UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Chemin faisant (96)

    072.jpg

             

    Malentendus divers. - La culture contemporaine, ou ce qu'on appelle comme ça, donne souvent lieu à des malentendus, tant le paraître et l'être, le désir réel et le simulacre social, le goût personnel et le mimétisme collectif se mêlent sur fond de consommation à grande échelle. Après quelque 7000 kilomètres en un peu moins de cinquante jours, à travers la France, le Portugal et l'Espagne, avec Lady L., nous pourrions établir la liste des "monuments incontournables" que nous aurons zappés, tout en ayant l'impression d'avoir acquis et partagé une quantité d'impressions et d'émotions vivifiantes.

     

    078.jpgLumière de Grignan. - Hier encore, nous étions à Grignan pour notre dernière étape. Or ce n'était ni pour y saluer Philippe Jaccottet ni pour nous incliner devant la statue de Madame de Sévigné. Au déclin du jour et dans une lumière orangée mêlant le brun et le mauve, nous avons juste flâné dans le vieux bourg en constatant qu'il s'y trouve plus de librairies et d'ateliers d'artistes qu'à Benidorm et La Grande Motte réunis, avant de souper dans un charmant restau à l'enseigne de L'Etable.

    003.jpgAu préalable, ma bonne amie, fatiguée par des heures de conduite, s'était reposée sous une belle gravure de Corto Maltese, à l'Hôtel Sévigné dont notre chambre déclinait le thème de la mer et des marins; et moi j'avais passé une belle heure en compagnie du libraire Jean François Perdriel, de chez lequel j'étais sortis avec  des ouvrages aussi rares que ridiculement bon marché de Marcel Aymé et Jacques Audiberti, ainsi qu'un irrésistibleDictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis, de Pierre Desproges, et l'essai de Benjamin Crémieux Du côté de Marcel Proust qu'un malotru ne m'a jamais rendu. Dans la foulée, après que je lui eus raconté mes deux visites au poète,  le libraire m'a donné les dernières nouvelles de la santé de celui-ci (plutôt bonnes)  et recommandé la lecture de son hommage funèbre à André du Bouchet. Et ce n'est pas de la culture, ça ?

     

    049.jpg034.jpgBilan multipack. - Si nous n'avons visité ni le Musée des blindés de   Saumur ni la cathédrale de Saint-Jacques, ni la Mezquita de Cordoue ni l'Alhambra de Grenade, nous avons "fait" la tapisserie de l'Apocalypse et sommes descendus dans la contrefaçon saisissante  de la grotte d'Altamira avant de monter la rampe en 34 sections de la Giralda de Séville, ainsi que les 45 étages de l'hôtel Bali à Benidorm de la terrasse duquel on voit presque l'Afrique et peut-être même Dieu par temps clair.

    020.jpgMieux: nous avons commencé à nous initier aux langues espagnole et portugaise que d'innombrables résidents étrangers s'opiniâtrent arrogamment à ignorer, et j'ai fait en voiture, à Lady L.,  la lecture de quatre recueils de nouvelles d'Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013,constituant un fonds prodigieux d'observations humaines.

    018.jpg014.jpg026.jpg360.jpgCependant l'essentiel de ce périple n'aura  pas été que de nature livresque ou borné à ce qu'on appelle la culture. Disons que nous aurons vécu: vécu chaque jour, vécu notre relation, vécu des amitiés, vécu des rencontres et des interrogations, vécu le sud et les séquelles visibles de la Crise, vécu l'immensité des pays et les particularismes de chacun, avec l'envie souvent (à Porto, à Séville, à Barcelone) d'y revenir, comme nous reviendrons peut-être à Carvoeiro ou à Tamariu...

    020.jpg027.jpgAu demeurant le voyage continue. Sommes-nous vraiment arrivés, et étions-nous même partis ? Dites: vous savez ce que c'est, vous, que le voyage ?      

  • Chemin faisant (95)

    052.jpg

     

    Les mots habités. - Un retour de voyage qui ne serait pas une instance de nouveau départ laisserait un goût d'inachevé, à croire qu'on serait revenu pour rien alors qu'aussitôt tout se trouve replacé sous une autre lumière - et cela commence par tous les noms qu'on se rappelle et qui ont maintenant comme un visage ou comme un corps - comme une nouvelle coloration ou comme une odeur réellement humée - devenue réel humus de mémoire.

     

    019.jpgDe l'incarnation. - Ainsi le nom de notre Nevers d'aujourd'hui est-il différent du Nevers d'avant que seuls des livres ou des films évoquaient, et le nom de la Loire, roulant sous nos yeux ses eaux chocolatées, tout autre sous le ciel de novembre que celui du fleuve rutilant à la télé d'un château l'autre, sans parler de ce nouveau nom révélé à l'apparition dans les monts basques des petits chevaux en liberté: ces pottoks chevelus dans la forêt des Arbailles - le mot pottok, le nom d'Arbailles - chaque nom plus incarné serti dans la chaîne des mots désormais habités.

     

    Poète en partance . - Enfin le retour, toujours, reste un peu déroutant. On  se sent, tout à coup, comme dépossédé et titubant.

    Le tas de choses à raconter se volatilise: on se sent un peu con, largué à la lecture, par les journaux, de tout ce qui s'est passé entre temps - que tout ça ait pu continuer d'exister en notre absence !

    Mais l'actuelle communication est telle que rien ne nous surprend vraiment en l'aimable platitude de la vie ordinaire retrouvée. Après les vitraux de Bourges ! Altamira ! Les rues de Séville ! L'inscription VIVIR MATA sur les murs de Grenade ! La magie de tous ces noms ! La vie révélée par ces mots !

  • Chemin faisant (94)

    053.jpg

     

    Rues piétonnes.- Le voyage est une modulation particulière de l'observation de la réalité sous ses multiples aspects, où il n'est rien. La rue des Etuves de Montpellier, un samedi après-midi de la période de l'Avent, est un lieu aussi digne de visite, par sa prodigieuse diffusion d'énergie vitale et de chatoiement pictural,  que les divers monuments recommandés par les Tours Operators aux touristes multinationaux, non tant d'ailleurs à Montpellier qu'à Paris ou à Monaco: faites la queue pour la Sainte Chapelle ou le Rocher, c'est tout comme crever douze heure à la porte des Offices de Florence dans l'éternuement énervé des scooters...

    022.jpgToutes les rues piétonnes de Blois, de Porto, de Séville ou de Barcelone méritent d'ailleurs la même attention qu'à Montpellier: là converge l'Humanité bonne -  et quelle fabuleuse librairie que celle de Sauramps sur la place de la Comédie où se démantibulent des danseurs de hip-hop sur fond de rythmes afro-cubains. Si vous avez un rendez-vous à fixer à des amis chers, ne cherchez pas plus loin: devant la librairie Sauramps, sur la terrasse dont la cantinière servira de l'eau à votre meilleur ami de l'homme.

     

    Feu sur le philistin. - L'an dernier à Portofino, dans la baie mythique idéalisée par des poètes en costumes blancs et des femmes fatales, un terrible paquebot américain mouilla et déversa moult chaloupes de touristes hagards qui tous se précipitèrent sur les boutiques de mode italienne, de sacs italiens de marques ou de pseudo-marques  issus des ateliers clandestins du sud de Naples, de savates italiennes griffés à Taiwan ou de bijoux italiens aussi couteux que les montres suisses qui se débitent sur la Bahnhoftstrasse de Zurich où déferlent autant de cars chinois. Telle est la caricature hideuse du tourisme actuel que, sacré prince, j'interdirais aussitôt sous peine de déportation lointaine. Eussé-je été en mesure, pirate ce jour-là à Portofino, de couler ce paquebot de malheur et de noyer son entière cargaison de sous-humains suralimentés, que je m'y fusse employé avec mon équipage: au jus les touristes, et que les requins en fassent du sugo !  

     

     044.jpgAu Parc Rimbaud. - Qui, des Tours Operators sévissant aujourd'hui de par le monde, connaît le Parc Rimbaud de Montpellier ? Sans doute aucun et c'est très bien ainsi: cela donne aux amis le loisir de goûter le charme d'un lieu comme il en est partout pour qui se donne la peine d'aller voir, comme Alice  derrière le lapin, de l'autre côté du miroir. Du parc Monceau de Paris aux jardins de Murillo à Séville, des terrasses florentines des Boboli au Mozart Park de Vienne: ces îles des villes où nous nous reposons du flux des rues sont propices aux moments où, dans notre lecture du monde, nous relevons les yeux. Et c'est ainsi, aussi, que nous respirons mieux...   039.jpg