Ma première découverte sur les quais de Morges: mon voisin de droite à la table des signatures: Julien Bouissoux. Et son recueil de nouvelles: Une autre vie parfaite...
Je me demandais ce que j'allais foutre là-bas, pourquoi j'avais accepté leur putain d'invitation, comment je vivrais cette horreur de l'alignement de plumitifs lançant aux gentils lecteurs: "Et moi ! Et moi ¨Et moi !" ?
J'y allais donc à reculons, le noeud au ventre, mais pas envie du tout, et je me suis retrouvé là, très gentiment accueilli par les dames de Payot, et finalement très content du climat bon enfant de tout ça, content de faire connaissance avec Dunia Miralles, ma voisine de gauche, l'auteure d'Inertie, récit prenant d'une femme qui a de la peine à vivre, d'une écriture pure et dure à la Bukowski, et bientôt intrigué par mon voisin de droite, ce Julien Bouissoux dont il me semblait que le nom me disait quelque chose, en train de lire Seeland de Robert Walser.
Et voici que revenant, hier soir, de cette première épreuve adoucie, après avoir écoulé sept de mes immortels chefs-d'oeuvre, je trouve le livre de Julien, Une autre vie parfaite, dans les envois récents de L'Age d'Homme, pour commencer de le lire. J'y reviendrai plus souvent qu'à mon tour. Je n'en ai pas encore lu les neuf nouvelles, mais j'affirme haut et fort que Janvier et Un homme à la mer, deux d'entre elles, relèvent de la meilleure littérature, du côté d'Alice Munro ou de Michel Houellebecq en plus fin, plus doux, plus tendrement mélancolique. Si j'étais un jeune réalisateur, je ferais illico un court métrage de Janvier. Pour Un homme à la mer, ce serait plus coton vu que ça se passe dans la tête flottante du narrateur.
Mais bref, en attendant d'y revenir, dix ans après sa date de parution, je tombe sur cet entretien avec Julien Bouissoux. Relevons ce qu'il dit, à propos de Nancy dont Morges est la copie au bord du lac Léman, des salons du livre...
Jeune auteur d'à peine 30 ans, Julien Bouissoux a vécu successivement à Clermont-Ferrand, Rennes, Paris, Londres, Toronto, Seattle, Budapest, avant de revenir à Paris.
Rencontre au "livre sur la place" à Nancy avec un auteur discret et charmant à découvrir à travers son troisième roman "Juste avant la frontière" qui parait aux éditions de l'Olivier, alors que ses deux précédents ont été réédités en poche.
Comment es-tu venu à l’écriture ?
En fait ’ai commencé à 17 ans à écrire dans l’optique d’un roman, c’était plus des petits fragments d’écriture comme ça. Je pensais que ça allait se raccorder un jour, mais ça c’est pas fait… mas l’envie était là. J’ai persévéré, et au bout du troisième manuscrit ça a commencé à prendre forme et puis voilà… y’a eu fruit rouge et la suite.
Tes personnages ont quelque chose de mélancolique, on les sent un peu largué, un peu dépassés par la vie… c’est quelque chose que tu ressens toi aussi ?
Oui par moment c’est vrai, et aussi par la force des choses… de ne pas avoir de boulot, de ne pas en chercher...
Écrivain est donc ton métier ?
Totalement ! J'ai fait fait mes études, mon service à l’étranger et maintenant Je vis de l’écriture… mal certes, mais c’est de ça que j'ai envie de vivre (rires).
Pour en revenir à mes personnages et leur coté mélancolique, on ne peut pas dire que ça soit volontaire, souvent je le découvre seulement à la fin de l'écriture du roman. J’ai une lecture qui est très différente des gens. En fait avant tout j’essaie d’être honnête, de faire des personnages honnêtes, y’a pas ce coté "pipoteur" chez mes personnages. J’essaie d’écrire sans trop réfléchir, à l’instinct. Y’a pas vraiment de profil type, les traits des personnages se dégagent au fur et à mesure que j'écris.
je pense que de la mélancolie découle parfois la drôlerie. C’est souvent le cas... regarde chez Chaplin par exemple, son cinéma est drôle et mélancolique à la fois.
Tu dis dans Juste avant la frontière : "Il y a des villes où on peut commencer quelque chose, d'autres où refaire sa vie, et plein d'autres pour la finir. Sûrement Paris c'est tout ça à la fois."
Paris n’est pas une ville qui me fascine ; En fait à Paris on apprend tout sauf l’humilité. J’habite Paris depuis 3 ans parce que j’y ai un point de chute… mais plus ça va moins je m’y sens bien. Cette ville, plutôt que de stimuler mon écriture, la stérilise. Mais bon j’arrive à créer ma petite bulle malgré tout, à me préserver. Paris est une ville qui exclue je trouve, les ouvriers ont quasiment disparus, y’ a de moins de moins de mixité, de mélange. Et le coût de la vie, le prix des loyers fait que Paris devient une ville qui chasse ceux qui ont des moyens limités.
Tu dis aussi : "Je rêve encore de changer les choses à l’intérieur et à l'extérieur de moi."
J’aimerais par exemple que dans les salons du livre comme ici à Nancy, les gens ne soient pas effrayés par les romans qu'ils voient sur les tables, qu’il y ait plus d’échange, de contact entre les écrivains et les lecteurs. Les rapports deviennent de plus en plus biaisés je trouve, on se préserve de tout, on s’assure pour tout… les gens ne veulent plus prendre de risque... oui c'est vrai, tout ça j’aimerais que ça change un peu, que les gens arrivent à la table et sourient simplement. (sourire)
Y a t-il des fils conducteurs entre tes trois romans ?
Non pas vraiment… en fait comme je l'ai dit tout à l'heure, je veux que chaque personnage soit honnête. C’est quelque chose auquel je tiens beaucoup. Tu vois dans la vie si quelqu’un te dis « j’aime pas ton livre », qu’il te le dise franchement sans tourner autour du pot. Donc oui, peut-être retrouve t-on dans chacun de mes livres une forme d'honnêteté... au sens chrétien du terme presque, d’honnêteté intellectuelle envers soi.
Qu est ce que tu pourrais faire si tu n’écrivais pas de livres ? Euh, je sais pas... jardinier, diplomate, scientifique, chercheur au CNRS... être payé et faire un peu ce que je veux, je sais que c’est sans doute caricatural et réducteur… mais oui, avoir une grande liberté dans mon travail, être détaché des contingences matérielles. Et finalement écrivain correspond bien à ça.
Pour terminer, dernier disque acheté :
Le Murat A bird on a poire... sinon il y a quelques temps, mon concierge a mis la main sur des vieux vinyles dans une cave laissés là par un ancien propriétaire, une sorte de discothèque idéale… j’ai découvert des tas de disques de jazz et de classique… c’est vraiment bien de découvrir des choses comme ça par hasard.
Dernier livre lu :
Karine Reysset En douce: c’est une belle écriture.
Dernier film vu
Exils de Tony Gatlif j’y allais un peu à reculons, mais j’ai été très surpris un film que j’ai trouvé très fort, très visuel, des cadrages très beau.
Propos recueillis par Benoît Richard
Le 18 Septembre 2004
Commentaires
Je me souviens d'une esquisse faite d'après "La lettre" de Joseph Czapski...