirmières à vrai dire assez rares, ou quelques infirmiers encore plus rares mais vraiment cons, dans un rapport à la fois plus fragile et presque intime marqué par un certain abandon et pas mal de confiance aussi. Plus de vérité humaine souvent, en bien d’ailleurs comme en moins bien, personne ne l’ayant mieux dit que notre ami Tchekhov.
     
    Chose sûre ce matin: j’ai survécu de justessse à un deuxième infarctus, comme je le redoutais dans ma panique soudaine de dimanche soir, en attendant l’ambulance, et plutôt serein après l’intervention d’hier et la pose d’un stent coronarien de plus , installé avec maestria par un colosse d’origine bulgare fier de son accent vaudois, trapu et massif comme un de nos lutteurs à la culotte et les mains toutes fines, très attentionné dans ses explications - et ce matin tout roule ma poule, enfin comme qui dirait...

  • Lectures du monde

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    (Notes d’hosto, 3)
     
    Le Temps accordé sera le septième volume de mes Lectures du monde, amorcées par L’Ambassade du papillon il y aplus de vingt ans de ça et suivi des Passion partagées, des Chemins de traverse, de Riches heures, de L’échappée libre et de Mémoire vive (encore inédit) représentant autant d’éléments à la fois intimes et extimes d'une chronique dont je pressens que le septième sera le dernier - chacun des livres ayant été dédié à ma bonne amie dont les derniers mots, le 13 décembre 2021, furent adressés à sa petite aînée approchant de la quarantaine : « Mami veut dormir... »
     
    Or me retrouvant ce soir dans une chambre cinq étoiles de l’hôpital régional que son frère gauchiste appelait l’usine à soins et où nous nous sommes accompagnés plusieurs fois, j’ai vu le soleil disparaître tout à l’heure derrière le Grammont dont elle nous a laissé quelques peintures et les mots qu’elle avait élus pour tenir bon durant ses derniers mois arrachés a la mort annoncée me reviennent : sérénité et reconnaissance.
     
    Lady L ne croyait pas à la résurrection au sens de la théologie dogmatique ( elle l’avait répondu crânement à Georges Haldas qui la sondait à ce propos d’un ton presque inquisiteur), elle ne croyait pas plus que moi à la divinité du Rabbi Ieshouah, mais son attention aux autres et notamment aux nombreux jeunes migrants qu’elle avait la charge d’instruire en notre langue, après avoir enseigné la grammaire et la poésie en ses premières petites classes, et plus généralement son attitude avec tous, ouverte et généreuse, jamais idéologique même en ses quelques années de sympathisante des causes africaines, sa méfiance fondée envers les églises et les sectes (sa mère orpheline avait été dégoûtée par les sœurs catholiques néerlandaises), notre refus d’un mariage religieux, la totale liberté laissée à nos filles et ses vœux pour une cérémonie d’adieu dont je serais l’officiant - tout cela faisait d’elle un bonne personne dont la présence nous éclaire encore et c’est ainsi qu’avec nos filles nous avons conçu cette cérémonie de lumière au lendemain de sa mort.
     
    Je ne regarde plus la télé depuis des années, sauf à l’hôtel ou à l’hôpital, et je m’en suis félicité une fois de plus hier en zappant sur une soixantaine de chaînes dont la futilité, la platitude, la vacuité des programmes m’a semblé pire que jamais , à quelques exceptions documentaires près - où ce merveilleux Requiem de Mozart rescapé du festival de Salzbourg - mon seul intérêt se concentrant sur la réalité plus gravement affligeante des tragédies ukrainienne et coréenne.
    D’où mon bonheur ensuite après la visite de notre fille aimée et de son bon ami de me plonger dans un roman de leur choix procédant lui aussi d’une vraie lecture du monde, signé Somoza et intitulé La Théorie des cordes, mêlant énigme criminelle et superbes développements para scientifiques dans le domaine de la physique quantique - retour donc à la vraie réalité en ses ombres et lumières...