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  • Ô vous frères humains…

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    Flash-Back sur les Lettres d’Iwo Jima, film mémorable  de Clint Eastwood, avant le calamiteux American Sniper...

    C’est un film poignant d’humanité que les Lettres d’Iwo Jima de Clint Eastwood, d’une grande beauté d’inspiration et d’image, dont se dégage à la fois l’évidence de la ressemblance humaine et le caractère inéluctable de l’hybris des nations, exacerbé par la guerre. Une scène absolument déchirante marque le sommet de cette expression de la fraternité : lorsque le flamboyant lieutenant-colonel Nishi (Tsuyoshi Iharo), champion olympique d’équitation au Jeux de Los Angeles, en 1932, qui vient d’épargner la vie d’un jeune Marine, succombant cependant à ses blessures, traduit à haute voix une lettre de sa mère au jeune homme, dont les choses toutes simples qu’elle raconte font se lever, l’un après l’autre, les soldats japonais présents, bouleversés et muets.
    Le nom d’Iwo Jima me rappelle une bande dessinée des années 50 représentant cette bataille aussi symbolique qu’inégale, où les « Japs » étaient réduits à l’image de l’ennemi aux yeux bridés, cruel et fanatique. Or on n’est pas ici au rebours de ce cliché, qui se contenterait d’humaniser les combattants japonais, mais au cœur de la tragédie qu’ils vivent en étant à la fois prêts à mourir pour l’Empereur et conscients que celui-ci les a abandonnés à leur piège. Plus encore : le décentrage du regard d’Eastwood, qui réalise quasiment un film japonais d’esprit et de forme, nous fait vivre les dernières heures de leur vie comme s’ils étaient sans uniformes et sans grades, seuls et nus devant la mort entre tunnels et tonnerre, mer et ciel crachant le feu.
    On est ici à la fois dans le piège de l’Histoire et n’importe où ailleurs, dans un rêve halluciné aux objets fantomatiques (un seau de merde, des tanks semblant de pierre, des épées contre des lance-flammes) et traversé de personnages infiniment proches, du général Kuribayashi (Ken Watanabe) au petit boulanger Saigo qui, par la grâce d’un extraordinaire jeune acteur (Kazunari Ninomyia), irradie tout le film de son demi-sourire candide.
    Voici les hommes, voici la guerre, voici l’Armada américaine surgissant de la nuit sur une mer de plomb et voilà le premier cheval tué sous la première attaque aérienne. Tout se passe entre sable noir et grottes, comme dans un cauchemar de Frank Borzage ou de Kaneto Shindo, le film à l’air d’être en noir et blanc et voici que le gris tourne au brunâtre et que le blanc passe au bleu. Une obsédante petite musique distille d’un bout à l’autre ses gouttes de lumière froide tandis que dix hommes se fond sauter à la grenade après que l’un d’eux a été transformé en torche vivante. Violence sidérante et chaotique, mais tout restera dans quelques mémoires et voici les lettres exhumées entre la première et la dernière séquence – ces lettres des morts qui nous demandent de les enterrer en nos cœurs…

    Actuellement disponible en DVD: Mémoires de nos pères, premier élément du diptyque de Clint Eastwood

  • Mémoire vive (76)

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    À La Désirade, ce samedi 25 janvier.– Opposant son bon sens terrien et son intution poétique aux prétendues certitudes de ses amis fondus en idéologie d’époque (les frères Cingria latino-maurassiens et l’helvétiste germanophile Gonzague de Reynold que Charles-Albert gifla à la sortie d’une messe), Ramuz développait cette idée paradoxale, mais combien lumineuse,  que l’univers des idéologies (les idées dégradées en système socio-politique) est celui du vague et du flou, alors que l’univers des sentiments et de tout ce qui fonde les arts et la littérature est celui de la précision et de l’expérience féconde, de l’échange aussi et de la compréhension entre individus ou entre cultures diverses.

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    Céline en passant : « Ah ! qu’il est donc difficile de faire apprécier la pudeur, par les temps qui courent, où l’Obscénité tient bazar, où tout l’Olympe racole au Cirque ». 

     

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    Unknown-7.jpegFaut-il se réjouir du tirage à plusieurs millions d’exemplaires du nouveau numéro « post mortem » de Charlie-Hebdo, dont la UNE de Luz est à vrai dire épatante, annonçant que « Tout est pardonné » par le Prophète en personne rallié à la cause de CHARLIE ? Rien n’est moins sûr, au contraire : on peut craindre que l’argent et le succès ne fichent en l’air ce journal de l’espèce aventureuse par définition, survivant en marge et toujours en butte aux difficultés liées aux entreprises plus ou moins libertaires ou frondeuses;  mais puissé-je être démenti en ces temps où l’on ne positive point assez…

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    Chaque fois qu’un « littéraire » use du terme scientfiique, avec l’air supérieurement assuré de celui qui en sait tellement plus que le commun des mortels, je souris comme je sourirais à sœur Sourire qui invoquerait, contre toute attente, la Science du Sourire, alors que le sourire relève de l’Art, comme la véritable Science qui sait, mieux que tout docte « littéraire » du genre savantasse, ses limites.

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    Revenant par hasard aux Contre-censures de Jean-François Revel, je tombe sur une réflexion consacrée à ce qu’on appelle le beau ou le grand style, dont un Malraux ou un de Gaulle peuvent passer, en France, pour de notables représentants. Or, pas plus qu’un Guillemin, qui a montré l’envers peu reluisant des trop brillantes médailles de ces deux-là, avant un Simon Leys plus sévère encore à l’égard de Malraux, Revel n’est dupe de cette ronflante rhétorique masquant une politique dénuée de hauteur autant que  de générosité – on est alors en 1958 et Revel parle de l’Algérie. 

    Pour Henri Guillemin, de Gaulle fut « le roi du bluff »,qui parvint, malgré la longue opposition de Roosevelt, a se faire passer pour le Grand Soldat délivrant son peuple de l’Occupant et se pointant à Paris en premier libérateur alors que ses partisans actifs représentaient à peine 5% des Français. Et le sévère historien de rappeler avec quelle morgue cynique le génial comédien qualifia sa Première Armée débarquée le 15 août au sud pour marcher sur Strasbourg : «Avant tout des Noirs et desNord-Africains »…   

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    Victor Hugo l’aura écrit en vers : J’aime le rire, non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs / Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et coeurs ».

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    Unknown-7 2.jpegAutant la lecture du Houellebecq économiste de Bernard Maris est éclairante s’agissant des observations sociales ou psychologiques les plus originales du romancier, autant m’intéressent, sans me fasciner du tout ni me paraître même défendables, les opinions parfois vaseuses, entre autres  jugements oiseux, portant sur les nuances et détails de la vie ordinaire presque toujours mal portante voire grimaçante à son regard biaisé et sous ses nerfs tendus. 

     

    Ce type est un symptôme vivant du mal vivre contemporain. Je ne le juge pas pour autant, même si jeflaire une sorte de complaisance dans l’étalage public de sa gueule cassée genre Louis-Ferdinand Céline à sa toute fin finale, et pourtant l’image parle: le bilan dermatologique de cet auteur semble le pire qui soit, aussi désastreux que celui du protagoniste de Soumission.  

    Quant à dire que son délabrement physique et ses jérémiades publicitaires de prétendu maudit (la UNE de L’Obs qui le présente en persécuté…) m’en imposent : sûrement pas. Céline disait ne respecter que ceux qui ont payé et distinguait ceux qui ont passé par la prison et les autres. Je ne suis pas dupe non plus de la comédie du parano de Meudon, mais Céline a payé plus que l’amer Michel, cela ne fait pas un pli. Question de style aussi : parfois bien pantelant, dans Soumission, tandis que, du Voyage à Guignol’s band, celui de Céline ne cesse de bander et de chanter…  

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    images-2 2.jpegSi j’ai lu Pas pleurer, le dernier roman de Lydie Salvayre couronné par le Goncourt 2014,  avec un certain intérêt, comme j’aurai lu avec intérêt les romans de Michel del Castillo en d’autres temps, c’est avec une intensité plus grande que je vis ces jours la lecture de Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud, que l’Académie Goncourt est une nouille cuite (mal cuite plutôt) de n’avoir pas offert à ses lecteurs. Une fois de plus, la cuisine éditoriale parisienne et ses jeux d’influence auront  prévalu, alors qu’il est clair qu’un tel livre, paru sous le label Gallimard ou Grasset, aurait décroché la timbale. 

    Mais baste: ce livrefera son chemin dans les cœurs et les esprits, et les millions de lecteurs de L’étranger de Camus feront bien d’y faire un détour même si le génie du Maître surclasse le très grand talent de Kamel Daoud. 

    Ce qui est sûr, c’est que Meursault, contre-enquête revêt aujourd’hui une signification multipliée par la terrible actualité récente en cela qu’il y est question, pour l’essentiel, de la relation entre deux cultures (la France et son ex-colonie algérienne)  incarnées par des personnages hautement significatifs dont Kamel Daoud modifie, subtilement et fermement, le jeu de rôles.  Donner la parole au frère de l’Arabe sans nom sur lequel Meursault tire avant d’enjamber son ombre de manière combien symbolique, est bien plus qu’une idée romanesque opportuniste comme il en a pullulé ces derniers temps : c’est ajouter la part manquante d’un grand roman à notre réflexion, d’abord en nommant l’innommé puis en prenant langue, littéralememt, avec l’Histoire, l’Indépendance, la Langue française, Camus qu’on aime et qui se discute, un Dieu là-haut qui pèse même absent et qui se discute aussi, la Vie et la Littérature qui continuent…       

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    La première critique sévère, mais juste, que j’ai lu à propos de Soumission, était celle du philosophe Abdennour Bidar, dans Libé,reprochant à l’écrivain de présenter un islam par trop caricaturé, à tout lemoins coupé de la réalité présente et invraisemblale en sa projection d’avenir.

    Du même intellectuel de haut vol, on a pu lire aussi, en ce début d’année, une lettre ouverte à ses frères musulmans qui devrait faire honte aux idéologues identitaires  se répandant, ces derniers jours, notamment sur Boulevard Voltaire, en propos de plus en plus ouvertement fascisants dont la perversité consiste, précisément, à taxer les musulmans de France de nouveaux nazis...

     

    Et voici, par le roman, que l’invitation au dialogue lancée par Hubert Védrine sur Le Monde le13 janvier dernier, se prolonge à l’attention des gens de bonne volonté. Or l’Algérien Kamel Daoud, sur la tête duquel a été lancée une fatwah, prolonge,en poète et en romancier la méditation d’une autre grande figure de l’intelligentsia française d’origine musulmane en la personne d’Abdelwahab Meddeb, auquel je reviens souvent sans trouver aucun auteur, en France ou en Suisse, à part l’ami Rafik Ben Salah, qui daigne aborder cette matière inter-culturelle richissime…

     

    °°°

     

    À La Désirade, ce vendredi 31 janvier. – J’ai constaté que mes notes de lecture sur Soumission et sur Michel Houellebecq économiste avaient fait franchir en une nuit , sur mon blog, le cap des 1000 visiteurs. Or je ne l’ai pas cherché, et je ne ferai rien pour garder ces lecteurs. J’ai constaté souvent, sur quelques blogs cent fois plus fréquentés, dont la fameuse République des livres de Pierre Assouline, qu’un premier texte était ensuite suivi de 500 ou 1000 interventions, dont la dixième n’avait plus rien à voir avec la note initiale. Ce sont les nouveaux salons où l’on en cause et je n’en ai que faire. Sur mon blog des Carnets deJLK, je me suis fait une réputation de sale gueule en virant tous les anonymes et quelques insulteurs  patentés, à vrai dire rares. Sur Facebook, où tout le monde est identifié en principe, je compte une trentaine de correspondant (e)s plus ou moins complices sur 3637« amis » avec lesquels nous sommes convenus de louer un porte-avions pour notre première croisière conviviale…

    °°°

    Muray.jpgPhilippe Muray citant Picasso :« Qu’est-ce au fond qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu’il aime chez lesautres. C’est comme ça et puis ça devient autre chose ». Et Muray d’enchaîner. « Qu’est-ce qu’un écrivain ? C’est un lecteur qui veutlire les livres dont il rêve et qui ne sont jamais exactement ceux des autres,C’est comme ça, et puis ça devient autre chose que de la lecture ». Ce qui me rappelle Dimitri parlant de son désir d’éditeur : pour combler les trous de sa bibliothèque. Et notre petite fille devant la bibliothèque : « Et c’est toi, papa, qui a écrit tous ces livres ? » Tellement plus gratifiant que le sempiternel : « Et vous avez lu tous ces livres ? » 

     

  • Ceux qui prennent conscience

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    Celui qui a pris conscience à dix ans – l’âge de raison selon les Anciens – qu’il était lui-même et pas un autre en vertu de quoi il a allumé son premier cigare / Celle qui a compris à sept ans qu’une kalache était trop lourde pour elle / Ceux qui ont pris conscience le 11 janvier qu’ils étaient nombreux à ressentir la même chose sans avoir à préciser quoi / Celui qui affirme son identité citoyenne contre tout ce qui ne lui ressemble pas - voilà / Celle qui se demande comment vivre ensemble et avec qui d’autre dans ce quartier où tout le monde est personne / Ceux qui ne vivent ensemble qu’entre eux sur présentation de la fiche de salaire du mois dernier / Celui qui n’ose pas dire qu’il est croyant sur le plateau de télé où tout le monde en rirait vu qu'on est tous libérés à mort / Celle qui dit « il en faut » chaque fois que sa cousine Marine lui dit qu’il y a un nouveau Noir à l’Académie française ou un Prix Nobel issu des banlieues / Ceux qui ont pris conscience de la chose le 11 janvier et ensuite il y eut le carnaval de Binche / Celle qui se dit victime mais jamais bourreau des coeurs alors qu'il y a des témoins / Ceux qui n’ont aucune conscience donc pas de problème s’ils assurent au panier de la Bourse / Celui qui n’a rien dans le cœur ainsi que l’a montré le scanner préludant à l’opération hélas soldée par un échec / Celle qui annonce son départ des Batignolles pour Israël où la France est plus sûre à ce qu’on dit à la télé / Ceux qui se lancent leurs vieux démons à la gueule pendant que la ravissante Aïcha, Syrienne de seize ans,  balance à son ami Facebook Maveric, dix-sept ans, la sentence du Coran La ikrâha fî Dîn, à savoir qu’il n’y a pas de contrainte en religion vu que le seul maître est intérieur, à quoi le jeune homme répond en russe Jentchina maya ty mnie mnoga podoba et autres citations du Cantique des cantiques prouvant que rien n’est perdu quand on a pris conscience de la valeur non négociable de la vie, etc.

  • Affreux, sales et touchants

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    (Dialogue schizo)

     

    De la merditude en littérature romande. Quand Antonoff, avec Meilleurs vœux toi-même, se la joue CHARLIE Bukowski…  

    Moi l’autre : - Alors qu’est-ce que t’en dis ? Tu kiffes le mauvais genre, pour parler comme Quentin Mouron ?

    Moi l’un : - Je kiffe, je capte, je percute même, pour le dire comme Sébastien Meier, mais ce n’est pas le mauvais genre qui me plaît dans ce premier roman, pas plus que chez Quentin ou que chez Sébastien ou que chez Antoine Jaquier, et tu sais que je ne suis pas le type à m'effaroucher ni à me laisser épater par des effets de mode, non : ce qui m’intéresse chez ces lascars est, à des titres divers, la justesse du regard et la qualité de la musique qu’ils filtrent. Antonoff est celui qui va le plus loin dans le crade sordide à la Deschiens en déglingue, mais sa façon d’en remettre n’est pas pire que celle de notre cher Bukowski, un peu de poésie en moins peut-être dans le genre down and out. Ce qui n’empêchera pas les grincements de dents dans la paroisse  littéraire romande qui reste toujours sous la coupe du prof guindé  et du pasteur coincé, quoique de moins en moins..

    Moi l’autre : - C’est sûr qu’il y a des bonnets de nuit, qui vont trouver qu’il exagère, Antonoff. Je cite demémoire : «On est dans la merde, Ninon a résumé. Elle exagérait toujours. On n’était  pas plus dans la merde que lors du vœu précédent, ce n’était pas Ninon qui s’était fait écraser le nœud par Madame Louise ; d’accord, ça sentait le pet foireux, mais pas encore la merde. Il fallait rester positif : rien ne nous serait impossible ce soir » 

    Moi l’un : - Le merde peut se raconter avec élégance : question de style, tout est là. Céline en est l’exemple suprême. Et à l’autre bout de la chaîne du langage : Reiser. L’important est que ça corresponde à un habitus et que ce ne soit pas forcé du point de vue de l’expression. L’habitus de Céline est doublement merdique, historiquement et socialement parlant, comme l’habitus de Bukowski, mais ni l’un ni l’autre n’affectent la vulgarité.  De la même façon, la merditude investie par Antonoff, entre le Lausanne-Palace et les terrains vagues du bas de la ville, est d’époque et sonne juste. Il y a de la merditude en Suisse : nousl’avons rencontrée...

    Unknown-3.jpegMoi l’autre : - Tu as parlé de merditude, et De la merditude des choses, c’est un film belge néerlandophone…

    Moi l’un : - J’aurais pu parler aussi, ne serait-ce que pour le titre si évocateur, d’Affreux,sales et méchants, le charmant tableau d’Ettore Scola avec Nino Manfredi, mais le film de Felix van Groeningen, De la merditude des choses, est plus proche par l’esprit et la forme, limite désespéré, foutraque quoique goguenard, de Meilleurs vœux toi-même. 

    Moi l’autre : - Le fonds social est quand même très différent. Le fond de la merditude est belge, économiquement sinistré et brassant toute une communauté. Ici, c’est à la fois les copains d’abord de Brassens, les paumés du petit matin de Brel et la dernière ligne de Gainsbarre, sur fond de boîtes lausannoises...   

    Moi l’un : - C’est une petite forme, presque une nouvelle étalée, avec des espèces de flashes intermédiaires genre clip animé.  Quant à la story, elle se borne à un réveillon durant lequel, en marge des festivités ordinaires, les cinq complices formulent à tour de rôle leur vœu le plus cher ou le plus inavouable, qui sera accompli « au niveau du groupe », et ça finit par où commence le récit; après la bascule d’une Mustang à dégaine de poubelle roulante dans le jus, dont un seul des cinq occupants, Stan, réchappe. Pour Benez l’Algérien, Madame Louise la doyenne, Ninon la frustrée de mômes   et Patrick l’obsédé, ce sera le bouillon et l’envol final à travers les bulles. Du moins les vœux des chers disparus auront-ils été accomplis. Mais j’en ai déjà trop dit quant à la story…

    Moi l’autre : - Que dire encore ?

    Moi l’un : - Disons que c’est drôle. Même quand ça frise le code de la bienséance au point que même le narrateur en est gêné (« J’ai choisi de censurer l’image en fermant lesyeux, et de ne garder que le son), quand la vieille Madame Louise s’éclate avecla jeune péripatéticienne très à son affaire des rues basses de l’ouest lausannois (le rêve de la senior était en effet de se « taper » une jeunote), les trouvailles verbales ou stylistiques d’Antonoff sont telles qu’on est plié. Curieusement, il y a  là-dedans un mélange de gouaille adolescente et de persiflage de vioque, avec un fond plus tendrement indulgent pas loin de la mélancolie, qui ne manque pas de vibrato bluesy, sans ça de tire-larmes…

     

    Moi l’autre : - Il y a un passage carabiné, dans une nouvelle de Bukowski, quand le narrateur sert, à de prétendus amis qui le snobent, les morceaux décongelés du jeune autostoppeur qu’il a embarqué quelque temps plus tôt. La lumière déclinante de la séquence ajoute à la beauté panique de la chose. On trouve le même bon goût chez l'affreux localier de 24 Heures...

    Moi l’un : - Et puis Antonoff a le sens de la formule gravée dans le marbre. Devant ses noyés le narrateur trouve ainsi les mots sentencieux qu’il faut : « Il ne fait pas bon devenir vieux. Ni être mort. Et ça l’était encore moins en cumulant les deux dans le lit d’un fleuve vaseux ».

    Moi l’autre : - Pour en revenir aux lascars mauvais genre du début, qu’est-ce que tu dirais que cet opuscule apporte à la littérature mondiale, française, romande et tribale du coin ?

    Moi l’un : - Je dirais que c’est d’un ton et d’une musique d’époque adéquats. On constate qu’il y a moinsde FUCK dans les films de gangsters des années les plus dures que dans les récents dialogues d’ados de Larry Clark ou de Martin Amis, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’un Houellebecq ou un Mouron parlent par écrit de pétasses, ce qui ne les grandit pas vraiment , mais ce qui compte est la touche sensible et l’adéquation à l’habitus, et je trouve, quant à moi, plus de densité émotionnelle et verbale chez Antonoff que chez quantité d’auteurs romands ou francophones mieux coiffés. C’est ce qui a botté, sans doute, notre ami Pascal et sa muse Jasmine. Or le fait est, à ce propos,  que c’est un livre qui s’inscrit parfaitement dans la production récente des éditions d’autre part, où la littérature n’a pas l’air de se prendre au sérieux alors qu’elle fait dans la dentelle... plus ou moins  barbelée.

    Antonoff. Meilleurs vœux toi-même. Editions d’autrepart,  2015. 129p. 

     

  • Mémoire vive (75)

     

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    À La Désirade, ce mardi 21 janvier.– Enfin voici cet Houellebecq économiste de Bernard Maris, sur lequel un papier de Bruna Basini, dans le JDD, avait attiré mon attention, l’automne dernier à Venise, au point que je l’avais découpé, très intrigué par certaines réponses du fameux oncle Bernard de Charlie-Hebdo, et par exemple ceci  à propos de La Carte et le territoire qui l’a « ébloui » à ce qu’il dit : «Michel Houellebecq dépeint en visionnaire notre temps, la productivité, l’espace. Il m’a appris des choses que je savais mais que je n’osais pas dire en tant qu’économiste. Il montre, par exemple, des êtres très infantiles qui se comportent en poussins apeurés et toujours insatisfaits.  C’est très fort. Keynes ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que le capitalisme infantilise en créant un désir d’accumulation perpétuel chez l’homme, et donc un état de frustration continu.  Houellebecq a lu et vu le vrai Keynes. Pas celui de la relance de la consommation de la gauche mais le chantre de la décroissance qui prône l’euthanasie des rentiers. Il m’a aussi beaucoup révélé sur les thèmes de l’utile et de l’inutile. Qu’est-ce que le travail utile ? Celui de l’ouvrier qui fabrique une passerelle ou celui du dircom qui marche dessus et qui est payé 10 fois plus. Il a lu Keynes, beaucoup de Fourier et Marx.  Le rêve de Marx, par exemple, était de transformer le travail pour qu’il soit désiré et non subi »… 

     

    Sur la même ligne claire, l’essai de Bernard Maris traverse toute l’œuvre de Michel Houellebecq, d’Extension du domaine de la lutte à La Carte et le territoire, en éclairant chaque chapitre par la référence à un économiste (Marshall, Keynes, Schumpeter, Fourier, Marx) non sans fustiger, d’entrée de jeu, la prétendue scientificité du savoir économique, à vrai dire ruinée « sur le terrain » par l’évidente incurie des prophètes auto-proclamés. L’ignorantin que je suis en la matière, mais à qui on ne la fait pas plus qu’au quidam sceptique moyen, est content d’apprendre, de la part, d’un spécialiste avéré, que ses pairs sont plus souvent des charlatans sectaires que des savants avisés et que les « lois du marché » invoquées à tout coup sont aussi flexibles, voire illusoires, que les belles paroles d’autres sortes de gourous.

     

    °°°

     

    Une « amie Facebook » de la vieille garde militante sincère, sincèrement de gauche et sincèrement athée,  déclare comme ça sur mon « profil » qu’elle ne lira pas Soumission, et pas un instant je n’aurais envie de la faire changer d’avis tant je suis rétif moi-même aux injonctions des multiples TU DOIS. Je suis entrain de lire Tu dois changer ta vie de Sloterdijk et m’en trouve bien. Mais qu’on me dise que je DOIS lire ce livre et je cesserai de le désirer, comme à l’époque où j’ai résisté au TU DOIS lire Cent ans de solitude ou TU DOIS lire Marsde Fritz Zorn. 

    Or ce refus d’obtempérer va de pair avec le refus d’engager toute discussion avec ceux qui, sans connaissance de cause,s’imaginent qu’ils DOIVENT la ramener. Je-l’ai-pas-lu-jel’ai-pas-vu-mais-voilà-ce-que-je-pense-quand-même-vu-que-j’ai lu-quelque-part-que-et-que-moi-je-pense-que, etc.

     

    °°°

     

    À un moment donné, le retour au roman s’impose comme un souci de revenir à un Objet ; et tout y ramènera, tout fera miel, tout sera filtré par rapport au sentiment ou à l’idée qu’on se fait de l’objet en question. 

     

    À ce propos je me rappelle ce que (me) disaient des écrivains aussi différents l’un de l’autre que Don DeLillo et Jacques Chessex, sur la genèse impalpable, à tout le moins involontaire, et le développement non moins imprévisible d’un roman, comme le relève aussi Houellebecq à propos de Soumission, initialement conçu comme une modulation sur le thème de la conversion au catholicisme, et ensuite raccroché à une thématique plus actuelle.

     

    °°°

    Le terme le plus approprié à la débauche d’opinions qui sévit ces jours sur les blogs et les réseaux sociaux, avec une virulence souvent haineuse proportionnée à l’amplitude d’un terrorisme tous azimutes, me semble la jactance. Plus qu’on échange des points de vue : on jacte. 

     

    °°°

     

    images-2 2.jpegJe retrouve, à la lecture de ce que ressent le protagoniste de Meursault, contre-enquête,de Kamel Daoud, à propos du Coran vociféré par un voisin, du vendredi musulman et de la prière collective, le même sentiment d’agacement viscéral que j’ai éprouvé l’an dernier  à Tunis en assistant aux étalages d’agenouillements masculins, en pleine rue ou sur les places, avec quelque chose d’ostentatoire qui m’a toujours fait horreur dans les manifestations de crédulité collective, à commencer par mon souvenir de l’évangéliste américain Billy Graham gesticulant dans le stade de la Pontaise, à Lausanne, dans un style plus commercial et publicitaire évidemment, genre marchand du Temple. Ou, plus sinistre, me revient le souvenir de cette voix hideuse, proprement hitlérienne, qui retentissait dans les escaliers de l’immeuble viennois où nous séjournions quelques jours, chaque fois que le voisin de dessous sortait de sa tanière et se répandait en invectives effroyables le temps, je présume, d’aller cherche son courrier cinq étages plus bas et d’en remonter toujours hurlant. 

     

    Or voici ce que raconte Haroun le mécréant algérien : « Mon voisin est un homme invisible qui, chaque week-end,se met en tête de réciter le Coran à tue-tête toute la nuit. Personne n’ose lui dire d’arrêter car c’est Dieu qu’il fait hurler. Moi non plus je n’ose pas, je suis suffisamment marginal dans cette cité. Il a une voix nasillarde, plaintive, obséquieuse. On dirait qu’il joue tour à tour le role de tortionnaire et celui de victime. J’ai toujours cette impression quand j’écoute réciter leCoran. J’ai le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un livre mais d’une dispute entre un ciel et une créature. La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas ».

     

    Moi non plus, foi de chien de chrétien, même si notre héritage culturel et spirituel m’est de plus en plus cher – je ne vais quand même pas, lecteur de Montaigne, me priver de Pascal ou de Rabelais, et j’aime bien me rappeler la foi peu fanatique de mes petits parents en leur paroisse protestante des hauts de Lausanne.

    En ce qui concerne la chape calviniste, dont je n’ai guère senti le poids dans ma famille, si ce n’est par la pudibonderie de notre grand-mère paternelle citant parfois des bribes de Bible, je me dis aujourd’hui, songeant à la révolte de l’ami Rafik, que pas un jour, moi non plus, pas une heure je ne supporterais aujourd’hui l’emprise sociale ou personnelle d’aucune religion me contraignant de penser ceci ou de faire cela sans que j’en aie reconnu le bien-fondé ou le fonds de vérité.

     

    Mais voici ce qu’en dit encore Haroun, le frère de l’Arabe sans nom tué par Meursault : «Est-ce que je suis croyant ? J’ai réglé la question du ciel par une évidence : parmi tous ceux qui bavardent sur ma condition - cohortes d’anges, de dieux, de diables ou delivres -, j’ai su, très jeune, que j’étais le seul à connaître la douleur, l’obligation de la mort, du travail et de la maladie. Je suis le seul à payer des factures d’électricité et à être mangé par les vers à la fin. Donc, ouste ! Du coup, je déteste les religions et la soumission ».

     

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    Olivier Roy dans La sainte ignorance : « Il n’y a pas de « retour »du religieux, il y a une mutation. Cette mutation n’est sans doute qu’un moment : elle n’ouvre pas nécessaireemnt vers un nouvel âge religieux ».

     

    °°°

     

    Cinquante pages du dernier roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex, et j’ai la sensation de glisser à la surface d’un univers aussi convenu que branché, porté certes par la dynamique d’une expression chic et choc, mais tournant en somme à vide même si Vernon, irrésistible (a-t-il longtemps pensé) tombeur de meufs (c’est comme ça qu’on parle), commence à craindre après avoir été radié du RSA, et plus encore en voyant plusieurs potes lui fausser compagnie alors qu’on se croyait immortel en écoutant d’affilée le double live de Stiff Little Fingers et les Redskins ou le premier EP des Bad Brains, etc.  

     

    Je prends une phrase au hasard (« Jean-No avait épousé une meuf chiante. Il y a beaucoup de garçons qu’un contrôle strict sécurise ») et je me demande à moi-même en personne :  est-ce que vraiment je dois m’intéresser à ça ? Il me reste 350 pages pour en décider, alors qu’après trois pages du roman de Kamel Daoud j’étais « dans le bain » que représentent à la fois la réalité multiple et la littérature de la ville-monde. 

     

  • Je vous salue MARIS

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    À lire toute affaire cessante, avant ou après Soumission de Michel Houellebecq: l’essai de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier 2015 par les obscurantistes, intitulé Houellebecq l’économiste. Une démystification roborative de la secte des économistes, prêtres autoproclamés de l’universel culte néolibéral du dieu Pognon.

     

    Voici, pour avant-goût, la conclusion de cet essai magistral, fait pour nous ouvrir les yeux :

     

    « Houellebecq économiste était un sourire, bien sûr… Un sourire pour dévoiler la triste morale et la forte poigne dissimulée sous les oripeaux d’une science. Car il n’y a pas de science économique : il y a de la souffrance masquée sous de l’offre et de la demande, autrement dit de la poésie et de la compassion constamment laminée par le talon de fer du marché – marché des biens, du travail, du sexe.

     

    « Elle voyait bien, elle voyait juste », fait dire Céline à l’un de ses personnages dans Mort à crédit. C’est de vie à crédit qu’il s’agit chez Michel Houellebecq, et le désespoir de ses personnages n’a rien à envier à ceux du docteur fou de Meudon.

     

    « Dans les rues désertes de Rouen errent des bandes de jeunes, analphabètes et antipathiques, vaguement violents, tandis que les ascenseurs de la Défense portent des cadres stressés, dévoués à leur boîte, à leurs chefs et à leurs rétributions, fébriles et malheureux, ignares malgré leurs tableaux Excel ; au pied des rutilants immeubles, se battent des clochards ; de vieux hommes achètent de jeunes sexes, tandis que des ados martyrisent un plus jeune, et qu’un hippie laisse crever son rejeton dans les excréments ; des snuff movies exhibent des actes de barbarie inouïe contemplés par des partouzards ; et tout ce monde immonde se farde des mots de l’économie : croissance, compétition, commerce, exportations… Quelle farce !

     

    «Osez regarder ce que vous êtes, petits esclaves bien nourris, osez regarder la ruine où vous conduit votre course. Vous vous précipitez en concurrence du haut des falaises, comme les porcs de la Bible. Osez regarder votre suicide collectif !« N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas. » On a voulu en faire une idée neuve pour vous, nigauds, puis la quantifier, ce fut le rôle de l’économie, née de la toute-puissante Raison, des Lumières et de la Révolution. On vous promet du pouvoir d’achat ou des emplois ou des objets, et vous n’êtes que des chiffres dans des tableaux dressés par des employés du chiffre. Et encore : un chiffre a plus de réalité que vous, il appartient au monde mathématique, et vous ne valez même pas la série de votre carte de Sécu.

     

    « À moins que… À moins que vos yeux se dessillent au mot « amour » ?

     

    « Allons donc !Pour vous rabaisser, on a inventé les films porno, les clubs échangistes, et le cap d’Agde.

     

    « Rien. Rien ne vous sauvera ». 

     

    Bernard Maris. Houellebecq économiste. Flammarion, 2014, 152p.

     

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  • Le legs d'oncle Bernard

     

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    À lire Houellebecq économiste, on comprend que l’écrivain ait été particulièrement bouleversé en apprenant la mort de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier avec ses amis de Charlie-Hebdo.

    Par delà ses hautes qualités de pénétration et d’intelligence explicative, cet essai est en effet la plus belle défense et illustration d’une œuvre souvent mal comprise.

     

     

    Bernard Maris. Houellebecq économiste. Flammarion,152p.

     

    -      BM parle des économistes comme d’une secte, avec leur jargon plus ou moins codé.

     

    -      Evoque les physiocrates del’époque de Louis XV…

     

    -      Les termes de l’économie envahissent notre quotidien.

     

    -      Avec les termes obsessionnels de croissance, compétitivité, mondialisation, etc.

     

    -      Des experts d’une pseudo-science.

     

    -      « L’économiste est celui quiest toujours capable d’expliquer après coup pourquoi il s’est trompé une fois de plus »…

     

    -      Un « incroyable charlatanisme qui fut aussi la morale d’un temps ».

     

    -      Le quidam n’y comprend rien.

     

    -      Mais BM nous rassure : qu’il n’y a rien à comprendre.

     

    -      Houellebecq n’est pas économiste mais tous ses thèmes se rapportent à l’économie.

     

    -      Ils évoquent Marx, Fourier,Malthus, Schumpeter, Smith, Marshall, Keynes, de façon le plus souvent implicite.

     

    -      Il parle de destruction créatrice (Schumpeter), de travail parasitaire et de travail utile (Marx), d’argent etc.

     

    -      BM pense qu’un écrivain peut parler de psychologie ou d’économie mieux que Freud ou que Marx…

     

    -      « Tous les écrivains dignes de ce nom feront une meilleure psychologie que Freud, qui savait écrire, et une meilleure sociologie que Bourdieu, qui ne savait pas ».

     

    -      Merci à l’oncle Bernard de souligner le fait que Bourdieu écrit mal. C’est si vrai !

     

    -      Pointe ensuite les « ronds de jambe du touffu Deleuze autour de Kafka » et pense que Schumpeter durera moins longtemps que Houellebecq…

     

    -      Il écrit ce livre en hommage aux écrivains qui cherchent « un fragment de la vérité de ce monde où nous sommes jetés et qui nous angoisse ».

     

    -       Selon BM, »pour comprendre la vie, les économistes ne cessent d’en chasser le sel, l’amour, le désir, la violence, la peur, l’effroi, au nom de la rationalité des comportements. Ils traquent pour la détruire cette « émotion qui abolit la chaîne causale » dont MH parle dans Rester vivant.

     

    -      Ils ont construit une économie du crime, où des bandits rationalisent leurs comportements criminels et leurs prises de risques en fonction des sanctions probables et des profits futurs »…

     

    -      Fustige les idées des nobélisés Gary Becker, Gérard Debreu et Larry Summers pour leurs théories sur la gestion des naissances, l’euthanasie des vieux improductifs ou le déversement des déchets du Nord dans les pays du sud…

     

    -      L’économie relève d’un humour cynique auquel celui de MH fait écho.

     

    -      Selon BM, « aucun écrivain n’est arrivé à saisir le malaise économique qui gangrène notre époque comme lui ». 

     

    -      Rappelle en outre que ce sont des écrivains, et pas des sociologues ou des philosophes, qui ont le mieux parlé del’homme face à la mort (cite La mort d’Ivan Illitch de Tolstoï) ou de l’homme face à l’amour (Madame de LaFayette dans La Princesse de Clèves).

     

    -      Précise que « faire de Houellebecq un économiste serait aussi honteux qu’assimiler Balzac à un psycho-comportementaliste ».

     

    -      Pense qu’un roman ou un poème sont anti-économistes par nature.

     

    -      Estime qu’on apprend, avec Houellebecq, « que la glu qui freine vos pas, vous amollir, vous empêche de bouger et vous rend si triste est de nature économique.

     

    -      Rappelle le titre de l’essai de Viviane Forrester, L’Horreur économique, décrié par l’intelligentsia.

     

    -      Pense que Nietzsche s’est trompé en affirmant que la science mettrait à mal la philosophie.

     

    -      À l’origine de ce livre se situe la révélation de La Carte et le territoire, goncourtisé en 2010.

     

    -       « Un grand roman d’amour, comme tous les romans de MH, mais aussi une fine analyse du travail, de l’art, de la création,de la valeur, de l’industrie et de la « destruction créatrice » chère au grand économiste Schumpeter ».

     

    -      À partir de ce dernier livre, BM refait tout le parcours, depuis les premiers textes, dont Extension du domaine de la lutte.

     

    -      Extension parle (notamment) de la compétition dans l’entreprise.

     

    -      Les particules élémentaires, du consumérisme et de l’individualisme absolu.

     

    -      Plateforme, de l’utile et de l’inutile, et de la demande de sexe.

     

    -      La possibilité d’une île, de la société post-capitaliste et du clonage des riches.

     

    -      Thèmes récurrents de MH : la compétition perverse, la servitude volontaire, la peur, l’envie, le progrès, la solitude, la frustration, l’obsolescence.

     

    -      Son commentaire apparie les livres et leurs thèmes aux dominantes de grands économistes.

     

    -      1) Le règne de l’individu avec Alfred Marshall.

     

    -      2) La destruction créatrice avec Schumpeter.

     

    -      3) La consommation insatiable avec Keynes.

     

    -      4)  L’utile et l’inutile avec Marx et Fourier

     

    -      5) L’art, le travail et la fin du capitalisme avec Malthus.

     

    -      6) La fin de l’espèce avec Keynes.

     

    Chapitre 1. Le règne absolu des individus. 

    - Avec Alfred Marshall.

    -      Le règne absolu des individus se fonde sur l’exaltation de l’individu-consommateur.

    -      Pour Alfred Marshall, il n’existera plus que des individus utilitaristes.

    -      Lesdits individus devraient être essentiellement rationnels.

    -      Or il va de soi qu’ils ne le sont nullement.

     -      Donne l’exemple d’Hélène, prof d’économie dans La carte et le territoire.

     -      Une économiste plutôt désenchantée : « Sa vie professionnelle pouvait en somme se résumer au fait d’enseigner des absurdités contradictoires à des crétins arrivistes ».

     -      « Or l’homme est un animal autrement complexe et intéressant. Personne ne travaille que pour de l’argent, personne n’a de comportement d’achat entièrement rationnel. 

    -       Hélène affirme que « l’individuation fondamentale  des motivations des producteurs, comme de celle des consommateurs, qui rend en théories économiques si hasardeux et en fin de compte si faux ».

    -      BM souligne l’intérêt« extraordinaire » de cette observation.

    -      Pour Margaret Thatcher, la« société » n’existe pas, dit-elle un jour…

    -      « L’économie libérale brise tout ce qui est collectif ».

    -      Les Particules élémentaires illustre précisément ce phénomène de l’atomisation.

    -      Critique Milton Friedman qui parlait des comportements « rationalisables ».

    -      Evoque la référence des commerciaux aux neurosciences en vue de transformer le consommateur…

    -      À cet effort de réduction rationaliste, MH oppose des personnages « qui ont mal au dos ».

    -      Le personnage du trader est hautement significatif.

    -      Un personnage qui ne produit rien et surfe sur le chaos.

    -      Le type du parasite.

    -      Affirme que les économistes sont néfastes par leur « morale de fer », leur idéologie « précise et vicieuse » relevant de la religion rationalisée.

    -      « La compétition économique est une métaphore de la maîtrise de l’espace et du temps ».

    -      Comment l’économisme a jeté ses bases sur les ruines du christianisme, favorisant le développement de la vanité, de l’envie, de la compétition, de la haine.

    -      Le désir du consommateur, fantasmé et boosté par la pub, contrairement au plaisir, est une source de souffrance et de détestation. 

    -      L’économie décrit un monde sans lieu, sans amour et sans bonté (mot fétiche de MH), où règne le chacun pour soi.

    -      MH fait de la poésie avec del’anti-poétique, affirme BM. Et c’est très vrai.

    -      Sois égoïste et sans pitié, conseille l’idéologie néo-libérale.

    -      Ce que Freud disait aussi dans Malaise dans la civilisation. 

    -       

    -      Chapitre 2.L’entreprise ou la destruction créatrice.

    -      Avec Joseph Schumpeter.

    -      Extension du domaine de la lutte est une « complainte du libéralisme ».

    -      Beigbeder, dans La Carte et le territoire, affirme que la pub n’est qu’une technique visant à « faire acheter à ceux qui n’en ont pas les moyens ce dont ils n’ont pas besoin »…

    -      L’Entreprise est le royaume de la servitude volontaire par excellence.

    -      Le cadre en est le type représentatif. Soumis et supposé sourire, ou viré.

    -      Le collaborateur apparaît « comme un enfant qui n’a pas droit aux larmes ».

    -      Le principe de vie du capitalisme est d’entretenir l’insatisfaction.

    -      Schumacher pensait que le système allait s’épuiser.

    -      MH penche plutôt pour l’Apocalypse.

    -      Avec des bols d’air…

    -       « On doit donner au salarié un peu plus que ce qui lui permet de vivre, afin qu’il puisse se perpétuer et fabriquer de nouveaux petits salariés »…

    -      Les personnages de MH intègrent la peur latente consubstantielle à ces mécanismes.

    -      « Aucune romancier n’avait, jusque-là, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondée sur l’incertitude et l’angoisse ».

    -       

    -      Chapitre 3.  L’infantilisation du consommateur.

    -      Avec John Maynard Keynes.

    -      Rapproche l’infantilisation du consommateur de celle qu’exerçaient les bourreaux des camps nazis, décrit parBettelheim.

    -      Il s’agit de fabriquer des « kids » de tous âges.

    -      Cet aspect de l’infantilisation a été relevé par Keynes (p.73).

    -      Tous les objets deviennent jouets.

    -      Règne du joytoy

    -      Le haut lieu houellebecquien, dans La Carte et le territoire,  est le centre commercial.

    -      Jed adore s’y promener.

    -      Y décèle l’explosion d’un désir « criard et piaillant »…

    -      Les clients y apparaissent comme des poussins apeurés.

    -      Soumis à un impératif catégorique du genre : « Tu dois désirer. Tu dois être désirable. Si tu t’arrêtes, tu n’existes plus », etc.

    -      Plateforme illustre la consommation de masse du sexe et du tourisme sexuel.

    -      Souligne aussi la dérive de laculture vers l’entertainment.

    -      Valérie, dans Plateforme, est cadre sup’ de la com’.

    -      Elle se sent contaminée et prise au piège.

    -      Robert consomme du sexe et ne rencontre aucun amour.

    -      Le sexe de la femme est comparé à Dieu à plusieurs reprises dans les livres de MH.

    -      « L’amour très innocent, très pur des héros houellebecquiens est une plénitude, un achèvement »,

    -      La consommation est comme un supplice de Tantale. « Ce que tu as tu ne l’as plus, et ce que tu auras tu le perdras ».

    -      Il existe un « terrorisme de l’obsolescence », selon MH.

    -       

    -      Chapitre 4. L’utile et l’inutile.

    -      Avec Marx et Fourier.

    -      Revient sur le début de La Carte et le territoire, avec l’histoire du plombier.

    -      Celui-ci voudrait devenir loueur de scooters des mers.

    -      Ce qui déplaît à Jed Martin.

    -      Celui-ci respecte les artisans.

    -      Trouve le projet « touristique » du plombier assez abject.

    -      L’expression « marché de l’art » sonne comme un oxymore obscène sous la plume de MH.

    -       « L’artiste Jed aime l’outil ».

    -      Trouve en revanche les commerciaux inutiles.

    -      « Toute sa vie Jed avait eu envie d’être utile ».

    -      L’utile et l’inutile sont au cœur de la réflexion de MH.

    -      BM cite la parabole deSaint-Simon sur la disparition hypothétique de 30.000 courtisans, sous l’Ancien Régime, qui n’aurait pas eu la moindre incidence sociale.

    -      MH place le technicien et l’ingénieur au-dessus des publicitaires et des journalistes.

    -      « L’artiste, pour son malheur, est définitivement à part ».

    -      Le protagoniste est artiste, et MH se représente lui-même en personnage du roman.

    -      Le thème central de La Carte et le territoire est le passage du travail à l’art.

    -      Evoque une fable de Borges (p.100) à propos de la représentation photographique des cartes Michelin. 

    -      « Comment briser le carcan du temps sinon par l’art, producteur d’éternité ».

    -      Ce discours est évidemment l’opposé du cynisme ou du nihilisme prêtés parfois à MH, à tort.

    -      Jed Martin essaie de représenter les hommes au travail, par manière d’hommage critico-poétique, évoquant la peinture de Pierre Lamalattie, d’ailleurs complice de MH.

    -      La peinture de Jed intituléeDamien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l’art relève d’une ironie délicieuse.

    -      Mais le véritable héritage de Jed sera le portrait du gérant de bar-tabac…

    -      Tous les personnages de MH, comme ceux de Simenon, sont approchés via leur travail, détaillé comme chez Balzac – chose rare dans le roman français.   

    -      À noter au passage que les personnages de Dostoïevski non plus n’ont pas de métiers, au contraire de ceux de Tchekhov…

    -      La Carte et le territoire pose la question du sens du travail.

    -      Beaucoup de nos contemporains ne trouvent de sens à leur travail que par l’argent qu’ils en obtiennent.

    -      Dans ses satires sur la société soviétique. Alexandre Zinoviev a développé le concept d’ « imitation de travail ».

    -      Des millions de fonctionnaires soviétiques s’y livraient, comme des millions d’Occidentaux aujourd’hui.

    -      Dans Soumission, le protagoniste, maître de conférences à la Sorbonne, travaille un jour par semaine. Pas un critique ne l’a relevé à ma connaissance.

    -      À l’inverse, et comme Simenon ou Céline, MH professe du respect pour le travailleur, autant que pour le travail bien fait.

    -      Comme un Orwell, il célèbre la « common decency » de l’ouvrier.

    -      « Ces gens de peu sont aussi hors de l’hubris, de l’accumulation forcenée, du désir mortifère d’argent ».

    -       

    -      Chapitre 5. Au bout du capitalisme.

    -      Avec Malthus.

    -      Malthus (auteur, notamment, de l’Essai sur le principe de populationparu en 1798) est « le triste contemplateur de la condition ouvrière »qui estimait qu’il ne fallait surtout pas aider les pauvres.

    -      Selon lui, toute aide aux pauvresles ferait proliférer. La nature se chargera de les éliminer.

    -      Dans La possibilité d’une île, c’est le grand asséchement futur quiréglera le problème de la surpopulation et de ses séquelles.

    -      « Le thème su suicideoccidental au terme du capitalisme hante l’œuvre de MH », relève BM.

    -      Dans La conversation de PaloAlto, tableau de Jed Martin, on voir sur fond crépusculaire, Steve Jobs et BillGates comme des anges mélancoliques de la fin d’un monde.

    -      Lequel sursaute encore sousl’effet de l’obsession sexuelle, autre parodie vitaliste.…

    -         La spirale de l’obsession frustrantealimente l’industrie exponentielle du porno, souvent pointée par MH.

    -      D’aucuns y ont vu du cynisme.C’est le contraire qui est vrai, mais jamais MH ne prend la posture du pasteurou du moraliste.

    -      Or « iln0’y a pas moinsmachiste, plus respectueux des femmes que Houellebecq », affirme BernardMaris.

    -      Qui ne s e laisse pas effaroucherpar l’usage récurrent du mot pétasse usité par les personnages de MH.

    -      À ce propos, et c’est vrai pourtous ses romans, les personnages et leur auteur sont à distinguer, même si MHentretient souvent la confusion avec malice, comme dans Soumission

    -      Pour MH, l’obsession sexuelle est« l’une des manifestations du mal ».

    -      Dans La Carte et le territoire, il écrivait : La sexualité luiapparaissait de plus en plus comme la manifestation la plus directe et la plusévidente du mal ».

    -      Philippe Sollers a raillé le« puritain ».

    -      Mais l’amour selon Houellebecq n’est pas celui d’un séducteur dominant ni d’un hédoniste fringant. 

    -      Bernard Maris :« L’amour implique de l’abandon, de la faiblesse, de la dépendance – ce dont les Occidentaux vénaux jusqu’à la moelle sont incapables ».

    -      Evoquant Les particules, BM note.« On veut rester jeune, on pense constamment à son âge. L’obsession sexuelle, inversement corrélative du déclin sexuel, est source d’une grande souffrance. Le sexe ronge les humains. »

    -      À l’opposé du donjuanisme solipsiste d’un Sollers, le réalisme tendre-acide de MH, en la matière, a touché leslecteurs par son honnêteté.

    -      Dans Soumission, le protagoniste est loué par son amie pour cettequalité qui est aussi celle de MH : l’honnêteté.

    -      Tout cela sou l’égide  d’une méditation nostalgique sur la fin del’âge industriel en Europe et, plus généralement, sur le caractère périssableet transitoire de notre espèce et de ses actes. 

     

    -      Epilogue. Qui mérite la vie éternelle ?

    -      Avec (de nouveau) John Maynard Keynes.

    -      Trois exergues très significatifs.

    -      « Ils avaient vécu dans un monde pénible, un monde de compétition et de lutte, de vanité et deviolence ; ils n’avaient pas vécu dans un monde harmonieux ». (Les Particules élémentaires)

    -      « Toute civilisation pouvaitse juger au sort qu’elle réservait aux plus faibles » (La Possibilité d’une île).

    -      « J’ai eu de plus en plussouvent, il m’est pénible de l’avouer, le désir d’être aimé ». (Ennemis publics).

    -      Houellebecq parle-t-ild’économie ?

    -      Oui et non.

    -      Pour l’essentiel, il parle ducaractère irréversible du temps.

    -      Or l’économie libérale occultecette réalité.

    -      À noter alors que MH est un réaliste, à lire au premier degré.

    -      Sollers raille le « réaliste social ».

    -      Mais Houellebecq ne se réduit pas aux dimensions d’un behaviouriste social ou psychologique.

    -      Contre la logique économiste prétendue « rationnelle », il parle de nos vies soumises aux fluctuations de l’argent, aux condition du travail ou à l’épuisement des ressources, entre autres.

    -      « Ricanement et cynisme sont les mamelles de notre civilisation », relève Bernard Maris, auxquelles l’écrivain oppose un regard conséquent, à tout coup nuancé d’humour.

    -      Houellebecq préfère les doux auxforts, les vaincus aux exploiteurs, les gens honnêtes aux faiseurs, et serontsauvé ceux qui sont capables de bonté.

    -      Selon BM, la bonté est peut-êtreme mot-clef de cette œuvre, rarement repérée par la critique. Houllebecq n’estpas chrétien, « car on ne peut pas pardonner », mais une bonté« évangélique » traverse son œuvre, fût-ce avec des yeux de chienbattu ou d’enfant paumé.

    -       Philippe Sollers, dans Littérature et politique, cite un long aveu de MH sur son enfance et la blessure inguérissable de n’avoir pas été aimé. 

    -      Dans Ennemis publics il disait : « La face lumineuse, c'est la compassion, la reconnaissance de sa propre essence dans la personne de toute victime, de toute créature vivante soumise à la souffrance. La face sombre, c’est le reconnaissance de sa propre essence dans la personne du criminel, du bourreau, de celui par qui le mal est advenu dans le monde ».

     

    -      Et Bernard Maris, admirable là encore : "Le capitalisme s’adresse à des enfants dont l’insatiabilité, le désir de consommer sans trêve vont de pair avec la négation de la mort. C’est pourquoi il est morbide. Le désir fou d’argent, qui n’est qu’un désir d’allonger le temps, est enfantin et nuisible. Il nous fait oublier le vrai désir, le seul désir adorable, le désir d’amour. Comme Midas qui, transformant tout en or, courait à son suicide, le cadre-consommateur ruine le monde en voulant s’enrichir »

     

    -      Notes personnelles au 29 janvier 2015.

     

    -      À lire Houellebecq économiste, on comprend que l’écrivain ait été particulièrement bouleversé en apprenant la mort de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier avec ses amis de Charlie-Hebdo.

    -      Par delà ses hautes qualités de pénétration et d’intelligence explicative, cet essai est en effet la plus belle défense et illustration d’une œuvre souvent mal comprise.

    -      En ce qui me concerne ainsi, jen’ai jamais perçu la profondeur réelle, relative à l’infrastructure économique et sociale, des observations de MH, en dépit du haut intérêt que j’y ai trouvé.

    -      La critique littéraire, notamment en France, est rarement pratiquée avec cette intelligence des mécanismes économique ou sociaux (contempteur des idéologies et de leurs dérives vulgarisées, mais économiste lui-même, Bernard Maris maîtrise son domaine sans une trace de pédantisme ou de jargon), qui était le fait de critiques marxistes tels Lucien Goldmann ou Henri Lefebvre, pour citer le moins dogmatiques. 

    -      Or sur cette base, avec une connaissance complète de l’œuvre et des exemples adéquats tirés de chaque livre, BM nous invite bonnement à relire Houellebecq avec des yeux dessillés. 

    -      Grand livre que ce petit essai. Révérence à un lumineux martyr de l’obscurantisme.