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    À propos d'une polémique relancée par Michel Onfray, de l'admirable film The Dig de Simon Stone, et de deux enfants du siècle à venir...
     
    Ce dimanche 31 janvier. – Me réveillant beaucoup trop tard ce matin (10 heures, shame on you !), je relève, sur Messenger, un mot gentil de l’ami Quentin qui me propose de « partager » un texte de Michel Onfray à propos de la pandémie, qu’il me dit « pertinent », et comme ni lui ni moi ne sommes des adulateurs aveugles du « philosophe national » de la France plus ou moins profonde, j’y vais voir illico en commençant par lire les commentaires de la meute, plus que jamais divisée par l’esprit binaire de nos chers voisins de palier; après quoi je lis l’entier de l’écrit de l’Onfray, qui m’impressionne en effet par son argumentation détaillée et sa défense de la notion de fraternité, assez à l’opposé de sa crânerie « libertaire » habituelle. Ce qu’il dit en appelle en somme à ce que Peter Sloterdijk a déjà appelé de ses vœux dans ses multiples éloges de la « collaboration » entre frères humains – au dam évidemment des « collabos » et autres idiots utiles -, et sa façon de déculotter ses confrères intellectuels (Comte-Sponville, BHL, Beigbeder et Nicolas Bedos, notamment) prônant plus ou moins la sélection naturelle et le seul cluster des « catégories à risques », m’a paru recevable même si je sens là-dessous un relent de querelle d’influenceurs médiatiques.
    « Affaire française », me dis-je aussi en estimant que les Helvètes s’en sont un peu mieux tirés dans leur gestion du chaos, et surtout avec moins de justifications idéologico-politiques stériles. L’exemple de Quentin, participant à la Protection civile non sans égrener ses proses acides, m’en semble d’ailleurs une preuve sympathique – mais voilà que le mignon se fait porter pâle, j’espère sans occurrence virale...
    Sur quoi voici débarquer nos petits garçons pour un frichti dominical sans masques mais non sans précautions…
     
    DE LA POÉSIE. – Resongeant à ce que j’ai lu jusque-là de Michel Onfray, je me dis qu’en dépit de son très grand savoir et de sa belle intelligence polémique, ce brasseur et classeur d’idées remarquable manque de deux qualités pour me convaincre à tout coup, et c’est la fibre poétique et la sensibilité fine à la langue , qui ferait de lui un véritable écrivain, et le sens de l’humour qui lui permettrait, par delà la tendance tellement française à exclure en fonction des critères binaires me semblant dépassés, au lieu d’inclure comme en étaient capables Rabelais et Montaigne, Molière et Victor Hugo dont le Shakespeare est le dernier mot en la matière…
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    LE TRÉSOR. – C’est à l’un des plus beaux livres du monde, à savoir L’Île au trésor, que me fait penser The Dig qui raconte, avec une sorte de candeur rarissime aujourd’hui, une quête analogue associant quelques personnages de tous les âges et aux motivations variées, qu’il s’agisse des deux protagonistes (l’archéologue amateur Brown et la riche veuve elle aussi passionnée en la matière qui l’engage à creuser sur son domaine privé où elle pressent que des vestiges historique intéressants sont enterrés), le petit garçon de celle-ci aux curiosités inter-galactiques bien de son âge, l’archéologue attitré du British Museum, une paire de jeunes gens qui se trouvent en participant aux recherches, notamment.
    Tous ces personnages sont admirablement dessinés, autant dans le registre « taiseux » que par le dialogue, et la poésie des images (le magnifique travail du chef op) se trouve immédiatement en phase, comme chez Stevenson, avec la triple métaphore de la recherche du trésor perdu (un bateau enfoui sur les hauteurs du fleuve, daté bientôt de l’époque des Anglo-saxons et battant en brèche l’hypothèse locale des Vikings), du sens affectif et métaphysique de la vie personnelle de chacun des personnages et enfin des destinée liées à la communauté humaine puisque l’histoire (histoire vraie, mais le poème sublime le documentaire) se passe dans les premiers jours de la Seconde Guerre mondiale, laquelle risque d’effacer une fois de plus les traces singulières de nos frères humains.
    Est-ce un chef d’œuvre du 7e art que ce film infiniment délicat, aux interprètes aussi inspirés que sa scénariste et son réalisateur ou son imagier ? Je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, en l’occurrence, comme je l’ai éprouvé toute proportions gardées -, en découvrant Retour du printemps et première neige de Germinal Roaux, c’est de me trouver dans la plus-que-présence de ce qu’on appelle l’Art, ou la Poésie à l’état pur, dont la compréhension apparie chez Simon Stone un enfant et une femme en butte à une maladie mortelle, deux vieux fous passionnés et deux jeunes gens amoureux, sous le signe précisément de ce qu’on appelle l’amour…
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    TONY ET TIM. - Enfin ce bonheur paisiblement turbulent de Midi, avec nos petits lascars d’un et trois ans. Tim ne prononçant encore que quelques mots, alors que sa langue-gestes s’affirme autant que son caractère, je demande à Tony de répéter le mot difficile d’héautontimorouménos, sur lequel il trébuche un peu avant de répondre sans hésiter à sa mère qui l’interroge sur la signification du mot magma : « mélange de gaz et de roches brisées », et voilà pour nos deux volcans à domicile en période de très aléatoire confinement…

  • Reconnaissance à la Qualité

     
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    Sur les bienfaits de la clémence illustrés dans les drames historiques de Shakespeare, la tendance néfaste au dénigrement de tout ce qui se fait aujourd’hui, et la découverte d’un très beau film de Simon Stone intitulé The Dig, à voir absolument sur Netflix.
     
    La Maison bleue, ce samedi 30 janvier. - Il faisait moche et mouillé ce matin et je croyais que nous étions dimanche, après un rêve de vertigineuse désescalade sur une arête où je me trouvais encombré d’un vieux vélo couleur pruneau, sur quoi je me suis rappelé que ce samedi notre fille aînée et son julot viendraient nous rendre visite avec de quoi nous régaler selon les normes nouvelles (hamburgers végétariens et tourte aux poires) et fixer les nouveaux rideaux de notre pièce commune en échangeant les dernières nouvelles de nos fronts variés; et ce furent de belles et bonnes heures entre filles et garçons aimants et discrets, à la distance requise par le Gouvernement mais sans masques...
     
    LA BEAUTÉ DU PARDON. - J’avais vu, déjà, la version du dernier des drames historiques de Shakespeare, consacré au règne d’Henry VIIII et finalement baigné par la lumière d’une certaine rédemption, avec la naissance de la petite Elizabeth, après les très sombres scènes qui opposent la reine répudiée et le redoutable cardinal Wolsey, mais à la revoir ces jours, alors que je lis parallèlement les pages de René Girard sur Shakespeare, cette pièce me touche plus profondément que jamais par le rôle qu’y jouent les médiateurs de bonté et de réconciliation.
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    Les deux scènes de terrible affrontement, qu’on pourrait dire entre l’honnêteté et le cynisme, la droiture et la cautèle opportuniste, la bonne foi et la ruse, oppposant d'abord la reine Catherine et le cardinal Wolsey, puis l’archevêque de Cantorbéry et les prélats ligués contre lui, ne se bornent pas à la lutte du Bien et du Mal mais s’inscrivent dans une dynamique sociale et personnelle qui fait des uns des faucons lancés contre les colombes, sans que celle-ci ne soient forcément toutes pures.
    Le dernier mot n’est pas à la conclusion moralisante mais au geste d’apaisement que Peter Brook illustre, maints exemples à l'appui, dans son très remarquable commentaire shakespearien de La Qualité du pardon (Seuil, 2014).
     
    NOS RAISONS D’ESPÉRER. - J’ai argumenté longuement au téléphone, ce matin avec Patrick V. qui s’est occupé de mon dernier livre paru à L’Âge d’Homme et partage visiblement mon sentiment, pour m’opposer à ceux-là qui, concluant à la décadence voire à la nullité de tout ce qui se fait aujourd’hui, tirent l’échelle derrière eux comme l’a fait un Godard en déclarant le cinéma mort et enterré, un Buache dans sa foulée, un Régis Debray se lamentant dans ses catacombes, un Claude Frochaux prétendant que la culture occidentale a lancé ses derniers feux dans les années 60, ou un Dimitri brûlant ses vaisseaux à sa façon sans souci de rien transmettre que le fabuleux héritage de son catalogue, enjoignant tout le monde de « continuer » mais avec une sorte de Schadenfreude désabusée peu encourageante à vrai dire.
    Or sans rien ignorer de tout qui se défait autour de nous, et jusqu'au sacrifice justifié ou non des derniers liens sociaux, je parie néanmoins pour le renouveau et trouve plus de raisons de me réjouir malgré tout que de gémir - d'ailleurs tant hier qu'aujourd'hui j'ai fait de vraies découvertes, comme à peu près tous les jours...
     
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    LE NAVIRE DU TEMPS. – Ainsi ce midi, un peu au hasard, au moment d’enfourcher mon vélo de chambre pour accomplir mes dix bornes quotidiennes non sans visionner un film ou une série par la même occasion, j’ai commencé de regarder The Dig, du réalisateur australien (né à Bâle en 1984) Simon Stone, dont la densité des images et du récit, et plus immédiatement encore la beauté des cadrages et des plans, la fluidité de la narration et la profondeur croissante de l’approche des protagonistes m’ont saisi au point que je n’ai plus pu m’en détacher par delà les 35 minutes ordinaires de mon exercice.
    Là encore on peut me dire que Netflix est une grande machine à déréguler les lois du marché du cinéma et à détourner le public des salles, mais celles-ci sont fermées et je « fais avec » et ne vais pas me priver de la découverte d’un ouvrage qui rompt absolument avec tous les standards de la consommation alimentée par la plateforme en question. Or je compte bien y revenir en détaillant les qualités rares de ce troisième long métrage du Bâlois...
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    L’époque est aux extases convenues à répétition, mais pourquoi ne pas se réjouir immédiatement de l’accueil très favorable, finement argumenté et traduisant la même émotion chez les critiques que chez les spectateurs. Non, décidément, tout n’est pas à jeter ou à rejeter de ce qui se fait aujourd’hui, et je parie pour ce qui se fera demain.

  • Chroniques des temps présents

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    À propos de la paranoïa ambiante et des moyens de la dépasser. Divers exemples à l'appui entre grêlons et pluies limpides.
     
    Ce vendredi 29 janvier. – Un poème à la logique folle me vient ce matin en deux temps trois mouvements tandis qu’il tonne et que se déverse soudain une pluie de grêlons sur les palmiers et le lac.
    Dans la foulée, Lady L. m’apprend qu’un cluster de contamination a été décelé dans l’immeuble voisin de l’école internationale d’hôtellerie majoritairement fréquentée par de jeunes Chinois qui m’adressent tous les soirs des sourires de connivence, à vrai dire destinés au fox Snoopy, quand j’en croise des grappes ou des groupes au cours de notre rituelle balade. La logique folle étant bien celle-ci : que des Chinois de provenance probable de Singapour ou de Taïwan, soient contaminés quoique jeunes, ou l’inverse, par des adultes responsables de l’Administration de leur école longtemps fermée les mois derniers et réouverte on ne sait trop pourquoi – à vrai dire l’incertitude règne et voici mes contrerimes :
     
    Malicieux logiciens
     
    (Pour Fabrice P., majordome au CNRS)
     
    Au vrai le mal imaginaire
    faussement dénié
    par certains experts achetés
    et leurs commissionnaires,
    ne s’était répandu de fait,
    au dam des lois anciennes,
    que par des ingénus
    ne sachant rien des recettes.
    Au lobby concerné
    du palace aux drapeaux en berne,
    certains des préposés
    conseillèrent l’usage de clefs
    aussitôt décrié
    par ceux-là de l’autre partie
    qu’on aura dite adverse,
    mais sans autre preuve établie.
    La certitude étant malade,
    on ne la nourrit plus
    que de maigres salades,
    on la sevra de jus,
    on lui mit des menottes
    après lui avoir interdit
    tout voyage au piano,
    toute forme d’écrit,
    au mépris de tout allegro.
    Le mal qui sans l’être l’était
    par la faute des banquises,
    ou des lémures, ou des athées
    et autres yeux bridés,
    ne fut oublié qu’à la fin
    de ce temps suspendu
    à un fil si blanc et ténu
    que jamais on ne sut
    si vraiment il avait disparu...
     
    FÉE ET SORCIÈRE. – Je me suis attelé hier à la lecture de L’Amérique, de Joan Didion, après avoir vu, sur Netflix, le documentaire à la fois passionnant et émouvant que lui a consacré son neveu Griffin Dunne, enrichi de très nombreux documents d’archives et vibrant aussi de la présence de la vieille dame très émaciée, au faciès de musaraigne ridée. J’avais lu, il y a quelques années, son poignant récit de deuil, que j’ai repris l’autre soir sur Kindle, et je crois avoir lu aussi, mais en surface, sans qu’il ne m’en soit rien resté, ses essais des années 60-80, mais y revenir en même temps que je lis Samedi d’Ian McEwan me semble aujourd’hui d’un tout autre intérêt, en phase avec mes réflexions personnelles sur mon roman en chantier.
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    Personnel : c’est le mot-clef relatif à la position intérieure de Joan Didion par rapport à sa génération, mais aussi en ce qui concerne celle-ci par rapport aux générations précédentes, qui ont vécu la guerre, et suivantes, un peu perdues et titubant entre drogue et politique, fugues et culture alternative. Joan, née en 1934, se sent proche des « enfants » nés dix ou quinze ans plus tard, qu’elle se garde de juger mais qu’elle observe avec des yeux dénués de la complaisance convenue avec laquelle les journalistes ordinaires de l’époque parlaient des hippies ou de l’underground, notamment. Or je me suis trouvé, entre 1966 et 1973, à peu près dans la même situation, vivant comme les gens de mon âge mais incapable de m’identifier aux discours de ma génération, parfois même taxé de « vieux » ou de « réactionnaire » à vingt-cinq ans…
    Joan Didion, sans jamais user des concepts ou des termes courants dans la gauche radicale de l’époque, pratique une observation intuitive qui va plus loin et plus profond dans la perception du malaise américain (ou occidental) d’époque, toujours valable aujourd’hui à ce qu’il me semble. Il y a chez elle un réalisme aussi incisif que celui d’une Patricia Highsmith, de dix ans son aînée, ou d’une Alice Munro dans une autre configuration sociale. Trois exemples, soit dit en passant, qui tranchent violemment avec les journalistes et autres femmes de lettres françaises, si souvent coupées de la réalité avec leurs besicles freudo-marxisantes et leurs bas bleus…
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    SHAKESPEARE & CO. – Les théâtres sont fermés mais pas pour tout le monde, me disais-je la nuit passée en visionnant et annotant la dernière des 37 pièces du Good Will enregistrées par la BBC, dans laquelle figure la bouleversante confrontation d’une femme de bonne foi en voie de répudiation par son roi de mari, Henri VIII plus précisément, et d’un prélat félon cristallisant tous les vices de cupidité et d’hypocrisie, de cruauté machiavélique et de bassesse sous ses dehors de suave servilité, à quoi le redoutable Timothy West au faciès de boucher à grimaces prête son immense talent aussi imposant dans l’abjection glorieuse que dans le retournement final du proscrit repenti, prodiguant alors ses conseils de modération à Cromwell ; et Claire Bloom en Catherine d’Aragon est à la lumière ce qu’il est aux ténèbres.
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    AVEC LES MOYENS DU BORD. - Comme le fait Germinal Roaux avec son téléphone portable, Quentin Mouron multiplie les notations quotidiennes dans les espèces de croquis-nouvelles qu’il balance par courriel ou sur Facebook, et j’y vois le meilleur exercice qu’on puise faire à l’heure qu’il est pour pallier la paranoïa ambiante et dépasser la procrastination gémissante, comme d’autres l’ont fait en Iran ou en Corée du nord, il y a pas mal d’années déjà, au titre du témoignage plus ou moins sauvage en terrain surveillé, ou comme Alain Cavalier en filmeur attaché lui aussi à enrichir le « journal de bord de l’humanité » en lequel John Cowper Powys voyait l’une des justifications de la littérature et des arts. Tout cela relève d’une nouvelle pratique que je dirais presque «de guerre», et Germinal, autant qu’Alain Cavalier, ou Quentin à sa façon, prouvent que les objets qui en procèdent peuvent relever d’un nouvel art…

  • Solitudes

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    Sur le nouveau court métrage de Germinal Roaux, Première neige, en temps suspendu. De cet hiver fertile...
     
    Ce jeudi 28 janvier. – Il y d’abord, dans les intenses murmures d’un vent froid, ce qu’on dira un pèlerin à cause de sa pèlerine sur le fond blanc et gris ou noir d’un austère paysage un peu lunaire de pierriers et de rochers dans lequel apparaît une espèce de sévère bâtisse rectangulaire dont une petite croix sur sa barrière d’entrée indique que c’est peut-être un refuge hospitalier ou un sanctuaire, et c’est donc comme dans un refuge que le pèlerin pénètre pour trouver à l’intérieur une sorte de silence blanc – ainsi commence Première neige, le dernier court métrage que Germinal Roaux a réalisé avec son seul téléphone portable à l’hospice du Simplon, une année après y avoir tourné Fortuna en compagnie d’une jeune Erythréenne et de Bruno Ganz auquel il dédie ce nouvel ouvrage qu’il m’a envoyé hier soir en m’évoquant la solitude douce ou dure vécue par les gens en ces temps de pandémie.
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    D’UNE ENCRE PURE. – L’écriture de Germinal n’a jamais été aussi épurée, telle qu’elle l’était déjà dans Icebergs à l’évocation d’une banlieue de béton sans rivière, mais ici, avec plus de vif, le noir et blanc cisèle la glace et la pierre, et comme on est au cinéma cela chuinte et bruisse et roule comme le vent en houle et plus tard cela craquera dans le lac gelé dont les strates d’eau plus ou moins dures par effet de froid se heurteront comme des plaques tectoniques aux lignes de faille, avec de sidérantes détonations.
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    Puis il neige des diamants dans le carré noir de la fenêtre de pierre, et ce que m’écrivait Germinal hier sur Messinger de la solitude qu’il est allé chercher là-haut me fait soudain me rappeler le nom qu’on donne au diamant taillé pour éblouir tout accessoirement les plus élégantes enchères: le Solitaire.
     
    AU PLUS SIMPLE. – J’écris à Germinal que la glace qui tonne dans le blanc du lac cerné de noir, tandis que ses trois moines esseulés prient et chantent chacun pour soi en invoquant « le Seul », me rappelle les observations de cet autre fou de Dieu qu’était Teilhard à genoux dans le sable des déserts chinois à gratter la poussière des vanités, remarquant qu’à certains moments de la croûte terrestre semblaient émaner des flammèches - oui la terre flambait aux yeux très ouverts de ce cinglé en quête de très vieux os et autres anses de tasse de thé d’empereurs oubliés.
    Sur quoi je reviens au plus simple d’Une poignée de sable (*) où je lis au hasard aussi précisément choisi qu’un plan de cette Première neige inspirée par quelle maladie de vivre : « À l’épave de bois étendue au pied de la dune / regardant tout autour/ je me mets à parler »…
    Enfin en moins d’un quart d’heure, à la lumière de la fenêtre donnant sur le ciel gris et le lac blanc, je consigne ce matin ces quelques contrerimes que je dédie à Germinal :
     
    Devant le Seul
    Ce n’est pas une goutte de sang
    sur la robe du soir,
    ce n’est pas l’orbe d’un ciboire
    à la marge du temps;
    nul besoin de s’agenouiller:
    suffit de faire silence
    quand plus rien ne se voit que ça,
    sans qu’on sache pourquoi,
    ni quoi dire, ni comment
    dans l'inexistence du vent -
    ce que c’est n’a pas d’importance.
     
    (*) Ishikawa Takuboku, Une poignée de sable. Philippe Picquier, 2016.

  • Les faits et la fiction

     
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    À propos d'un film signé Andy Blubaugh, intitulé Dans ma chambre et traitant d'amours illicites et des façons d'en parler, d'un roman-pamphlet de Quentin Mouron et du grand art de Ian McEwan...
     
    Ce mercredi 27 janvier. - En même temps que je regardais hier soir un film passablement inaccompli dans sa forme - faute de moyens -, mais passionnant par sa thématique, je pensais au roman réellement exceptionnel dans lequel j'allais me replonger ensuite en me disant une fois de plus que tout communique - en l’occurrence : le making of du film d'un certain Andy, prof dans la trentaine enseignant le cinéma à un groupe d’ados et projetant de raconter la relation illicite qu’il a entretenu à seize ans avec un trentenaire devenu son mentor ; et, pour le roman de Ian McEwan, le récit d’un samedi terrible rappelant Orange mécanique dans sa partie la plus dramatique.
    Avec la question qui s’impose de plus en plus aujourd’hui : comment distinguer les faits bruts et leur interprétation par la fiction, comment rétablir la hiérarchie qualitative entre photomaton et portrait d’artiste, reportage et roman, confession brute et littérature ?
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    MOREL LE MUFLE.- L’ami Quentin Mouron a abordé le thème dans son troisième roman, également inaccompli à mes yeux, faute de bouteille, mais très intéressant, intitulé La Combustion humaine (Olivier Morattel, 2014) et posant la question du point de vue d’un éditeur aussi exigeant qu’irascible : quand y a-t-il littérature ?
    Aux yeux de ce Morel mal embouché qui méprise à peu près tous les auteurs qu’il publie, sauf un énergumène genre Artaud local, il n’y a vraiment littérature que selon son goût furieusement sélectif qui rappelle celui des jugements sommaires selon lesquels il n’y aurait que Proust ou que Duras, que le Nouveau Roman ou que Charles Bukowski, etc.
    Bref, il y’a chez cet intempestif vitupérant à juste titre le nivellement des critères de qualité vers le bas, une tendance non moins fâcheuse à les niveler par le haut en niant la prodigieuse variété de la littérature - ce qui fait d’ailleurs de ce petit livre hâtif un pamphlet de jeune impatient plus qu’un roman.
    Du moins Quentin l’a-t-il fait, et c’était une façon pour lui d’avancer, même en boitant, ce qui vaut mieux que de rester trop prudemment sur place comme trop de jeunes littérateurs timorés.
    Par la suite, en obsédé textuel pugnace et un peu folâtre, à la fois régulier et irrégulier, sérieux dans ses lectures et ses réflexions tout en gesticulant sur les estrades et les réseaux sociaux, Quentin a multiplié les expériences sans cesser de capter et de réfracter la réalité complexe du nouveau monde avec des écrits où il y a parfois littérature et parfois pas , faisant feu de tout bois comme on le voit dans ses écrits récents et préparant en somme quelque chose que je crois important: disons pompeusement la littérature à venir...
     
    LES DILEMMES D’ANDY .- Le prénommé Andy, autour de ses seize ans, a entretenu quelque temps des rapports intimes avec un certain Peter, son aîné âgé de trente ans, et voici qu’à ce même âge, devenu prof et n’ayant plus vu Peter depuis plus d’une décennie, il entreprend, avec quelques amis plus ou moins amateurs, de tourner un film sur ce sujet alors qu’un scandale vient d’éclater à Portland (Oregon) dont le maire a fait état publiquement du même genre de relation en battant sa couple devant son Conseil et les médias réunis.
    Or le projet d’Andy, qui ne vise pas à la dénonciation de Peter mais au récit honnête d’une liaison consentie, n’excluant pas pour autant un rapport de domination, est-il plus justifié que celui, quand il était lycéen, de raconter ce qu’il vivait avec Peter dans une composition scolaire ?
    La question se pose à lui dans la mesure où, dans son cours de cinéma, il a charge d’adolescents avec lesquels il exclut toute relation ambiguë, et aussi du fait qu’il recherche l’assentiment de Peter avec lequel il a plus ou moins renoué.
    Exposer sans accuser est-il concevable en pareil cas ? C’est de ça que discute le film en question : thématique combien actuelle, et abordée en multipliant les points de vue, où la réalisation du film en train de se faire, à très peu de moyens, devient le film lui-même au gré de plusieurs mises en abyme révélatrices.
    La chose, quoique bien fragile dans sa réalisation, a le double intérêt d’un reportage tissé de vues éclairantes et d’un essai de fiction à valeur probable, pour le réalisateur Andy Blubaugh, d’exercice et d’exorcisme ; en tout cas, c’est le genre de courts ou moyens métrages ici et là remarquables qu’on trouve dans l’immense panier-foutoir de la nébuleuse Youtube, sous le titre de Dans la chambre, que j’aurai dégoté tout par hasard hier soir et regardé jusqu'au bout…
     
    LA QUESTION DU « DEGREE ». – S’il est vrai que tout n’est pas comparable, au dam du tout-égalitaire qui voudrait qu’un tag mural fût jugé selon les mêmes critères qu’une fresque de la Renaissance, j’aime assez, pour ma part, les mises en rapport sans préjugés « élitaires » qui nous permettent, par exemple, d’examiner tranquillement les qualités respectives d’une série télé ou d’un chef-d’œuvre de cinéma, quitte à trouver ici et là plus d’intérêt dans un ouvrage déclaré « mineur » que dans tel «must » du moment, et c’est vrai de la littérature comme des arts visuels ou des diverses musiques.
    Ceci dit, l’évaluation de ce que Shakespeare appelait le «degree», (dans Troïlus et Cressida, Ulysse s’en explique plus précisément), à savoir le degré de qualité possiblement reconnu par le sens commun, reste fondamental pour éviter la dilution de tout et n’importe quoi dans les formules vagues revenant à dire que « tous les goûts sont dans la nature»...
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    En commençant de lire Samedi de Ian Mc Ewan, j’ai tout de suite senti que j’avais affaire à une chose sérieuse, et plus j’avançais dans ma lecture plus cette conviction s’étoffait au point qu’hier soir, atteignant le chapitre où la minutieuse approche de tous les protagonistes, avec les incidents avant-coureurs qui ont ponctué la journée (un avion en feu dans le ciel nocturne de Londres, puis un accrochage de voitures dans une rue interdite à la circulation pour cause de manifestation de masse), aboutit soudain à l’apogée d’une crise où tout est mis à nu, au propre et au figuré socialement symbolique opposant celui qui n’a rien ou en est persuadé et ceux qui ont tout comme il le croit.
    En termes de « degree », je dirais alors que ce roman hausse le niveau d’intelligence du monde et d’empathie humaine à un point bien rare par les temps qui courent, mais il faudrait détailler cette appréciation et ce serait, après le plaisir de la lecture, la meilleure façon de le prolonger en y ajoutant la satisfaction du partage

  • En plein chaordre

     
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    Du désordre régnant et de nos façons de l’interpréter. Que l’ordre de la nature appelle des cantiques autant qu’un nouveau regard à clin d’œil quantique…
     
    La Maison bleue, ce mardi 26 janvier.- Si je voulais être exact, je parlerais de la maison blanche, ou plus précisément de la maison style fin XIXe au crépi blanc cassé à bordures de gris tendre dont les stores des quatre étages sont cependant d’un beau bleu balnéaire qui me rappelle les cabines de bain de la plage de Balbec, devant le Grand Hôtel d’une des fenêtres duquel le jeune Marcel zyeutait les jeunes filles en fleur dont certains prétendent sans fantaisie que c’étaient des garçons, comme d’autres ne comprendraient pas que je parlasse de maison bleue pour cet immeuble blanc bordant la Grand-Rue, à la hauteur du marché couvert de la ville de M. dans lequel nous créchons momentanément. Or je me rends compte à l’instant que ce besoin de mise au point procède directement du désordre ambiant…
     
    PRESCRIPTIONS.- Tombées en cascade hasardeuses des hauteurs de l’Autorité sanitaire plus ou moins autoproclamée, les interdictions frappant ces temps commerces divers et clients finiront par énerver ceux-ci et ceux-là dont la patience, proportionnée à une prudence sans doute justifiée, pourrait un de ces quatre virer à la désobéissance civile – j’en viens pour ma part à l’espérer dans l'esprit du philosophe dans les bois dont l'anarchisme protestait précisément contre le désordre établi.
    Or je notai, hier, en parcourant telle grande surface puis en longeant telle rue, que dans les rayons de celle-là la culotte et la brosse à dents étaient en accès libre tandis que le linge éponge se trouvait proscrit, et que les jouets d’enfants restaient absolument interdits à la vente alors que les lunettes de lecture ou de plongée étaient autorisées ; puis au kiosque voisin je constatai que les journaux et revues feuilletés par mille mains restaient accessibles au contraire des livres aussi prohibés en ce lieu que dans les libraires d’ailleurs fermées.
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    Et qui avait décidé cela ? Qui avait trouvé sanitairement juste d’autoriser l’entraînement des nageurs de 5 à 7 ans mais de l’interdire aux 8 à 88 ans ? Quelle andouille de fonctionnaire avait décidé que les enfants des garderies seraient punis par le Gouvernement s’ils chantaient dans tel canton de la Confédération et autorisés dans tels autres ?
     
    L’ORDRE DE BABEL ? – En me baladant cette nuit par les rues de Séoul en compagnie de deux jeunes amis musiciens, puis en les accompagnant sur le toit en jardin d’une maison de bois d'un quartier plutôt modeste, non sans admirer la vue sur les buildings absolument immodestes du centre d’affaires, je me rappelai aussi que nos deux petits-fils, à peine âgés d’un et trois ans, ont déjà « fait » le Cambodge et la Thaïlande, donc entendu la musique particulière des langues parlées dans ces pays, sans les comprendre mieux que je ne le pouvais de la conversation de mes deux amis virtuels, musiciens de leur état et parlant de leur passion en des termes que seuls les sous-titres du film que je regardais me permettaient de saisir et de partager réellement puisque nos trois entités sensibles reliées par Netflix ressentaient à peu près la même chose de ce qu’on appelle la musique - or la musique échappe aux raisons de la statistique...
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    Une heure auparavant, toujours via Netflix, je me trouvais à Malibu, en pleines années 70, dans la maison surplombant l’océan de la journaliste et romancière Joan Didion, apparaissant ensuite en reportage au Salvador, selon elle « terrifiant », puis dans les couloirs de je ne sais quel hôpital new yorkais où venait d’être transporté son cher John foudroyé cette nuit-là par une crise cardiaque probablement liée à l’hospitalisation récente de leur fille Quintana, laquelle ne se remettrait pas non plus de sa maladie aux symptômes assez semblables à ceux du coronavirus…
    Sur quoi j'ai repris la lecture (sur Kindle cette fois) du très beau récit de la même Joan Didion (L'année de la pensée magique) consacré à son deuil, où elle s'efforce de retrouver l'ordre de la bonne vie dans le chaos de sa douleur. Et si ce chaos apparent n’était qu’un aspect de l’Ordre cosmique ? me dis-je à présent.
     
    QUELLE CONSPIRATION ? – « Nous ne somme pas désespérés », écrivait cet homme très sage que fut Charles du Bos, « nous sommes dans la perplexité », et c’est ce que je répétais ce matin à Lady L. en lui proposant de rapporter l’idée d’un complot aux pouvoirs abusifs du monde entier, hors de toute concertation entre de fantasmatiques « états profonds » mais bel et bien conformés à l’enrichissement privé et à l’abrutissement public des masses.
    Pour ma part je n’ai qu’à tourner la tête vers L. pour constater que l’ordre des campanules dans la lumière du matin, l’ordre des sourires d’enfants préservés du malheur, l’ordre musculaire accordé au galop de cheval déconstruit par Leonardo sur ses dessins de dissections, pareil à l’ordre tourbillonnaire des cascades et à celui du sourire serein de la Joconde, ressortissent à une certaine harmonie échappant de plus en plus à tous les discours jusques et y compris à celui de la critique d’art se croyant branchée, comme le Marché a détruit l’ordre de celui-là.
    Oui, la culture actuelle est un lamentables désordre, mais l'ordre nouveau se conformera aux mouvements de l'Univers et la vieille notion de progrès linéaire devra cesser de freiner nos curiosités...
    S’il y a conspiration, tout désordre dénué de style en est le signe, et ça nous concerne avant tout le reste. Par conséquent voyons les choses comme elles sont, sous le microscope ou à la longue- vue, et préparons-nous surtout à changer nos façons de voir et d’interpréter ce que nous voyons, soyons stylés et gentils, etc.

  • Miel de tout

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    À propos de la poésie d’Amarcord, d’un diagnostic-éclair de neurochirurgien et de la ressaisie d’une réalité complète échappant aux simplifications idéologiques…
     
    Ce lundi 24 janvier.- La neige de ce matin, sur la pelouse publique visible de nos fenêtres, où jouaient un jeune homme et son petit chien noir, entre les palmiers bien découpés sur fond blanc et les eaux gris vert étales du lac, m’a rappelé la fin du plus purement poétique des films de Federico Fellini, qui finit comme il commence avec les aigrettes du retour du printemps, après le plan silencieux et magique du paon faisant la roue et les derniers cris et chuchotements, joyeuses fanfares et folles vrilles d’accordéon narquoisement nostalgique saluant la départ de la Gradisca avec son carabiniere d’opérette..
     
    GÉNIE POPULAIRE. - Quel poète contemporain, ou plus précisément quel poète de cinéma a poussé, plus haut et loin sous le chapiteau céleste du cirque mondial, le méli-mélo cénesthésique à ce point de fusion et d’effusion lyrique ?
    Je revois ce film pour la 27e fois (25 fois au Colisée ou j’étais placeur a quinze seize ans et la 26e à Venise sur fond de rumeur de manifs dans les années 70), mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il me semble tout voir (ou presque) et tout entendre de ce prodigieux concert mnésique rebrassant souvenirs de jadis et naguère ou de tout à l’heure, sensations primaires et réfractions affectives secondaires, bribes de chroniques et confidences sur l’oreiller, ragots de coiffeuses et pics d’humour shakespearien comme quand la nonne naine vient débusquer le zio dingo sur l’arbre du haut duquel il n’en finit pas de s’exclamer « voglio una donna ! »
    Je me rappelle l’embarras d’un Freddy Buache, notre maître ès cinéphilie au dogmatisme frisant parfois le stalinisme intellectuel, quand il s'agissait de dégager le « message » de Fellini ou de reconnaître, malgré ses réticences idéologiques (est-il de gauche ou de droite ?) , le génie tout populaire du Maestro, montreur de marionnettes sociales évidemment plus débonnaire que l’esthète marxisant Luchino Visconti.
    Quant à moi je m’en foutais, appréciant Rocco et ses frères ou Senso avec la même candeur enthousiaste que je revoyais Amarcord ou les Vitelloni, regimbant en revanche devant l’intellectualisme psychanalisant de Juliette des esprits.
    Mais les tendres engueulades du père de Titto vitupérant Miranda et son sacripant de fils, l’humiliation du même Aurelio contraint ensuite par les fascistes d’avaler de l’huile de ricin au motif qu’il aurait tenu des propos séditieux – son beau-frère l’avait peut-être mouchardé -, la Gradisca dans les escaliers du casino où son père l’envoie séduire le prince pour arranger ses propres affaires, les garçons tourniquant autour de la Volpina, le passage du Rex, sublime paquebot figurant la fierté du Régime, devant le peuple flottant dans ses petites embarcations à l’attente en pleine nuit, tout ce bric et ce broc de brocante onirique déconstruit à partir du récit initial et recomposé à 24 images/seconde, échappe complètement à l’idéologie politique pour dire la vie de la cité et des gens, etc.
     
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    LA CRITIQUE EN BERNE. – Là-dessus c’est toujours avec tendresse que je me rappelle le vieux Freddy au premier rang des salles où nous avons vu tant de films ensemble en visions de presse, son dogmatisme n’étant que de surface et d’époque alors que sa compétence était d’un vrai connaisseur sensible et d’un pionnier militant de ciné-club dont nos même écoles ont profité des lumières.
    Lui-même assez piètre poète, sentait la poésie cinématographique d’un Daniel Schmid ou du dernier Godard (il avait conspué le premier…), d’un Bresson ou d’un John Ford, d’un Bergman ou d’un Polanski, de son ami Bunuel et de tant d’autres malgré les préjugés qui le faisaient rejeter un Melville ou tel réalisateur israélien (souvenir de Locarno) qui avait le tort de ne pas épouser la cause palestinienne, etc.
    Mais jamais Buache n’a donné dans ce qu’est devenu la critique cinématographique (ou littéraire) actuelle, à savoir la servante du succès de tendance et du lucre publicitaire aux formules creuses, de la mode et de la bien pensance de tous bords sous le verni de la pédanterie plus ou moins frottée de spécialisme. Plus une patte, plus un fou, plus un idiot inutile qui aime les belles et bonnes choses et le dise avec feu et finesse !
     
    DE LA COMPÉTENCE. – L’examen quotidien du désastre des expressions, notamment par l'Internet nous ouvrant d’innombrables fenêtre sur le vide (mon effarement candide à la vision des huit épisodes débiles de L’Empire du bling, en même temps que je découvrais hier le beau film intelligent et très documenté consacré à l’essayiste et romancière Joan Didion), n’entame pas du tout, chez moi, la reconnaissance du talent et des compétences.
     
    Je me le disais une fois de plus hier soir en poursuivant la lecture du remarquable Samedi de Ian McEwan, dont le récit, comme chez le meilleur Fellini d’Amarcord ou d’Otto e mezzo, fait tout avancer en même temps : l’affectif et le scientifique, la météo et le sexe, les humeurs conjugales ou familiales et la politique internationale, un neurochirurgien qui pense à la vie qu’il mène dans la Mercedes censée le conduire à sa partie de squash dans une rue interdite à la circulation pour cause de manifestation monstre, la soudaine flèche rouge d’une voiture percutant la sienne et le début de bagarre avec trois jeunes arrogants dont le plus agressif montre les signes hyper-nerveux (à l’oeil du spécialiste) d’une maladie dégénérative en voie d’aggravation, le basculement soudain de la relation entre ces quatre mecs et la vie qui continue - tout cela raconté dans la fluidité parfaite d’une ressaisie de la réalité la plus complexe ou plus exactement : la plus complète…