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Proust en zoulou

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On lit d’abord ceci en langue zoulou : « Kwaphela isikhathi eside ngaya embhedeni ekuseni. Ngezinye izikhathi ikhandlela lami lalingacimi, amelho ami avaliwe masinyane kangangokuthi ngangingekho isikhathi sokuthi, « Ngilele »…

Ce qui donne en français numérique littéral, via la traduction que chacune et chacun obtiendra sur son ordi perso: « Pendant longtemps, je me suis couché le matin. Parfois ma bougie n’était pas éteinte, mes yeux étaient si rapides que je n’avais pas le temps de dire: « Je dors »…

Chacune et chacun sursaute alors, se rappelant évidemment la première phrase de la première page la plus célèbre de la littérature romanesque française donc mondiale : «Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : «Je m’endors. »

Ce qui donne en allemand via la traduction numérique : « Lange ging ich früh zu Bett. Manchmal ging meine Kerze kaum aus, meine Augen schlossen sich so schnell, dass ich keine Zeit hatte zu sagen : « Ich schlafe ein ».

Ce que chacune et chacun, recourant à son ordi perso, pourra lire en version nettement différente de la traduction du zoulou : « Longtemps je me suis couché tôt. Parfois, ma bougie s’éteignait à peine, les yeux fermés si vite que je n’avais le temps de dire : « Je m’endors ».

Après cela, vous qui êtes Polonais et avez appris, par vos aïeux, que la traduction en votre langue de la Recherche du temps perdu par Tadeusz Boy -Zelenski était bonnement plus lisible que l’originale de Marcel Proust, vous découvrez la version Internet de la fameuse première phrase devenue : « Je me suis couché tôt pendant longtemps. Parfois ma bougie était presque éteinte, les yeux fermés si vite que je n’ai pas le temps de dire : « Je me suis endormi », version à vrai dire fidèle à l’original polonais de la même version numérique : « Prez dlugi czas wczesnie kladlem sie spac », etc.

L’exercice vous amuse-t-il ou vous paraît-il vain, voire sacrilège ? Pour vous amuser, Ricardo Bloch l’a répété 50 fois dans son recueil intitulé À la recherche du texte perdu, reproduisant la première page du Du côté de chez Swann sur le premier rabat de couverture qui permet à chaque fois au lecteur (et à la lectrice si elle n'est pas en train de tricoter) de pouffer ou de froncer le sourcil, selon l’humeur.

Et comment ne pas éclater de rire en lisant la traduction du texte « sacré » en pachto : «Pendant longtemps je vais au temps. Parfois, lorsque mon chiffre est très proche de l’heure à laquelle je n’ai pas dit l’heure, je me suis endormi et au bout d’une demi-heure, j’ai cru avoir le temps de dormir; j’aimerais manger »…

Et si tout cela était « pour ton bien, mon vieux Proust ?», suggère Daniel Pennac dans sa préface au recueil, au nom des « zéditeurs zavisés », ajoutant pertinemment, au ressouvenir d’un certain péché originel commis par Gide : « En optant pour les plus récents logiciels automatiques de traduction nous avons eu à cœur de vous préserver des aléas de l’interprétation personnelle propre à trop de traducteurs ».

Dans la foulée, l’on découvrira que la traduction de la Recherche en serbo-croate accuse le coup de la séparation récente des deux langues, puisque le Croate numérique dit : « Je suis allé au lit il y a longtemps », alors que le Serbe féminise la donne : « Je suis restée longtemps au lit »…

Enfin l’on constate que le Kurde brille par l’ellipse (« Ca fait longtemps. Souvent mes yeux étaient devenus si rapides que je ne parlais pas ».), le Cingalais par son réalisme (« Il y a longtemps, j’ai dormi dans mon lit »), le Birman par sa bifurcation érotique (« pendant longtemps, je suis allé à elle ») et enfin le Laotien par sa façon de viser certains lecteurs de la Recherche : « Pendant longtemps, j’ai dû dormir au début »…

Richard Bloch. À la recherche du texte perdu, Marcel Proust, Du côté de chez Swann, page 1. Préface de Daniel Pennac. Editions Philippe Rey, 109p. 2020.

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