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Pour tout dire (102)

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À propos d'une formule de Nicolas Bouvier qui se discute. De nos ligne de vie et de leurs bifurcations. Que le voyage n'a de sens qu'en rupture de vacance. Sur le TOUT DIRE de la poésie...
 
Une formule qui a fait le tour du monde dans la foulée de ceux qu'on appelle, autant par juste reconnaissance que par effet de mode, les étonnants voyageurs, affirme que le voyage nous fait plus que nous ne le faisons. Ladite formule est de Nicolas Bouvier, et comme je n'ai pas L'usage du monde sous la main, je cite sans précision , mais je me rappelle avoir toujours reconnu ce qu'il y a de vrai dans ce constat, sous condition d'admettre aussi son contraire actif puisque être fait par le voyage implique qu'on se prête à son action et que nous agissions en nous préparant au voyage et en ne cessant de participer à la transformation qu'il implique en nous et autour de nous.
 
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Le TOUT DIRE du voyage est forcément poétique ou il ne vaut pas la peine. Faire et défaire ses valises pour ne faire que "faire la Thaïlande" ou "faire la Tunisie" m'a toujours paru relever d'une espèce de comédie fatigante et vide dont le terme de vacance signale à mes yeux l'aliénation. Je sais bien que j'ai l'air de me prendre la tête et de moraliser une activité tout à fait légitime en somme qui vise au délassement de la masse harassée de nos chers semblables, mais je sais aussi que j'ai raison et que le mouvement même du voyage porte à ce dédoublement et à ce décentrage à la fois critique et régénérateur par empathie généreuse.
 
18193718_10212857020447161_6194623633631593475_n.jpgEn prévision de nos voyages, Lady L. s'occupe de tout. Je ne saurais en dire plus. Cela n'exclut pas mille surprises , et par exemple qu'un instant de distraction me fasse oublier mon laptop sur un quai ou qu'à un guichet elle se fasse délester de son portefeuille, mais la ligne de notre voyage est tracée comme celle d'un destin dans une main, et nous restons ouverts à toute bifurcation.
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Je ne sais trop ce qu'est la poésie. Trop souvent ce qu'on taxe de poétique me semble relever du cliché d'agence de voyages ou d'un genre guindé et d’une pose littéraire un peu prétentieuse qui me laisse de glace. Disons que la poésie serait le voyage que les mots feraient en notre inconnu pour le révéler aux autres avec des mots qui en savent plus que nous-même, ou quelque chose comme ça...
 
 
Je regardais l'autre jour Lady L. regarder des fleurs de Matisse, dans un musée de San Francisco, et je lis à l'instant ces mots d'un jeune poète noir signant r.h. Sin, sous le titre exhibits:
 
"watching you in the museum
is like witnessing art
observing art".
 
Ou bien du même auteur je lis ceci sans savoir pourquoi cela me touche, sous le titre under skin:
 
"her scars, invisible
she was hurt in places
no one could actually see ".
 
 
Ou bien en novembre dernier j'avais recopié sur un cahier, à une terrasse des Zattere de Venise, ces mots traduit du polonais d'Adam Zagajewski, sous le titre de Vaporetto:
 
“Dans la poche d’un blason tu trouves / le billet bleu du vaporetto / (il biglietto, non cedibile)/
Le billet bleu/ pas plus grand / qu’un timbre de la république togolaise, /te promet un changement de voyage. / La cire fond sur ton souvenir, /l’amande des neiges perpétuelles se liquéfie./ Maintenant l’expédition peut commencer”, etc.
 
Et du même j’avais recopié cela encore, sous le titre Parle plus bas:
 
“Parle plus bas: tu es plus vieux que celui / que tu as si longtemps été; tu es plus vieux/ que toi-même - et tu ignores toujours / ce que sont l’absence, la poésie et l’or”, etc.
 
Et demain nous quitterons l'Amérique et nos enfants de San Diego pour retrouver les autres, là-bas, de l'autre côté de l'océan - et de San Francisco où je suis tombé dessus par hasard sur les rayons de City Lights Book, j'emmène cet autre poème de David Shapiro tiré d’In memory of an angel, au titre de Cathedral:
 
“And oh the difficult languages ! / and oh the easy languages ! / Then you left./
When you were a boat / and I was a boat / We hid so much and so well we were finally /
unable to find ourselves at all / Yes we left the keys / Your fingers were our cathedral/
because everything you did was sacred to me -”
 
Et si le voyage recelait le secret du sacré en nous ?
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