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Onfray dans le marigot

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Chroniques de La Désirade (6)


À propos d’un entretien paru dans L’Obs où le penseur “libertaire” explique (notamment) pourquoi il ne vote plus. De la prétendue conspiration aboutissant à l’élection d’Emmanuel Macron, et de l’optimisme malgré-tout du contempteur d’un peu tous.


Philosophe ou bateleur médiatique ? Vulgarisateur pléthorique de talent ou faiseur mégalo ? Empêcheur de penser en rond ou démagogue ? Éclaireur d’une pensée refondée à venir ou rétameur de vieilles marmites anarchisantes ?

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Telles sont les questions que, depuis quelques années, l’on peut se poser à la lecture des écrits faibles de style mais foisonnant de savoir érudit et de vues parfois originales, de plus en plus nombreux (sa bibliographie dépasse les 90 titres !) et de plus en plus ambitieux, dans leur visée universaliste, voire totalisante, de l’intellectuel français le plus médiatisé par les temps qui courent, dont les interventions sur les plateaux de télé ou dans les médias donnent l’image d’un péremptoire touche-à-tout se prononçant sur à peu près n’importe quoi.

En couverture de L’Obs de cette semaine, l’ancien prof de philo à visage poupin apparaît plein pot avec le titre tonitruant : Onfray l’imprécateur. Ah bon ? La France aurait-t-elle trouvé son nouveau Céline anarchisant ? Son Léon Bloy décapé des ors catholiques ? Son Laurent Tailhade ou son Paul-Louis Courrier new look ?
Hélas, le moins qu’on puisse dire est que l’entretien de cinq pages qui correspond à l’accroche en Une, avec pour sous-titre « la tentation complotiste », donne plus l’impression d’une suite de propos aussi confus, voire parfois cauteleux, que d’une profération claire et nette. Autant à l’oral qu’à l’écrit, Michel Onfray manque décidément de style pour être comparé aux grands imprécateurs dont le dernier serait, en allemand dans le texte, un Thomas Bernhard...

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Cela commence par les compliments que Michel Onfray s’adresse à lui-même, à propos de son dernier livre, La cour des miracles, sous-intitulé « carnet de campagne » à paraître ces jours, où il compare sa démarche voltairienne (?) à celle des grands moralistes Vauvenargues (!), Chamfort (!!) ou La Rochefoucauld (!!!), avec une pointe de Roland Barthes pour faire chic dans la neutralité modeste, et ensuite cela s’empêtre dans une argumentation d’où il ressort que le visionnaire avait prévu l’élection de Macron relevant bonnement du plan concerté par le grand capital avec la collusion de ce « sphincter » (sic) de François Hollande et des médias vendus - il le dit comme il le pense et d’ailleurs cette élection n’a rien de démocratique, c’est évident, comme il est notoire qu’il y a eu du bourrage dans les urnes et que jamais, au grand jamais Marine Le Pen n’allait passer la rampe, etc.
L’Obs n’est pas que l’hebdo de la gauche caviar : c’est aussi un magazine ouvert au débat depuis une cinquantaine d’années - Michel Onfray salue d’ailleurs au passage ses débuts sous l’égide d’un socialisme de la « troisième voie » avec révérence peut-être sincère à Jean Daniel -, et l’accueil très généreux (et très médiatique évidemment) fait en l’occurrence au pseudo intempestif va de pair avec une fessée culotte baissée du sociologue Gérald Bronner pointant le « conspirationnisme en contrebande » du penseur.

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Question subsidiaire : qui sont les baudruches, de la trinité momentanée d’Emmanuel Macron, de Donald Trump et de Michel Onfray ? Réponses éventuelles dans les mois à venir, mais laissons du temps au temps comme le disait un autre malin du nom de François Mitterrand que, soit dit en passant, Onfray le « souverainiste » accuse d’avoir maastrichté la France – terme poli pour suggérer que l’Europe du grand capital a « enc… » celle-là et que Macron fournira le supplément d’onguent...

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Vu de la Suisse fédéraliste dont le « souverainisme » n’en finit pas de se renégocier tant bien que mal par le vote (Michel Onfray a choisi, lui, de ne plus voter), tout ce méli-mélo de réflexions fondées et de rhétorique, de justes observations sur les tares du centralisme français et des échecs de la gauche plombées par autant de coups de gueules criseux et de références oiseuses (dans Cosmos Onfray exaltait la culture tzigane, et le voici chanter les mérites de la Commune de Paris et de la permaculture, dans le genre Bouvard et Pécuchet vous expliquent Tout l’Univers), tout cela pourrait ne sembler que vaine jactance, et pourtant non : c’est la aussi que ça se passe, dans la confrontation des idées jusqu’aux plus excessives ou saugrenues, avec le jeune président dont on espère qu’il fera mieux que le précédent malgré ceux qui « freinent à la montée », avec une gauche peut-être recomposée et une Europe moins enlisée, sur une terre plus ferme et socialement plus accueillante aux gens que les miasmes du marigot, par delà la prétendue Décadence de la civilisation judéo-chrétienne dont le docteur Miracle Onfray a fait le bilan dans son dernier pavé (plus de 500 pages ) avant la conclusion promise de Sagesse, troisième élément de la Brève encyclopédie du monde de notre philosophe tous ménages aux méninges un peu gonflées...
L’Obs, no 2742, du 1er au 7 juin.


Michel Onfray, Cosmos et Décadence, aux éditions Flammarion, 2015 et 2017.
La cour des miracles, éditions de l’Observatoire, 2017.

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