Sur les bienfaits de la clémence illustrés dans les drames historiques de Shakespeare, la tendance néfaste au dénigrement de tout ce qui se fait aujourd’hui, et la découverte d’un très beau film de Simon Stone intitulé The Dig, à voir absolument sur Netflix.
La Maison bleue, ce samedi 30 janvier. - Il faisait moche et mouillé ce matin et je croyais que nous étions dimanche, après un rêve de vertigineuse désescalade sur une arête où je me trouvais encombré d’un vieux vélo couleur pruneau, sur quoi je me suis rappelé que ce samedi notre fille aînée et son julot viendraient nous rendre visite avec de quoi nous régaler selon les normes nouvelles (hamburgers végétariens et tourte aux poires) et fixer les nouveaux rideaux de notre pièce commune en échangeant les dernières nouvelles de nos fronts variés; et ce furent de belles et bonnes heures entre filles et garçons aimants et discrets, à la distance requise par le Gouvernement mais sans masques...
LA BEAUTÉ DU PARDON. - J’avais vu, déjà, la version du dernier des drames historiques de Shakespeare, consacré au règne d’Henry VIIII et finalement baigné par la lumière d’une certaine rédemption, avec la naissance de la petite Elizabeth, après les très sombres scènes qui opposent la reine répudiée et le redoutable cardinal Wolsey, mais à la revoir ces jours, alors que je lis parallèlement les pages de René Girard sur Shakespeare, cette pièce me touche plus profondément que jamais par le rôle qu’y jouent les médiateurs de bonté et de réconciliation.
Les deux scènes de terrible affrontement, qu’on pourrait dire entre l’honnêteté et le cynisme, la droiture et la cautèle opportuniste, la bonne foi et la ruse, oppposant d'abord la reine Catherine et le cardinal Wolsey, puis l’archevêque de Cantorbéry et les prélats ligués contre lui, ne se bornent pas à la lutte du Bien et du Mal mais s’inscrivent dans une dynamique sociale et personnelle qui fait des uns des faucons lancés contre les colombes, sans que celle-ci ne soient forcément toutes pures.
Le dernier mot n’est pas à la conclusion moralisante mais au geste d’apaisement que Peter Brook illustre, maints exemples à l'appui, dans son très remarquable commentaire shakespearien de La Qualité du pardon (Seuil, 2014).
NOS RAISONS D’ESPÉRER. - J’ai argumenté longuement au téléphone, ce matin avec Patrick V. qui s’est occupé de mon dernier livre paru à L’Âge d’Homme et partage visiblement mon sentiment, pour m’opposer à ceux-là qui, concluant à la décadence voire à la nullité de tout ce qui se fait aujourd’hui, tirent l’échelle derrière eux comme l’a fait un Godard en déclarant le cinéma mort et enterré, un Buache dans sa foulée, un Régis Debray se lamentant dans ses catacombes, un Claude Frochaux prétendant que la culture occidentale a lancé ses derniers feux dans les années 60, ou un Dimitri brûlant ses vaisseaux à sa façon sans souci de rien transmettre que le fabuleux héritage de son catalogue, enjoignant tout le monde de « continuer » mais avec une sorte de Schadenfreude désabusée peu encourageante à vrai dire.
Or sans rien ignorer de tout qui se défait autour de nous, et jusqu'au sacrifice justifié ou non des derniers liens sociaux, je parie néanmoins pour le renouveau et trouve plus de raisons de me réjouir malgré tout que de gémir - d'ailleurs tant hier qu'aujourd'hui j'ai fait de vraies découvertes, comme à peu près tous les jours...
LE NAVIRE DU TEMPS. – Ainsi ce midi, un peu au hasard, au moment d’enfourcher mon vélo de chambre pour accomplir mes dix bornes quotidiennes non sans visionner un film ou une série par la même occasion, j’ai commencé de regarder The Dig, du réalisateur australien (né à Bâle en 1984) Simon Stone, dont la densité des images et du récit, et plus immédiatement encore la beauté des cadrages et des plans, la fluidité de la narration et la profondeur croissante de l’approche des protagonistes m’ont saisi au point que je n’ai plus pu m’en détacher par delà les 35 minutes ordinaires de mon exercice.
Là encore on peut me dire que Netflix est une grande machine à déréguler les lois du marché du cinéma et à détourner le public des salles, mais celles-ci sont fermées et je « fais avec » et ne vais pas me priver de la découverte d’un ouvrage qui rompt absolument avec tous les standards de la consommation alimentée par la plateforme en question. Or je compte bien y revenir en détaillant les qualités rares de ce troisième long métrage du Bâlois...
L’époque est aux extases convenues à répétition, mais pourquoi ne pas se réjouir immédiatement de l’accueil très favorable, finement argumenté et traduisant la même émotion chez les critiques que chez les spectateurs. Non, décidément, tout n’est pas à jeter ou à rejeter de ce qui se fait aujourd’hui, et je parie pour ce qui se fera demain.