À propos des thèses "optimistes malgré tout" de Rutger Bregman...
Prenant le contrepied du catastrophisme en vogue, entre autres raisons de désespérer entretenues par la gauche perdante et la droite arrogante, Rutger Bregman parie pour les utopies réalistes en affirmant que l’humanité vaut mieux que ce qu’on croit…
Le constat remonte à la plus haute Antiquité, pour le dire à la façon débonnaire de l’excellent Alexandre Vialatte: il y a ceux qui se lamentent devant le verre à moitié vide, et ceux que réjouit au contraire le verre à moitié plein. Et après ?
Cette question de l’après s’est posée dès le début de la pandémie, mais l’auteur de best-sellers locaux Nicolas Feuz, procureur au civil comme chacune et chacun sait, n’a pas attendu la troisième vague pour brosser le tableau le plus noir dans son dystopique Calendrier de l’après, évoquant une Suisse romande d’après quelque hiver nucléaire (on pense à La Route de Cormac McCarthy en encore plus pire, la poésie métaphysqiue et la qualité littéraire en moins), où l’humaine engeance s’est trouvée réduite à deux petits milliards à dominante féminine, survivant en deux clans mortellement opposés: les biens-pensants soumis à la gouvernance et les inutiles voués au rebut et à l’extermination par le cube à gaz; et plus rien qui ne fonctionne après l’extinction des médias et du fuel, sauf les drones et les pistolets immobilisateurs pour sauver un brin d’action. Passons sur le détail décidément improbable de cette fable pour ados et public douillet en quête de frissons, pour se demander quand même, si tant est qu’il y croie une seconde, ce que veut dire notre cher procureur neuchâtelois, à vrai dire mieux inspiré quand il traitait des réalités criminelles que son métier lui a fait observer de près que dans ce roman vite fait sur le gaz ? Que la cata est irrémédiable ? Que la dictature sanitaire a gagné ? Que la peur seule peut nous ouvrir les yeux ? Qu’un couple idéal à la love story remastérisé peut nous servir de modèle ?
Et si l’humanité était moins foncièrement mauvaise ?
Dans son dernier livre, qui relève de la plus belle synthèse d’investigation, l’historien-journaliste et essayiste néerlandais défend la thèse – il faudrait plutôt dire le sentiment dominant, fondé sur des constats étayés, que l’homme n’est un loup pour l’homme que dans certaine circonstances, et que la fameuse théorie du verni de culture recouvrant à peine une créature naturellement féroce relève plus de l’idéologie que de la réalité. En homme de bonne volonté pragmatique plus qu’en idéologue, assez proche en cela de l’historien israélien Yuval Noah Harari, qui lui a d’ailleurs rendu le plus vif hommage. À l’opposé de toute une tradition spirituelle ou philosophique fondée sur le péché originel, la chute ou la défiance de principe, le voici multiplier les exemples de fausses preuves du naturel foncièrement féroce de notre espèce, à partir de célébrissimes faits imaginls ou observés.
Ainsi prend-il le contrepied de la fable ultra-pessimiste du roman de William Golding, Sa majesté des mouches, où l’on voit un groupe d’adolescents anglais de bonne éducation retomber dans la barbarie après s’être retrouvés seuls sur une île, en citant plusieurs situations concrètes comparables qui ont abouti à des résultats beaucoup plus nuancés voire opposés.
De la même façon, à propos d’expériences faisant longtemps autorité en matière de psychologie sociale, comme le test fameux de Stanley Milgram et de sa machine à électrochocs visant à prouver qu’un bourreau sommeille en chacun de nous, Bregman a enquêté et conclut là encore à l’interprétation abusive, voire malhonnête.
À la question de savoir pourquoi des gens “bien” agissent mal, qu’une Hannah Aredt avait abordée à sa façon à propos du peuple allemand, Bregman apporte de nouvelles explications, s’agissant de la guerre à la guerre, selon lesquelles la plupart des soldats de la Wehrmacht n’agissaient pas par sadisme boche caractérisé mais par esprit de camaraderie, ou rappelant cette observation d’un colonel américain qui découvrit que la plupart de ses hommes ne tiraient pas quand ils le pouvaient, ou que seul l’usage à haute dose de drogues a “aidé” de braves jeunes gens à se transformer en brutes sanguinaires, à Oradour-sur Glâne ou au Vietnam. Et de citer Rousseau, souvent moqué pour son “idéalisme” romantique, qui faisait preuve de plus de réalisme que ses détracteurs en considérant l’invention de l’agriculture comme le moment où les cueilleurs-chasseurs, menant une vie plutôt détendue à en croire les archéologues, furent chassé de leur Eden terrestre ainsi que le raconte la Genèse biblique en son mythe originel de la Chute.
Un nouveau réalisme basé sur la confiance
L’optimisme de Rutger Bregman a cela de particulier qu’il se fonde sur un réalisme rompant avec les “assises du désirable” typiques de Mai 68, marquées par les slogans des gauchistes prenant leurs aspirations pour des réalités, avant de déchanter et de déprimer, alors que son réalisme s’oppose aussi à celui d’une droite invoquant aveuglément les Lois du marché
Donc la confiance , me disais-je en repensant au livre de Rutger Bregman parlant pratique avant toute théorie, sous le titre d’Utopies réalistes, serait la clef du pacte humain, la confiance en l’ingéniosité et la bienveillance humaines, mais assortie à la prudence (en cas de risques d’avalanches , gamin, tu fais gaffe) et au respect mutuel fondant la relation humaine , etc.
Je ne sais pas si Rutger Bregman , moins « idéaliste » que les idéologiques gauchistes de bonne volonté à la manière de mon ami Jean Ziegler ou de Noam Chomsky et de la très verte Naomi Klein, a raison de faire confiance en ses semblables en se posant, notamment , en champion du revenu de base universel, multipliant les exemples d’applications réussies de celui-ci, mais ce que je sais est que son propos, clair et captivant, fait du bien, non du tout en dorant la pilule mais en exposant des faits têtus, intéressants et encourageants, à l’opposé de tant de jérémiades et de rancœurs stériles qui nous asphyxient par les temps qui courent.
Rutger Bregman, Humanité ; une histoire optimiste. Seuil, 2020.
Utopies réalistes, pour en finir avec la pauvreté. Seuil, 2017, réédité en Points seuil.