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  • Ceux qui écrivent dans les marges

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    Celui qui va de maux en merveilles / Celle qui est modeste comme une note en bas de page / Ceux qui composent une petite Recherche dans les marges de la grande / Celui qui a repéré des ruisselets dans le cours du ruisseau et des étages dans l’eau du lac / Celle qui nage entre deux flots / Ceux qui remontent le talus de leur jeunesse aux genoux écorchés / Celui qui écoute le silence de la clairière en stéréo polyphonique / Celle qui se rappelle l’odeur sexuelle de la mare printanière / Ceux qui l’ont fait dans les herbes humides du gour noir / Celui qui posait des collets à l’insu de son oncle à sourcils sourcilleux / Celle qui noue ses lacets comme personne / Ceux qui ont appris à voler sous le nez de l’épicier terre à terre / Celui qui s’étant trompé de bus à la gare de Sienne a débarqué dans un quartier de HLM / Celle qui sans jouer le jeu a gagné sa partie / Ceux qu’on dit irréguliers alors qu’ils suivent une autre règle / 12029717_10207794832615629_454520269713550160_o-2.jpgCelui qui n’a jamais cherché à se montrer original vu qu’il l’était à l’origine / Celle qui trouve un peu tout (et le reste) en cherchant autre chose / Ceux qui ont acquis (vers l’âge de douze ans ) la conviction que la merveille est sous nos yeux sans que ceux-ci la voient forcément / Celui qui prend la peine ce matin de noter ceci : « Il convient peut-être de rester modeste en la circonstance et de se contenter, plume à la main, de ce qui est là jour après jour, là, sous nos yeux, le ciel d’opale , le chant du coq ou ce rayon de bibliothèque sur lequel des livres aux habits d’Arlequin, blottis les uns contre les autres, se tiennent compagnie jour et nuit pour dessiner l’arc-en-ciel de la mémoire des hommes, avec la conviction que l’inouï est à notre porte » / Celle qui surprenant son enfant à la fenêtre se dit comme ça que « la solitude qui l’habite, unique en son site, peut être douce s’il n’a pas à y répondre autrement qu’en y persévérant, petite mélodie, naïve expression » / Ceux qui ont résolu de nager à contre-courant pour mieux s’abandonner ensuite aux bras de la rivière / Celui qui est juste capable d’un demi-sourire en attendant son autre moitié / Celle qui se rappelle l’odeur des bocaux pleine des tritons capturés par ses frères alors qu’on en manquait pour la confiture / Celui qui ne sait pas trop si je est un autre quand il se déguise / Celle qui est accoudée à la table de ping-pong sans qu’on sache si c’est avant ou après la partie / Ceux qui ont un caleçon blanc sur leur peau bronzée quand l’été tire à sa fin / Celui qui n’a pas de calepin sous la main pour noter « simplement une succession d’approximations passagères »/ Celle qui pleure dans le Bois du Grésil avant de fumer une sèche/ Ceux qui se rappellent assez précisément les balades dans lesquelles on se lance sans savoir comment on enreviendra et dont on revient sans savoir comment on y est allé / Celui qui tire à la carabine sur des piafs et ça craint même quand ce ne seraient pas des Italiens mais de banals moineaux / Celle qui a fondé un ordre déchaussé dans lequel on ne foule que la mauvaise herbe / Ceux qui vont par les chemins de traverse jusqu’au repaire du poète illettré / Celui qui a tagué les piliers de l’autoroute traversant son ancien royaume / Ceux qui sourient parmi les décombres / Celui qui vibre à l’unisson des bouteilles vides alignées sur le camion bleu ciel / Celle qui accueille les garçons du quartier et ça se sait mais on se tait sauf les filles c’est pourtant vrai / Ceux qui chinent dans le bazar aux vocables / Celui qui écoute « la pluie bien serrée qui pianote ssur les tuiles » / Celle qui pose nue pour le peintre sourd / Celles qui se retrouvent au tea-room pour décocher à celles qui n’y sont pas des flèches empoisonnées / Celui qui dit qu’il ne va pas bien sans penser à mal / Celle qui dit à son confident Joseph que ça « reva » / Ceux qui se sont connus dans les jardins ouvriers où leurs enfants ont conçu leur première start up /Celui qui s’est exhibé jadis dans le Bois du Pendu avant de se retirer naguère à La Trappe / Celle qui regarde le soir son ombre se fondre dans la pénombre après quoi vient le moment de rentrer à la maison bien éclairée que vous voyez là-bas / Ceux qui se rappellent le crime de Maracon où ils conduisent cet après-midi leur fille pour sa leçon de piano avec le beau Javier, etc.

     

    (Cette liste et ses citation plus ou moins explicites font à écho à la lecture du recueil de proses et d’images paru sous la signature de Jean Prod’hom et le titre de Marges, aux éditions Antipodes, avec une préface de François Bon. Le soussigné reviendra sur ce livre richissime en cristallisations sensibles et autres méditations rêveuses à multiples perspectives douces ou plus sombres  En attendant on peut se balader aussi sur le site www.lesmarges.net)  

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  • Chemin faisant (88)

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    L'assassinat de Grenade. - Les parfums de Grenade sont ces jours comme figés par le froid malgré les couleurs persistantes des bougainvillées se détachant sur le blanc des murs et le bleu pur du ciel de décembre, mais le sang de Lorca n'en finit pas d'entacher de rouge les mémoires de ceux qu'a marqués sa poésie.

    059.jpgLa mort a frappé à sa porte en août 1936, sous les sinistres visages d'assassins dont on croit savoir aujourd'hui les noms et les motifs du crime: exécution crapuleuse, sur fond de haines familiales et de vindicte homophobe, plus que mise à mort à seul mobile politique; mais le fascisme franquiste a perpétué l'infamie en censurant l'oeuvre du poète vingt ans durant, avant la reconnaissance finale, combien tardive, en sa terre même.

     

    057.jpgTerre humaine. - En traversant l'Andalousie de part en part, tantôt verger et tantôt pierrier, tantôt fertile et tantôt âpre, évoquant parfois les collines de Provence ou de Toscane, et parfois les monts afghans entre failles rouges et hauteurs neigeuses, on découvre un grand pays dans les multiples pays d'Espagne, mais le même nom d'Andalousie revient, que Lorca disait consubstantiel à sa poésie - et les drames terriens de sa trilogie théâtrale (Noces de sangYerma et La maison de Bernarda Alba) l'illustrent mieux encore que les incantations de sa poésie, ainsque le confirment ses propres paroles: "Mes premières émotions sont liées à la terre et aux travaux des champs . Sans cela, sans mon amour de la terre, je n'aurais pu écrire Yerma ou Noces de sang..."

     

    GarciaLorca02.jpgChemins113.jpgNoces de sang. - Ayant quitté Grenade ce matin, nous nous retrouvons ce soir, un peu par hasard, tout proches des lieux où se passa le drame qu'on pourrait dire le plus caractéristique de l'âme andalouse, tissée de passion, de poésie et de violence, comme l'exalte le Romancero gitan.

    La tragédie paysanne dont Lorca a tiré Noces de sang s'est passé en ces lieux âpres à la lumière intense, que le poète a connus en sa prime jeunesse, entre Almerìa et Nijar. En 1928, plus précisément, à Nijar, une fiancée abandonna son futur époux au jour de leurs noces pour s'enfuir sur une mule avec son cousin. Ce dernier fut tué par le fiancé alors que la promise se faisait tenir pour morte afin d'échapper à la mort. De ce fait divers sanglant, le poète a tiré un poème dramatique d'une puissance expressive liée à toutes les composantes familiales et psychologiques d'une passion empêchée, sublimées par la poésie - du plus pur Lorca somme toute, sous le ciel que nous avons vu, ce soir, saigner sur la mer ...   

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