À propos d'un film signé Andy Blubaugh, intitulé Dans ma chambre et traitant d'amours illicites et des façons d'en parler, d'un roman-pamphlet de Quentin Mouron et du grand art de Ian McEwan...
Ce mercredi 27 janvier. - En même temps que je regardais hier soir un film passablement inaccompli dans sa forme - faute de moyens -, mais passionnant par sa thématique, je pensais au roman réellement exceptionnel dans lequel j'allais me replonger ensuite en me disant une fois de plus que tout communique - en l’occurrence : le making of du film d'un certain Andy, prof dans la trentaine enseignant le cinéma à un groupe d’ados et projetant de raconter la relation illicite qu’il a entretenu à seize ans avec un trentenaire devenu son mentor ; et, pour le roman de Ian McEwan, le récit d’un samedi terrible rappelant Orange mécanique dans sa partie la plus dramatique.
Avec la question qui s’impose de plus en plus aujourd’hui : comment distinguer les faits bruts et leur interprétation par la fiction, comment rétablir la hiérarchie qualitative entre photomaton et portrait d’artiste, reportage et roman, confession brute et littérature ?
MOREL LE MUFLE.- L’ami Quentin Mouron a abordé le thème dans son troisième roman, également inaccompli à mes yeux, faute de bouteille, mais très intéressant, intitulé La Combustion humaine (Olivier Morattel, 2014) et posant la question du point de vue d’un éditeur aussi exigeant qu’irascible : quand y a-t-il littérature ?
Aux yeux de ce Morel mal embouché qui méprise à peu près tous les auteurs qu’il publie, sauf un énergumène genre Artaud local, il n’y a vraiment littérature que selon son goût furieusement sélectif qui rappelle celui des jugements sommaires selon lesquels il n’y aurait que Proust ou que Duras, que le Nouveau Roman ou que Charles Bukowski, etc.
Bref, il y’a chez cet intempestif vitupérant à juste titre le nivellement des critères de qualité vers le bas, une tendance non moins fâcheuse à les niveler par le haut en niant la prodigieuse variété de la littérature - ce qui fait d’ailleurs de ce petit livre hâtif un pamphlet de jeune impatient plus qu’un roman.
Du moins Quentin l’a-t-il fait, et c’était une façon pour lui d’avancer, même en boitant, ce qui vaut mieux que de rester trop prudemment sur place comme trop de jeunes littérateurs timorés.
Par la suite, en obsédé textuel pugnace et un peu folâtre, à la fois régulier et irrégulier, sérieux dans ses lectures et ses réflexions tout en gesticulant sur les estrades et les réseaux sociaux, Quentin a multiplié les expériences sans cesser de capter et de réfracter la réalité complexe du nouveau monde avec des écrits où il y a parfois littérature et parfois pas , faisant feu de tout bois comme on le voit dans ses écrits récents et préparant en somme quelque chose que je crois important: disons pompeusement la littérature à venir...
LES DILEMMES D’ANDY .- Le prénommé Andy, autour de ses seize ans, a entretenu quelque temps des rapports intimes avec un certain Peter, son aîné âgé de trente ans, et voici qu’à ce même âge, devenu prof et n’ayant plus vu Peter depuis plus d’une décennie, il entreprend, avec quelques amis plus ou moins amateurs, de tourner un film sur ce sujet alors qu’un scandale vient d’éclater à Portland (Oregon) dont le maire a fait état publiquement du même genre de relation en battant sa couple devant son Conseil et les médias réunis.
Or le projet d’Andy, qui ne vise pas à la dénonciation de Peter mais au récit honnête d’une liaison consentie, n’excluant pas pour autant un rapport de domination, est-il plus justifié que celui, quand il était lycéen, de raconter ce qu’il vivait avec Peter dans une composition scolaire ?
La question se pose à lui dans la mesure où, dans son cours de cinéma, il a charge d’adolescents avec lesquels il exclut toute relation ambiguë, et aussi du fait qu’il recherche l’assentiment de Peter avec lequel il a plus ou moins renoué.
Exposer sans accuser est-il concevable en pareil cas ? C’est de ça que discute le film en question : thématique combien actuelle, et abordée en multipliant les points de vue, où la réalisation du film en train de se faire, à très peu de moyens, devient le film lui-même au gré de plusieurs mises en abyme révélatrices.
La chose, quoique bien fragile dans sa réalisation, a le double intérêt d’un reportage tissé de vues éclairantes et d’un essai de fiction à valeur probable, pour le réalisateur Andy Blubaugh, d’exercice et d’exorcisme ; en tout cas, c’est le genre de courts ou moyens métrages ici et là remarquables qu’on trouve dans l’immense panier-foutoir de la nébuleuse Youtube, sous le titre de Dans la chambre, que j’aurai dégoté tout par hasard hier soir et regardé jusqu'au bout…
LA QUESTION DU « DEGREE ». – S’il est vrai que tout n’est pas comparable, au dam du tout-égalitaire qui voudrait qu’un tag mural fût jugé selon les mêmes critères qu’une fresque de la Renaissance, j’aime assez, pour ma part, les mises en rapport sans préjugés « élitaires » qui nous permettent, par exemple, d’examiner tranquillement les qualités respectives d’une série télé ou d’un chef-d’œuvre de cinéma, quitte à trouver ici et là plus d’intérêt dans un ouvrage déclaré « mineur » que dans tel «must » du moment, et c’est vrai de la littérature comme des arts visuels ou des diverses musiques.
Ceci dit, l’évaluation de ce que Shakespeare appelait le «degree», (dans Troïlus et Cressida, Ulysse s’en explique plus précisément), à savoir le degré de qualité possiblement reconnu par le sens commun, reste fondamental pour éviter la dilution de tout et n’importe quoi dans les formules vagues revenant à dire que « tous les goûts sont dans la nature»...
En commençant de lire Samedi de Ian Mc Ewan, j’ai tout de suite senti que j’avais affaire à une chose sérieuse, et plus j’avançais dans ma lecture plus cette conviction s’étoffait au point qu’hier soir, atteignant le chapitre où la minutieuse approche de tous les protagonistes, avec les incidents avant-coureurs qui ont ponctué la journée (un avion en feu dans le ciel nocturne de Londres, puis un accrochage de voitures dans une rue interdite à la circulation pour cause de manifestation de masse), aboutit soudain à l’apogée d’une crise où tout est mis à nu, au propre et au figuré socialement symbolique opposant celui qui n’a rien ou en est persuadé et ceux qui ont tout comme il le croit.
En termes de « degree », je dirais alors que ce roman hausse le niveau d’intelligence du monde et d’empathie humaine à un point bien rare par les temps qui courent, mais il faudrait détailler cette appréciation et ce serait, après le plaisir de la lecture, la meilleure façon de le prolonger en y ajoutant la satisfaction du partage